Introduction
Premier classement des Vins de Bordeaux jamais
réalisé, le classement des châteaux viticoles en Grands
Crus Classés en 1855 a été demandé par
Napoléon III, en amont de l'organisation de l'Exposition Universelle de
la même année, organisée à Paris. Au cours de cette
exposition, volonté a été faite de mettre en avant
l'agriculture française, notamment au travers du travail de la vigne et
du savoir-faire français dans le monde viticole. Ce classement a
été demandé à la Chambre de Commerce et d'Industrie
de Bordeaux à travers une lettre officielle, signée de la main de
l'Empereur. En réalité, ce classement est inspiré du
classement personnel des meilleurs Vins de Bordeaux élaboré par
Thomas Jefferson, alors Ambassadeur pour les États-Unis
d'Amérique en France. En effet, les 1ers Grands Crus Classés en
1855 sont les cinq châteaux que Thomas Jefferson qualifiait comme les
meilleurs qu'il n'est jamais goûté. L'élaboration du
classement des Grands Crus Classés de 1855 ne s'appliquant qu'au
vignoble bordelais, mission a été donné aux courtiers de
la Chambre de Commerce et d'Industrie de Bordeaux de fournir, en deux semaines,
une liste des meilleurs Châteaux, regroupés en cinq
catégories : 1ers Grands Crus Classés, 2nds Grands Crus
Classés, 3èmes Grands Crus Classés, 4èmes Grands
Crus Classés et 5èmes Grands Crus Classés. Une seule
exception existe : le Château Yquem, situé dans l'appellation
Sauternes, qui est un 1er Grand Cru Classé Supérieur. Il se situe
au-dessus des 87 Châteaux qui forment le classement.
Étant reconnu comme le classement officiel le plus
élitiste des vins français pour ne pas dire du monde, les
Châteaux Grands Crus Classés en 1855 sont aujourd'hui
perçus comme des produits de luxe. Cette perception par le client, qu'il
soit négociant, grand acheteur privé, amateur ou touriste de
passage dans la région, est un réel avantage concurrentiel pour
les propriétés appartenant à ce classement.
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Outre les avantages que cette classification procure notamment
en termes de prestige et de notoriété, il ne tient qu'aux
domaines eux-mêmes d'exploiter du mieux possible cette mise en
lumière. La communication joue donc un rôle primordial dans cette
volonté grandissante de promotion et de pérennisation de cette
image de luxe. Cependant, chaque propriété possède son
histoire, ses valeurs et son identité. Il est donc capital que chacune
d'entre elle adapte sa manière de communiquer afin de coller au mieux
à ce qui en fait sa spécificité. C'est cette
complexité, entre la volonté de garder l'image de Grands Crus
Classés en 1855 et celle de garder ce qui rend unique chaque
propriété, qui mène à se questionner : Comment un
Château Grand Cru Classé en 1855 met-il en avant son
identité à travers ses choix en termes de communication ?
La première partie de ce mémoire traitera de la
spécificité des vins appartenant au classement de 1855 à
travers les différences avec les autres classements pour comprendre ce
qui leurs confère cette place dans la catégorie des produits de
luxe. La première partie sera également l'occasion de
présenter les deux châteaux qui seront utilisés tout au
long de ce mémoire afin de mieux connaître leur identité.
Cette connaissance sera nécessaire tout au long de ce mémoire
afin de mettre en lumière les différents choix de communication
et les comprendre. Les châteaux étudiés sont le
Château Marquis de Terme et Château Margaux.
La seconde partie de cet écrit portera sur le choix de
ces derniers en termes de communication directe (digitale et presse) afin de
comprendre de quelles manières les actions de communication sont
utilisées afin de s'adapter au mieux à l'identité propre
de chaque domaine.
Enfin, la troisième partie s'intéressera au
développement croissant d'un nouveau type de communication indirecte :
l'oenotourisme. Le benchmark entre les deux domaines permettra de mettre en
lumière deux visions qui s'opposent et ainsi comprendre les choix
effectués par chacun d'entre eux. Cette troisième partie va donc
finaliser la mise en perspective de différentes actions de communication
selon l'histoire, les valeurs et l'identité des châteaux à
l'étude.
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I. Les Grands Cru Classés en 1855, des produits
de luxe
signés Bordeaux
a. Le classement le plus élitiste du vignoble
bordelais i. Un système de notation différent des autres
classements
La région viticole de Bordeaux ne recense pas moins de
quatre classements majeurs. On retrouve le classement des Grands Crus
Classés en 1855, les Crus Classés de Graves, les Grands Crus de
Saint-Émilion et les Crus Bourgeois. Le classement de
Saint-Émilion ne s'applique que sur la rive droite tandis que les autres
prennent tous place sur la rive gauche de la Garonne. Le plus connu et le plus
réputé aujourd'hui est celui datant de 1855 ; il est
également celui qui a été établi sans aucune
dégustation ! Il est donc intéressant de s'attarder sur le
système de notation de chacun de ces classements afin de mieux
comprendre ce qui apporte à la classification 1855 cette si grande
renommée nationale et internationale.
La classification des Grands Crus Classés en 1855 a
été établi selon les prix pratiqués à
l'époque, sur des décennies, et sur la notoriété de
chacun des Châteaux. Jadis, les négociants pensaient, à
tort ou à raison, que les prix étaient un indicateur de la valeur
et de la qualité du produit ; la classification ayant été
établie en deux semaines, l'organisation de dégustations dans
tous les domaines était impossible. La notoriété
était aussi largement prise en compte ; c'est notamment l'opinion de
Thomas Jefferson sur ces 1ers Grands Crus Classés qui leur a
consolidé une place en haut du classement.
L'établissement du classement des Grands Crus
Classés des Graves se rapproche de celui de 1855 ; en effet, la
région des Graves étant très peu présente dans ce
dernier, le syndicat de défense de l'appellation a demandé
l'établissement d'un classement, rendu officiel en 1953. Il permet la
mise à l'honneur du savoir-faire et de la spécificité du
terroir.
Le classement des Grands Crus de Saint-Émilion, quant
à lui, répond à des règles plus strictes :
revisité tous les 10 ans, il prend en compte des aspects tangibles et
intangibles. Pour devenir un Grand Cru Classé de Saint-Émilion,
les prétendants à cette nomination doivent obtenir la note
minimale de 14/20, qui s'établit de la manière suivante : 50% de
la note est en lien avec la dégustation, 20% avec la
notoriété, 20% avec l'exploitation et 10% en lien avec la
conduite de cette dernière.
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C'est un classement aujourd'hui controversé du fait de
sa grande exigence et de ses règles ressenties comme trop strictes par
certaines propriétés qui ont décidé de s'en
émanciper. Le dernier classement sur lequel il est intéressant de
se pencher est celui des Crus Bourgeois. Située sur la même zone
géographique que le classement de 1855, il a été
officiellement créé en 1932 avec plus de 444
propriétés ! Depuis 2018, la nouvelle « version »
confère aux propriétés du classement le statut de Crus
Bourgeois pour 5 ans. Sa méthode d'élaboration et ses
critères se rapprochent de ceux du classement de Saint- Émilion :
dégustation horizontale sur cinq millésimes de la
propriété et conduite de l'exploitation à travers ses
démarches environnementales, ses installations techniques et son
itinéraire de la vigne à la distribution. Est également
pris en compte la valorisation des produits de la propriété
à travers les actions de communication et de promotion. Ce classement
est établi par 6 experts dont un professeur de l'université de
Bordeaux et un consultant en vins pour Christie's.
Ces quatre classements fonctionnent de manière
différente ; qu'est-ce qui confère donc au classement de 1855
cette notoriété internationale et cette réputation de
classement le plus élitiste du vignoble bordelais ?
Dans un premier temps, il est le premier classement officiel
mondial de vins et est donc une référence ; c'est notamment lui
qui a suscité l'envie du Syndicat de l'appellation de créer le
classement des Grands Crus Classés des Graves, pour l'appellation
éponyme. Au-delà de ce rôle de prédécesseur,
une des raisons principales qui confère à la classification des
Grands Crus Classés en 1855 cette position prédominante est son
rôle proactif dans la mise en avant et l'affirmation de l'identité
et de l'histoire des appellations dans lesquelles il prend place. Elle met en
avant simultanément la pluralité et la typicité de chaque
château tout en positionnant la recherche d'excellence au centre de son
identité et de ce qui fait le classement aujourd'hui. Ayant
été élaboré notamment sur les prix pratiqués
pendant des décennies et sur la notoriété établie
des propriétés, il reste aujourd'hui une valeur sûre ; les
clients se rendant dans un château présent dans le classement de
1855 pour retrouver le savoir-faire et l'excellence que des siècles
n'ont cessé d'améliorer.
ii. Une classification qui fait toujours foi
aujourd'hui
Le classement 1855, bien que le plus élitiste du
vignoble bordelais, voit de temps à autre sa légitimité
remise en cause. Les deux raisons principales avancées pour cette remise
en cause sont cependant liées à l'histoire du classement et
à ce lui a permis d'être ce qu'il est aujourd'hui. Dans un premier
temps, la dimension historique du classement qui n'autorise aucune modification
ou mise à jour dans l'ordre de classification soulève chez
certaines personnes la question de la légitimité, presque deux
cents ans après son élaboration. De plus, le classement et donc,
indirectement, la notoriété et le prestige des châteaux
sont parfois contestés car ce dernier a été établi
sans aucune dégustation. Cependant, les dégustations Primeurs qui
prennent place chaque année ne cessent d'affirmer et de prouver que les
Châteaux Grands Crus Classés en 1855 font honneur à la
notoriété et au prestige qui est le leur. La semaine des Primeurs
est une des semaines les plus importantes de l'année pour le vignoble
bordelais. De nombreux professionnels du vin, allant des acheteurs aux
négociants en passant par les journalistes, posent leurs valises
à Bordeaux afin de déguster le vin de nombreux châteaux,
directement à la barrique. Ces dégustations permettent d'accorder
des notes, notes qui aident par la suite à la fixation d'un prix initial
pour la vente du millésime. Ces notes Primeurs jouent donc un rôle
primordial et permettent d'asseoir de façon claire et factuelle la
qualité d'un vin.
Le classement 1855 pouvant être controversé quant
à la qualité et au prestige des vins produits, il est
intéressant de s'attarder sur les notes accordées lors des
Primeurs sur le millésime 2021. Château Margaux, 1er Grand Cru
Classé en 1855, a obtenu des notes oscillantes entre 95/100 et 100/100
pour son millésime 2021 avec une note moyenne à 97/100. Pour le
millésime 2021 du 4ème Grand Cru Classé Château
Marquis de Terme, les notes balancent entre 89/100 et 96/100 avec une moyenne
à 93/100. Enfin, le Château Dauzac, 5ème Grand Cru
Classé, a obtenu des notes entre 89/100 et 95/100, lui accordant une
moyenne à 92/100.
Les Primeurs, système uniquement basé sur la
dégustation, ne cessent donc de donner du crédit au classement de
1855, les notes établissant par elles-mêmes un ordre similaire
à celui de la classification.
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