Droit ohada et attractivite des investissements directs etrangers dans les etats-partiespar Marie Joëlle TRAORE Université Saint Thomas d'Aquin - Master en droit des affaires et fiscalité 2022 |
CHAPITRE II : LE CARACTERE PERFECTIBLE DE L'ESPACE JUDICIAIRE OHADAL'espace judiciaire OHADA se présente comme une pyramide. Les juges de fond des juridictions nationales sont juges de droit commun du droit communautaire OHADA. Une juridiction est qualifiée de droit commun lorsqu'elle « a vocation à connaitre de toutes les affaires à moins qu'elles n'aient été attribuées par la loi à une autre juridiction ». En d'autres termes, les juridictions de droit commun sont celles qui ont « une compétence de principe pour connaitre de tous les litiges sans qu'il soit besoin d'une loi spéciale pour les investir du pouvoir de juger de telle ou telle affaire ». Tandis que, la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, constitue au sommet de la pyramide la Cour de cassation supranationale comme conséquence de cela, les décisions de la CCJA bénéficient d'une force exécutoire communautaire. Si sur le plan juridique l'espace OHADA est plus ou moins élaboré grâce à l'uniformité des règles juridiques applicables à l'ensemble des pays membres84(*), l'on peut douter cependant de l'existence réelle d'un espace judiciaire OHADA. En effet, l'absence d'harmonisation de la carte judiciaire et de coopération entre les juges de l'espace OHADA, contribuent à obstruer l'instauration d'un véritable espace judiciaire OHADA (Section I). Aussi, l'absence d'une circulation de la totalité des titres exécutoires constitue une autre lacune de l'espace judiciaire OHADA (Section II). Section I : Le cloisonnement des systèmes judiciaires des Etats-parties à l'OHADALe cloisonnement se manifeste par l'absence d'harmonisation de la carte judiciaire des Etats membres (paragraphe I), et par l'absence de coopération entre les juges (paragraphe II). Paragraphe I : L'absence d'harmonisation de la carte judiciaire et des procédures judiciaires OHADAL'absence d'harmonisation de la carte judiciaire85(*) s'explique par plusieurs raisons. La première raison provient du fait qu'une bonne partie de la doctrine mais aussi la CCJA estiment que l'OHADA «doit s'abstenir de toucher à l'organisation judiciaire des Etats-parties ou à l'organisation administrative des Etats-parties »86(*). En effet, pour la doctrine, l'OHADA n'a pas pour ambition de modifier l'organisation judiciaire interne des Etats-membres mais d'uniformiser le droit des affaires. La CCJA quant à elle, estime qu'il faut reconnaître la compétence des Etats-membres de l'OHADA vis-à-vis de leur organisation judiciaire telle qu'organisée par chaque Etat-membre de l'OHADA. « Ainsi, en matière de voies d'exécution, la CCJA affirme dans l'un de ses arrêts que le critère d'identification de la juridiction compétente en matière de saisies conservatoires et des difficultés d'exécution est la juridiction des urgences telle que déterminée par l'organisation judiciaire interne de chaque Etat-membre de l'OHADA »87(*). L'autre raison que l'on peut soulever « est la détermination de ce qu'il faudra harmoniser. Faudra-t-il harmoniser l'organisation des juridictions ainsi que leur fonctionnement ? « Il est évident qu'on ne pourrait harmoniser toute l'organisation judiciaire interne des Etats-parties. Il faudra sélectionner les juridictions à harmoniser. La même difficulté se posera sur le plan fonctionnel, va-t-il falloir les règles de compétence des juridictions et les procédures ? dans ce cas, il faudrait examiner tous les codes de procédure civiles et commerciales des Etats-parties afin de déterminer l'ensemble des ordres de juridictions présents des Etats-parties ainsi que leur organisation, leur compétence et leurs modalités de saisine, etc... Ce qui serait un travail très fastidieux »88(*). La dernière raison justifiant cette absence d'harmonisation de la carte judiciaire, s'explique par le fait que l'organisation judiciaire est un domaine qui touche directement la souveraineté de l'Etat. L'Etat est en effet souverain dans la mission d'organisation de la justice89(*). Les règles de procédure relèveraient selon les arguments de nature politique de la seule compétence du souverain90(*). Dans ce cas, il serait difficile de convaincre les Etats-parties de procéder à une telle harmonisation. Cependant, en dépit des difficultés que pose l'harmonisation de la carte judiciaire elle est tout de même nécessaire. L'une des faiblesses du droit OHADA réside dans la disparité des formes de juridictions et des procédures. En effet, en parcourant l'organisation judiciaire des Etats-parties, on constate qu'il y a des divergences au niveau de l'ordre judiciaire. Comme on le sait, le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les Etats-parties,91(*) chaque Etats organisant l'ordre judiciaire à sa guise. En ce qui concerne les litiges relevant des Actes uniformes OHADA, on constate qu'il y a trois différentes organisations des tribunaux chargés de régler les litiges commerciaux dans l'espace OHADA. Le Tchad92(*) par exemple a créé des juridictions commerciales. Dans la majeure partie des cas, la compétence de ces juridictions recouvre l'ensemble des litiges pouvant naître de l'application des actes uniformes, mais dans certains cas, l'énumération législative est limitée, comme dans la République Islamique des Comores. Le Niger93(*) et le Sénégal94(*), eux, n'ont pas créé des juridictions commerciales, mais plutôt des chambres commerciales au sein des tribunaux de première instance. Ces chambres commerciales connaissent des litiges rattachés aux actes uniformes OHADA. Au Togo95(*), il existe une chambre commerciale, mais elle est rattachée à la chambre civile de sorte qu'il existe une confusion entre elles. Le Cameroun96(*) , lui n'a ni créé des juridictions commerciales, encore moins instauré des chambres commerciales au sein des tribunaux. Les tribunaux de premier degré sont compétents pour connaître de toutes les matières civiles, sociales et commerciales. Dans ces Etats, il n'y a pas de spécialisation des juges en matière de litiges commerciaux englobant l'application des Actes uniformes. Ces divergences au sein des organisations judiciaires ne sont pas attractives pour les investisseurs et ne garantissent pas la sécurité judiciaire. Il serait souhaitable qu'on puisse avoir une lisibilité dans tous les Etats parties des tribunaux chargés de connaître de ces litiges au premier degré. A notre avis, la solution la plus avantageuse serait d'amener les Etats qui n'ont pas de chambre commerciale au sein des juridictions de droit commun à en créer. Cela conduirait à une spécialisation du personnel et permettrait d'avoir une lisibilité des juridictions de fond chargées de trancher les litiges. Ces chambres commerciales devront aussi exister au sein des cours d'appel, comme déjà dans la majorité des Etats-parties. Il serait opportun aussi de dégager des principes directeurs communs de procédures applicables devant toutes les juridictions appelées à appliquer le droit uniforme. Le régime pourrait porter sur l'accès au juge, sur la durée du procès raisonnable, sur le régime d'administration judiciaire de la preuve, sur le mode d'introduction d'instance, sur les notifications. Cette harmonisation des principes directeurs du procès dans l'espace OHADA permettrait aux services juridiques et aux conseils juridiques habituels des investisseurs d'avoir une visibilité procédurale97(*). Cependant, les juges des Etats-parties, en ne coopérant pas entre eux ne favorisent pas l'instauration d'un véritable espace judiciaire OHADA. * 84Voir l'autre définition de la notion d`espace donnée par Jean-Marie TCHAKOUA, « L'espace dans le système d'arbitrage de la Cour Commune de justice et d'Arbitrage », Penant, janvier-Mars 2005, p 842. * 85La carte judiciaire définit la répartition des tribunaux sur l'espace OHADA. * 86 Joseph ISSA SAYEGH, Jacqueline LOHOUES-OBLE, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2002, p.55. * 87 Véronique Carole NGONO, « Réflexions sur l'espace judiciaire OHADA », Revue de l'ERSUMA, n°6, janvier 2016, p.20 et 26, Ohadata D-15-14. * 88 Ibid. * 89 Loïc CADIET, Jacques NORMAND et Soraya AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, PUF, 2010, p.262. * 90 Ibid. * 91 Article 13 du Traité OHADA. * 92 Jocelyn MADJENOUN, « organisation judiciaire du Tchad », p.12, en ligne : https://www.ohada.com , consulté le 25 janvier 2021 à 9h12. * 93 Bachir TALFI, « organisation judiciaire du Niger », p.9, en ligne : https://www.ohada.com , consulté le 25 janvier 2021 à 9h20. * 94 Cabinet d'avocats Maitres JANDJO et KOÏTA, Alioune N'DIAYE, « organisation judiciaire du Sénégal », p.10, en ligne : https://www.ohada.com , consulté le 25 janvier 2021 à 9h25. * 95 Michel AKOUETE AKUE, « Organisation judiciaire du Togo », p. 4, en ligne : https://www.ohada.com , consulté le 25 janvier 2021 à 10h31. * 96Rachel Yvette KALIEU ELONGO, « organisation judiciaire du Cameroun », p.5 et 7, en ligne : https://www.ohada.com, consulté le 25 janvier 2021 10h43. * 97 Joseph KAMGA, « Réflexions concrètes sur les aspects judiciaires de l'attractivité économique du système juridique de l'OHADA », revue des juristes de sciences PO, n°5, 2005, p.31, Ohadata D-12-85. |
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