Droit ohada et attractivite des investissements directs etrangers dans les etats-partiespar Marie Joëlle TRAORE Université Saint Thomas d'Aquin - Master en droit des affaires et fiscalité 2022 |
Paragraphe I : Le principe d'immunité des personnes morales de droit publicL'immunité d'exécution est à distinguer de l'immunité de juridiction. Tandis que la première intervient en aval de la décision de justice, la seconde intervient en amont et empêche la personne qui en bénéfice d'être jugé. L'immunité d'exécution porte sur la personne destinataire de la mesure d'exécution forcée. Autrement dit, l'immunité d'exécution55(*) est le privilège personnel reconnu à un débiteur, notamment l'Etat et ses démembrements, qui le soustrait à toute mesure d'exécution forcée. Cette dernière est l'exception à la faculté de contrainte que le créancier a sur son débiteur défaillant. L'immunité d'exécution est un sérieux obstacle au recouvrement des créances dans l'espace OHADA. En effet, elle permet à une catégorie de personnes d'échapper aux mesures d'exécution forcée. Cependant, le législateur OHADA ne s'est pas prononcé de façon explicite quant à l'identification précise des bénéficiaires légaux de l'immunité d'exécution. Celui-ci semble renvoyer à la loi nationale pour fixer la liste des personnes concernées par cette immunité. Par exemple, au Sénégal, l'article 194 al.1 du Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC), prévoit qu'il n'y a pas d'exécution forcée ni de mesures conservatoires contre l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics. Beaucoup de décisions se réfèrent d'ailleurs expressément à ces lois internes. Ainsi, au Cameroun, une juridiction a fait application de la loi camerounaise n° 99/016 du 22 déc. 1999 portant Statut général des Etablissements publics56(*). De même, en Côte d'Ivoire, il a été fait référence à la loi nationale, la loi n° 08-338 du 02 juillet 199857(*). Or, la CCJA semble avoir une autre lecture de cet article 30. Selon elle, en énonçant dans son alinéa 1er, le principe selon lequel il ne peut y avoir d'exécution forcée, ni de mesures conservatoires contre les personnes qui bénéficient de l'immunité d'exécution et en envisageant dans son alinéa 2 la possibilité d'opposer la compensation aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, l'article 30 pose le principe général de l'immunité d'exécution au profit de ces personnes58(*). L'arrêt rendue par la CCJA dans l'affaire dite Togo Télécom59(*) renseigne à suffisance sur la position de la CCJA. Par une interprétation extensive des alinéas 1 et 2 de l'article 30 de l'AUPSRVE, la haute juridiction assurait l'immunité d'exécution toutes les entreprises publiques quelle qu'en soit la forme ou la mission. Cette solution fut confirmée en 2014 par l'arrêt rendu dans l'affaire dite Port autonome de Lomé60(*). En effet dans un arrêt du 13 mars 2014, la CCJA avait estimé que les entreprises publiques, dont le port autonome de Lomé, bénéficient de l'immunité d'exécution en vertu de l'article 30 alinéa 1 de l'AUPSRVE même si des dispositions nationales les soumettaient aux règles de droit privé. En réalité, cet arrêt dévoile toute la véhémence de la CCJA dans sa volonté de soustraire les entreprises publiques au régime de droit privé. En l'espèce elle avait reconnu l'immunité d'exécution à l'entreprise togolaise alors même que la décision frappée d'appel l'avait seulement condamnée à payer diverses sommes assortie d'une exécution provisoire. Les créanciers n'étaient pas encore en possession de titre exécutoire. Seule une ordonnance de sursis à exécution était sollicitée parallèlement à l'instance d'appel devant le président de la juridiction de second degré. Le fait donc pour les conseils de la société Togo port d'avoir excipé prématurément de l'immunité d'exécuté n'avait pas empêché la CCJA de réitérer sa position en faveur d'une interprétation extensive de l'article 30 de l'AU susvisé. Deux années plus tard, des critères d'identification des entités bénéficiaires de l'immunité d'exécution furent dégagés par la Cour dans par la Cour dans l'affaire dite Fonds d'Entretien Routier (FER) pour réitérer sa position sur l'immunité d'exécution des personnes publiques61(*). Par son arrêt n° 03/2018 du 26 avril 201862(*), la CCJA a opéré un revirement de sa jurisprudence en matière d'immunité d'exécution. La cour avait procédé dans cette affaire à une nouvelle lecture de ces dispositions en ces termes : « ... qu'en l'espèce, il est établi que le débiteur poursuivi est une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par des personnes privées et par l'Etat du Congo et ses démembrements ; qu'une telle société étant d'économie mixte, et demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d'exécution sur ses biens propres ; qu'en lui accordant l'immunité d'exécution prescrite à l'article 30 susmentionné, la Cour de Kinshasa/Gombe a fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la cassation ; qu'il echet de casser l'arrêt déféré et d'évoquer. A travers cette solution, la CCJA s'est référée à la forme privée de l'entreprise pour l'application des voies d'exécution. Elle venait de tenir en compte de cette réalité de l'entreprenariat public : la société d'économie mixte. En faisant l'économie de ces décisions, on relève une instabilité de la jurisprudence de la CCJA sur la détermination des entités bénéficiaires de l'immunité d'exécution63(*). Pour éviter toutes divergences, il pourrait être judicieux de préciser le champ de l'immunité d'exécution accordée aux personnes morales de droit public. Dans le cadre de la réforme le législateur OHADA pourrait envisager d'attribuer une immunité d'exécution en fonction de l'activité (mission de service public) et non d'un critère purement organique. Ainsi donc lorsque les activités de la personne publique relèvent du droit privé, l'immunité d'exécution ne devrait pas s'appliquer. Cette question va essentiellement concerner les établissements industriels et commerciaux (EPIC) dont les activités ne relèvent pas du droit privé mais des services publics marchands. L'immunité d'exécution des Etats parties à l'OHADA servirait l'attractivité de leurs économies si elle se limitait sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques. Il s'agit là d'une mesure de revalorisation du droit de créance qui fait de l'Etat commerçant un justiciable comme tous les autres. Tandis que la plupart des droits nationaux des pays membres de l'OHADA prévoient le sursis à exécution provisoire, l'OHADA en disposé autrement. * 55Article 30 alinéa 1 de l'AUVE. * 56 TPI Bafoussan, 28 janvier 2004, ord. de référé n° 37, SNEC SA c/ Djeukou Joseph, Ohadata J-05-01. * 57 TPI Bouaké, 23 juin 2005, n° 105, Institut National Polytechnique Houphouët Boigny c/ Mian Assa Séraphin. * 58 CCJA, 7 juillet 2005, arrêt n° 43/2005 : Aziablevi Yovo et autres c/ Société Togo Télécom, recueil de jurisprudence de la CCJA, n°6, juin-décembre 2005, p.25. * 59 Ibid. * 60 CCJA, 13 mars 2014, arrêt n° 024/2014, pourvoi n°022/2008/PC du 21 avril 2008 : KOUTOUATI A. AKAKPO Danwodina et 18 autres c/Société TOGO-PORT dite port autonome de Lomé, Ohadata J-15-115. * 61 CCJA, 18 mars 2016, arrêt n° 44/2016, pourvoi : n°153/2012/PC du 02 novembre 2012 : GNANKOU GOTH Philippe c/ FONDS D'ENTRETIEN ROUTIER dit « FER » ; Société EOBANK Cote d'Ivoire. * 62 CCJA, 26 avril 2018, arrêt n° 103/2018 : MBULU MUSECO c/ La Société des Grands Hôtels du Congo SA et 10 autres. * 63Bira Lo NIANG, « L'immunité d'exécution à la lumière de la jurisprudence de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA », RAMReS, 2019, p.124. |
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