Chapitre 1: L'application des nouveaux accords.
La quasi-totalité des nouveaux accords de
coopération franco-sénégalaise a été
signée le 29 mars 1974 à Paris à l'exception de trois
d'entre eux qui ont vu le jour en septembre de la même année
à Dakar. Ces accords devraient entrer en vigueur deux mois après
leur signature, cependant la procédure législative demeure
très longue, surtout du côté français. Pourtant le
gouvernement français décide d'anticiper l'entrée en
vigueur de la nouvelle convention d'établissement et du nouvel accord en
matière de circulation des personnes.
La ratification des accords se fait le plus souvent par voie
législative à l'Assemblée nationale. Elle peut
néanmoins se faire par un simple échange de lettres par les
représentants des deux parties. Concernant les nouveaux accords de
coopération franco-sénégalaise, nous avons remarqué
deux tendances. La partie sénégalaise ne tarde pas à
soumettre l'ensemble des accords à l'Assemblée nationale. Le 20
décembre 1974, cette dernière a voté vingt-neuf projets de
loi autorisant le Président de la République à ratifier
tous les accords de coopération signés à Paris le 29 mars.
La rapidité de la procédure du côté
sénégalais s'explique par le fait que la mouvance
présidentielle ne rencontre pas d'opposition ouverte. Il faut savoir que
Senghor avait mis en place un système politique reposant le parti
unique, comme dans la plupart des États africains, et les partis de l'
opposition vivaient alors dans la clandestinité. Cette situation
confère tous les pouvoirs au Président Senghor, ce malgré
la séparation des pouvoirs(O'Brien, Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf,
La construction de l'Etat au Sénégal, 2002)
Du côté français, la procédure n
`était pas si rapide. Il faut attendre deux ans pour que les accords
soient ratifiés . En effet, ils n'ont reçu l'approbation de
l'Assemblée nationale que le 19 décembre 1975. Par la suite, deux
mois ont été nécessaires pour qu'ils prennent effet
après la date d'échanges des instruments de ratifications. Ces
accords ne sont publiés au Journal officiel de la République
française qu'au 17 novembre 1976. Néanmoins certains accords
ne seront pas publiés dans ce journal et nous en ignorons la raison.
Dans une dépêche adressée à l'ambassadeur
français au Sénégal par son ministre
80
de tutelle, nous avons repéré une liste
d'accords à ne pas publier. Parmi ceux-ci, nous pouvons retenir : les
accords militaires, les accords concernant l'état des personnes, les
accords de coopération culturelle et technique, les accords en
matière économique et financière et enfin l'accord
domanial. Cette lente procédure s'explique par le fait que
l'Assemblée nationale française est un organe indépendant
du pouvoir exécutif: il faut convaincre les députés de
l'utilité de ces nouveaux accords. Néanmoins certains
observateurs estiment que ce traitement est exclusivement réservé
à la coopération franco-africaine. Ainsi Jean Chesneau n'a pas
manqué de le souligner dans une note à l'attention de Monsieur
Georges Roux, conseiller technique au Cabinet du Ministre des affaires
étrangères : « En effet une fois signés, ces accords
sont au plan interne français voués aux tribulations d'une
chaîne procédurière dont la longueur, dans la plupart des
cas pourrait semble-t-il être sensiblement réduite, afin de
rapprocher de la date de conclusion, celle de la mise en vigueur et
d'éviter la création de vides juridiques fâcheux et
même dangereux. Le cas des accords conclus avec le Sénégal
en 1974 est particulièrement significatif : signés le 29 mars
1974, ils sont entrés en vigueur en juillet et septembre 1976 et
publiés en novembre 1976 »85. La partie
sénégalaise en l'occurrence le gouvernement dénonce
également cette procédure et rappelle à tout moment
à son partenaire ses engagements. Dans une lettre datée du 26 mai
1976, l'ambassadeur français au Sénégal avait
reporté ceci : « Par ailleurs le ministre porte à la
connaissance de l'ambassade que le Sénégal a ratifié,
depuis le 5 juin 1975, l'ensemble des accords et conventions signés
entre les deux pays et qu'il laisse le soin à la partie française
de fixer une date pour l'échange des instruments de ratification
à Paris »86. Cette attitude de la partie
française confirme la remarque de Bourgi sur la coopération
franco-sénégalaise. Il note que le Sénégal applique
à la lettre les accords signés avec la France au moment où
cette dernière n'a même pas ratifié ces accords par
l'Assemblée nationale. Si le Sénégal ne peut que
dénoncer la lenteur de la procédure de son partenaire, il
envisage déjà d'autres alternatives. En effet, Senghor
déclarait le 2 mai 1974 que : « Il reste que devant le
désengagement de la France et l'ignorance de son opinion publique qui
nous traite de mendiants de l'Elysée, nous sommes obligés de
réfléchir et de chercher un complément, sinon une
alternative à la coopération française qui s'affaiblit
d'année en année »87. Ces propos font allusion
à la diversification des partenaires extérieurs car la
politique
85 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché, Chargé de missions (1959-1985), Cote
20000137/2.
86 Ibid.
87 Idem.
81
étrangère du Sénégal se limitait
à la France. Il renoue les liens avec la République de la Chine
après une rupture au profit de Taiwan en 1971. Les relations entre les
deux pays connaissent une nouvelle crise diplomatique de 1996 à 2005.
Les Etats-Unis et l'URSS deviennent également des partenaires non
négligeables. «L'URSS contribue au financement de la
troisième tranche de la SOSAP pour la construction de 10 thoniers suite
à l'accord sino-soviétéque de 1965»88.
Le fait que les accords de coopération avec le
Sénégal soient coincés dans un carcan procédurier,
n'a pas empêché la France de mettre en application l' accords en
matière de circulation des personnes et la convention
d'établissement. En effet, elle a décidé d'anticiper
l'entrée en vigueur de ces deux accords pour le 15 juillet 1975. Son
gouvernement décide : « d'assujettir à compter du
1er janvier 1975, les ressortissants sénégalais au
régime de carte de séjour ». Cette décision ne pose
pas de problèmes car les ressortissants sénégalais
résidant en France à la date du 1er décembre
1974 seront dotés d'un titre de séjour valable de cinq ans comme
le prévoit cet accord et renouvelable pour la même durée.
Par conséquent les autorités sénégalaises n'y
voient pas d'inconvénients et son ministre des affaires
étrangères a donné son approbation en ces termes : «
M. Assane Seck m'a confirmé que ces dispositions ne soulevaient pas
d'objections de la part du gouvernement sénégalais. Celui-ci
envisage d'ailleurs de prendre des mesures analogues à l'égard
des français résidents au Sénégal
»89. Lesdites mesures du gouvernement sénégalais
sont entre autres, un communiqué de presse pour informer les
ressortissants français des nouvelles mesures et des centres
d'enregistrement pour obtenir la carte d'identité
étrangère. Des dispositions particulières sont mises en
place pour les demandeurs de cette carte:ils reçoivent un reçu
pour la durée de fabrication. En outre, les Français sont
dispensés de la formalité du visa aller et retour pour la sortie
et l'entrée au Sénégal. Le gouvernement
sénégalais n'a pas voulu mentionner les dispositions prises
à l'égard des ressortissants français. En revanche, il
assure aux autorités françaises que toutes les dispositions ont
été prises si nous croyons à une note de l'ambassadeur
français au Sénégal : « Le communiqué du
ministre de l'intérieur ne précise pas l'automaticité de
la délivrance ni la validité, pour une durée de cinq ans,
de la carte. Le ministre sénégalais de l'intérieur me
confirme cependant qu'il en est bien ainsi [...] mais qu'aucune
publicité n'est
88 Domingo Jean, op.cit, p.38.
89 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché, Chargé de mission(1959-1985), cote
20000137/2.
82
donnée pour ménager éventuellement la
susceptibilité des tiers. La gratuité m'est également
confirmée »90 .
Malgré les assurances françaises, la
réalité de la situation est toute autre sur le territoire
français. Des incidents ont été notés car des
ressortissants sénégalais furent victimes de refoulements
malgré leur statut légal. Ces faits sont rapportés par
André Guillabert, ambassadeur du Sénégal à Paris en
mars 1975 dans une déclaration: « [...]. Mais là où
nous sommes contraints à l'indignation, c'est essentiellement la
façon dont le contrôle et le refoulement sont effectués
dans les aérodromes. Des travailleurs sénégalais ou
africains en situation régulière, qui revenaient de congé
et qui étaient titulaires de contrats de travail en bonne et due forme
ont été refoulés. »91. Magatte Lô de
retour de mission à Paris renchérit en ces termes:« Il est
exigé, à présent de tout ressortissant
sénégalais désireux d'envoyer de l'argent à
destination du Sénégal, non seulement une carte
d'immatriculation, d'ailleurs difficilement obtenu mais encore la justification
des raisons et des motifs de ce que les autorités françaises
considèrent comme un transfert de devises»92. Il s'agit
là du premier incident diplomatique entre les deux pays depuis
l'indépendance.Le gouvernement sénégalais condamne ces
traitements et les considère comme une violation du nouvel accord sur la
circulation des personnes. En réaction, le Président Senghor
dévoile ses intentions dans une dépêche adressée
à l'ambassadeur français au Sénégal en ces termes :
« C'est mon devoir de signaler qu'actuellement, les élites
sénégalaises ont l'impression, comme les élites du Maghreb
au demeurant, que le racisme se développe en France non certes au niveau
des dirigeants mais au niveau des fonctionnaires et des travailleurs manuels.
C'est la raison pour laquelle j'ai demandé l'inscription à
l'ordre du jour de la Conférence de Bangui, de la question
d'immatriculation. J'en profiterai pour parler également de la question
des mandats »93. Nous pensons que Senghor a
rédigé cette lettre ayant à l'esprit le caractère
crucial que cette Conférence Bangui revêt pour la France. En
effet, il s'agit du deuxième sommet franco-africain (dont le premier
avait eu lieu le 13 novembre 1973 et était présidé par
Georges Pompidou). Le fait d'inscrire un tel sujet à l'ordre du jour, va
à l'encontre du projet français de maintien de son influence et
de son « image positive» sur le continent africain. En outre,cet
épisode trouble de la coopération franco-africaine détonne
avec le thème de la conférence centré sur le «
dialogue Nord-Sud ». Les autorités françaises tentent alors
de se
90Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché, Chargé de mission (1959-1985), cote
20000137/2.
91 Idem.
92 Idem.
93 Idem.
83
justifier en soutenant que ces faits sont des actes
isolés de certains fonctionnaires et assurent que les mesures
nécessaires seront prises. Lors de la réunion de presse suivant
cette conférence, Valéry Giscard d'Estaing s'exprime en ces
termes : « Il y a un problème qui était important qui
était celui de la circulation des personnes et de la manière dont
cette circulation des personnes doit être organisée, Eh bien
certains de nos partenaires ont fait part de leur préoccupation, voire
des critiques qu'ils avaient à émettre à cet égard
et nous avons examinés ensemble les solutions possibles
»94. Ces propos semblent destiner au président Senghor
qui avait décrié les traitements dont étaient victimes ses
ressortissants.
Nous supposons que la décision du Gouvernement
français d'appliquer le plutôt possible le nouvel accord relatif
à la circulation des personnes relève en grande partie de sa
volonté de contrôle de l'immigration. Pour justifier de telles
mesures, il avance une meilleure prise en charge des immigrés Africains
en assurant une formation, un logement et une réelle intégration,
nécessaire dans une situation économique difficile avec un taux
de chômage qui ne cesse de grimper. Cependant les autorités
françaises semblent ignorer le fait que les Africains résidant
sur le territoire français, occupent pour la quasi-totalité les
emplois les plus difficiles et les plus dégradants. Ce qui nous fait
penser que ces emplois n'ont pas une réelle influence sur le taux de
chômage en France. Dans le cadre d'une meilleure politique en
matière d'immigration, les autorités françaises ont
signé avec le Sénégal un accord sur la formation en vue de
retour et de l'insertion dans l'économie sénégalaise des
travailleurs ayant émigrés temporairement en France. Cet accord,
signé le 1er décembre 1980 a été soumis
à l'Assemblée nationale pour approbation sans vote. Cette demande
est due au fait que le contenu de l'accord n'est pas clair, les
modalités de formation, la prise en charge et la manière
d'insertion ainsi que les secteurs visés ne sont pas définis. Le
seul argument plausible qu'ils sont avancés est formulé en ces
termes : « Notre politique consiste à l'heure actuelle, à
compter sur le retour naturel des immigrés dans leur pays d'origine en
interdisant les entrées, sauf, bien entendu aux étrangers
bénéficiant d'un régime spécial et notamment aux
réfugiés politiques »95 . Même si le projet
insiste sur le départ volontaire, l'avenir des immigrés reste
incertain car la majeure partie de ces derniers occupe un emploi subalterne en
France. En outre, le Gouvernement du Sénégal est confronté
à un problème d'intégration de ses diplômés
dans le marché du travail. Nous ne connaissons pas les suites de cet
accord ni les bénéficiaires car notre étude s'arrête
à l'année 1982. La décision des autorités
françaises en matière de circulation des personnes peut
également être interprétée comme un début de
désengagement
94 Archives du site internet de l'Elysée.
95 Archives nationales, Paris, Assemblée
nationale,cote 20060604/10.
96 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché, Chargé de mission (1959-1985), cote
20000137/1.
84
vis-à-vis de son pré carré au profit
d'une intégration européenne. Cette hypothèse se confirme
en 1980 lorsque la France passe le relais des investissements et du diagnostic
économique aux institutions de Bretton Woods avec le Programme
d'Ajustement Structurel (PAS). Le Sénégal fut le premier pays
africain à signer ce programme. Nous en reviendrons plus tard. Le
gouvernement français n'a fait que profiter de l'occasion du nouvel
accord sur la circulation des personnes pour mettre en place ses mesures en
matière d'immigration.
Toujours dans le cadre d'application des nouveaux accords de
coopération franco-sénégalaise, la première
réunion du comité interministériel
franco-sénégalais s'est tenue les 11 et 12 décembre 1975.
Cette réunion définit les nouvelles orientations de la
coopération franco-sénégalaise. Son compte rendu se
résume ainsi : « Faisant suite aux missions de dialogue (octobre
1974) et de programmation (mai 1975), cette réunion allait permettre de
tester concrètement les nouvelles orientations de la politique de
coopération notamment la globalisation et la programmation des diverses
formes d'aide »96. Parmi ces nouvelles orientations figurent la
priorité aux investissements dans des projets de développement
bien définis mais surtout l'assistance technique. Pour cette
dernière la nouveauté réside dans la participation
sénégalaise qui est doublé en juillet 1976. Elle passe de
50.000 à 100.000, malgré le fait que la somme est
déjà définie par le nouvel accord de coopération
sur le concours en personnel. Le Gouvernement sénégalais
décide finalement de passer à la globalisation. En d'autres
termes il prend en charge les coopérants de plus qu'il aura à
demander.
Depuis la mise en place des nouveaux accords de
coopération, le problème de l'assistance technique a
demeuré le sujet essentiel de la coopération
franco-sénégalaise. Plusieurs échanges sont
consacrés à ce sujet. Il faut noter que la partie
sénégalaise a souligné les manquements de l'assistance
technique à l'occurrence le nombre insuffisant des coopérants
ainsi que de leur qualification. Lors des négociations, le gouvernement
sénégalais avait insisté sur la nécessité
d'avoir des formateurs qui pourront former les cadres dont le pays a besoin.
Cette formulation permettrait aussi la relève par les nationaux et
pourrait aboutir plus tard à la disparition de l'assistance technique.
Cependant, lorsque le nombre de coopérants mis à sa disposition
est réduit, le gouvernement sénégalais exige le contraire
et propose une prise en charge totale du surplus. En réalité, le
problème réside dans le fait que les agents proposés par
le Gouvernement sénégalais ne conviennent pas à celui
français. D'ailleurs Madieng
97 Ibid.
85
Diakhaté, le ministre de la Coopération et du
Plan, le souligne bien quand il affirme que : « Il arrive souvent qu'une
candidature convenant parfaitement au Sénégal et proposé
par lui sur un poste existant ou considéré comme vacant soit
rejetée par les bureaux parisiens et qui en même temps ou plus
tard me soit pour agrémentation une autre candidate pour ces bureaux
». Pour rappel, le président Senghor avait souligné le
manque de qualification des coopérants en ces termes : « Il
faudrait que les assistants techniques fussent mieux formés. On nous
envoie, le plus souvent, des boys scouts, c'est-à-dire des jeunes gens
qui viennent en Afrique noire par curiosité et pour passer le temps de
leur service militaire, au mieux afin d'acquérir une expérience,
quand on devrait nous envoyer des hommes d'expérience
»97. Senghor fait ici allusion aux Volontaires du service
national qui sont de jeunes coopérants en opposition aux anciens
fonctionnaires de l'ENFOM. Pour le Gouvernement sénégalais ces
jeunes coopérants ne sont pas capables d'assumer le rôle de
formateur dont le pays a besoin.
En outre, dans cette seconde phase de la coopération
franco-sénégalaise, le gouvernement français est
confronté à un problème budgétaire suite à
l'inflation qui a touché l'économie. Par conséquent, le
budget du ministère de la coopération est réduit, ce qui
impacte l'assistance technique au Sénégal. Le nombre de
coopérants a fortement diminué, ce qui pousse les pays africains
à passer au système de la globalisation. Pour avoir une
idée de la chute du nombre de coopérants depuis la
révision des accords de coopération
franco-sénégalais, nous passons en revue quelques indications. En
1975, le Sénégal comptait 1342 agents contre près de 2000
dans la première décennie. En 1976, le nombre passe à 1312
dont 1019 dans l'enseignement. Nous avons souligné plus haut que la
diminution des effectifs de la coopération est due par le
problème de l'inflation en France. Pour le cas du Sénégal,
le président Senghor considère que la suppression de certains
postes porte un coup à la transition vers la relève par les
nationaux. Il souhaite donc le maintien de ces postes, voire la création
d'autres postes. Dans une lettre adressée au président Giscard
d'Estaing le 16 février 1977, il souligne les problèmes de
l'assistance technique. Selon Senghor, c'est un non-respect des trois principes
définis dans l'accord de coopération entre les deux pays. Ces
trois principes sont: la fixation du montant alloué à
l'assistance technique au Sénégal par la France, la
définition des options et la fixation des postes demandés par le
Sénégal et enfin la prise en charge des frais occasionnés
par le supplément d'assistants techniques par le
Sénégal.Il suppose aussi le fait que tous les coopérants
sont gérés désormais parmi le ministère de la
Coopération constitue un obstacle dans l'évolution de
carrière des coopérants et n'encourage pas les
expérimentés à
98 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de
mission (1959-1985), cote 20000137/2.
86
venir.Il faut savoir que une partie des coopérants
surtout ceux de l'enseignement supérieur fut géré par le
ministre de l'éducation nationale.Dans ladite lettre, Senghor insiste
sur l'objectif du gouvernement sénégalais : « Ce que nous
souhaitons encore une fois à Dakar, c'est d'avoir des enseignants de
valeur qui nous aident à former nos formateurs pour assurer la
relève de l'assistance technique dans les meilleures conditions et dans
les plus brefs délais ». Pour que l'assistance réponde
à son objectif qui consiste à se supprimer, il faut insister sur
la formation des cadres. Cependant la demande de Senghor de maintenir le nombre
d'assistants techniques voire l'augmenter paraît contradictoire en
première lecture. En revanche, si nous nous basons sur sa correspondance
précédente, nous nous rendons compte que c'est la qualification
des coopérants que le président sénégalais cherche
à préserver. Il n'hésite pas à intervenir pour le
maintien de certains coopérants dont les contrats ont été
expirés et qui devaient quitter leurs postes.L'ensemble de ces
éléments pousse le Gouvernement sénégalais à
dédoubler depuis le 1er juillet 1976 sa participation financière
par agent et de proposer à passer au système de globalisation.
Dans une lettre adressée à l'ambassadeur français au
Sénégal, il note ceci : « Je m'étonne que les
autorités françaises, après nous avoir conseillé
d'imiter la Côte d'Ivoire qui prenait entièrement à sa
charge le supplément d'assistance technique qu'elle demandait, nous
refusent maintenant ce supplément d'assistance technique qu'encore une
fois, nous sommes prêts à prendre entièrement à
notre charge »98.
Le problème de l'assistance technique
révèle un certain nombre de limites de part et d'autre. Depuis
l'indépendance, le budget de l'assistance technique ne cesse d'augmenter
et les résultats escomptés tardent à se réaliser.
Le Gouvernement sénégalais depuis la révision des accords
de coopération comme nous l'avons souligné ci- dessus, insiste
sur la nécessité de formation des cadres. Pourtant, il n'arrive
toujours pas à mettre en place une véritable planification des
besoins du pays en termes de cadres. De fait, les secteurs prioritaires sont
mal définis malgré l'existence d'une commission mixte
franco-sénégalaise pour le recrutement ; ce qui explique que
depuis 1975, l'évolution du Sénégal en matière
d'assistance technique suit un sens inverse par rapport aux autres pays comme
la Côte d'Ivoire. Cette tendance s'explique par le fait que le
Gouvernement sénégalais a du mal à se passer d'agents de
coopération qui servent depuis une décennie dans le pays et qui
coûtent plus chers par rapport aux Volontaires du service national. Le
problème fut abordé par la Commission de recrutement
franco-sénégalais du 14 mars 1977. En effet, la
délégation française exprime ce souhait : « qu'il fut
procédé dès 1977 au remplacement d'environ soixante-dix
agents
99 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de
mission (1959-1985), cote 20000137/29.
87
actuellement en service au Sénégal depuis de
nombreuses années et qui pourraient être remplacés par des
professeurs qualifiés plus jeunes et moins coûteux
»99Il faut ajouter à cela l'intervention du
Président Senghor pour le maintien d'un certain nombre de postes. De
1975 à 1977, nous avons constaté que ce point occupait une place
importante dans la correspondance de l'ambassadeur français au
Sénégal. Souvent il s'agit d'une réallocation, d'une
demande de prolongation ou d'intervention de Senghor pour plaider la cause d'un
coopérant. Parfois le poste même n'est pas véritablement
défini dans sa mission. Le président Senghor demanda ainsi dans
une lettre au ministre de la Coopération de recruter un agent qu'un ami
lui avait recommandé et qu'une fois sur place il lui confierait ses
tâches. Pourtant, les commissions mixtes ont été
créées pour définir une liste des postes chaque
année et par ordre de priorité. La hausse des effectifs
s'explique aussi par le développement du secteur privé et
parapublic où les salaires sont plus élevés que dans
l'administration. Ce secteur attire au fur et à mesure des
étudiants sénégalais ou des jeunes fonctionnaires. La
partie française a contribué également à la hausse
de l'assistance technique au Sénégal. En effet les
autorités françaises n'ont pas réussi à passer
d'une coopération de complaisance à une coopération
d'objectifs plus volontaires et plus sélectifs. Ce qui veut dire qu'il
est temps de rompre avec la coopération de substitution. Par exemple,
dans l'enseignement supérieur, certains agents continuent de
dépendre de l'éducation nationale alors que le ministère
de la coopération à la charge de ce secteur. Par
conséquent, le recrutement est confronté à un
problème de coordination. Le Gouvernement sénégalais a de
plus en plus recours à l'assistance technique car la partie
française n'est pas toujours à jour pour l'envoi des agents. Cela
est dû au désistement de certains coopérants. En
l'année scolaire 1977-1978, quarante coopérants devant servir
dans l'enseignement secondaire étaient absents si nous
référions au dire de l'ambassadeur français au
Sénégal. Ce sont des agents qui ont désisté et que
le ministère de la coopération cherche à remplacer. Compte
tenu de toutes ces circonstances, le Gouvernement sénégalais a
préféré recruter directement ses coopérants. Les
agents de coopération ne sont plus motivés à servir en
Afrique du fait des problèmes liés à leur
réintégration et l'évolution de leur carrière. Le
problème fut exposé par l'ambassadeur dans une lettre du 25
novembre 1976 pour donner suite à des protestations de coopérants
: « Le bureau SNESUP a préféré par égard pour
le pays d'accueil transformer l'intention de grevé en motion de
protestation qui m'a été remise ». Les problèmes
énumérés sont : « le déroulement des
carrières n'est plus
88
assuré, l'impossibilité de titularisation pour
les contractuels remplissant les conditions, les possibilités de
réintégration sont bloquées »100.
Après l'examen de ce qui précède nous
avons constaté que l'assistance technique est restée le centre
des préoccupations de la coopération
franco-sénégalaise. Dans le cadre des nouvelles orientations de
la coopération, il fallait revoir les modalités et les
mécanismes pour la rendre plus efficace. Les propositions du
Gouvernement du Sénégal en matière de globalisation
semblent aller dans ce sens et reçoivent l'approbation de la partie
française. Le système de globalisation permet de réduire
les dépenses de l'assistance technique pour les autorités
françaises. Il donne plus de liberté aux États africains
dans le recrutement d'agents de coopération. Après l'accord du
Président de la République française aux propositions du
Président Senghor, les techniciens du ministère de la
coopération ont étudié les nouvelles dispositions. Selon
une note du directeur de la coopération technique et culturelle, il
s'agit entre autres : « d'expliquer à nos partenaires
sénégalais que nous avons en charge la reconversion des
coopérants français à leur retour en France, et que nous
ne pouvons pas être indifférents à l'augmentation des
effectifs d'assistants techniques. En particulier, la plupart des enseignants
qui ne sont pas fonctionnaires estiment avoir droit à la titularisation
du fait de leur service en Afrique. [...]. En conséquence, il convient
d'envisager avec nos partenaires du Sénégal, l'étude d'une
nouvelle forme juridique de recrutement du personnel non titulaire. Les
contrats seraient signés directement entre le Sénégal et
la personne privée concernée. L'État français
n'interviendrait qu'en garantie des obligations de l'Etat
sénégalais, pour recruter les candidats, enfin pour assurer leur
reconversion à leur retour en France »101. Ces
propositions semblent convenir aux deux parties. En 1977, nous avons même
noté une légère augmentation du nombre de
coopérants qui passe de 1312 à 1518. Par ailleurs, cinquante-cinq
postes ont été créés dans le cadre de la
globalisation. Nous ne sommes pas en mesure de dire si le système de
globalisation a eu les résultats escomptés en matière de
qualité d'enseignement par manque de documentation. Mais nous avons vu
que les techniciens du ministère de la coopération avaient
suggéré au Sénégal d'inscrire le montant que lui
coûterait chaque coopérant français et de le comparer
à un agent sénégalais. En d'autres termes , ils lui
recommandent de privilégier le recours aux nationaux Ils avaient raison
car le système de globalisation a finalement coûté trop
cher au Gouvernement sénégalais. Dans une note pour le ministre
du 22 juillet 1981, nous pouvons lire ceci : « [...] 3 milliards de francs
CFA, la
100 Ibid.
101 Archives nationales, Paris, Coopération, Cabinet et
service rattaché au pré du ministre, Chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/2.
89
somme due par le Sénégal de septembre 1980 au 30
juin 1981. A cet égard, il conviendrait sans doute de tirer la
leçon de l'échec de la globalisation au Sénégal et
de rechercher un positif correspondant mieux à la situation
financière de ce pays »102. Si le Gouvernement
sénégalais avait eu recours à ses nationaux, il pourrait
éviter des dépenses excessives et accomplir la
sénégalisation entamée depuis le début des
années 1970.
L'assistance technique ne se limite pas aux agents qui sont
sous contrat et qui servent sur place. Il faut prendre en compte les experts
qui partent en mission sur demande du Gouvernement sénégalais.
Nous avons repéré plusieurs missions d'experts dans la
période suivant la révision des accords. Ces missions sont
coûteuses, et nécessitent d'avoir des objectifs bien
définis, ce qui fait que certaines demandes ont été
rejetées ou classées sans suite. C'est le secteur agricole qui
est en tête, car il est au coeur des préoccupations du
Gouvernement sénégalais. En effet, l'économie de traite
s'est maintenue au Sénégal après l'indépendance et
l'arachide reste le principal produit d'exportation du pays, également
indispensable aux industries locales. Le Gouvernement sénégalais
souhaite également limiter ses importations alimentaires et il s'est
lancé dans une politique d'auto-suffisance alimentaire à travers
l'agriculture irriguée. C'est dans ce cadre que la France est
sollicitée pour le financement de ce projet, donnant naissance à
la SAED(Société d'aménagement et d'exploitation des terres
du Delta) en 1965. L'objectif était de réduire le déficit
alimentaire et d'exporter le riz cultivé dans le Delta du fleuve
Sénégal. L'assistance technique française à ce
niveau s'est centrée sur la participation au financement et l'envoie
d'experts. Ces derniers devraient s'occuper de l'aménagement des
superficies cultivables, de l'encadrement des paysans ainsi que de leur
formation. Nous ne sommes pas en mesure d'estimer le coût de la
participation de la France. Mais certains observateurs ont avancé
l'hypothèse d'un échec de l'entreprise : « Le choix des
autorités sénégalaises a été de favoriser la
production de riz en culture irriguée dans la vallée du fleuve
Sénégal avec pour objectif de produire à terme les trois
cents milles tonnes de riz qui sont importés. Ce choix entraîne
des coûts excessifs, triples de ceux du riz importé
»103. En 1981, la SAED disparaît à la suite du
désengagement de l'Etat sénégalais dans le cadre de la
mise en place des PAS. Il faut prendre en compte les caractéristiques
climatiques du milieu: le Sénégal est un pays du Sahel,
confronté aux aléas climatiques, il a souffert de la
sécheresse et de la désertification dont la plus importante est
celle de 1973-1974.
102 Archives nationales, Paris, Coopération, Direction
des politiques de développement, Secrétariat des programmes
(1962-1984), cote 19960069/13.
103 Rodney Walter, Et l'Europe sous développa
l'Afrique. Analyse historique et politique du sous-développement,
Paris, Editions Caribéennes, 1986, pp. 251-252.
104 Archives nationales, Paris, « Coopération,
Cabinet et service rattaché auprès du ministre, Chargé de
mission (1959-1985) », cote 20000137/4.
90
Dans la seconde partie de notre étude, nous n'avons pas
pris en compte l'accord de coopération en matière
économique et monétaire du fait de son caractère
multilatéral. Il est important d'y revenir pour pouvoir aborder
l'investissement français au Sénégal depuis la
révision de cet accord. Pour mémoire, la partie
sénégalaise avait déjà émis des critiques
sur les modalités d'exécution des programmes du Fonds d'aide et
de coopération(FAC) et de la Caisse centrale de coopération
économique(CCCE). Dans une dépêche du 21 février
1974, l'ambassadeur français au Sénégal a transmis les
exigences sénégalaises en ces termes : « Les
Sénégalais contestent les modalités d'exécution des
projets qui leur sont imposés dans les conditions particulières
des conventions de financement, et qui n'ont pas prévues d'accords
parties. Ils demandent en particulier que l'exécution des projets soit
faite conformément aux lois et règlements
sénégalais en matière administrative et financière.
[...] que l'approvisionnement en matériels, fournitures soit fait en
priorité sur le marché sénégalais et
subsidiairement sur les marchés de la zone franc même si les prix
sont plus chers sur le marché sénégalais. Les
sénégalais souhaitent en fait que le FAC n'impose pas pour
l'exécution des projets, des personnels français alors
qu'existent des cadres sénégalais de compétence
équivalente »104. Ces critiques de la part des
Sénégalais portent sur la méthode d'intervention de ces
deux institutions durant la première décennie de
l'indépendance. Il faut noter que ces institutions sont
héritières de la période coloniale. En effet la CCCE a
remplacé la Caisse centrale de la France libre qui a été
créée par ordonnance du 2 décembre 1941. Le 2
février 1944, elle devient la Caisse centrale de la France d'outre-mer,
et le 30 décembre 1958, elle prend la dénomination de la caisse
centrale de coopération économique, un établissement
public et une institution financière destinée à jouer un
rôle de banque de développement pour les Etats de la
Communauté de 1958. Quant au FAC, il est issu du Fonds d'investissement
pour le développement économique et social (FIDES) des
territoires d'outre-mer mis en place le 30 avril 1944. Le FAC finance
l'assistance technique, la coopération militaire et accorde des
financements pour les infrastructures économiques et sociales. C'est
dans ce cadre que depuis l'indépendance ces deux institutions
interviennent dans le financement de plusieurs projets au
Sénégal. La part du Sénégal dans l'investissement
français en Afrique reste importante. Il occupe la quatrième
place pour les prêts de la CCCE et la neuvième pour le FAC avec un
taux de 9,89%. L'aide s'est crue dans les années 1970, passant de 306
millions de Francs en 1974 à 440 millions de Francs en 1977. Ces
tendances sont confirmées dans une note pour le ministre de la
coopération français: « Au cours des dernières
années, bien que le
91
Sénégal ait pu juger insuffisante l'aide
française il n'en est pas moins, l'un des pays les plus aidés
tant par le volume de l'assistance technique apportée à la
formation de ses cadres et au fonctionnement de ses services publics, que par
celui des concours financiers »105. Toutes les statistiques
reconnaissent qu'après la Côte d'Ivoire et le Gabon, c'est le
Sénégal qui attire le plus l'attention en matière d'aide.
Cette tendance conforte l'hypothèse selon laquelle l'aide
française s'oriente plus vers les pays les moins
«nécessiteux». En d'autres termes, l'aide est liée
à la richesse du pays en matières premières
stratégiques. Contrairement aux autres bailleurs de fonds, la France
accorde l'aide la plus élevée aux pays ayant le plus fort PIB par
tête comme le Togo, le Gabon et le Maurice. Pour le cas du
Sénégal, ce n'est pas la somme qui pose problème, ce sont
plutôt les modalités et l'efficacité de cette aide qui sont
remises en cause. La Caisse centrale n'intervient qu'à la demande de
l'Etat sénégalais, et son intervention est soumise à des
raisons d'efficacité dans la gestion du projet. C'est à travers
les programmes du Plan quadriennal, utilisé comme moyen de planification
depuis l'indépendance que le Gouvernement sénégalais
soumet sa demande à la Caisse. Dans son ouvrage intitulé
Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique. Le
cas du Sénégal, Guy Rocheteau retrace l'histoire des
différentes interventions de la Caisse depuis l'indépendance.
D'après son analyse, les critères de sélection des projets
de la caisse sont trop rigoureux et n'encouragent pas l'investissement
industriel productif sur place. Dans ce cas, l'intervention de la caisse
profite aux grands groupes industriels français au détriment de
l'intérêt national sénégalais. Nous pouvons
reprendre quelques passages de son texte à ce propos : « Les
difficultés de fonctionnement de la BNDS (Banque nationale du
Sénégal) et des Établissements publics
sénégalais enregistrés jusqu'aux environs de 1972, ont
justifié qu'un certain nombre de dossiers qui lui étaient
présentés n'aient pas reçu de suites ou aient
été rectifiés en fonction de ses propres exigences
propres. Les améliorations apportées dans l'administration des
services publics expliquent ainsi, en partie, la disparition presque
complète à partir de 1974 des prêts directement consentis
à des sociétés privées au profit des
Sociétés partiellement ou totalement sous le contrôle
économique de la Puissance Publique »106. Les
investissements de la Caisse au Sénégal sont concentrés
dans les industries destinées au marché français
particulièrement les matières premières dont les produits
finis constitueront les exportations de la France vers le pays. Rocheteau le
résume ainsi : « La Caisse centrale a concentré ses efforts,
jusqu'à date récente, sur l'exploitation des mines de phosphates
de Taïba, sur l'extension ou la création
105 Ibid.
106 Rocheteau Guy, Pouvoir financier et indépendance
économique en Afrique. Le cas du Sénégal, Paris, Karthala,
1982, pp.115-116.
92
d'unités industrielles venant en substitution
d'importations et sur la création ou l'extension d'activités
impulsées par un développement ainsi contenu dans les limites
très traditionnelles et dont elle n'a guère cherché
à modifier la trajectoire »107. Il renchérit :
« Tous les investissements industriels au Sénégal ayant
bénéficié d'avance à long terme de la CCCE ont
été réalisés à titre exclusif ou principal
par des entreprises françaises et les plus importants d'entre eux ont
donné lieu simultanément à un courant d'importation de
biens d'équipement français, repérable au niveau des
achats sur crédit de fournisseurs garantis par la COFACE(Compagnie
française d'assurance pour le commerce extérieur)
»108. Nous pensons que ces propos appuient les critiques
émises par les Sénégalais et que nous avons
soulignées plus haut. Ils affirment également le caractère
lié de l'aide français. Le schéma consiste à se
fournir en équipements auprès de fournisseurs français et
recourir aussi à des experts français. « Une aide de 100
francs accordée par le Fonds d'aide et de coopération
entraîne en achat de produits français qui peut être
évalué entre 67 et 72 francs ! »109. Cependant il
faut nuancer ce point de vue car la Caisse intervient également dans des
projets d'intérêt national pour le Sénégal,
finançant « tous projets ayant pour caractéristique commune
de permettre au Sénégal de valoriser sur place ses ressources
naturelles et d'envisager une politique d'exportation de ses produits finis
(Société sénégalaise d'armement à la
pêche(SOSAP), Société de maraîchage
industriel(BUD-Sénégal)issue d'une convention bilatérale
entre l'Etat sénégalais et la bud-Hollande, Société
de développement et de fibres textiles (SODEFITEX) ). Elle a de
même participé au lancement de grands projets comme la zone
franche industrielle de Dakar dont elle a financé la premier phase
»110. Quant au FAC, c'est le même schéma qui se
dessine puisqu'il est en partie intégré à la CCCE. Le
montant des crédits accordés au Sénégal par le FAC
de 1973 à 1981, s'élève à 320760000 francs
français soit une moyenne annuelle de 35640000 francs
français.
Le bilan de l'intervention française au
Sénégal reste mitigé. Depuis l'indépendance, elle
n'a cessé d'accompagner le Sénégal dans ses objectifs de
développement économique et social. La France est intervenue dans
ce cadre par le biais de l'assistance technique et des investissements. Ses
agents de coopération ont fait fonctionner les services publics du
Sénégal au moment où le pays peinait à former ses
nationaux. De plus, elle a financé et accompagné plusieurs
projets de développement. Cette intervention française
était d'une importance telle que certains observateurs ont
commencé à s'interroger sur la souveraineté réelle
du pays.
107 Idem, p.119.
108 Idem, p.120.
109 Brunel Sylvie, Le gaspillage de l'aide publique, Paris,
Editions du Seuil, 1993, p.57.
110 Rocheteau, op.cit, p.122.
93
Cependant, il est opportun de souligner les limites de la
coopération franco-sénégalaise. Parmi les plus
significatives, se trouve la question de l'efficacité de la gestion de
l'aide. En effet, cette dernière n'a pas pu véritablement
atteindre son objectif premier: le décollage économique et social
du Sénégal. Deux décennies après
l'indépendance, le pays se trouve encore dans une situation
économique catastrophique. Il est obligé d'appliquer une
politique d'austérité à partir de 1981 dans la mesure
où il a signé un accord d'ajustement structurel avec la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international. Cette décision
marque le début du désengagement de la France qui n'a plus les
moyens d'agir toute seule dans le pays. Néanmoins, elle participe aux
négociations du Programme d'ajustement structurel(PAS) par le biais de
ses experts. Elle reconnaît aussi, d'une certaine manière, sa part
de responsabilité dans la situation du pays et décide d'apporter
une aide d'urgence dans la plus grande discrétion111. Les
autorités françaises pensent que le PAS est la meilleure solution
pour sortir le pays de la situation. Ce programme a pour objectifs principaux:
d'assurer une stabilisation économique et financière au cours des
deux premières années ainsi qu'une croissance économique
soutenue au cours des trois dernières années. Pour atteindre de
tels objectifs, le pays doit arriver à l'augmentation de
l'épargne publique, à la croissance limitée et
sélective des investissements, à l'amélioration de la
dette extérieure et à l'expansion de la production agricole.
C'est sur la base de ces principes que la France conditionne sa contribution au
PAS si nous référons à une dépêche de
l'ambassadeur français au Sénégal datée du 24
juillet 1981 : « Sur la base de ces recommandations, le gouvernement
français a décidé d'apporter une contribution importante
à l'effort que vous avez entrepris pour rétablir les
équilibres économiques et financier et engager le
Sénégal dans la voie d'un nouveau développement. Cette
aide a revêtu diverses formes : avance immédiate de
trésorerie, prêt de la Caisse centrale de coopération
économique, intervention du trésor français pour le
réaménagement de la dette publique dans le cadre du Club de
Paris, remise des arriérés dues au titre des charges de
l'assistance technique, intervention accrue du Fonds d'aide et de
coopération, et éventuellement, subvention budgétaire en
1982 »112. En définitive, cette période peut
être envisagée comme le passage du « paternalisme
français » vers d'autres partenariats plus internationaux.
Cependant cette transition ne s'effectue pas sans l'accompagnement de la
France. Considérant la proximité temporelle de la période
que nous étudions, nous estimons
111 Archives nationales, Paris, Coopération, Direction des
politiques de développement, Secrétariat des
programmes(1962-1984), cote 19960069/13.
112 Archives nationales, Paris, « Coopération,
Direction des politiques de développement, Secrétariat des
programmes (1962-1984) », cote 19960069/13.
94
qu'il est trop tôt pour avancer des conclusions sur les
résultats du PAS dans le pays. Cependant, nous avons vu que les
populations ont souffert tout au long des cinq premières années
du PAS.Pour une analyse plus approfondie sur le sujet, nous pouvons se
référer aux travaux de Gilles Duruflé, L'ajustement
structurel en Afrique(Sénégal, Côte d'Ivoire,
Madagascar), 1988. Au vue de tous ces éléments, les
observateurs ont eu le mérite de s'interroger sur l'efficacité de
l'aide. Le Sénégal ne semble répondre à aucun
«des traitements prescrits» par les économistes pour pouvoir
sortir du sous-développement. Nous ne sommes pas en mesure de savoir si
le Sénégal s'était libéré de la
dépendance économique de la France, il aurait pu réussir
son décollage économique. Si nous nous basons sur sa situation
géographique et ses avantages infrastructurelles au moment de
l'indépendance par rapport aux autres pays africains francophones, nous
pensons qu'il aurait eu la capacité de développer une industrie
florissante, en reconquérant l'ancien marché de l'AOF et en
privilégiant le partenariat Sud-Sud notamment dans la zone de l'Union
économique et monétaire de l'ouest africaine(UEMOA). Pour pouvoir
savoir si la coopération franco-sénégalaise a
été décisive dans la marche du pays vers le
progrès, il est nécessaire d'analyser et de mesurer ses impacts.
Pour se faire nous pensons qu'étudier la perception qu'en ont eu les
populations concernées est le meilleur moyen de s'en rendre compte.
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