Chapitre 1: Les négociations
Le président Senghor avait soutenu l'idée que
son pays n'avait pas besoin de publicité pour demander la
révision de ses accords de coopération avec la France. Il a
privilégié le dialogue durant tout ce processus. Dans sa lettre
qu'il avait adressé au Président de la République
français, on peut retenir ces quelques passages : « A la
lumière de ce qui précède, vous voudrez bien
considérer la présente lettre comme la demande officielle du
gouvernement pour l'ouverture de négociations en vue de la
révision des accords de coopération entre la France et le
Sénégal ». Et il renchérit d'après une note de
l'ambassadeur français au Sénégal : « le gouvernement
sénégalais se propose de réviser les accords de
coopération dans l'amitié avec la France et a l'intention pour
marquer cette volonté de signer avec elle un traité
d'amitié et de coopération qui sera un accord cadre
régissant les rapports franco-sénégalais
»62. Même si le gouvernement sénégalais
suggérait que les modalités et la date des négociations
soient fixées d'un commun accord, il prend l'initiative
d'énumérer les accords à réviser et de faire des
propositions sur le déroulement des négociations. Dans une
dépêche de l'ambassadeur français au Sénégal,
137 accords sont dénombrés par le gouvernement
sénégalais. Parmi ces 137, 64 sont des conventions de financement
exclus de la révision et d'autres sont considérés comme
caduques car ne répondant plus à la situation. Au final, 49
accords sont concernés : « [...] Le gouvernement
sénégalais souhaiterait voir les futures négociations
commencer et se poursuivre dans l'ordre par la révision des accords de
défense ainsi que les problèmes connexes, des accords relatifs
à la coopération en matière économique,
monétaire et financière, à l'établissement et
à la circulation des personnes, au concours en personnel, à la
politique étrangère, à l'enseignement et à la
recherche et enfin aux autres domaines techniques ». Finalement, le
gouvernement sénégalais fait parvenir une liste de 39 accords
à réviser. Nous avons remarqué un changement important
avant même l'ouverture officielle des négociations. En effet,
c'est le gouvernement sénégalais qui prend les initiatives et
décide en quelque sorte de l'orientation des futures
négociations. Et Senghor soulignait lors d'une conférence de
presse du 7 décembre 1973 que : « Nous agissons d'une façon
méthodique et réaliste, en refusant de dramatiser la situation
pour la bonne raison que nous n'avons pas besoin d'exciter l'opinion publique
sénégalaise »63. La France suit le plan
sénégalais. Cependant c'est tout à fait logique puisque
c'est le Sénégal qui a demandé la révision de
ses
62 Idem.
63 Archives nationales de Paris,
Coopération, Cabinet et Services rattachés au ministre,
chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.
64 Idem.
56
accords de coopération avec la France. Il faut savoir
que les négociations officielles étaient prévues pour mars
1974 mais dès le 4 janvier le gouvernement sénégalais fait
parvenir à la France ses propositions de révision des accords de
coopération. C'est à partir de ces propositions que les
discussions seront établies. La méthodologie
sénégalaise consistait d'abord à énumérer
les accords qui feront l'objet d'une révision comme nous l'avons
souligné tout en haut et ensuite proposer des projets d'accords à
la France. Cette dernière fournira des contre-projets à partir
des projets sénégalais. Même si les deux parties affirment
lors des déclarations que les négociations se sont faites dans
l'amitié et le dialogue, nous avons remarqué des phases chaudes
et des désaccords. La France n'était pas tout à fait
d'accord sur le fait que le gouvernement sénégalais avait
décidé que 64 accords parmi les 137 qui les liaient
étaient jugés caduques sans avoir été
consultée au préalable. Malgré cela les discussions sur
les nouveaux accords ont continué. Il faut tout de même
préciser que certains accords ont fait l'objet de tensions entre les
deux parties. Il s'agit notamment des accords sur la circulation des personnes,
la convention d'établissement, sur la pêche et la marine marchande
ainsi que sur le concours en personnel apporté par le gouvernement
français au gouvernement sénégalais. Les discussions sur
la circulation des personnes ont été houleuses car la partie
sénégalaise a totalement modifié le texte : « Il est
apparu en effet que la délégation sénégalaise avait
reçu instruction de saisir cette occasion pour marquer les
mécontentements du gouvernement sénégalais en ce qui
concerne le traitement réservé à ses ressortissants
à leur entrée en France. Elle a indiqué que son objectif
était de parvenir à une convention réaliste,
c'est-à-dire reflétant la situation exacte telle qu'elle a
été constatée par les autorités
sénégalaises »64. Nous reviendrons sur cette
question, mais avant de le faire, il est nécessaire de connaître
le texte de la convention sur la circulation des personnes signé
à Dakar le 21 janvier 1964. Parmi les articles les plus significatifs de
ce texte, on peut citer ses deux premiers articles : « Article 1. Pour se
rendre sur le territoire de la République du Sénégal, les
nationaux français quel que soit le pays de leur résidence,
doivent être en possession d'une carte nationale d'identité ou
d'un passeport, même périmé depuis moins de cinq ans, des
certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la
législation en vigueur dans cet État et garantir leur
rapatriement.
Article 2. Pour se rendre sur le territoire de la
République de la France, les nationaux sénégalais quel que
soit le pays de leur résidence, doivent être en possession d'une
carte nationale d'identité ou d'un passeport, même
périmé depuis moins de cinq ans, des certificats
57
internationaux de vaccinations obligatoires exigés par
la législation en vigueur dans cet État et garantir leur
rapatriement. ». Il ne faut toutefois pas perdre de vue la convention de
1959 entre les États de la Communauté dont son article 2
stipulait que « Tout national d'un État de la Communauté
peut entrer librement sur le territoire de tout autre État de la
Communauté, y voyager, y établir sa résidence dans le lieu
de son choix et en sortir ». Nous avons jugé nécessaire de
la citer car dans la pratique elle a prévalu jusqu'à la
révision de 1974 même si la convention citée en dessus
l'avait abrogée. Le gouvernement sénégalais compte bien
remédier à cette situation. Par conséquent, le dialogue a
été tendu entre les deux parties si on en croit à une note
du Secrétariat d'État aux affaires étrangères des
journées du 18 et 19 février 1974 : « De très
nombreuses difficultés apparaissent à la discussion de ce texte,
et une mauvaise humeur évidente de la délégation
sénégalaise se manifeste. [...]. Très mauvaise ambiance
(pire que la veille). Les Sénégalais durcissent
considérablement leurs positions d'hier après-midi. L'examen du
projet de convention se termine, mais la quasi-totalité est
réservée ». Ici la position sénégalaise se
manifeste par une volonté de changement. Et une lecture de son projet de
convention sur la circulation des personnes peut nous permettre de nous en
rendre compte. Les deux premiers articles sont significatifs du fait qu'ils
sont tout à fait nouveaux : « Article 1. Pour se rendre sur le
territoire de la République du Sénégal, les nationaux
français quel que soit leur pays de résidence, doivent être
en possession d'un passeport en cours de validité, revêtu des
certificats internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la
législation en vigueur dans cet État. Ils doivent
également garantir leur rapatriement.
Article 2. Pour se rendre sur le territoire de la
République de la France, les nationaux sénégalais quel que
soit leur pays de résidence, doivent être en possession d'un
passeport en cours de validité, revêtu des certificats
internationaux de vaccinations obligatoires exigés par la
législation en vigueur dans cet État. Ils doivent
également garantir leur rapatriement ». Comparé au texte
antérieur où aucun document n'était exigé pour
circuler d'un pays à l'autre, ces deux articles du nouveau texte
sénégalais sont des éléments novateurs. La partie
sénégalaise durcit effectivement sa position en ajoutant dans ces
deux articles « un certificat d'hébergement et un certificat
d'immigration délivré par les autorités
sénégalaises compétentes ». Toujours dans le
même ordre d'idée, on peut continuer à
énumérer les articles clés de la convention : «
Article 6. Les ressortissants français désireux de
s'établir au Sénégal et les ressortissants
sénégalais désireux de s'établir en France pour y
exercer une activité non
58
salariée ou sans y exercer une activité
lucrative, doivent produire sous peine d'expulsion toutes justifications sur
les moyens d'existence dont ils disposent.
Article 7. 1) Pour tout séjour en territoire
sénégalais devant excéder trois mois, les ressortissants
français doivent, sous peine d'expulsion, posséder et
présenter à toute réquisition la carte d'identité
d'étranger délivrée par les autorités
sénégalaises compétentes.
2)Pour tout séjour en territoire français devant
excéder trois mois, les ressortissants sénégalais doivent
sous peine d'expulsion, posséder et présenter à toute
réquisition le titre de séjour exigé par la
législation française en vigueur.
Article 8. Les nationaux de chacune des parties contractantes
désireux d'exercer sur le territoire de l'autre une activité
professionnelle, devront en outre, pour être admis sur le territoire de
cette partie, justifier de la possession :
1) d'un certificat de contrôle médical qui doit
être établi dans les deux mois précédent le
départ
2) d'un contrat de travail écrit et revêtu du visa
du Ministère du Travail du pays d'accueil lorsqu'il s'agit d'un travail
salarié »65.
Les négociateurs français ont été
un peu surpris par ce texte sénégalais et ont proposé un
contre-projet. Pour la délégation française, l'ajout aux
articles 1 et 2 d'un certificat d'hébergement et d'un certificat
d'immigration correspond à un visa déguisé. Elle a
réservé ces articles et a demandé à
l'étudier. Pour l'article 6, elle juge nécessaire de revoir la
forme mais le principal souci reste les inconvénients qui peuvent en
découler sur le tourisme. Quant à l'article 7, la
délégation française propose un simple refoulement au lieu
d'une expulsion qui a un caractère pénal. Selon elle : « La
France ne pourrait pas prévoir en ce qui la concerne une clause aussi
sévère pour les ressortissants sénégalais
»66. Un autre point essentiel qui a semé la discorde
entre les deux parties est l'assujettissement à l'impôt : «
Tout ressortissant français ou sénégalais, qui en raison
de son séjour en territoire sénégalais ou français,
est assujetti au paiement d'un impôt sur le revenu, ne pourra quitter le
territoire de l'État ou il est assujetti au paiement dudit impôt
que sur présentation quitus fiscal délivré par les
autorités compétentes ». Mais ce point sera amplement
discuté dans la convention d'établissement. N'ayant pas eu de
terrain d'attente lors de ces deux journées, les deux parties ont
continué à
65 Archives nationales de Paris Coopération,
Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/2
66 Ide, m.
67 Archives nationales de Paris,Coopération,
Cabinet et service rattaché au Ministre, Chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1.
59
étudier les projets de convention proposés par
chacune. Même si d'autres rencontres entre les experts des deux parties
ne sont pas prévues avant la date de l'ouverture officielle des
négociations à savoir le 25 mars, la correspondance par
l'intermédiaire de l'ambassadeur français au
Sénégal a permis la continuité des échanges. Nous
pouvons retenir que des concessions ont été faites du niveau des
deux parties et qu'au final elles sont convenues à un accord le 29 mars.
Dans une lettre du 16 mars 1974, l'ambassadeur français au
Sénégal déclarait que : « Le gouvernement
sénégalais a renoncé à sa demande relative à
l'institution d'un certificat d'immigration délivré par les
autorités locales compétentes. De même toutes mentions
à des expulsions possibles ont disparu du texte »67.
Nous verrons le contenu de cet accord dans le chapitre suivant. L'un des points
forts des négociations de la révision des accords de
coopération franco-sénégalais est la convention
d'établissement. Rappelons que même si le gouvernement
sénégalais ne l'admet pas, les évènements de mai 68
et ses conséquences ont été déterminantes dans sa
décision de révision des accords de coopération qui le
liaient à la France. Les revendications les plus significatives
étaient l'intégration des hommes d'affaires
sénégalais dans les secteurs de l'économie et la
contestation d'une présence française devenue de plus en plus
gênante. Le gouvernement ne pouvait pas prendre de mesures sans heurter
les intérêts de ses partenaires français. Il était
nécessaire donc de réadapter comme il a dit ses accords de
coopération. Par conséquent la convention d'établissement
en constitue une clé importante. Celle de 1960 conclue entre les deux
pays conférait la notion d'assimilation et le statut particulier aux
nationaux des deux parties. Nous pouvons pour illustration en citer quelques
articles :
« Article 2. En ce qui concerne l'ouverture d'un fonds de
commerce, la création d'une exploitation, d'un établissement
à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal,
l'exercice des activités correspondantes et l'exercice des
activités professionnelles salariées, les nationaux de l'une des
parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie
contractante sauf dérogation imposées par la situation
économique et sociale de ladite partie
Article 4. Tout national de l'une des parties contractantes, a
la faculté d'obtenir, sur le territoire de l'autre partie, des
concessions, des autorisations et permissions administratives, ainsi que de
conclure les marchés publics dans les mêmes conditions que les
nationaux de cette partie.
Ces quelques articles les plus significatifs du texte
sénégalais marquent un net changement par rapport au texte
précédent et la partie française n'a pas manqué de
le souligner. Dans une
60
Article 5. Les nationaux de l'une des parties contractantes
seront, sur le territoire de l'autre partie, représentés dans les
mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux assemblées
consulaires et aux organismes assurant la représentation des
intérêts économiques.
Article 12. Chacune des parties contractantes réserve
aux nationaux de l'autre partie le statut particulier défini par la
présente convention à raison du caractère
spécifique des relations entre les deux États. Le
bénéfice de ces dispositions particulières ne peut
être automatiquement étendu aux ressortissants d'un État
tiers ».
Le gouvernement sénégalais considère que
cette convention bénéficie plus aux nationaux français.
Comme la convention sur la circulation des personnes, il faut parvenir à
une situation réaliste. Maintenant passons en revue le nouveau texte
sénégalais de convention d'établissement. C'est un texte
tout à fait nouveau qui est rédigé à partir de la
convention d'association entre la Communauté économique
européenne et les États africains et malgaches associés.
La lecture du nouveau texte sénégalais laisse apparaître
ceci :
« Article 1. Chaque partie contractante applique, sur son
territoire, aux nationaux de l'autre partie, le droit d'établissement
prévu par la convention d'association entre la Communauté
économique européenne et les Etats africains et malgaches
associés, sauf dérogations imposées par la situation
économique et sociale de l'une ou de l'autre d'entre elles.
Article 2. Ce droit d'établissement comporte sous
réserve des dispositions relatives aux mouvements de capitaux,
l'accès aux activités non salariées et leur exercice, la
constitution et la gestion d'entreprises et notamment des
sociétés ainsi que la création d'agences, de succursales
ou de filiales.
Article 4. Les nationaux de chacune des parties contractantes
bénéficieront sur le territoire de l'autre partie, de la
législation du travail, des lois sociales et de la
sécurité sociale dans les mêmes conditions que les
nationaux de cette partie.
Article 6. Les nationaux de l'une des parties contractantes
seront assujettis sur le territoire de l'autre partie contractante et
conformément aux lois et règlements en vigueur de celles-ci, aux
droits, taxes ou contributions quels qu'en soit la dénomination.
Les dispositions du présent article s'appliquent aux
personnes morales comme aux personnes physiques ».
68 Idem.
61
note du Secrétariat aux Affaires
Étrangères, nous pouvons lire ceci : « Le projet
sénégalais de convention d'établissement modifie
radicalement le statut de nos ressortissants. La notion de statut particulier
est abandonnée, le concept d'assimilation des nationaux de l'une et de
l'autre partie contractante disparaît. Il n'y a plus aucune disposition
relative au respect des droits acquis par les personnes physiques et morales.
Plus aucune clause relative aux possibilités d'accès des citoyens
français à la fonction publique, aux professions
libérales, aux assemblées consulaires, aux groupements syndicaux
ainsi qu'à la faculté d'obtenir des concessions, autorisations et
permissions administratives et de conclure des marchés publics
»68. C'est l'article 4 seulement qui a conservé le
principe d'assimilation. La partie française propose, pour sa part, un
contre-projet. Ce dernier a tendance à conserver l'ancien texte dont
l'article 1 n'affiche aucun changement. Parmi les articles du contre-projet,
plusieurs sont à citer :
« Article 2. Sous réserve des accords entre les
deux parties sur la circulation des personnes, les nationaux de chacune des
parties contractantes peuvent entrer librement sur le territoire de l'autre, y
voyager, y établir leur résidence dans le lieu de leur choix et
en sortir à tout moment.
Article 3. Les nationaux de chacune des parties contractantes
jouissent sur le territoire de l'autre partie, dans les mêmes conditions
que les nationaux de cette partie, du droit d'investir des capitaux,
d'acquérir, de posséder, gérer ou de louer tous biens
meubles ou immeubles, droits et intérêts d'en jouir et d'en
disposer.
Article 5. En ce qui concerne l'accès et l'exercice des
activités commerciales, agricoles, industrielles et artisanales, les
nationaux de l'une des parties contractantes sont assimilés aux
nationaux de l'autre partie sauf dérogation justifiée par la
situation économique et sociale de ladite partie.
Il en va de même à propos de l'exercice des
activités salariées sans préjudice des dispositions
concernant les conditions prévues à cette fin par les accords en
vigueur entre les deux pays.
Article 6. Les nationaux de chacune des parties contractantes
ne sont pas assujettis sur le territoire de l'autre partie à des droits,
taxes, impôts ou contributions, sous quelque dénomination que ce
soit autre ou plus élevés que ceux qui sont perçus sur les
nationaux de cette partie se trouvant dans la même situation ».
62
Les deux parties ne sont pas parvenues à un accord car
les discussions ont été faites à partir de la proposition
française et certains articles étaient non discutables pour la
partie sénégalaise. Comme tout accord ou attente, un compromis
s'impose et une partie du gouvernement français en est bien conscient.
Un conseiller technique français indiquait dans une note que : « En
ce qui concerne l'établissement, le réalisme implique à
s'écarter de la réciprocité et de retenir la notion de
compensation eu égard aux quarante milles français qui sont
installés au Sénégal et y détiennent une part
importante de l'économie, et aux vingt-trois milles
Sénégalais qui n'occupent en France que des emplois de modestes
travailleurs ». La partie sénégalaise avait beaucoup
insisté lors des négociations d'un contingent d'immigrés
sénégalais en France et que la partie ne pouvait pas donner de
suite à cette demande. Elle a accepté de le mettre en suspense
car nous verrons que ça va revenir même après la signature
du nouvel accord. De son coté, elle a fait des efforts : «
L'ambassadeur Diakha Dieng, représentant du Sénégal en
France et secrétaire général de l'union africaine et
malgache de la coopération économique [...], déclare que
d'une part son gouvernement était entièrement d'accord pour
reconnaître au profit de nos ressortissants déjà
établis au Sénégal le privilège de droit acquis
(à condition toutefois que tout en exprimant la même idée
ne soit pas repris dans le texte) et pour consentir également à
nos compatriotes dans cette situation, des facilités en ce qui concerne
les conditions de leur séjour dans le pays ». Il faut souligner
également que le gouvernement français a promis d'étudier
la proposition sénégalaise en ce qui concerne un contingent
d'immigrés et l'envoi d'un expert au Sénégal pour
étudier la question et l'ouverture d'un office d'immigration à
Dakar. Sur ces concessions, un texte a été rédigé
et signé le 29 mars et nous verrons le contenu de ce texte dans le
chapitre suivant.
Toujours dans sa volonté de réadapter ses
accords de coopération avec la France, le gouvernement
sénégalais juge nécessaire de donner un caractère
nouveau au concours en personnel que lui apporte cette dernière.
À l'instar des discussions citées en dessus, cet accord a fait
l'objet d'amples discussions. Il faut savoir qu'au moment des
indépendances, le problème de la relève de
l'administration coloniale s'est posé au futur gouvernement
sénégalais à l'instar de toutes les anciennes colonies.
Ceci est dû au fait qu'une poignée d'autochtones avait
accès à l'école et était formée pour
seconder les administrateurs coloniaux. Cette position subalterne
n'était pas propice à la gestion des services publics. Cependant
l'assistance technique, qui constitue un volet primordial de la
coopération franco-sénégalaise comme nous l'avons vu, a
été perçue comme une solution convenable pour les deux
gouvernements. C'est dans ce cadre qu'une convention sur le concours en
personnel
63
apporté par le gouvernement de la République
française au gouvernement sénégalais a été
conclue depuis 1959. D'une manière générale cette
convention fixait les modalités du concours dont les plus significatifs
sont : le fait que le Sénégal doit porter à la
connaissance de la France la liste des agents par secteur et assurer le
logement des agents mis à sa disposition. D'autre part, le gouvernement
sénégalais participe à la rémunération des
agents pour une somme mensuelle de quarante-cinq mille francs CFA par personne.
Cette dernière est élevée à cinq mille francs CFA
par un protocole d'accord du 12 juin 1963. Il faut préciser que cette
participation sénégalaise ne concerne pas le personnel de
l'enseignement supérieur qui est totalement à la charge de La
République française. Cette dernière assure la formation,
le transport et verse à titre de rémunération, pour chaque
membre du personnel une indemnité égale à la
différence entre la rémunération à laquelle
l'intéressé peut prétendre en vertu de la
réglementation française et la contribution forfaitaire qu'il
reçoit du gouvernement de la République du Sénégal.
Pourtant, il faut noter que cette convention générale est
accompagnée de deux annexes qui précisent le statut de certains
personnels comme les Volontaires du Progrès, issus de l'association
française des volontaires du progrès créée en 1963
par les autorités françaises avec comme but d'envoyer des jeunes
français en mission de deux en Afrique,et enfin le personnel enseignant
et celui militaire hors cadre. Pendant les négociations de la nouvelle
convention relative au concours en personnel, le gouvernement
sénégalais a apporté des modifications importantes et
l'ambiance des discussions nous en dit plus. En effet, la partie
sénégalaise n'a pas seulement effectué une mise à
jour de l'ancien texte, il a présenté un texte qui tend à
uniformiser tout le personnel de l'assistance technique. Il s'agit d'assimiler
les Volontaires du Progrès et d'évoquer un silence sur les
conditions particulières d'emploi du personnel enseignant et du
personnel militaire hors cadre. Nous pouvons retenir quelques
éléments du texte sénégalais :
« Article 1. La présente convention s'applique
à toutes les catégories de personnel, y compris les personnels
dits volontaires du Progrès mis à la disposition du gouvernement
de la République du Sénégal par le gouvernement de la
République française.
Article 3. Le personnel est agréé par le
gouvernement de la République du Sénégal et a pour
vocation de former des cadres sénégalais, l'affectation du
personnel est décidée par le gouvernement de la République
du Sénégal. Les emplois sont confiés au personnel pour une
durée d'une année renouvelable, en cas de besoin. Une
décision de l'autorité sénégalaise
compétente doit intervenir pour constater la reconduction. Ce personnel
sera remplacé au fur et à mesure que la relève pourra
être assurée par des nationaux sénégalais.
64
Article 11. La répartition des charges
financières du personnel entre le gouvernement de la République
française et le gouvernement de la République du
Sénégal est fixé selon les modalités suivantes :
1). Le gouvernement de la République du
Sénégal s'engage à verser à titre de participation
à la rémunération de chaque membre du personnel mis
à sa disposition, une indemnité forfaitaire mensuelle de 55.000
francs CFA.
Pour sa part, le gouvernement de la République
française verse à titre de rémunération, pour
chaque membre du personnel une indemnité égale à la
différence entre la rémunération à laquelle
l'intéressé peut prétendre en vertu de la
réglementation française et la contribution forfaitaire qu'il
reçoit du gouvernement de la République du
Sénégal.
Les dispositions ci-dessus ne s'appliquent pas au personnel
de l'enseignement supérieur qui demeure entièrement pris en
charge par le gouvernement de la République française.
2). Le gouvernement de la République du
Sénégal fournit à chaque membre du personnel mis à
sa disposition un logement meublé décent.
Article 17. Sur demande du gouvernement de la
République du Sénégal et en vue de l'accomplissement de
tâches définies par le gouvernement sénégalais, la
République française s'engage à mettre à sa
disposition des personnels dit Volontaires du Progrès ».
Cette mise à disposition ne comporte en contrepartie de
la part du Gouvernement de la République du Sénégal que le
logement dans le lieu d'affectation, la gratuité des soins
médicaux et des frais d'hospitalisation, l'exonération des droits
et taxes pour leurs effets et objets personnels importés lors de leur
première installation au Sénégal, l'exonération de
tout impôt direct à l'exception des taxes pour services
rendus69. Fidèle à son procédé, la
partie française propose un contre-projet. Ce dernier s'écarte
légèrement du texte sénégalais et le
Secrétaire des Affaires Étrangères affirmait à ce
propos que : « Ce projet ne comporte pas de profondes modifications
susceptibles de remettre en cause les principes généraux de notre
concours en personnel, mais il est loin d'être entièrement
satisfaisant tant par certains de ses innovations que par ses lacunes
»70. Les points essentiels du texte français sont
l'homogénéité du personnel de l'assistance technique, leur
affectation, leur notation et le problème de logement. Le nouveau texte
de la convention est fait sur la base du texte français qui a
réussi à
69 Archives nationales, Paris,Coopération,
Cabinet et service rattachés au Ministre, Chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1.
70 Idem.
65
convaincre la partie sénégalaise à
considérer la particularité de certains personnels mais aussi de
s'engager à offrir un logement convenable. À l'article 1, il
apporte une légère modification en la reformulant ainsi : «
La présente convention s'applique à toutes les catégories
de personnel mis à la disposition du Gouvernement de la
République du Sénégal par le gouvernement de la
République française. Certains concours en personnel peuvent
cependant faire l'objet de conventions particulières notamment pour le
fonctionnement de certains services ou établissements et pour
l'exécution de décisions temporaires à objectifs
déterminés ». Avant d'exposer ce nouveau texte, nous pouvons
aborder le cas de l'enseignement supérieur dont le personnel sort du
lot. Il faut savoir que la réadaptation des accords de
coopération en matière d'enseignement supérieur entre les
parties française et sénégalaise a commencé depuis
1970 suite aux évènements de mai 1968. Dans notre première
partie, nous avons souligné le fait que l'université de Dakar a
continué de conserver son statut d'établissement français
même après l'indépendance du pays. Il était
entièrement à la charge de la République française.
Pendant la soumission des accords de coopération en matière
d'enseignement supérieur à l'Assemblée nationale
française, le secrétaire d'État aux relations avec les
États de la Communauté soutenait que : « D'ores et
déjà l'université de Dakar est d'une qualité
incomparablement supérieure aux autres universités
étrangères d'Afrique. Il faut qu'elle fasse la preuve de cette
supériorité sur l'université que les Russes
s'apprêtent à installer en Guinée ». Toujours dans le
même sillage il dit que : « La gestion d'une part, l'administration
de l'autre, sont confiés à la France. Le recteur, les professeurs
et le personnel sont nommés dans des conditions absolument identiques
à celles des autres universités françaises. Le personnel
continue d'ailleurs de relever du ministère de l'éducation
nationale de la République française. C'est là
évidemment un hommage rendu à notre enseignement et un gage pour
le maintien de notre influence culturelle »71. Après
l'éclatement de la Fédération du Mali, l'accord
franco-sénégalais d'août 1961, reprend ces mêmes
dispositions. Cependant en mai 1964, un nouvel accord en matière
d'enseignement supérieur est conclu entre les deux pays. Ce texte est
une innovation du point de vue du gouvernement sénégalais car il
affirme sa souveraineté internationale et confirme que
l'université de Dakar est un établissement public
sénégalais. Le rapporteur de l'Assemblée nationale du
Sénégal lors de la soumission du texte l'a décrit ainsi :
« Toutefois, afin de sauvegarder la valeur de l'enseignement
dispensé, il est prévu que la législation et la
réglementation française concernant le personnel enseignant, les
programmes d'études, la scolarité et les examens sont introduits
dans le droit sénégalais.
71 Journal officiel de la République
française, débats parlementaires, séance du 6 juillet
1960, p.1727.
72 Archives nationales, Paris, Enseignement
supérieur et université, Direction générale des
enseignements supérieurs, cote 19770510/2.
66
Parallèlement, les diplômes
délivrés par l'université de Dakar conformément
à cette réglementation, sont valables de plein droit sur le
territoire français.
L'autre innovation essentielle du nouvel accord consiste dans
l'accroissement considérable de la participation financière
sénégalaise aux dépenses de fonctionnement de
l'université ».
Cette année, le gouvernement sénégalais
n'a participé que symboliquement d'une somme de 55 millions sur 1600
millions. En participant de manière progressive aux dépenses de
fonctionnement de sa propre université qui demeure entièrement
à la charge d'un pays étranger, il lance « la
décolonisation » de l'enseignement supérieur. Malgré
ces futures dispositions, le mode de fonctionnement de l'université
reste inchangé et par conséquent nous avons assisté aux
événements de mai 1968. Nous l'avons déjà
souligné en dessus mais nous tenons à vous citer un passage
important du Mémorandum de L'union des étudiants
sénégalais en mai 1968 : « Nous voyons ainsi que la
politique de fractionnement des bourses et leur réduction à 10 au
lieu de 12 mensualités ne peuvent trouver d'autres justifications que
dans le sabotage systématique de la formation des cadres indispensables
au pays en vue de maintenir en permanence l'assistance technique ». Ces
événements n'ont pas laissé de choix aux parties
contractantes car tous les efforts fournis jusqu'ici risquent de partir
à néant. Finalement un nouvel accord est conclu entre les deux
parties en février 1970. Pendant la préparation de ce nouvel
accord les experts de la partie française avaient bien souligné
les grandes lignes que doivent prendre ce nouvel accord pour éviter dans
l'avenir de tels soulèvements. Parmi ces recommandations, nous pouvons
retenir que : « Les universités sont désormais des
institutions nationales de formation dont les structures sont définies
en fonction des besoins des Etats et ne sont plus le démarquage des
structures françaises, ce qui exclut l'introduction automatique dans le
droit de ces pays des dispositions légales régissant en France le
fonctionnement des universités. Les programmes de développement
de ces institutions sont définis uniquement en fonction des besoins
locaux et non plus en tenant compte du modèle français des
enseignements. Les personnels enseignants français sont placés
sous le régime de la coopération technique et leur mode de
nomination éventuellement de remise en disposition et de
rémunération sont ceux de ce personnel »72.
Cependant, en regardant de près le nouvel accord, nous avons
l'impression que le changement n'est apparent. L'article 1 du texte de 1964 qui
stipulait que : « La République française s'engage à
aider la République du Sénégal
73 Archives nationales,Paris, Coopération,
Service rattaché auprès du ministre, Chargé de missions
(1959-1985),Cote 20000137/1.
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à maintenir et développer sur son territoire un
enseignement supérieur d'un niveau égal à celui de
l'enseignement supérieur français » est repris en
février 1970 en ces termes : « La République
française s'engage à aider la République du
Sénégal à maintenir et à développer un
enseignement supérieur de niveau international ». En outre,
l'article 2 affirme que « Les autorités sénégalaises
déterminent l'organisation et le contenu des enseignements
dispensés par l'Université de Dakar, un établissement
public sénégalais afin de faciliter leur adaptation aux
réalités africaines et de permettre la formation de cadres
correspondants aux besoins »73. Une remarque très
intéressante est le fait qu'on retrouve toujours dans bon nombre
d'articles de l'accord, un alinéa qui rappelle l'engagement des deux
parties par le terme «accord partie». Ce qui signifie que la France
doit valider ces programmes proposés par le gouvernement
sénégalais. Un autre changement concerne les diplômes.
Désormais ils ne sont plus admis de plein droit sur les deux territoires
mais plutôt en équivalence. Malgré ces
réajustements, cet accord n'échappe à la révision
des accords de coopération franco-sénégalaise de 1974. Le
gouvernement sénégalais cherche à renforcer son
contrôle sur l'enseignement supérieur notamment sur le personnel
et les orientations des programmes. Selon la délégation
française, le projet sénégalais restreint l'intervention
française à la seule université de Dakar laissant ainsi
hors du champ de la coopération les établissements de formation
supérieure et technique, prévoit l'application au personnel de
l'enseignement supérieur de la convention générale
relative au concours en personnel car un article de ce texte lui dispense du
versement de la contribution forfaitaire mensuelle de 55 000 francs CFA par
agent et en enfin il prévoit également la prise en charge
provisoire par la France du personnel enseignant africain. Le contre-projet
français s'est axé sur ces trois points et propose à la
place une intervention à l'université et tous les
établissements de l'enseignement supérieur, supprimer toute
mention du personnel africain dans le texte, trouver une faille dans le texte
sénégalais pour réclamer la participation forfaitaire
mensuelle pour les agents de l'enseignement supérieur. En tout
état de cause, les deux parties sont parvenues à un accord en
mars 1974 et nous verrons ce texte dans le chapitre suivant.
D'après notre compréhension des sources, les
négociations pour la révision des accords de coopération
franco-sénégalaise n'étaient pas faciles et se
démarquent carrément du schéma traditionnel des rapports
franco-africains. La partie sénégalaise s'est montrée
très persuasive et a essayé de confirmer sa souveraineté
internationale. Mais dans les relations internationales, la force est preuve de
persuasion et ce sont les pays développés qui la
68
détiennent. Par conséquent, les
négociations balancent toujours en leur faveur et dans ce cas, le
gouvernement sénégalais était obligé de mettre
à côté certains de ses souhaits. Ce qu'il faut retenir dans
cette phase est la pression exercée par l'opinion publique
sénégalaise en particulier et africaine, de manière plus
générale, sur les diplomates sénégalais.
L'ambassadeur français au Sénégal, La Chevalière
notait dans une dépêche du 13 février 1974 que : « Les
conversations qui ont eu lieu entre les délégations
française et sénégalaise du 11 février ont fait
apparaître le désir du Sénégal, très
sensibilisé aux critiques et reproches que ses relations jugées
très étroites avec la France lui valent de la part de certains
pays du Tiers-monde, d'éviter dans la rédaction des nouveaux
accord de coopération tout ce qui pourrait paraître
institutionnaliser des liens trop exclusifs avec notre pays
»74. Il renchérit en affirmant « La
délégation sénégalaise rappelé à son
souhait de voir abandonner tout principe d'assimilation et de
réciprocité, et d'éviter tout ce qui pourrait être
interprété comme présentant une possibilité de
traitement préférentiel en notre faveur ». Ces notes sont en
faveur de l'une de nos hypothèses qui soutenait que le
Sénégal avait demandé la révision de ses accords
avec la France non par nécessité des intérêts du
pays mais plutôt pour soigner son image face à ses
détracteurs. Nous avons aussi remarqué que la volonté de
changer la donne était bien présente chez certains experts
sénégalais comme son chef de délégation, Barka
Diarra qui sera remplacé par Assane Seck en mars 1974, lors de la
signature des nouveaux accords. Cette décision confirme l'habitude du
président Senghor envers les membres du gouvernement qui risquent en
quelque sorte de compromettre sa relation précieuse avec la France. Un
point qui a attiré notre attention, est le fait qu'aucun Français
ne figure dans la liste de la délégation
sénégalaise et pourtant à ce moment, on trouvait beaucoup
d'experts et de techniciens français dans chaque ministère. De
notre point de vue, ces Français qui connaissent bien les besoins
sénégalais et comprennent aussi le système
français, pourraient être d'une grande utilité pour le
gouvernement sénégalais pendant les négociations. Leur
absence est due au simple fait d'une recommandation de l'ambassadeur
français au premier ministre Michel Debré: « Il faudrait
également poser le principe que, lorsque la France aura à
négocier avec le Sénégal, la délégation
sénégalaise ne soit pas composée en totalité, sinon
en majorité de ressortissants français »75.
Les deux parties se sont réjouis du déroulement
des négociations et des nouveaux accords de coopération.
Maintenant nous pouvons nous intéresser au contenu de ces nouveaux
accords.
74 Idem.
75 Blum Françoise, op.cit, P.62.
76 Archives nationales, Paris, Coopération,
Cabinet et service rattachés au Ministre, Chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1.
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