Chapitre 1:L'assistance technique.
L'assistance technique constitue l'un des outils principaux de
la coopération franco-sénégalaise. Pour seconder le
gouvernement du Sénégal, la France met à sa disposition
des coopérants qui interviennent dans divers secteurs. Cette disposition
a été souligné dans le titre II des accords
intitulé « De l'aide de la France au Mali » plus
précisément à l'article 9 : « La République
française et la Fédération du Mali conviennent que la
France secondera les efforts de la Fédération pour son
développement. Et l'article 10 stipule que : « L'aide de la
République française à la Fédération du Mali
se manifestera notamment par la réalisation d'études, la
fourniture d'équipements, l'envoi d'experts et de techniciens, l'octroi
de concours financiers ». Avec l'éclatement de la
Fédération, une convention relative au concours en personnel
apporté par la République française au fonctionnement des
services publics de la République du Sénégal fut
signée entre les deux pays. Son contenu définit les
modalités de l'assistance ainsi que les obligations des deux parties.
Chaque année, un quota d'agents de coopérations sont
octroyés au Gouvernement sénégalais par la France. Au
préalable, ce gouvernement doit estimer ses besoins par secteur et par
ordre de priorité. Ensuite, il doit les soumettre à la
République française qui en fonction de ses moyens les valide. La
totalité des charges revient à la France. En revanche, le
Gouvernement sénégalais doit fournir un logement décent
pour chaque agent mis à sa disposition. En outre, il doit verser une
somme forfaitaire en guise de participation. Cette somme est fixée par
un protocole d'application de l'article 17 de la convention relative aux
concours en personnel. Elle s'élevait à 55 000 francs CFA par
agent, en dehors du personnel de l'enseignement supérieur pris en charge
par le ministre de l'Éducation nationale français. Jean Claude
Gautron, professeur à la Faculté de droit de l'université
de Dakar de 1962 à 1970, est l'auteur d'un article en 1964 sur
l'évolution des rapports franco-sénégalais qui nous
apprend que : « La convention du 14 septembre 1959 prévoyait une
rémunération par la République du Sénégal
conformément aux textes applicables aux fonctionnaires
sénégalais, la différence entre ladite
rémunération et celle conforme à la réglementation
en vigueur pour le service d'outre-mer français demeurant à la
charge du gouvernement français. A titre transitoire, la
République française prenait à charge tout ou partie de la
rémunération due par le Sénégal. Un accord
particulier annexe à la convention du 14 septembre 1959 fit application
de la disposition transitoire, le gouvernement français s'engageait
à assurer la rémunération du personnel mis à la
disposition du Sénégal, cependant à titre de contribution
à la rémunération de ce personnel, le
Sénégal s'engage à
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verser une allocation forfaitaire mensuelle de 45 000 francs
CFA. Un protocole d'accord en date du 12 juin 1963 a élevé cette
allocation forfaitaire à 55 000 francs CFA par mois
»30.
C'est l'enseignement qui absorbe la plus grande
quantité de coopérants. Le nombre de ces derniers
s'élevait à 1523 en 1960. Il faut préciser que le
Sénégal occupe la seconde place après le Madagascar pour
16,38% des effectifs totaux de l'assistance technique
française31. En matière d'enseignement, le
gouvernement sénégalais définissait les programmes. Mais
cette prérogative est en quelque sorte limitée car la
République française devait donner son aval. D'ailleurs, un
alinéa précise que les programmes sont fixés d'un commun
accord et le comité est là pour veiller à son application.
Cependant, l'enseignement supérieur échappe totalement au
contrôle du gouvernement sénégalais. L'université de
Dakar était considérée comme la dix-huitième
université française et fut gérée par le ministre
de l'Éducation nationale. C'est cette dernière qui gère
les 220 membres du personnel enseignant et administratif de
l'université. Nous reviendrons plus tard sur l'accord de
coopération en matière d'enseignement supérieur.
Après l'enseignement, c'est l'administration qui concentre le plus de
coopérants dont la plupart sont des anciens administrateurs de la France
d'Outre-mer. Une étude a montré qu'après les
indépendances, les administrateurs se sont reconvertis pour la plupart
pour devenir coopérants. Ceci confirme la thèse selon laquelle la
coopération fut un substitut de l'empire colonial français. C'est
la nomination qui s'adapte aux différentes époques. Pour une
meilleure compréhension de ce phénomène, nous avons lu
l'article de Hélary Julien intitulé : « Des empereurs sans
empire : l'administrateur colonial devient coopérant ». In :
Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et
coopération en Afrique : circulations d'acteurs et recompositions
culturelles (des années 1950 à nos jours). Il nous a
démontré que l'idée de la coopération a
commencé à germer dans l'école de la France d'Outre-mer
dès les années 1950. Selon lui : « Devenir coopérant
ne serait donc pas la découverte d'une nouvelle aventure comme pour les
volontaires du service national, mais bien le prolongement, voire, pour ceux
entrés à l'École de la France d'outre-mer à la fin
de la période coloniale la réalisation d'une vocation
»32. Dans ce même ordre d'idée, il affirme que :
« en devenant conseillers des affaires admiratives, certains anciens
administrateurs d'Outre-mer peuvent se diriger vers le ministère de la
coopération ; en devenant
30 Gautron Jean Claude. « L'évolution
des rapports franco-sénégalais ». In Annuaire
français de droit international, volume 10, 1964, pp.841-842.
31 Archives nationales de Paris,Coopération,
Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.
32 Hélary Julien. «Des empereurs sans
empire : l'administrateur colonial devient coopérant». In :
Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et
coopération en Afrique : circulations d'acteurs et recompositions
culturelles (des années 1950 à nos jours), p.39
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administrateurs des affaires d'Outre-mer, d'autres restent en
place en Afrique comme conseillers des nouveaux gouvernements et conservent
ainsi quelques années durant une influence politique, administrative,
économique patente »33. Pour le Sénégal on
peut citer à titre d'exemple Philippe D., qui faisait partie de la
promotion magistrature de la France d'Outre-mer en 1953. Après avoir
servi au Niger, il devient chargé de mission au ministère de la
coopération au sein de la direction de la coopération technique.
Par la suite il fut directeur de la formation administrative au centre de
formation et de perfectionnement administratif de Dakar de 1966 à 1973
et puis conseiller technique au Secrétariat d'Etat de la promotion
humaine de 1974 à 1978. Néanmoins, il faut noter que ces anciens
administrateurs coloniaux seront remplacés par des cadres nationaux
formés à l'Ecole nationale d'administration dès 1968, dans
le cadre de la sénégalisation de l'administration. La même
situation se retrouve dans l'enseignement primaire et secondaire. La
sénégalisation des postes découle en grande partie du
contexte socio-économique et politique de mai 1968. Nous y reviendrons
dans le chapitre suivant. En tout état de cause, l'assistance de la
France au Gouvernement sénégalais ne cesse d'évoluer. La
France intervient également dans la formation, la fourniture et
l'équipement des forces armées sénégalaises comme
définit dans « l'article 5 : La République française
met à la disposition de la Fédération du Mali, en fonction
des besoins exprimés par celle-ci, les officiers et les sous-officiers
français dont le concours lui est nécessaire pour l'organisation,
l'instruction et l'encadrement de ses forces armées.[...] Ces personnels
sont mis à la disposition des forces armées maliennes pour
remplir des emplois définis correspondant à leur qualification.
Ils sont soldés de tous leurs droits par l'autorité
française et sont logés ainsi que leur famille par
l'autorité malienne »34. La coopération militaire
franco-sénégalaise est trop complexe et souvent les accords en ce
sens n'ont pas fait l'objet de publications. C'est la raison pour laquelle nous
ne l'avons pas prise en compte dans notre étude. Il ne faut pas perdre
de vue que l'assistance technique couvre tous les secteurs. En effet, la France
assiste le gouvernement sénégalais sur le plan international en
participant à la formation de son corps diplomatique. Elle le
représente également au sein des organismes internationaux et
dans les pays où il n'a pas de représentants diplomatiques.
Après examen de ce qui suit nous pouvons dire que la
France est plus que présente dans la gestion du gouvernement
sénégalais. Cette situation est la conséquence des
politiques menées par les autorités impériales en
matière de gestion des colonies. En effet,
33 Idem, p.48.
34 Archives nationales de Paris, Coopération,
Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/4.
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l'administration directe et la politique d'assimilation se
focalisent sur un contrôle total des populations de statut
indigènes. En appliquant cette administration, les autorités
coloniales ont laissé de côté un élément
essentiel qui pouvait faciliter l'assimilation. Il s'agit de la mise en valeur
des colonies. Cette entreprise ne démarre que très tardivement.
Il faut en effet attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu'un
programme de mise en valeur réelle soit mis en place. Sophie Dulucq
affirme le même constat en ces termes: «Dans l'immédiat
après-guerre, la France commença en effet à investir
directement et à équiper ses territoires d'outre-mer.
L'équipement public essentiellement ports, routes, voies ferrées,
bâtiments administratifs, avait été réalisé
jusqu'en 1946 uniquement sur des ressources locales. La création du
Fonds d'investissement pour le développement économique et
social, le 30 avril 1946, marqua le début de cet apport massif des
capitaux publics métropolitains»35 Ce retard s'explique
au fait que la plupart des territoires sous administration française en
Afrique étaient des colonies d'exploitation. Donc les administrateurs
coloniaux ne voyaient pas l'intérêt d'instruire, de former et de
créer des infrastructures pour les indigènes. Tout le travail de
ces derniers reposait sur l'agriculture d'exportation et l'exploitation des
matières premières qui devraient être drainées vers
la Métropole. L'équipement était exclusivement
orienté dans ce domaine comme le souligne Dulucq: «Cet
équipement se réduisait en fin de compte au minimum indispensable
des circuits de traite»36 Pour s'adapter au contexte
d'après-guerre, il devient nécessaire d'intégrer les
autochtones dans la gestion des colonies. Cela est passé par une
formation des colonisés et une mise en valeur des territoires
d'outre-mer. Pourtant, les formations offertes restaient subalternes car elles
devaient uniquement permettre à ces derniers de seconder
l'administration coloniale et non d'occuper des postes de cadres et de
responsables(Pape Ibrahima Seck,La stratégie culturelle de la France en
Afrique. L'enseignement colonial(1817-1960), Harmattan, 1993).
L'indépendance politique des colonies a mis fin à cette forme de
mise en valeur. Par conséquent, les pays nouvellement
indépendants étaient obligés d'avoir recours à
l'assistance technique. Cette dernière est alors rendue légitime
par la coopération franco-africaine. Le but de cette assistance
était d'accompagner ces États dans le fonctionnement de leurs
services publics en attendant que les nationaux prennent la relève. Il
est important de noter que le Sénégal constitue une exception, en
tant que capitale de l'Afrique occidentale française, il a
constitué un laboratoire pour la France et, à ce titre, a
bénéficié d'infrastructures et d'un système
éducatif plus avancé par
35 Dulucq Sophie, La France et les villes
d'Afrique noire francophone: quarante ans d'intervention(1945-1985). Approche
générale et étude de cas: Niamey, Ouagadougou et Bamako,
Paris, Harmattan, 1997, p.14.
36 Idem
40
rapport aux autres colonies. Mais l'éclatement de l'AOF
a porté un coup à cette position et le Sénégal n'a
pas su s'adapter. Il avait la possibilité de décoller
économiquement mais au contraire, il n'a pas cessé de
dépendre de l'aide française.
En somme, l'objectif de l'assistance technique tarde à
se réaliser. De fait, les Sénégalais ont commencé
à exprimer leur volonté de prendre en main la gestion de leur
pays. Le Gouvernement sénégalais s'est retrouvé en
situation de crise et il fallait trouver un moyen d'intégrer ses
nationaux. Ce point peut être abordé dans la coopération
socio-économique.
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