Juillet 2021
1
Université de Paris UFR GHES,
Département Histoire Master 2 « Histoire, civilisations,
patrimoine » Spécialité « Mondes africains,
américains, asiatiques et moyen-orientaux : sources,
sociétés, enjeux »
Mémoire de Master
Les relations franco-sénégalaises : la
coopération politique et économique de 1974 à
1982
Thiama CISS
Sous la direction de Didier NATIVEL
2
Sommaire
Dédicace ..3
Remerciements .4
Liste des abréviations .5-6
INTRODUCTION 7-33
PREMIERE PARTIE :BILAN DE LA
COOPÉRATION
FRANCO-SÉNÉGALAISE ..34-51
Chapitre 1:L'assistance technique . 36-40
Chapitre 2 : La coopération socio-économique ..
41-51
DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVISION DES
ACCORDS DE COOPÉRATION
FRANCO-SÉNÉGALAISE ..52-75
Chapitre 1 : Les négociations . 54-67
Chapitre 2 : Les nouveaux accords de coopération
68-75
TROISIEME PARTIE : APPLICATION ET IMPACTS DES
NOUVEAUX
ACCORDS .76-104
Chapitre 1 : Applications .78-93
Chapitre 2 : Impacts .. 94-104
CONCLUSION .. 105-110
BIBLIOGRAPHIE . 111-118
3
Dédicace
Je dédie ce mémoire à mon feu père
Sidy et à ma mère Mbène
4
Remerciements
Je remercie Monsieur Didier Nativel, mon directeur de
recherche pour l'accompagnement, la disponibilité et les conseils.
Mes remerciements s'adressent à Monsieur Huetz De
Lemps, professeur d'histoire à l'université de Nice qui m'a
encadré au Master 1, à Monsieur Mamadou Fall, professeur
d'histoire à l'université de Dakar et l'ensemble des professeurs
du Centre d'études en sciences sociales sur les mondes africains,
américains et asiatiques.
Je remercie ma mère qui est toujours à mes
côtés malgré la distance, mes frères et soeurs.
Je ne peux pas clore cette liste sans citer Assane Gueye, un
proche qui m'a beaucoup soutenu, mes copines Yali, Hawa, spécialement
à Terry pour la lecture et le soutien moral, à Thierno Barry,
Ismaila Sagna, Bakari, Preciosa et Madame Karine Teepe.
5
Liste des abréviations
AOF : Afrique occidentale française
BNDS : Banque nationale du
Sénégal
CCCE : Caisse centrale de coopération
économique
COFACE : Compagnie française
d'assurance pour le commerce extérieur
COFEGES : Conseil fédéral des
groupements économiques du Sénégal
CNUCED : Conférence des Nations Unies
sur le commerce et le développement
ENFOM : Ecole nationale de la France
d'outre-mer
FAC : Fonds d'aide et de
coopération
FIM : Fonds monétaire international
GES : Groupement économique du
Sénégal
NOEI : Nouvel ordre économique
international
ONU : Organisation des Nations Unies
OPEP : Organisation des pays exportateurs de
pétrole
ORTS : Organisation de la
radio-télévision du Sénégal
PAS : Programme d'ajustement structurel
PME : Petite et moyenne entreprise
SAED : Société
d'aménagement et d'exploitation des terres du Delta
SODEFITEX : Société des fibres
et du textile
SONEPI : Société nationale
d'étude et de promotion industrielle
SOSAP : Société
sénégalaise d'armement à la pêche
UDES : Union des étudiants du
Sénégal
6
UEMOA : Union économique et
monétaire de l'Ouest africaine UGTSF : Union
générale des travailleurs sénégalais en France
UMOA : Union monétaire de l'Ouest africaine
UNIGES : Union des groupements
économiques du Sénégal UNTS : Union
nationale des travailleurs du Sénégal
7
INTRODUCTION
8
Contextualisation.
Les années 1970 constituent un tournant décisif
dans les relations franco-africaines d'une manière
générale et plus particulièrement celles
franco-sénégalaises. Ces dernières vont connaître
une phase de contestations et de remises en questions. Le système de
coopération mis en place avant même les indépendances pour
définir les nouveaux rapports franco-africains, est sur le point de
décliner. Ce sont les accords de coopération et leurs objectifs
qui sont au coeur des préoccupations. Pour pouvoir comprendre cette
phase des relations franco-africaines, il faut commencer par la politique de
coopération qui a été mise en place.
Tout d'abord essayons de définir le terme
coopération. Son étymologie vient du latin cum ,
«avec», et operare « faire quelque chose, agir ». Le terme
renvoie à l'idée de collaborer. Cependant son sens varie en
fonction du contexte dans lequel il est employé. Dans le cadre des
relations franco-africaines, la coopération se définit comme un
mode de relations qui implique la mise en oeuvre d'une politique suivie,
pendant une certaine durée, et destiné à les rendre plus
proches grâce à des mécanismes permanents. Les relations
établies dans plusieurs domaines ne mettent cependant pas en cause
l'indépendance des unités concernées.1Cette
définition s'applique également à la coopération
internationale, née au lendemain de la Première Guerre mondiale
mais qui ne prendra ses marques qu'après la seconde avec la
création de l'ONU. La charte de l'organisation consigne
l'émergence des principes d'égalité des États dans
le cadre de promouvoir la paix et de combattre les inégalités. La
coopération fut donc le moyen le plus efficace pour mettre en oeuvre ces
principes. De plus l'accession à l'indépendance des anciennes
colonies européennes donne une nouvelle mission à la
coopération internationale à savoir combattre le
sous-développement. En d'autres termes, la coopération au
développement qui selon une approche première classique et
presque unanimement acceptée, désigne les transferts des pays du
Nord vers ceux du Sud des ressources financières et de savoir-faire
provenant de sources publiques ou privées, le motif de ces transferts
étant le rattrapage du développement économique, la
solidarité, la recherche d'une plus grande justice sociale et la
diminution des disparités. Par conséquent le terme même de
coopération a vu son sens évolué comme l'a bien
noté Albert Bourgi qui a fourni un
1 Gonidec Pierre François, Relations
internationales, Paris, Editions Montchrestien, 1974, p.396.
9
travail primordial sur la coopération
franco-sénégalaise et dont nous aborderons plus loin: « son
usage s'est peu à peu limité aux rapports entre les pays
développés et le Tiers-monde »2. Ces rapports
sont essentiellement axés sur l'assistance technique afin d'aider les
nouveaux Etats indépendants à prendre leur envol
économique et social. En règle générale, les
anciennes métropoles se sont assignées cette tâche, et la
politique française de coopération en Afrique s'identifie bien
à ce système.
Il n'existe pas de date officielle commémorant cette
politique de coopération, mais nous pouvons en retracer la
genése.La coopération franco-africaine a démarré
durant la phase de la décolonisation, à partir de 1945. En effet,
au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France concrétise
l'association de ses colonies au sein de l'Union française, avec
notamment la création de la zone Franc (Franc des Colonies
Françaises d'Afrique). Certaines études à l'instar de
l'article de Claude Freud intitulé La zone franc est-elle le bouc
émissaire de l'échec du développement?, affirment que
la zone franc fut une conséquence de la crise de 1929 qui a
poussé la France à se replier sur ses colonies. Elle s'est
efforcée d'organiser ses échanges à l'intérieur
d'un espace économique, autour duquel elle pouvait dresser des
barrières protectionnistes. Le décret du 26 décembre 1946
ne fait qu'instituer cette nécessité en renforçant le
contrôle de la zone. Cette dernière dépasse ses
attributions monétaires et lance les bases d'une zone
d'intégration politique et commerciale : l'Union française.
Celle-ci est alors composée d'une part de la France
métropolitaine, des départements et territoires d'outre-mer,
formant la République française et d'autre part des territoires
et Etats associés. Cette période post-guerre est en quelque sorte
le moment de prise de conscience par les peuples sous domination coloniale qui
aspirent de plus en plus à l'autonomie. L'indépendance devenant
inéluctable, la France devait trouver une alternative pour sauver son
empire.
C'est dans ce contexte que naît en 1958 la
Communauté. Elle regroupait la France et ses colonies qui deviennent des
Etats membres. Il ne faut pas perdre de vue que ce processus est une
continuité depuis 1944, mais dont les appellations et les termes
juridiques ont changé pour s'adapter à la situation. En effet,
c'est le titre VIII de la Constitution de l'Union française qui sera
réadapté pour donner naissance à la Communauté :
« La Communauté est ainsi assurément fille de l'Union
française »3. La Communauté donne plus
d'autonomie aux colonies qui gèrent leurs affaires intérieures.
En revanche, la politique étrangère, la défense, la
2 Bourgi Albert, La politique française
de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1979, p.2.
3 Turpin Frédéric, 1958, « La
communauté franco-africaine : un projet de puissance entre
héritage de la IVe République et conceptions gaulliennes. »
In Outre-mer, Tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008,
1958 et l'outre-mer français, p.54.
10
monnaie, la politique économique et financière
commune et la politique des matières premières
stratégiques sont les domaines de compétences de la
Communauté. Alors ce fédéralisme devient contraignant pour
les Africains qui veulent bénéficier d'une autonomie sur le plan
international. Par conséquent, la Communauté contractuelle est
sur le point de disparaître car l'alinéa 3 de l'article 86 de la
Constitution de 1958 stipule ainsi: «qu'un État membre de la
Communauté peut également par voie d'accords, devenir
indépendant sans cesser de ce fait d'appartenir à la
Communauté » .La Fédération du Mali regroupant le
Sénégal et le Soudan utilise alors cette disposition et demande
son indépendance. Elle sera suivie du Madagascar et des autres pays
africains en 1960. Cette décision de la Fédération du Mali
met fin sur le plan juridique la Communauté naissante et pousse la
République française a modifié le 4 juin 1960 la
Constitution de 1958. Cette loi permet en quelque sorte de maintenir la
Communauté sous une autre forme. Elle permet de concilier
indépendance et appartenance à la Communauté. De ce fait
la Communauté contractuelle devient une Communauté
conventionnelle comme le souligne Frédéric Turpin, historien
français dont l'un de ses ouvrages principaux est De Gaulle,
Pompidou et l'Afrique: décoloniser et coopérer dans un
article : « Il s'agit d'offrir aux Etats membres de la première
Communauté qui veulent devenir indépendants la possibilité
d'y demeurer sous la forme d'une association formalisée par des accords
de coopération avec la France et de participations aux institutions de
la Communauté »4.
C'est à partir de ce moment que les accords de
coopération sont nés et régissent les relations
franco-africaines. C'est la Fédération qui signe les premiers
accords avec la France pour pouvoir accéder à la
souveraineté internationale par le biais d'un transfert de
compétences. L'échange de lettres de l'accord particulier entre
les deux parties a été significatif à ce propos : «
Je vous serais obligé de vouloir bien, en me donnant acte de cette
communication, me confirmer que, dès la proclamation de
l'indépendance du Mali, le Gouvernement de la Fédération
procédera à la signature des accords définissant les
principes et les modalités de la coopération librement
instaurée entre la République française et la
Fédération du Mali au sein de la Communauté
rénovée ainsi que de l'accord multilatéral sur les droits
fondamentaux des nationaux de la Communauté, de la convention
d'établissement et de la convention sur la conciliation et Cour
d'arbitrage »5. C'est donc la Communauté qui a
donné naissance à la coopération franco-africaine et lui a
cédé ses institutions les plus significatives. De ce fait, le
4 Turpin Frédéric, « Le passage
à la diplomatie bilatérale franco-africaine après
l'échec de la Communauté », In Relations
Internationales, 2008/3, (no 135), pp.25-35.
5 Archives nationales, Paris, «
Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre,
chargé de mission (1959-1985) », cote 20000137/1.
6 Turpin Frédéric, « L'Union
pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine :
un rêve de puissance évanoui dans les sables algériens ?
(1958 - 1961) », In Histoire Politique, 2010/3 (n° 12),
p.5.
11
Secrétariat général de la
Communauté auprès du président de la République et
le Ministre d'Etat pour les relations avec la Communauté sont
remplacés par le Conseil pour les affaires africaines et malgaches et le
Secrétariat général à la présidence de la
République pour la Communauté et les affaires africaines et
malgaches. Avec ces institutions, le Général De Gaulle,
président de la République française et de la
Communauté assure la pérennité de son
pré-carré africain. Pour le Général il n'a jamais
été question d'indépendance mais plutôt un moyen de
préserver ses anciennes colonies ou du moins de continuer à
influencer sur leur gestion. Cette volonté a été
exprimée au sein du gouvernement. Michel Debré affirmait ainsi le
11 mai 1960 devant l'assemblée nationale : « Nous avons tout
pesé, nous avons mesuré à la fois l'héritage du
passé, les exigences du présent et les probabilités de
l'avenir et nous avons que le vrai problème est le suivant :à
l'administration directe appuyée sur l'unité des
souverainetés, il faut substituer par la force des choses, la
collaboration politique, intellectuelle, économique et administrative,
fondée sur l'association des souverainetés en créant
au-dessus de cette association une union politique garantie par certaines
institutions »6. Malgré la mise en place d'un
ministère de la coopération qui devait coordonner toute la
politique étrangère, les relations avec les Etats africains
deviennent particulières. Le Secrétariat général
à la présidence des affaires africaines et malgaches devient
l'instance qui organise désormais toute la coopération avec
chacun des pays africains. Contrairement à l'esprit de la
Communauté qui était fédérative, la
coopération franco-africaine tend au bilatéralisme à
l'exception des accords en matière monétaire autour de la Zone
Franc. Les États africains adhèrent à cette politique de
coopération durant toute la première décennie de
l'indépendance Cependant il ne faut pas perdre de vue que les accords de
coopération ont été signés dans l'urgence et ces
États n'ont pas eu le temps de peser les contraintes. Leur principal
souci était de relever les défis économiques, sociaux et
politiques de leur État naissant et ces tâches s'avéraient
impossibles sans le soutien de l'ancienne métropole. Cette
dernière en contrepartie demande une coopération qui lui
permettra de préserver sa présence. Ce nouveau système de
relations franco-africaines résiste durant la première
décennie des indépendances. En revanche, les objectifs et les
modalités n'étaient pas compatibles à l'exercice de la
souveraineté des Etats africains. En outre, la scène
internationale subissait en ce moment d'importants bouleversements sur le plan
économique et politique dont nous en revenons amplement plus loin. Par
conséquent la particularité de la politique française
de
12
coopération en Afrique est confrontée à
de sévères critiques par ses partenaires africains, les opposants
français et des experts en coopération. Le Gouvernement
français avait pris conscience que sa politique de coopération
méritait réflexion et de nouvelles orientations. C'est dans ce
cadre qu'une étude fut demandée. Celle-ci fut confiée
à Jean-Marcel Jeanneney, économiste et ministre de l'industrie de
1959 à 1962, qui produit un rapport en 1963. Nous n'avons pas eu la
chance de consulter ce rapport. En revanche, certaines lectures nous ont permis
d'avoir un aperçu de ses grandes lignes. Ce fut le cas à travers
l'article de Sylviane Guillaumont Jeanneney intitulé «La politique
de coopération avec les pays en développement selon le rapport
Jean-Marcel Jeanneney. Un rapport d'actualité, vieux d'un demi
siècle". Le plan du rapport lui même est significatif en posant
trois questions essentielles à savoir : Quelles sont les raisons d'une
politique française de coopération avec les pays en voie de
développement ? Quel montant de ses ressources la France peut-elle
consacrer à cette politique sans compromettre son développement ?
Où et selon quelles modalités les ressources consacrées
à la coopération doivent-elles être affectées ? et
en dernier point il préconise une réforme des structures
administratives de la coopération.7
Selon Jean-Marcel Jeanneney, l'aide française ne
répond pas à des objectifs économiques : « les vraies
raisons d'une politique française de coopération sont d'ordre
éthique et politique au sens noble du terme ». Il est important de
souligner que plusieurs idées ont été avancées sur
les raisons d'une politique française de coopération surtout avec
ses anciennes colonies. Parmi les thèses les plus soutenues demeure
celle des intérêts économiques. Souvent ce sont les
avantages que lui apportent la Zone Franc et les matières
premières stratégiques ainsi que ses entreprises en Afrique qui
sont soulignés. Parfois les chiffres ne traduisent pas la
réalité, cependant l'attitude de la France pour maintenir des
liens étroits avec ses ex-colonies nous pousse à creuser cette
hypothèse. En tout état de cause, le rapport exclut cette
thèse. Par contre, il soutient que l'aide à l'Afrique doit rester
prioritaire mais non exclusive. D'où la nécessité
d'élargir la zone géographique notamment en Amérique
latine. Cette vision sera incluse dans le programme du Général de
Gaulle entre 1964 et 1966. L'expression Tiers-monde rarement utilisée
par lui apparaît à cette époque avec une signification
clairement géopolitique : « Il y'a dans le monde de grandes
réalités au milieu desquelles, vit la France. Ce sont deux pays
actuellement colossaux, États-Unis et Russie soviétique..., la
Chine,
7 Jeanneney Guillaumont Sylviane, «La
politique de coopération avec les pays en développement selon
Jean Marcel Jeanneney. Un rapport d'actualité vieux d'un
demi-siècle», Fondation pour les études et recherches sur le
développement international, no 38, février 2012, p.2
13
l'Europe occidentale, enfin le Tiers monde d'Afrique, d'Asie
et d'Amérique latine »8. Le fait que le rapport souligne
ce point peut être considéré comme une suspicion sur le
fait que la France utilise ses ex-colonies pour pouvoir peser sur la
scène internationale. Elle faisait une politique d'endiguement pour
empêcher les deux superpuissances(Etats-Unis et URSS) d'exercer une
influence sur son précieux pré-carré. C'est pas
étonnant que la politique française de coopération
s'oriente un peu vers ce domaine. En effet, les dirigeants de la France libre
ont toujours considéré que le prestige et la grandeur de la
France se trouvaient dans son Empire. La lecture de ce rapport ne laisse
apparaître aucune notion sur le caractère «
néocoloniale » de la politique française de
coopération. En revanche le rapport émet une mise en garde sur
les éventuels « dangers de l'assistance technique de substitution,
ses charmes pour les dirigeants des pays aidés et le risque de
néo-colonialisme (p.28 et p.37 du rapport) »9. Partant
des éléments évoqués en dessus concernant le
contexte de naissance des accords de coopération, le caractère
« néocolonial » de la politique française de
coopération n'est plus à démontrer. En outre, les
mécanismes et les instances de cette politique sont héritiers de
l'époque coloniale et la dernière partie du rapport l'a
traité largement. Il s'agit d'une remise en cause de la
coopération et une proposition de réforme de structures
administratives de cette coopération. En effet, les deux
problèmes majeurs sont la dispersion des centres de décision et
le manque d'autonomie des institutions d'aide en charge de prendre des
décisions concrètes. Notons que cette partie n'a jamais
été publiée dans la presse du moins jusqu'en 1984. Nous
supposons que les critiques ont été trop sévères
à l'encontre du gouvernement. Par conséquent aucune
recommandation du rapport n'a été appliquée
immédiatement. Malgré le fait que cette partie du rapport est
rangée dans les tiroirs, il aura une réelle portée
historique car dix ans après ces mêmes interrogations ou critiques
ou encore remise en question vont resurgir.
Comme nous l'avons souligné au début de ce
texte, les années 1970 sont riches en évènements dans les
relations internationales d'une manière générale et
particulièrement dans celles franco-africaines. Nous allons voir que ces
bouleversements ont largement contribué à la demande de
révision des accords de coopération franco-africains. Tout
d'abord, abordons la position des pays désignés « pays en
voie de développement » qui se situent dans le Tiers monde sur la
scène internationale avec leur quête d'un nouvel ordre
économique mondial. Pour comprendre cet épisode, il est opportun
de connaître quelques événements clés. En effet,
8 Smouths Jacques Adda Claude Mari, La France face
au Sud : le miroir brisé, Paris, Editions Karthala, 1989, p.12.
9 Jeanneney Guillaumont Sylviane,op.cit, p11.
14
depuis 1964, le problème de sous-développement
des pays du Tiers monde est devenu une préoccupation pour les Nations
Unies avec la conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement. Les revendications des pays en voie de
développement sont la correction des termes de l'échange afin
d'atteindre un commerce mondial plus équitable. Ils réaffirment
leur position par la Charte d'Alger en 1967 et en 1971 par la
déclaration de Lima. Si la revendication du Tiers monde est
cohérente est dû au fait que ce bloc a su s'organiser depuis 1955
lors de la conférence de Bandoeng. Le tiers-monde est devenu un bloc
important avec l'accession à l'indépendance de la
quasi-totalité des pays qui étaient sous domination coloniale et
est en mesure de « changer » le cours de l'histoire. Ce sont ces pays
coalisés du Sud qui étaient les premiers à dénoncer
l'hégémonie du dollar. En 1972, ils portent l'idée d'un
nouvel ordre économique mondial lors de la 3e CNUCED par le biais de la
charte solennelle des droits et devoirs des États ». L'idée
se résume en ces termes : « établir d'urgence des normes
généralement acceptées qui régiront de
manière systématique les relations économiques entre les
États, reconnaître l'impossibilité d'instaurer un ordre
juste et un mode stable tant qu'une charte tendant à protéger les
droits de tous les pays, en particulier des pays en voie de
développement, n'aura pas été
formulé»10. Par conséquent les pays de l'OPEP
donnent le ton en 1973 en augmentant le prix du baril de pétrole et
poussent les pays riches à négocier. En outre, en 1974 lors de la
sixième session spéciale de l'Assemblée
générale de l'ONU, les pays du Tiers monde exposent quelques
orientations économiques. Ces dernières sont entre autres la
stabilisation dans le temps des revenus tirés des matières
premières après l'augmentation de leur prix. Faire passer leur
part dans la production industrielle mondiale de 8% en 1979 à 25% d'ici
2000 tout en demandant un transfert de technologie et un contrôle des
sociétés multinationales. Il a été question
également de la conversion en dons de la totalité des
créances des pays les moins avancés et sur une période de
grâce de cinq ans pour les créances des autres. L'ONU approuve par
consensus la déclaration du NOEI dont les bases sont
«l'équité, l'égalité
souveraine,l'interdépendance, l'intérêt commun et la
coopération entre tous les etats, indépendamment de leur
système économique et social, qui corrigera les
inégalités et rectifiera les injustices
actuelles»11. Parmi les principes les plus significatifs de la
charte, nous pouvons citer le principe (j) qui se résume ainsi:
«Rapports justes et équitables entre les prix des matières
premières, des produits primaires, des articles manufacturés et
semi-finis exportés par les pays en voie de développement et les
prix des matières premières, des
10 Colard Daniel, «La charte des droits et
devoirs économiques des Etats», In Etudes internationales,
1975, 6(4), p.447.
11 Assemblée
générale-Sixième session extraordinaire, Dossier 3201, 1er
mai 1974, p.4.
12 Idem
15
produits primaires, des articles manufacturés, des
biens d'équipement et du matériel importés par eux en vue
de provoquer, au profit de ces pays, une amélioration soutenue des
termes de l'échange, qui ne sont pas satisfaisantes, ainsi que
l'expansion de l'économie mondiale»12 Cependant cette
situation ne profite pas longtemps aux pays en voie de développement.
Leur nombre important, 77 au total n'a pas empêché les pays du
Nord à préserver leur supériorité
économique. L'échec du NOEI peut être expliqué par
le fait que le Tiers monde ne constitue pas un ensemble homogène mais
plutôt une multitude de pays avec des différences
économiques. Désormais il existe des Tiers mondes qui vont subir
les conséquences d'un système économique qui leur impose
le Programme d'Ajustement Structurel (PAS) dès 1980.
La position de la France sur le sujet est difficile à
cerner. Cependant nous savons que la France n'appréciait pas
l'hégémonie économique exercée par les
États-Unis. Il s'agit donc pour elle d'une occasion à saisir pour
déstabiliser cette hégémonie si la lutte du G77 aboutisse.
Elle a apporté son soutien en quelque sorte aux pays du Tiers monde
même si elle ne voulait pas l'affirmer. C'est dans ce cadre qu'elle a
tenté de réunir les grandes puissances économiques dans un
Congrès dans le but de trouver une solution à ces revendications
du Tiers monde, d'où l'appellation du G7 par opposition au G77. Ces
limites du combat des pays en voie de développement n'ont pas
empêché les pays africains de prendre conscience des enjeux et de
la nécessité de revoir leur politique de coopération avec
la France. Nous pouvons affirmer donc l'hypothèse selon laquelle le
contexte économique international a été décisif
dans la contestation et la remise en cause de la politique française de
coopération en Afrique.
Avant d'aborder les actions qui ont été
menées, nous tenons à souligner que la France n'était pas
indifférente aux incohérences de sa politique de
coopération. C'est la raison pour laquelle elle va demander une
étude sur le sujet. Il s'agit du rapport de Georges Gorse, homme
politique qui devient ministre de l'information dans le nouveau Gouvernement de
Pompidou de 1967 à 1968 avant de devenir diplomate et est chargé
par Jacques Chaban-Delmas d'un rapport sur la coopération en 1971. Ce
rapport n'a pas fait l'objet d'une publication mais nous savons que la ligne
directrice est axée sur une remise en question des modalités de
la politique française de coopération. Grâce à
quelques notes retrouvées dans les archives diplomatiques, nous pouvons
énumérer ces quelques passages permettent de s'en rendre compte :
une aide particulière pour l'organisation de force de
sécurité et d'une armée nationale. Cette forme de
coopération doit disparaître le plus rapidement possible, elle
présente en effet l'inconvénient grave de mêler les
assistants techniques à des responsabilités
16
de gestion qu'ils sont très mal placés pour
assumer et risque de retarder la prise de conscience par les nationaux de leurs
propres problèmes de développement »13. Le
rapport qualifie cette coopération comme : « une coopération
de substitution dans des États où la décolonisation est
achevée depuis plus de dix ans. La coopération technique
française demeure beaucoup trop orientée vers les tâches de
gestion et n'a pas donné une priorité suffisante à la
formation des personnels nationaux qui pourraient assumer la relève
»14. Le rapport recommande « une politique plus active de
prospection et de recrutement de personnel qualifié pour la conception
et la mise en oeuvre des programmes d'assistance technique
multilatérale. Cette politique devra porter une attention
particulière aux zones géographiques où notre
présence devrait être plus marquée notamment en Asie, au
Moyen Orient et en Amérique Latine »15. Le rapport a
réitéré les recommandations du rapport Jeanneney à
savoir élargir la zone d'intervention et se défaire de son
pré-carré. Ces recommandations ne seront pas appliquées
par le Gouvernement qui ne cesse de demander des rapports sur le sujet. Nous
faisons allusion à la commission d'études dirigée par
Serge Michailof en 1993 dont nous aborderons dans le paragraphe état de
l'art. Nous ne sommes pas en mesure d'affirmer si le rapport Gorse a fait
échos au niveau des États africains. Cependant nous avons
remarqué que ses observations et ses préconisations ont
donné le ton à ces derniers. Dès lors une vague de
contestations des accords de coopération franco-africaine se dessine
dans tout le pré-carré.
Ce sont les événements de mai 1972 à
Madagascar qui furent l'élément déclencheur. En effet,
Madagascar fut le théâtre d'un vaste mouvement de contestation qui
va aboutir à une révolte. « Ses acteurs contestent la
réalité de la rupture avec la France, récusent la
pertinence de sa commémoration et demande une autre indépendance,
cette fois réelle, débarrassée du poids écrasant de
l'ancienne puissance coloniale »16. Parmi les revendications
nous pouvons retenir la révision des accords de coopération
signés depuis juin 1960, l'usage de la langue malgache en lieu et place
de la langue française et le remplacement des cadres français par
des Malgaches. Et plus signifiant encore lors de la journée sanglante de
mai 1972 on peut lire dans une banderole les mots : « Étudiants et
travailleurs luttent ensemble pour que les Accords de coopération soient
réduits en cendre comme l'Hôtel de ville »17. A
travers ce mouvement, il est clair que la remise en cause du partenariat
franco-malgache fut la
13 Archives diplomatiques, La Courneuve, Direction
des affaires africaines et malgaches, Coopération 1959-1979, 52-02, no
238.
14 Idem.
15 Idem.
16 Blum Françoise, « Madagascar 1972 :
l'autre indépendance. Une révolution contre les accords de
coopération », In Mouvement Social, 2011/3, (no 236),
pp.61-87.
17 Idem.
17
préoccupation première des manifestants. C'est
un événement phare dans les relations franco-africaines et
mérite une étude beaucoup plus ample. Mais il nous
intéresse ici du fait qu'il y a eu similitudes avec les
évènements de mai 1968 au Sénégal. Pourtant ces
derniers étaient particuliers dans le continent africain mais n'ont pas
eu l'échos du mai 1972 malgache. En d'autres termes, il n'a pas
réussi à mobiliser le reste des ex-colonies dans sa mouvance.
Nous aborderons ce mouvement dans notre première partie. Il faut retenir
que le mouvement malgache a été un succès car dès
1973, les accords de coopération sont renégociés et la
malgachisation devient effective dans l'enseignement primaire et secondaire. Le
cas malgache a sonné le glas dans le cas où il appelle à
une rupture avec l'ancienne métropole. Nous n'avons pas repérer
un cas pareil dans le continent pendant cette même année,
cependant, il va inspirer quelques pays à l'instar de la Mauritanie.
Cette dernière demande une révision complète de ses
accords de coopération avec la France et décide de sortir de
l'UMOA. La tendance s'élargit dans les autres pays mais par voie de
négociations. Ce fut le cas du Sénégal que nous avons
choisi comme exemple.
Le Sénégal occupe une place
privilégiée dans les relations franco-africaines. Ce statut est
dû certainement au fait qu'il a été la première
colonie française d'Afrique subsaharienne, son laboratoire dans le cadre
de la mise en valeur des colonies. Enfin, il fut la capitale de l'AOF.
18
Problématique et rappel
historique.
Les relations franco-sénégalaises constituent
une vieille tradition. Les premiers contacts datent du XVe
siècle après la découverte des côtes africaines par
les explorateurs européens. Cependant, l'installation des
Français au Sénégal ne sera effective qu'à partir
de 1659 avec leur première fortification à Saint-Louis. Par la
suite ils obtiennent la concession définitive de Gorée des
Anglais en 1814 grâce au traité de Paris. Gorée a
été un lieu très convoité par les Anglais et les
Français même si elle n'avait pas encore son importance dans le
commerce atlantique. Ceci est sans doute dû à son emplacement
signifiant en portugais « bonne rade » d'après une expression
de Boubacar Barry dans La Sénégambie du XVe au XIXe
siècle. Traite négriere, islam et conquete coloniale, par
opposition à Saint-Louis qui était réputé
difficile. Les Français vont l'occuper en 1667 avant de la perdre en
1780 au profit des Anglais. Par la suite, elle reste française et
devient un lieu stratégique dans le domaine commercial. C'est à
partir de cette période que Français et Sénégalais
entrent en relation de manière durable à partir d'un
système d'échange dont l'esclave était au centre. Pendant
cette période, nous pouvons parler d'un commerce relativement
équilibré dans la mesure où Français et
Sénégalais y participaient de manière libre. Cependant, du
fait de certains traités, les chefs africains étaient
poussés à commercer exclusivement avec les autorités
françaises. Pour une étude plus poussée, nous pouvons
référer aux travaux de Boubacar Barry cité en dessus et
ceux de Mbaye Gueye, L'Afrique et l'esclavage. Une étude de la
traite négriere.L'esclavage est un sujet encore sensible et
complexe, dont nous ne pouvons effectuer l'analyse nécessaire dans ce
travail mais il constitue un des épisodes des rapports
franco-sénégalais. Non seulement Gorée a été
un entrepôt d'esclaves et de marchandises dans le commerce triangulaire
mais aussi un lieu de brassage culturel. Par conséquent une importante
communauté est née de ce brassage et va jouer un rôle
déterminant dans la gestion de la future colonie du
Sénégal. Aujourd'hui, le rôle de Gorée dans la
mémoire de l'esclavage n'est plus à contester et elle devenue
patrimoine mondiale de l'Unesco depuis 1980. Saint-Louis aussi a eu un
rôle important dans ces relations au point de devenir l'un des principaux
emblèmes de la présence française au
Sénégal. Cette phase, qu'on peut qualifier de
précoloniale, est déterminante dans les relations
franco-sénégalaises. Par la suite, après l'abolition
officielle de l'esclavage en 1848, les Français se sont lancés
dans la conquête intérieure du pays qui est effective en 1854. Le
sujet fut amplement traité par Alain Sinou dans Comptoirs et villes
coloniales du Sénégal: Saint-Louis, Gorée,
Dakar.(1993), Boubacar Barry, Samir Amin dans
19
Le royaume du Waalo: le Sénégal avant la
conquête.(1983) Cette stratégie a totalement modifié
les rapports entre les deux peuples. C'est le début de la conquête
coloniale qui fut le théâtre d'affrontement entre
résistants et conquérants pour le contrôle du territoire
qui correspond à l'actuel Sénégal et qui était
dominé par plusieurs royaumes dont les plus importants furent ceux du
Cayor, du Waalo, du Baol, du Fouta Toro et du Sine-Saloum. Chaque royaume
était dirigé par un roi administré par ses vassaux. Les
relations entre royaumes étaient parfois conflictuelles et cordiales
aussi par le biais des alliances. Cette situation a joué à la
faveur des Français qui appliquent la règle « diviser pour
mieux régner ». Les affrontements ont été sanglants
et les pertes furent importantes. La résistance contre la conquête
coloniale n'était pas seulement armée mais également
pacifique avec les autorités religieuses comme Cheikh Ahmadou Bamba, le
fondateur du mouridisme qui est la plus importante confrérie religieuse
du Sénégal. Malgré leurs efforts, la conquête sera
effective grâce à Faidherbe qui était le Gouverneur de
Saint-Louis de 1854 à 1861. A partir de ce moment le
Sénégal devient une colonie française et ses habitants des
sujets de l'Empire. Les autorités coloniales vont appliquer une
administration directe et assimilationniste sur le territoire. Cependant, il
est important de savoir que les habitants des quatre communes à savoir
Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque étaient des citoyens
français. Ils avaient des représentants à
l'Assemblée nationale française du fait qu'ils sont
composés en majorité de blancs et de métis avant que les
noirs envahissent la scène politique avec leur premier
député Blaise Diagne. Cette situation prévaut jusqu'en
1946 avec l'Union française puis la loi cadre en 1956 qui supprime
l'indigénat. Puis, en 1958, la Communauté va permettre la gestion
interne du pays par l'élite naissante. Cette communauté a
évolué pour donner naissance à la République du
Sénégal en 1960 après l'éclatement de la
Fédération du Mali en 1959. La Fédération,
très éphémère à cause des divergences entre
les figures politiques des deux pays, a demandé l'indépendance et
a signé les premiers accords de coopération avec la France.
Après son éclatement le Sénégal fut
l'héritier de ses accords de coopération dont le premier fut
celui portant sur le transfert des compétences. Comme nous l'avons
déjà souligné plus haut, la condition de
l'indépendance était en quelque sorte la signature des accords de
coopération si on se réfère aux échanges de lettres
entre le gouvernement de la République française et celui de la
Fédération : « Je vous serais obligé de vouloir bien,
en me donnant acte de cette communication, me confirmer que dès que la
proclamation de l'indépendance du Mali, le Gouvernement de la
Fédération procédera à la signature des accords
définissant les principes et les modalités de la
coopération librement instaurée entre la République
française et la Fédération du Mali au sein de la
Communauté rénovée ainsi que l'accord multilatéral
sur les
18 Archives nationales de Paris,Coopération,
Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.
20
droits fondamentaux des nationaux des Etats de la
Communauté »18. Cet accord figure dans la liste des
accords signés par la France et le Sénégal.
Les accords de coopération
franco-sénégalaise couvrent tous les secteurs et ont pour
objectif d'accompagner le pays nouvellement indépendant dans son
développement économique et social. Désormais, ce sont ces
accords de coopération qui régissent les relations
franco-sénégalaises. Durant toute la première
décennie de l'indépendance le système demeure intact et
obtient l'approbation des deux parties. En revanche, la vague de contestation
qui a touché tout le continent n'a pas épargné le
Sénégal et Françoise Blum dans Révolutions
africaines. Congo, Sénégal et Madagascar, l'a largement
étudié. En 1973, le Sénégal demande la
révision de ses accords de coopération avec la France. Cette
phase constitue un tournant dans les relations françaises
postcoloniales. Les négociations vont démarrer début 1974
et les nouveaux accords vont être signés pour la plupart en mars
et septembre de la même année. Cependant, les nouveaux accords de
coopération n'entreront en vigueur qu'en 1975. Date qu'on a retenu comme
point de départ dans ce travail et 1982 comme limite. Cette tranche
chronologique couvre toute la présidence de Valéry Giscard
d'Estaing et semble annoncer un point de rupture dans les relations
franco-africaines.
Pourquoi le choix d'un tel sujet ? Notre choix est parti du
constat de la rareté des travaux sur l'histoire des relations
franco-sénégalaises. Les études qui traitent du sujet
relèvent de l'économie, du journalisme et de la politique. En
outre, nous avons remarqué durant notre cursus scolaire et surtout
universitaire que les travaux sur les rapports franco-sénégalais
se limitent à la colonisation. Nous voulions comprendre pourquoi la
phase postcoloniale, qui est dense, n'est guère prise en compte par les
chercheurs. C'est donc d'abord pour combler un certain ce vide
historiographique que nous avons choisi ce thème et cette
période. Par ailleurs, la question des rapports diplomatiques
franco-sénégalais est aussi intéressante à analyser
dans le cadre plus large des relations internationales d'une manière
générale et particulièrement dans les relations Nord-Sud.
L'exemple du Sénégal reflète assez bien l'évolution
des rapports entre pays nouvellement indépendants et une
ex-métropole. Il est à noter que depuis les années 1980,
la présence française en Afrique a commencé à
diminuer au profit notamment de la Chine. Des observateurs comme l'auteur Adama
Gaye dans son ouvrage intitulé Chine-Afrique: le dragon et
l'autruche. Essai d'analyse de l'évolution contrastée des
21
relations sino-africaines. (2006) ou bien encore
celui de Thierry Bangui, La Chine, un nouveau partenaire de
développement de l'Afrique. Vers la fin des privilèges
européens sur le continent noir?(2009), s'intéressent
beaucoup à ce phénomène et soutiennent que la «
Chine-Afrique » est devenue une alternative à la France-Afrique. Ce
sont des questions qui méritent une étude précise et
l'histoire est la discipline la mieux placée pour accomplir cette
tâche.
Au départ nous avions même envisagé de
faire une étude comparative entre les deux modes de présence.
Mais nous avons jugé que même si les méthodes
employées par la Chine ressemble beaucoup à celles des
Français, il serait difficile pour nous d'enquêter sur la «
Chine-Afrique » dont l'analyse relève d'une histoire
immédiate. Finalement nous avons limité notre étude
à la seule coopération franco-sénégalaise pour
laquelle nous avons plusieurs interrogations :
- Peut-on parler de partenariat entre le Sénégal et
la France ?
- Le terme « néocolonialisme » peut-il
être appliqué aux relations franco-sénégalaises ? -
La coopération franco-sénégalaise a-t-elle
été décisive dans le développement du
Sénégal ?
Pour répondre à ces questions, nous nous sommes
appuyés sur des documents officiels présents aux archives
nationales et diplomatiques de la France. Mais avant d'exposer les
résultats de nos recherches au niveau des archives, nous allons faire un
état des lieux de la bibliographie.
22
État des lieux de la
bibliographie.
La première remarque qui s'impose est la rareté
de la production historique sur le sujet surtout au niveau africain. Cette
situation est peut-être due au fait que c'est une histoire un peu
récente et que la plupart des archives ne sont pas ouvertes. Cependant
un travail pionnier dans la coopération franco-africaine a
été mené par deux historiennes. En 2012, est paru un
ouvrage collectif coordonné par deux historiennes Françoise
Raison-Jourde et Odile Goerg, Les coopérants français en
Afrique. Portrait de groupe (années 1950-1990). L'ouvrage a pris
l'initiative de retracer le parcours des coopérants en prenant en compte
leur motivation, leur vécu et leur retour en France. Il a
distingué les différentes générations en partant
des anciens élèves de l'ENFOM jusqu'aux jeunes volontaires. Il
demeure utile pour le cas du Sénégal dans le cadre où il a
étudié des Portraits de coopérants antillais et guyanais
au Sénégal. Par la suite, est paru Coopérants et
coopération en Afrique: circulations d'acteurs et recompositions
culturelles(des années 1950 à nos jours, dans la revue
d'Histoire d'Outre-mer en 2014. La publication est récente mais
elle a eu le mérite d'initier cette historiographie. C'est un ouvrage
capital pour la compréhension de l'histoire de la coopération
franco-africaine du fait de sa méthodologie mais plus important de
l'expérience de ses auteurs qui étaient des coopérantes.
Ces dernières s'appuient autant sur des témoignages d'anciens
coopérants et de leurs partenaires dans les pays d'accueil que sur un
travail documentaire (archives, revues de coopérants etc.). Les auteurs
nous ont suggéré les pistes à explorer en ces termes :
« Les contemporains ont réorienté la recherche vers
l'Administration coloniale et la coopération : ruptures et
continuités, les Interactions entre les coopérants et leurs
partenaires en situation universitaires ou scolaire l'Interrogation concernant
les circulations et les informations des pratiques et des savoirs et enfin
l'ouverture d'autres formes de coopération »19.
L'ouvrage ne mentionne néanmoins pas le cas du Sénégal,
mais ses conclusions peuvent lui être appliquées.. Quant à
la coopération franco-sénégalaise à proprement
parler, nous n'avons pas trouvé de travaux d'historiens sur le sujet.
Cependant des lectures alternatives nous ont permis de combler ce vide. En
effet diverses disciplines l'ont abordé à savoir : la sociologie,
le journalisme, le droit, l'économie etc. Nous allons en exposer
quelques-uns :
Le premier ouvrage important sur la coopération
franco-sénégalaise est celui d'Albert Bourgi, intitulé
La politique française de coopération en Afrique : le cas du
Sénégal20. C'est un texte
19 Goerg Odile, Suremain de Marie-Albane (dir.),
« Coopérants et coopération en Afrique. Circulation
d'acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos
jours) », In Outres-mers revue d'histoire, tome 101, no 384-385,
2014, p8.
20 Bourgi, op. cit.
21 Idem p. 13.
23
qui a valeur de sources pour notre recherche, car il a
été publié en 1979. Il est issu d'une thèse
d'État, soutenue le 30 septembre 1976. Malgré le fait qu'il est
un ouvrage juridique, son contenu dépasse ce cadre et englobe plusieurs
aspects comme l'histoire, l'économie, la politique etc. Cette oeuvre est
capitale pour la compréhension non seulement des relations
franco-sénégalaises mais aussi celles franco-africaines.
L'ouvrage est riche en documentation du fait que l'auteur connaît les
deux pays puisqu'il a occupé des fonctions dans l'administration
sénégalaise, ce qui lui permet d'accéder à des
informations capitales. Il reste volumineux avec plusieurs thématiques.
Il ne se limite pas au seul cas du Sénégal, des comparaisons avec
d'autres pays sont faites et tous les aspects de la politique française
de coopération sont pris en compte. Bourgi commence par une
définition de la coopération d'une manière
générale pour une meilleure compréhension de celle
française. Il nous a présenté les mécanismes, les
objectifs et les institutions de la politique française de
coopération en Afrique. Selon ses dires, il est difficile
d'élaborer une politique de coopération pour la France du fait
qu'elle poursuit « deux objectifs contradictoire à savoir :d'une
part, assumer une part de responsabilité à l'égard de
l'ancien Empire en octroyant l'aide matérielle et culturelle
nécessaire à la réalisation des objectifs de
progrès économique et social, d'autre part conserver une place
privilégiée dans la vie politique, sociale et culturelle des
nouveaux Etats et par la même occasion substituer à la domination
directe une forme nouvelle d'influence certes diffuse mais aussi dangereuse que
la précédente »21. Pour lui, l'une des
incohérences de cette politique de coopération est la dispersion
de ses institutions qui doivent être rattachées à un seul
organisme. Pour le cas du Sénégal, son idée principale est
de voir comment les règles établies par les textes ont
été mises concrètement en application et les
résultats sur les relations entre la France et le pays. Il a
également fait une comparaison avec un pays comme le Madagascar dont le
cas s'éloigne de celui sénégalais dans cette seconde phase
des relations franco-africaines postcoloniales. Dans l'ensemble c'est un texte
bien structuré avec un plan bien détaillé. La
documentation est riche et variée. La première décennie de
la coopération franco-sénégalaise est bien
analysée. Cependant l'auteur a tendance a affirmé que le
Sénégal a du mal à se libérer de la
dépendance française. Alors que des efforts ou le besoin de
changement ont été présents depuis 1968. La
sénégalisation des entreprises qui a été
commencé depuis 1970 devrait être prise en compte dans cette
étude. Dans une note pour le ministre de l'ambassadeur français
au Sénégal du 23-9-73, il déclare que le «
président Senghor a fortement marqué sa volonté de faire
accélérer le processus de transfert aux nationaux des
responsabilités économiques et cela par le biais :d'une
sénégalisation des
24
emplois, étendus d'ici 1980 à tous les postes
sénégalisables en vue de laquelle les entreprises ont
été priées de présenter un plan
détaillé avant la fin de l'année, du transfert au
Sénégal des centres de décision, une insertion progressive
des hommes d'affaires sénégalais dans les structures de
l'économie ». Pour les nouveaux accords de coopération,
l'auteur ne nous a pas fait part des moments de négociations qui
étaient primordiales. Nous avons réussi à retrouver des
traces sur ses journées de négociations. Mais nous pouvons
comprendre que ces dernières n'étaient pas
médiatisées et l'auteur n'a pas pu avoir les informations
nécessaires. Nous avons réservé un chapitre entier
à cette phase de négociations dans notre deuxième partie.
C'est un ouvrage à valeur de sources, en revanche je pense que ses
conclusions sont hâtives. Au moment de la rédaction du texte, les
nouveaux accords venaient d'être publiés dans le Journal
officiel de la République française et il était
très tôt de mesurer leur impact dans les rapports entre les deux
pays. L'oeuvre de Bourgi reste fondamentale pour nous, car il a eu le
mérite de mener une réflexion sur la politique française
de coopération en Afrique. En outre, son statut de juriste reste
essentiel pour la compréhension des accords de coopération. Et
enfin son cas d'étude à savoir le Sénégal est bien
représentatif de cette coopération. C'est un texte qui m'a
été précieux du fait des informations et des analyses
qu'il livre et de sa bibliographie. Je ne prétends pas prendre sa suite
mais la compléter en partie grâce aux archives que j'ai pu
consulter.
Un deuxième ouvrage a été très
important pour ma recherche : Coopération et néocolonialisme
de Sally Ndongo. C'est un texte un peu particulier du fait que l'auteur
est un syndicaliste qui exprime un point de vue et s'exprime de manière
très différente de ce que l'on peut lire habituellement sur la
coopération. Ndongo est en effet un militant qui était
très engagé dans la communauté africaine immigrée
en France dans les années 1960 et 1970. Il est le fondateur de l'Union
générale des travailleurs sénégalais en France en
1961. Quand on plonge dans son essai, c'est le ton employé qui le
distingue. On peut le qualifier de manifeste qui dénonce la politique
française de coopération. Il considère cette
coopération comme un outil de ré-exploitation du continent qu'il
qualifie de « néo coloniale ». La deuxième partie de
son ouvrage peut étayer nos dires et il utilise l'expression nouvelle
orientation de l'impérialisme français en Afrique : « Si les
Français continuent à exploiter la presque totalité des
richesses africaines et bénéficient de vivre librement en
Afrique, il n'en est pas de même pour les africains vivant en France.
Victimes du pouvoir politique, de la répression policière,
exploités par les patrons, intimidés par certaines organisations
d'« aide aux migrants », abandonnés par le gouvernement,
négligés par leurs compatriotes intellectuels africains et
25
victimes de la racaille de toutes sorte, les travailleurs
africains ne sont pas prêts à voir résolus leurs
problèmes »22. La lecture de ce livre nous laisse penser
qu'il s'agit d'une expression de l'indignation suscitée par la condition
difficile des immigrés africains en France. S'il s'agit d'un essai et
non d'une recherche scientifique, celui-ci a sans doute eu un impact sur les
autorités sénégalaises. En effet, dans les nouveaux
accords de coopération surtout en matière de circulation des
personnes et d'établissement, ces dernières ont supprimé
toute notion d'assimilation. Désormais les Français sont des
étrangers comme les autres ressortissants et sont obligés
d'être conformes à la législation du pays sur les
étrangers. Cependant des facilités leur ont été
faites. Nous y reviendrons amplement. Dans une correspondance de l'ambassadeur
français au Sénégal on peut noter ceci : « Pour
informer nos compatriotes des nouvelles dispositions les concernant en
application du nouvel accord sur la circulation des personnes. Il ressortait de
ce communiqué que des facilités étaient accordées
à nos ressortissants résidents au Sénégal pour
régulariser leur situation en déposant aux services de police
leur demande de carte d'étranger entre le 1er et le 31 mars 1975
»23. Nous ne pouvons pas dire pareil du côté
français. En effet, les immigrés sénégalais furent
victimes de mauvais traitements : « des refoulements dont sont victimes
des ressortissants sénégalais pourvus d'un visa
délivré par leurs autorités est en effet du point de vue
sénégalais en violation de l'accord de circulation du 29 mars
1974 »24. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans la
troisième partie sur les effets des nouveaux accords de
coopération.
Si nous regrettons l'absence de références
à ses sources dans l'ouvrage de Ndongo, nous pouvons lui
reconnaître une description précise des relations
franco-africaines. Il s'agit du témoignage de quelqu'un qui a subi les
effets de cette coopération. Or, il n'est pas facile de trouver un point
de vue d'un sénégalais sur le sujet. Il a donc le mérite
de nous offrir ce vécu que beaucoup d'ouvrages évacuent. Dans
notre dernière partie, nous ferons appel à lui quand nous nous
pencherons sur les conséquences de cette coopération et le
ressenti des populations. Il faut savoir que des sommes importantes sont
déboursées dans le but d'aider ces dernières. Donc il est
nécessaire de savoir si cette aide a vraiment touché les
destinataires sans oublier le contact avec les agents de coopération. De
fait, j'estime que le livre de Ndongo, replacé dans son contexte,
constitue en soi un ouvrage critique tout à fait utile pour analyser la
coopération franco-africaine.
22 Ndongo Sally, Coopération et
néocolonialisme, Paris, Maspero, 1972, 199 p.
23 Archives nationales de Paris,Coopération,
Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission
(1959-1985),cote 20000137/1-20000137/4.
24 Idem
25 Feuer Guy, « La révision des accords
de coopération franco-africains et franco-malgaches. »,
Annuaire français de droit international, volume 19,1973, p.
720.
26
Toujours dans la perspective de mieux comprendre notre sujet,
nous estimons que l'article de Guy Feuer intitulé « La
révision des accords de coopération franco-africains et
franco-malgaches », est indispensable. C'est également un
texte qui a valeur de sources puisqu'il a été publié en
1973. Il aborde la question du contexte de révision des accords de
coopération franco-africaine et malgache. Autrement dit, quelles sont
les causes d'un tel changement. Pour l'auteur, ceci résulte des
mécanismes du système ainsi que de son objectif : « Les
accords franco-africains correspondaient du côté français
à un projet unique, à une sorte de « grand dessein» qui
succédait à la communauté agonisante et qui exprimait une
vision politique ordonnée et du côté des États
africains, à la volonté de conjoindre une aspiration authentique
à l'indépendance avec le maintien des liens verticaux et
horizontaux tissés par l'histoire et maintenus par une
décolonisation amiable »25. Il a avancé la
thèse selon laquelle, l'objectif visé par la coopération
franco-africaine, à savoir accompagner le développement des pays
nouvellement indépendants, est contradictoire dans la pratique. Cette
dernière s'incline plus à la poursuite du rayonnement de la
France sur le plan international qu'aux moyens de développement des
ex-colonies. Nous avons déjà évoqué ce point plus
haut à travers le rapport Jeanneney qui avance plutôt les raisons
morales. Son analyse laisse apparaître aussi l'intérêt
économique et stratégique de la politique française de
coopération en Afrique. C'est son objectif contradictoire à la
pratique qui serait à l'origine des bouleversements du système de
coopération. Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte international
de l'époque qui semble jouer un rôle déterminant dans ce
processus. L'auteur met par ailleurs l'accent sur la division des États
africains quant à la tentation de réviser les accords de
coopération. Il distingue à ce propos deux groupes à
savoir les pays qui ont quitté la zone Franc à l'instar de la
Mauritanie et du Madagascar d'une part et, d'autre part, les États
africains qui ont y demeurer. D'après nos connaissances, cette division
affirme le caractère bilatéral de la coopération
franco-africaine. Elle s'adapte en fonction de la position des pays
vis-à-vis de la France. Feuer n'avait pas la possibilité de
formuler des conclusions définitives quant au processus en cours qui ne
faisait qu'être entamé. Mais nous serons en mesure de donner suite
à son travail pour le cas du Sénégal. Grâce aux
sources archivistiques, nous savons suivant quelles modalités le
Sénégal a souhaité réviser ces accords en 1974.
Enfin, il est difficile d'aborder la question de la
coopération dans les années 1970, sans avoir recours au point de
vue des experts qui ont écrit sur le sujet ultérieurement. Pour
ce faire nous avons travaillé sur l'ouvrage dirigé par Serge
Michailof, La France et l'Afrique. Vade-mecum
26 Michailof Serge (dir.), La France et
l'Afrique. Vade-mecum pour un nouveau voyage, Paris, Karthala,1993,
p.57.
27
pour un nouveau voyage. C'est un ouvrage collectif
dont l'objectif était de faire le bilan de la coopération
franco-africaine après quatre décennies. Il s'agit en quelque
sorte d'un diagnostic général sur le sujet et pour
répondre à la demande de la ministre de la coopération et
du développement, Edwige Avice qui désirait connaitre le
degré d'efficacité de la coopération française en
Afrique. Elle n'a pas échappé à la tradition
initiée par le rapport Jeanneney. En tant qu'homme de terrain, le
directeur de cet ouvrage maitrise bien le sujet et fournit une analyse
indépendante. Il procède d'abord par une série
d'interrogations : la coopération française n'oublie-t-elle pas
les plus déshérités ? Quel rôle a, dans le contexte
préoccupant du continent, cette coopération ? Contribue-t-elle
à enfoncer le continent où à le faire émerger? Des
questions pertinentes qui tout au long du livre sont l'objet de diverses
tentatives de réponses. Mais parmi les limites de la coopération
franco-africaine pointée dans l'ouvrage demeure
l'inégalité des rapports. Selon Michailof « coopérer
c'est collaborer, il ne peut y avoir de coopération réelle entre
un donateur et un quémandeur »26. Ensuite, il a
souligné la dispersion des institutions de la coopération qui
sont exclues du ministère des affaires étrangères. Par
exemple sur le plan financier deux organes différents sont
distingués à savoir le Fond d'Aide et de Coopération (FAC)
et la Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE), qui affirment le
manque de coordination des institutions de la coopération. Mais la
principale limite mise en avant porte sur l'organisation de cette
coopération franco-africaine. En effet, cette dernière
était confiée au Secrétariat des affaires africaines et
malgaches qui rendait compte directement au chef de l'État. En outre, il
faut souligner la mauvaise répartition par secteur d'activité et
les projets à long terme très inadaptés au
développement des pays concernés. C'est ce qui pousse les auteurs
de ce document à s'adresser d'une part aux Français et aux
Africains, surtout à sa jeunesse, pour leur dire comment l'argent de
l'aide est utilisé. Cependant, ce livre ne met pas en avant que les
limites de la politique française de coopération en Afrique. Il a
abordé les réussites de cette dernière. Parmi celles-ci
figure la coopération décentralisée qui a pour champ de
prédilection l'appui aux collectivités locales. En effet, les
collectivités françaises ont des compétences et des
savoir-faire directement opérationnels pour leurs partenaires africains.
Par exemple, le projet « Pader (Projet d'animation et de
développement de Bignona avec le département de la Savoie) a
suscité la création de groupement d'intérêt
économique pour la gestion des services urbains comme les ordures
ménagères ». Les experts recommandent aux autorités
de sortir du pré-carré pour intégrer d'autres pays qui
pourraient jouer un rôle déterminant dans l'économie de la
région,
28
comme ce fut le cas du Nigéria. Et d'être
conscient que le temps du néo-colonialisme est révolu et que les
Africains sont conscients maintenant des enjeux de cette coopération :
« Lorsqu'on interroge les Africains, on est également frappé
par l'importance que revêt à leurs yeux la notion de partenariat.
Ils attendent de notre part une relation beaucoup plus contractuelle et
diversifiée. Ils refusent de se laisser enfermer dans les formes de
coopération traditionnelles et font remarquer que les temps ont
changé »27.
Il s'agit en somme d'un ouvrage très riche qui a
réussi à faire un diagnostic et à proposer des solutions
pour rendre efficace la coopération franco-africaine. Cependant, il
risque de subir le même sort que les rapports précédents en
l'occurrence des rapports Gorse de 1971 et Abelin de juin 1975 à la
demande du Président Giscard d'Estaing et confié à son
ministre de la coopération Pierre Abelin. Une production de ce type,
nous laisse affirmer que chaque présidence depuis De Gaulle a
tenté à sa manière de préserver une politique de
coopération en Afrique. Néanmoins, les fondements du
système ont résisté au fil du temps malgré les
remaniements. La tranche chronologique de notre sujet qui coïncide avec la
présidence de Giscard d'Estaing, qui se présentait comme un
modernisateur de la politique africaine de la France, le prouve à
merveille.
27 Idem, p.12.
29
Aux archives nationales de Paris, les informations relatives
à la coopération franco-sénégalaise sont
inventoriées dans les fonds d'archives du ministère de la
Coopération.
Méthodologie
Ces quelques références sont loin d'être
exhaustives tant la bibliographie sur la coopération franco-africaine
est très variée. Mais il faut rappeler que nous nous concentrons
exclusivement sur la coopération franco-sénégalaise. Notre
but est bien de savoir quels types de relations entretiennent les deux pays ?
Pour ce faire, nous avons pris un certain recul en commençant en 1960,
date de l'indépendance, tout en sachant que les relations
franco-sénégalaises remontent au XVe siècle. La
méthodologie employée a été de lire d'abord des
ouvrages clés de la bibliographie existante pour avoir un aperçu
global sur le sujet. Ces lectures m'ont fait comprendre que le
Sénégal n'est pas un cas exclu des relations franco-africaines
mais plutôt un exemple parmi tant d'autres. Mais il est clair que
l'essentiel de mes recherches a consisté à consulter et exploiter
des documents déposés aux archives nationales à Paris, aux
archives diplomatiques à la Courneuve.
Quand nous avons choisi ce sujet, nous avons été
avertis par un éventuel manque de documentation. Et ce fut en effet le
cas au Sénégal où les archives nationales ne disposent pas
de beaucoup de documents sur le sujet. Nous ne savons pas aussi si les sources
existent ou bien nous ne sommes pas autorisés à y accéder.
Jusqu'à présent nous n'avons pas d'explications satisfaisantes.
Les rares documents que nous avons pu consulter étaient regroupés
dans la série intitulée « Coopération internationale
». Pour la plupart, ce sont des coupures de journaux contemporains qui
relatent la conclusion ou la mise en place d'un projet entre les deux pays.
Cette situation se dresse souvent aux chercheurs africains qui ne disposent pas
des moyens nécessaires dans le continent surtout pour les sciences
sociales qui restent marginales. Par conséquent, nous avons surtout eu
recours aux archives de l'ancienne métropole pour pallier ce manque de
sources. En effet, les archives nationales de Paris nous ont fourni assez
d'informations sur la coopération franco-sénégalaise. Le
principal souci que nous avons rencontré est la crise sanitaire
liée au Covid qui a entraîné la fermeture des archives
pendant un certain temps et aussi la difficulté de trouver une place en
salle de lecture après la réouverture. De fait, nous n'avons pas
eu le temps de consulter tous les documents disponibles sur le sujet.
30
Ces archives sont regroupées par secteurs ou services.
Nous allons prendre quelques exemples :
Coopération, Cabinet et service rattachés au
ministre, chargé de mission (1959-1985), cote
20000137/1-20000137/75. Dans ce répertoire y figure le fonds complet du
Sénégal dont l'intervalle de cote est 20000137/1-20000137/31. Ce
fonds contient des documents de diverses natures. Ce sont des documents
produits par l'administration publique. Nous avons parcouru plusieurs cartons
qui nous ont permis de formuler nos hypothèses. Le fonds est
structuré en deux grandes parties à savoir A) Cadre juridique et
grandes lignes de la coopération franco-sénégalaise B) FAC
et autres financements. C'est la première partie que nous avons beaucoup
sollicitée. Elle comporte trois divisions intéressantes : Accords
et conventions liant le Sénégal et la France, Dialogue
intergouvernementale et Orientation générale de la
coopération franco-sénégalaise. En complément nous
avons consulté des fonds d'autres services du ministère de la
Coopération. Il s'agit entre autres :
Coopération, Chargé de mission auprès
du ministre de la Coopération (1976-1983), cote
19850097/13-19850097/15. Il contient des documents du cabinet de Jean-Pierre
Cot, ministre délégué chargé de la
coopération et du développement. Ces documents sont
classés par pays. Pour le Sénégal, ils se retrouvent au
carton 8 (19850097/8),
Coopération, Direction du développement
économique (1960-1983), cote 19860024/1-19860024/27. Il a
répertorié toutes les activités et fonctionnement de cette
direction avec tous les services confondus. Ce qui fait que nous n'avons pas
tiré grandes choses,
Coopération, Direction des politiques du
développement, services des politiques bilatérales. Bureau
Afrique de l'ouest (1968-1982), cote 19850153/1-19850153/12. C'est un
fonds qui a été très utile. En effet, il renferme les
dossiers de chargés de mission géographique envoyés au
Sénégal. Ces dossiers prennent en compte l'enseignement, la
recherche scientifique, les voyages officiels, les infrastructures, le commerce
et l'industrie,
Coopération, Direction des politiques du
développement (1962-1984), Secrétariat des programmes. Ce
fonds est réservé aux financements du FAC.
Nous avons également consulté le
répertoire Enseignement supérieur et universités,
Direction général des enseignements supérieurs
(1959-1969), cote 19770510/1-19770510/12. Le carton F bis 2 nous a fourni
des renseignements sur la naissance et le développement de
l'université
28 Archives nationales, Paris,Coopération,
Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission
(1959-1985), cote 20000137/1.
31
de Dakar. Ce qui nous a servi dans notre première
partie particulièrement sur les événements de mai 1968
à l'université.
Le dépouillement de ses archives montre une multitude
de documents. Nous y retrouvons des copies d'accords de coopération, de
conventions ou encore de projets d'accords de coopération. A cela il
faut ajouter les notes du ministère de la coopération, les
correspondances des ambassadeurs français au Sénégal
à leur ministre de tutelle. Il ne faut pas oublier les compte-rendu de
réunion du comité interministériel
franco-sénégalais, les notes de ministres des rapports de
mission, les statistiques relatives aux agents de coopération, aux
financements et au budget etc. Par le biais de ces sources, nous avons
décidé de prendre en compte le début de la
coopération franco-sénégalaise. Ce qui correspond à
la première décennie de l'indépendance pour pouvoir
comprendre la deuxième génération d'accords de
coopération. Les cartons 1 à 4 du répertoire
Coopération, Cabinet et service rattaché au ministre (1959-1985)
nous a permis de retrouver les accords signés ou paraphrasés
entre les deux pays en 1960. Ce sont des textes juridiques et nous ne sommes
pas qualifiés à l'interprétation de tels textes. Cependant
une simple lecture de ses articles nous laisse penser qu'il y a une
étroite collaboration voire une cogestion du Sénégal par
les deux pays. Nous allons juste prendre l'exemple de la convention
d'établissement de 1960 pour s'en rendre compte. Les articles les plus
significatifs affirment ceci :
« Article 2 - En ce qui concerne l'ouverture d'un fonds
de commerce, la création d'une exploitation, d'un établissement
à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal,
l'exercice des activités correspondantes, et l'exercice des
activités professionnelles salariées, les nationaux de l'une des
parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l'autre partie
contractante sauf dérogations imposées par la situation
économique et sociale de ladite partie.
Article 5 - Les nationaux de l'une des parties contractantes
seront sur le territoire de l'autre partie, représentés dans les
mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux assemblées
consulaires et aux organismes assurant la représentation des
intérêts économiques.
Article 12 - Chacune des parties contractantes réserve
aux nationaux de l'autre partie le statut particulier défini par la
présente convention à raison du caractère
spécifique des relations entre les deux Etats. Le bénéfice
de ces dispositions particulières ne peut pas être automatiquement
étendu aux ressortissants d'un Etat tiers »28 Ce n'est
pas le moment de
29 Ibid.
32
mesurer l'impact d'un tel accord au niveau des pays. En
revanche, nous savons qu'il concorde avec la réalité sur le
terrain. Au Sénégal, les Français ont
préservé leurs acquis économiques, politiques et sociaux.
Ils détiennent dans l'ordre 70% pour les entreprises commerciales, 80%
pour les industrielles et 56% pour les banques. Concernant les ressortissants
sénégalais en France, nous ne disposons pas de données qui
prouvent qu'ils occupent une place importante dans l'économie
française. Nous avons vu en dessus avec Sally Ndongo leurs conditions de
vie et de travail qui sont souvent décriées. Cette collaboration
étroite entre les deux pays prévaut jusqu'en 1974, après
la signature des nouveaux accords de coopération. En tant que Etat
nouvellement indépendant, le Sénégal avait besoin
d'être assisté car ne disposant pas assez d'agent pour le
fonctionnement de ses services. Grâce à ces accords de
coopération, un quota de coopérants est envoyé chaque
année en fonction de la demande de l'État
sénégalais et de la capacité de la France. Nous pouvons
retrouver leurs traces grâce aux registres. C'est l'enseignement qui
reçoit le plus grand nombre. L'analyse des sources nous suggère
que la présence française n'était pas pérenne
durant toute cette période. En effet nous savons que dès 1968
avec les événements de mai, l'État
sénégalais a commencé à intégrer ses
nationaux dans la vie économique du pays afin qu'ils prennent la
relève des coopérants. Les archives nous ont renseigné sur
la volonté de sénégalisation des postes qui est
estimé entre 1000 et 1200 emplois sur 1700 postes de travail tenus alors
par les expatriés. Nous y reviendrons plus amplement dans la
première partie.
Au sujet des accords de coopération entre les deux
États, les documents disponibles aux archives laissent entrevoir une
volonté de révision de la part du Sénégal depuis
1973 avec, notamment une lettre du président Senghor qui l'évoque
explicitement. Ceci nous a été rapporté par l'ambassadeur
français au Sénégal dans une de ses dépêches
: « J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que le
gouvernement sénégalais a décidé de réviser
les accords de coopération conclus par le Sénégal avec la
France depuis son accession à l'indépendance. [...]
»29 En outre, ces sources nous renseignent sur la
procédure des négociations, la rédaction, la signature des
nouveaux accords. Il faut souligner que les négociations
n'étaient pas toujours à l'amiable car certains accords ont
suscité de houleuses négociations en l'occurrence la convention
d'établissement et de circulation des personnes. Concernant
l'application des nouveaux accords, les sources sont silencieuses, elles ne
soulignent que les incidents diplomatiques qui avaient lieu entre les deux pays
concernant le nouvel accord sur la
33
circulation et l'établissement des personnes, sans
oublier la lenteur de la ratification des nouveaux accords par la France.
Les archives diplomatiques de la Courneuve dessinent le
même schéma avec les archives de la Direction des affaires
africaines et malgaches, Généralités 1959-1979, 238.
Ce fonds, très riche, renferme beaucoup d'informations. Grâce au
rapport Gorse , nous avons pu comprendre la politique française de
coopération avec les pays du Sud particulièrement ceux d'Afrique.
A cela s'ajoute la coopération économique avec d'autres
partenaires comme les organismes internationaux. En effet, la France participe
faiblement à la coopération multilatérale au profit de
celle bilatérale avec son pré-carré africain ; tendance
qui se décline car elle a élargi son champ d'action comme le
recommandait le rapport Gorse. C'est grâce à ce fonds d'archives
que nous disposons de chiffres sur les coopérants et la
répartition par secteur et par pays. Le véritable problème
des archives diplomatiques est qu'il y a beaucoup de restrictions. Il existe un
fonds sur le Sénégal, mais celui-ci est en cours de classement et
n'est pas encore accessible au public.
Les archives françaises sont donc absolument
nécessaires pour notre sujet. Elles nous ont fourni une quantité
de données cruciales sur le sujet. Cependant, certains documents que
nous aurions pu consulter sont soumis à des restrictions et notre
demande de dérogation a été rejetée à deux
reprises. Il s'agit des archives du Secrétariat général
des affaires africaines et malgache et de la Communauté. Les archives
privées du fonds Foccart nous auraient également beaucoup
aidé mais nous n'avons pas pu les consulter. Malgré ces limites
nous avons tenté de fournir un travail pertinent et nous comptons si
l'occasion se présente continuer à interroger d'autres
sources.
Notre travail s'articule autour de trois parties. Dans la
première, nous souhaitons faire un Bilan de la
coopération franco-sénégalaise de 1960
jusqu'à la révision, ce qui nous permettra de comprendre les
raisons d'une telle décision. Cette partie met en avant le contenu et
les objectifs de la coopération franco-sénégalaise. Elle
est divisée en deux sous-parties à savoir : L'assistance
technique et La coopération
socio-économique. La deuxième partie est
consacrée à la Révision des accords de
coopération. Elle abordera successivement des
Négociations et des Nouveaux accords de
coopération. La dernière partie porte sur
l'Application et les Impacts de ces derniers sur les
deux pays.
34
PREMIÈRE PARTIE:
LE BILAN DE LA COOPÉRATION
FRANCO-SÉNÉGALAISE DE 1960 à 1974
35
Depuis l'indépendance, les rapports
franco-sénégalais sont régis par les accords de
coopération. Comme nous l'avons vu plus haut, le Sénégal a
hérité des accords de coopération signés dans le
cadre de la Fédération du Mali. Le traité d'amitié
et de coopération constitue le gage des accords de coopération
franco-sénégalaise. Nous estimons que ce traité a
été mis en place pour préserver les liens étroits
entre les deux peuples. Cependant, celui-ci pourrait être perçu
comme une ingérence et une volonté de contrôle si on se
réfère à son article 2 : « Le gouvernement de la
République française et le gouvernement de la République
du Sénégal échangeront des informations sur les
problèmes d'intérêts communs ». Cet article laisse
penser à la politique de limitation de l'influence des deux grandes
puissances mondiales(Les Etats-Unis et l'URSS) par la France. Les
intérêts communs sont donc la politique internationale et les
endroits stratégiques. En outre l'article 9 avait stipulé la
création d'un comité ministériel inter-états. Ce
comité fut l'organe exécutif de la coopération. Cette
dernière intervient dans la presque totalité des domaines
à l'instar de ceux économique, social, culturel, militaire,
politique etc. Au moment de la révision, on peut dénombrer 72
accords sans compter ceux qui sont devenus caducs. Nous avons choisi les
domaines de l'assistance technique et socio-économique. Ces deux
secteurs demeurent les plus actifs de la coopération
franco-sénégalaise. À travers ces secteurs nous tentons de
vérifier notre hypothèse de départ qui suppose une
cogestion du pays entre la France et le gouvernement sénégalais.
En d'autres termes, c'est l'autonomie du pays qui est remise en cause.
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