PARTIE 1 - REVUE DE LA LITTERATURE
Afin d'apporter des éléments de réponse
à la problématique citée en introduction, nous allons
procéder à une définition des concepts clés
à travers une revue de la littérature reprenant certains auteurs
phares qui ont enrichi la recherche sur le thème de l'intégration
et son évolution ces dernières années liée à
la crise sanitaire de la COVID 19 mais aussi sur le thème des nouveaux
modes de travail et plus particulièrement le
télétravail.
1.1. L'INTEGRATION : UN PROCESSUS RH EN
EVOLUTION
1.1.1. Un nouvel enjeu stratégique
Rejoindre une entreprise ce n'est pas seulement rejoindre un
poste avec des tâches précises, c'est aussi rejoindre une culture,
des valeurs, une façon de penser et de s'engager avec des personnes dans
un but commun.
L'intégration ou l'onboarding, est le processus par
lequel une entreprise va aider la nouvelle recrue à s'adapter à
son nouvel environnement à la fois au niveau de la performance mais
aussi au niveau organisationnel et culturel. Selon Bauer (2010) le processus
d'onboarding repose sur quatre piliers appelés plus communément
les « quatre C » ou « four C's » pour Conformité,
Clarté, Culture et Connexion. L'investissement aussi bien des nouvelles
recrues que des entreprises dans ces 4 piliers permet la réussite du
processus d'intégration (Bauer, 2010).
Niveau de
la stratégie d'intégration
|
Conformité
|
Clarté
|
Culture
|
Connexion
|
1 - Passif
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Oui
|
Un peu
|
Peu ou pas du tout
|
Peu ou pas du tout
|
2 - Haut potentiel
|
Oui
|
Oui
|
Un peu
|
Un peu
|
3 - Pro-actif
|
Oui
|
Oui
|
Oui
|
Oui
|
Tableau 1 - Niveau stratégique de
l'intégration (Onboarding New Employees: Maximizing Success) (Bauer
2010)
5
Cette théorie des « quatre C » de Bauer est
souvent reprise dans la littérature et permet de donner un cadre aux
programmes d'intégration élaborés dans les entreprises
(Tableau 1).
L'intégration est une étape primordiale dans le
parcours du collaborateur au sein de sa nouvelle organisation. Cette
étape va permettre à la nouvelle recrue et à
l'organisation d'apprendre à se connaître et d'établir les
règles et les attentes de chacun (Petrilli, Galuppo & Ripamonti,
2022). Les « quatre C » de Bauer proposés ensemble vont
permettre à la nouvelle recrue de s'intégrer par étape et
avec succès. Les entreprises qui ont compris l'importance de
l'intégration et qui prennent cette étape de la vie
professionnelle de leurs collaborateurs sérieusement, en tireront des
avantages certains.
Dans son livre blanc de 2015, Bauer donnait les chiffres suivants
:
- Les entreprises qui prennent le processus
d'intégration au sérieux voient passer leur taux de
rétention la première année de 30% à 91% ;
- Les entreprises qui prennent le processus
d'intégration au sérieux voient leur taux d'achèvement des
objectifs la première année passer de 17% à 62%.
Ces chiffres montrent le pouvoir d'un processus
d'intégration réfléchi et encadré.
Décomposer ce processus en quatre étapes clés (les quatre
C) permet aux entreprises d'avoir de meilleurs résultats et d'augmenter
la satisfaction au travail ainsi que la productivité, et de baisser la
rotation des employés (Bauer, 2015).
La conformité (compliance en anglais) va permettre aux
organisations et nouveaux collaborateurs d'exécuter toutes les
tâches administratives qui sont liées à l'entrée
dans une nouvelle entreprise. Cette étape n'est pas la plus
intéressante ou enthousiasmante pour la nouvelle recrue mais elle est
nécessaire et permet de commencer sur des bases solides et juridiquement
en règles.
La clarté est une étape très importante
et qui aura des répercussions positives si faites correctement. Cette
étape permet à tous les acteurs d'expliquer ce qui est attendu de
chacun. L'entreprise peut lors de cette étape mettre en avant de
façon claire et précise ce qu'elle attend de la nouvelle recrue
et quels sont ses premiers objectifs. Cette étape va permettre à
la nouvelle recrue d'avoir une vision précise de son rôle au sein
de l'entreprise et favorisera son sentiment d'appartenance.
La culture est une étape très
personnalisée et qui va se référer aux normes
organisationnelles de l'entreprise. Cette étape permettra à
l'entreprise de montrer ses valeurs, ses normes, son
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histoire, sa politique ou encore ses objectifs. Cette
étape n'est pas à négliger car si la nouvelle recrue ne se
reconnaît pas dans cette culture, cela pourrait avoir un impact
négatif sur son intégration et son futur dans l'entreprise.
La connexion est selon Bauer l'étape primordiale de
l'intégration. Cette étape relève des relations
interpersonnelles. Elle englobe les relations avec ses collègues, les
réseaux tissés au sein de l'entreprise. Cette étape aidera
la nouvelle recrue à se sentir incluse, renforcera son sentiment
d'appartenance, sa volonté d'atteindre ses objectifs, son implication ou
encore sa fidélisation.
Bien que les « quatre C » soient tous importants,
leurs impacts au long terme dans le processus d'intégration de la
nouvelle recrue ne sont pas les mêmes. On peut dire que les « quatre
C » ne sont pas égaux (Bauer, 2015). De nos jours la Culture et la
Connexion prennent une dimension différente et vont avoir une plus forte
connotation car à l'ère du numérique, du
télétravail et du travail hybride, ces deux étapes
primordiales seront plus difficiles à réaliser. C'est sur ces
deux étapes que les entreprises devront le plus s'adapter et
révolutionner leur processus d'intégration (Frimousse &
Peretti, 2020 ; Frimousse & Peretti, 2021).
Les bénéfices au long terme d'une
intégration réussie sont analysés par Schneider (1987)
avec son model « ASA - Attraction, Selection & Attrition »
(Attraction, Sélection et Usure). Selon Schneider, on ne peut pas
dissocier les personnes de l'environnement car l'environnement existe seulement
à travers les personnes qui le constituent. Les personnes seront
attirées par un certain environnement, certaines organisations, certains
postes. Holland (1986) parle de six groupes de carrières :
intellectuelle, artistique, sociale, entrepreneuriale, conventionnelle et
réaliste. Selon le model ASA de Schneider, les individus sont
attirés (A - attraction) par des carrières différentes en
fonction de leurs propres intérêts et personnalités. Les
individus avec des personnalités similaires ont plus de chance
d'être attirés par des activités similaires et ont plus de
chance d'avoir des comportements compatibles et analogues. De ce fait, les
organisations sont souvent composées d'individus qui ont des
similarités et une nouvelle recrue qui ne partage pas ces
similarités aura souvent du mal à s'intégrer (Schneider,
1987).
Lors du processus de sélection (S - selection) les
entreprises vont souvent rechercher des individus qui partagent les mêmes
valeurs (consciemment ou inconsciemment). Cela aura encore une fois une
influence sur le manque de diversité des personnalités au sein de
l'entreprise (Schneider, 1987).
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Le model ASA de Schneider ne laisse pas beaucoup de place aux
besoins de changements d'une organisation. En effet, selon Schneider, si une
organisation a besoin de changer, de revoir sa culture ou ses
procédés par exemple, cela sera difficilement atteignable sans
changer les personnes qui y travaillent. Si les individus constituent
l'organisation (People make the place), comme l'indique Schneider, alors les
changements n'interviendront pas en changeant les structures ou les processus,
mais en changeant les individus (Schneider, 1987).
L'importance de l'environnement est d'autant plus flagrante
lorsque ce dernier est incertain (en temps de crise par exemple). Les RH
devront alors s'assurer que le recrutement est compatible avec la culture de
l'entreprise. En effet, en période d'instabilité, on recherche
des repères et des nouvelles recrues qui n'affecteront pas ces
repères et ne remettront pas trop en cause la façon dont les
choses sont faites (Jeske & Olson, 2021).
Cependant, il ne faut pas avoir peur des changements
même en temps de crise et d'incertitudes. Les nouvelles expertises et les
nouveaux savoirs apportés par les nouvelles recrues peuvent
s'avérer bénéfiques et utiles à l'entreprise. Garg
et al (2021) parlent de « reverse mentoring » lorsque les mentors des
nouvelles recrues apprennent à leur tour de ces dernières. Ces
échanges et apports bidirectionnels vont enrichir l'organisation. Cela
permettra d'avoir un savoir organisationnel plus important ainsi qu'une
meilleure rétention des collaborateurs.
La période de crise sanitaire de la COVID 19 a fait
émerger une nouvelle théorie qui rappelle la théorie des
« quatre C » de Bauer (2010), celle des « trois C » de
Scott et al (2021). Selon les auteurs, même avant la crise de la COVID
19, les processus d'intégration étaient jugés insuffisants
par beaucoup de nouvelles recrues. La crise a été pour eux
l'occasion de revoir la stratégie d'intégration des entreprises.
Les auteurs parlent de la difficulté des nouvelles recrues à
s'adapter et s'intégrer dans un environnement virtuel ainsi que de
créer des liens et trouver du support auprès des membres de leurs
équipes. Selon eux, les entreprises peuvent utiliser les « trois C
» afin de mieux intégrer leurs nouveaux collaborateurs en temps de
crise - Create Structure, Connect people, Continue adapting (Créer de la
structure, Connecter les individus et Constamment s'adapter).
Créer de la structure en instaurant des processus
clairs et précis concernant le travail à distance. La structure
passe également par la communication d'objectifs précis et de
feedback réguliers. La formation est également une partie
importante de ce besoin de structure car tous les collaborateurs ne sont pas
égaux face à la technologie. En apportant une structure claire et
précise, l'organisation réduit l'incertitude des nouveaux
collaborateurs travaillant à distance et
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les aide à se sentir plus vite en confiance, à
intégrer plus rapidement les informations utiles et les objectifs
attendus, et à se sentir à l'aise plus rapidement ce qui
améliorera à court et moyen termes leur bien-être au sein
de l'entreprise.
Action
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Description
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Instituer des contacts COVID- 19 réguliers
à travers des réunions collectives
et individuelles
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S'assurer que les managers et leaders aient des contacts
réguliers avec leurs équipes et nouvelles recrues afin de les
aider à naviguer leurs peurs et anxiétés concernant la
crise de la COVID-19.
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Organiser des événements en
ligne
|
Organiser des événements en ligne ou des
événements avec de la distanciation physique afin que les
collaborateurs puissent apprendre à connaitre les nouvelles recrues.
La
participation serait certainement plus importante
si l'événement a un but précis comme par exemple un
anniversaire, une soirée jeux, pot de bienvenue d'un nouvel arrivant
etc.
|
Organiser des déjeuners et pauses café
virtuels
|
Organiser des petits moments virtuels plus intimes pour les
collègues et les équipes, afin qu'ils puissent parler et avoir
des moments de détente ensemble. Les nouvelles recrues plus introverties
apprécieront de rencontrer les gens en petits
groupes et lors d'activités plus structurées
autours desquelles ils pourront centrer leurs conversations.
|
Encourager les communications fréquentes avec
les nouvelles recrues
|
Encourager les collaborateurs à accueillir et avoir des
échanges intéressants avec les nouvelles recrues. Plus les
collaborateurs connaitront leurs nouveaux collègues, plus ils se
sentiront connectés.
|
Etablir une politique virtuelle du bureau
ouvert
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S'assurer que les managers et team leaders fassent savoir aux
nouvelles recrues qu'il n'y a pas de questions stupides et qu'ils peuvent les
contacter à tout moment si besoin.
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Utiliser les nouvelles technologies pour
créer des espaces de rencontres digitales comme une machine
à café digitale
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Utiliser les nouveaux outils de communication comme Slack,
Microsoft Teams, Discord, Yammer et autres, pour aider les collaborateurs
à créer des liens informels au travers de hobbies,
d'intérêts communs etc.
|
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Attribuer à la nouvelle recrue un mentor pour
l'aider à naviguer son intégration
|
Créer un programme de mentoring afin que les
collaborateurs puissent servir de guides et de mentors aux
nouvelles recrues, et les aider à apprendre le métier et rester
connectés. Il est parfois plus simple de demander de l'aide à un
collègue plutôt qu'à un leader/manager.
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Organiser des visites virtuelles ou avec de la
distanciation physique
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Organiser des tours virtuels des locaux pour les nouvelles
recrues.
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Planifier des réunions individuelles entre la
nouvelle recrue et ses collègues ainsi que des personnes
clés de l'entreprise
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Planifier des réunions pour les nouvelles recrues afin
qu'elles rencontrent leurs collègues et les personnes clés de
l'entreprise. S'assurer que les personnes qui rencontreront les nouvelles
recrues seront briefées en amont afin de guider leur discussion avec la
nouvelle recrue et lui laisser la possibilité de parler d'elle et poser
des questions.
|
Réintégrer les collaborateurs
à travers des événements et des team
buildings
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Lorsque la COVID-19 sera moins risquée, ne pas
oublier
d'organiser de nouveau des événements dans des
circonstances un peu plus normales. Cela aidera
les collaborateurs à se reconnecter et mettre « un nom sur un
visage » des personnes avec lesquelles ils auront travaillé
seulement dans un environnement virtuel ou avec de la distanciation physique
(par exemple avec le port du masque).
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Tableau 2 : Les actions à prendre pour
connecter les collaborateurs lors d'une intégration en temps de crise
(Scott et al, 2021)
Connecter les individus en essayant de trouver des moyens
innovants et créatifs pour connecter les nouvelles recrues à
leurs collègues. Scott et al (2021) ont recensé des exemples
d'actions que les organisations peuvent entreprendre afin de connecter plus
facilement leurs nouveaux collaborateurs travaillant à distance (Tableau
2).
On retient parmi ces actions l'importance des rendez-vous
réguliers avec les managers afin de parler non seulement de travail mais
aussi de l'anxiété concernant la crise sanitaire. On retient
également l'importance d'instaurer des moments virtuels consacrés
à la sociabilité (soirées jeux, célébration
des anniversaires etc.). Mais aussi le mentoring, l'importance d'impliquer les
collaborateurs dans l'intégration des nouvelles recrues, l'utilisation
des outils à disposition comme SLACK, Microsoft Teams ou encore un tour
virtuel de l'entreprise, sont mentionnés
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comme étant des actions qui pourraient faciliter le
sentiment de connexion et d'appartenance des nouvelles recrues. Ces actions
pourraient également avoir des effets positifs sur le bien-être
des nouvelles recrues. Enfin, on note l'importance de s'adapter continuellement
en gardant à l'esprit qu'il est fortement conseillé de revoir
périodiquement les processus d'intégration surtout lorsqu'ils ont
été récemment instaurés et parfois dans la
précipitation.
Selon Scott et al (2021), les DRH devraient se concentrer sur
le niveau de stress des nouvelles recrues ainsi que sur leur bien-être et
leur sentiment de connexion et non pas seulement sur leurs performances. Une
intégration réussie aura des répercussions positives sur
le long terme et ne peut être que bénéfique pour toutes les
parties impliquées.
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