1.1.2. L'intégration comme levier de
socialisation
Comme nous l'avons vu avec la théorie des « quatre
C » et la théorie des « trois C », la connexion et la
socialisation sont des éléments importants pour une
intégration réussie. Cette connexion et cette socialisation
passeront par de l'interaction et de la communication. Déjà en
2011, Hemphill & Begel parlaient de l'importance de la communication et de
la visibilité dans leur article « Not seen and not heard :
Onboarding challenges in newly virtual teams ». Leur étude avait
mis en avant la préférence des collaborateurs travaillant en
équipe virtuelle pour les interactions visuelles. Cependant, à
l'époque il était noté de nombreux problèmes avec
la technologie et le manque d'outils dédiés aux besoins des
équipes virtuelles.
Un autre problème identifié, est le manque de
communication « non-work orientated » avec les nouvelles recrues
intégrées dans une équipe virtuelle (Hemphill & Begel,
2011). En effet, le contenu des échanges entre le manager et une
nouvelle recrue est plus formel et le fait d'être à distance
n'encourage pas les échanges plus informels. Les interactions en face
à face font souvent parties des choses qui manquent le plus aux membres
des équipes virtuelles. Afin d'aider les nouvelles recrues à
faire face à ce manque, Hemphill & Begel (2011) préconisent
des rendez-vous informels en « one-on-one » avec différents
membres de l'organisation identifiés par le managers. Ces rendez-vous
informels permettent à la nouvelle recrue d'identifier les
différents rôles de chacun et de créer des liens avec ses
nouveaux collègues. L'importance des échanges informels dans
l'intégration des nouvelles recrues est donc mis en avant par Hemphill
& Begel (2011). La communication synchrone des membres d'une équipe
virtuelle, permet de réduire l'anxiété, d'augmenter la
productivité et de réduire le sentiment d'isolement des nouvelles
recrues.
11
Hemphill & Begel (2011) parlent également de la
visibilité. L'importance de l'observation de ses collègues et de
la façon dont sont faites les choses est mis en avant. L'apprentissage
de la culture de l'organisation, des rituels et des processus de travail se
fait plus difficilement dans les équipes virtuelles. La nouvelle recrue
ne peut pas apprendre en observant et en imitant ses collègues. Les
processus de travail doivent donc être bien documentés et mis
à jour régulièrement afin d'aider la nouvelle recrue
à s'intégrer plus rapidement.
Lorsque l'on parle d'intégration il est souvent fait
référence à la socialisation et à l'orientation. On
peut considérer que l'intégration regroupe ces 2 concepts.
Cependant, l'orientation repose plus sur la présentation du nouvel
employé à son nouveau poste, la socialisation quant à elle
repose plus sur la présentation du nouvel employé à un
nouveau groupe (Bauer & Erdogan, 2011). Pour Chaos (2012) la socialisation
est plus individualisée et requiert un effort individuel, tandis que
l'orientation fait référence à un effort collectif et
organisationnel pour faciliter l'intégration de la nouvelle recrue.
Historiquement le terme de socialisation décrit le
processus par lequel la nouvelle recrue va acquérir les comportements,
attitudes et les savoirs nécessaires afin de devenir un participant
à part entière de l'entreprise (Van Maanen & Schein, 1979).
Les travaux de Van Maanen et Schein ont mis en avant 6 dimensions du processus
de socialisation organisationnelle (Tableau 3).
Tableau 3 - Les 6 tactiques de socialisation
organisationnelle (Van Maanen et Schein, 1979)
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Ces 6 tactiques de socialisation organisationnelle
identifiées par Van Maanen et Schein, représentent les
principales tactiques mises en place par les organisations consciemment ou
inconsciemment.
1. Les tactiques collectives vs les tactiques
individuelles : A la différence des tactiques individuelles ou
un individu est isolé dans son processus d'intégration, lorsqu'un
groupe d'individus est amené à être intégré
ensemble nous parlons alors de socialisation collective. Van Maanen et Schein
(1979) suggèrent alors que la socialisation sera influencée de
manière substantielle par le groupe et ses différents acteurs.
2. Les tactiques formelles vs les tactiques
informelles : Van Maanen et Schein (1979) définissent la
socialisation formelle comme étant les « processes that are
typically found in organizations where specific preparation for new status is
involved and where it is deemed important that a newcomer learns the
«correct» attitudes, values, and protocol associated with the new
role.» Quant aux tactiques informelles, elles sont plus
utilisées lorsque les frontières entre le nouveau rôle et
l'ancien rôle sont floues voir presque inexistantes.
3. Les tactiques séquentielles vs les
tactiques aléatoires : Les tactiques séquentielles ont
lieu lorsque les nouvelles recrues doivent passer un certain nombre
d'étapes prédéfinies avant de pouvoir prendre pleinement
les rênes de leur nouveau poste. A l'inverse, les tactiques
aléatoires ont souvent lieu lorsque la nouvelle recrue arrive pour
occuper un nouveau poste pour lequel elle n'a pas de
prédécesseur. La création d'un nouveau poste fait que bien
souvent le chemin pour arriver à l'intégration de la nouvelle
recrue au poste est encore inconnu ou incertain et peut changer à tout
moment.
4. Les tactiques fixes vs les tactiques variables :
Les tactiques fixes sont souvent liées aux tactiques
séquentielles et permettent à la nouvelle recrue de savoir
exactement quel chemin emprunter afin d'arriver à la socialisation
organisationnelle. Contrairement aux tactiques fixes, les tactiques variables
ne répondent pas à une timeline prédéfinie et
peuvent varier en fonction de nombreux facteurs contingents.
5.
13
Les tactiques en série vs les tactiques
disjointes : Avec les tactiques en série, les nouvelles recrues
ont accès à un tuteur, un mentor afin de les aider dans leur
processus d'intégration. Ces aidants ne sont pas disponibles dans les
organisations utilisant les tactiques disjointes.
6. Les tactiques d'investiture vs les tactiques de
désinvestiture : Avec les tactiques d'investiture,
l'identité et la personnalité des nouvelles recrues sont
célébrées et reconnues alors qu'avec les tactiques de
désinvestiture, l'identité de l'organisation est plus importante
et l'individu doit s'adapter à cette dernière.
Pour Van Maanen et Schein (1979) c'est à l'organisation
que revient la responsabilité de l'intégration sociale des
nouvelles recrues en mettant en place des tactiques et pratiques de
socialisation organisationnelle bien précises.
Tactiques relatives au/à :
|
Les tactiques institutionnalisées
|
Les tactiques individualisées
|
Contexte
|
Collectif Formel
|
Individuel Informel
|
Contenu
|
Séquentiel Fixe
|
Aléatoire Variable
|
L'aspect social
|
En série Investi
|
Disjoint Désinvesti
|
Rôle orienté vers :
|
Préservation des traditions Conservatisme
|
Innovation
|
Tableau 4 - Le modèle des 6 tactiques
de socialisation organisationnelle de Van Maanen & Schein (1979)
révisé par Jones (1986).
En prolongement des travaux de Van Maanen et Schein (1979),
Jones (1986) répartit les 6 tactiques de socialisation organisationnelle
dans deux catégories bien distinctes : les tactiques institutionnelles
et les tactiques individuelles (Tableau 4).
14
En ce qui concerne les tactiques individuelles, les
organisations vont adapter leur processus d'intégration à
l'individu et à ses besoins, apports particuliers. Avec les tactiques
individuelles, la nouvelle recrue doit avoir un rôle proactif et
être acteur de sa socialisation organisationnelle (Ashford et Black,
1996). A l'inverse, les tactiques institutionnelles vont reprendre un
modèle bien précis et commun à tous au sein de
l'organisation. Avec ces tactiques c'est l'individu qui doit s'adapter au
processus d'intégration de l'organisation.
A ces différentes approches, nous pouvons ajouter
l'approche interactionniste (Reichers, 1987) qui met en avant les interactions
entre la nouvelle recrue et son environnement, ses nouveaux collègues.
Cette approche interactionniste parle de l'effet combiné des tactiques
organisationnelles et individuelles sur la socialisation de l'individu. Selon
l'approche interactionniste, l'organisation résulte des multiples
interactions entre les individus qui la composent, et ce sont ces interactions
qui créent l'organisation et non l'organisation qui crée ces
interactions. La fréquence de ces interactions va favoriser et
accélérer l'apprentissage de l'individu (Reichers, 1987).
L'importance de la proactivité de l'individu est
également mise en avant (Lacaze D, 2005). La recherche de Lacaze (2005)
vise à mettre en avant les tactiques individuelles d'intégration
et la responsabilisation des individus dans la gestion de leur
intégration. Les comportements proactifs semblent favoriser la
réussite de l'intégration et accélérer le
processus. Parmi ces comportements proactifs nous retrouvons la recherche
d'information, l'auto-management ou encore l'expérimentation. Ces
comportements sont liés entre eux et vont s'influencer. En effet, en
recherchant l'information, la nouvelle recrue va améliorer la
compréhension de son rôle et cela va mener à
l'auto-management puis à l'expérimentation.
La proactivité de l'individu peut être
liée au désir de contrôle (Ashford & Black, 1996).
Contrôler son environnement est un moyen de diminuer l'incertitude.
L'incertitude est un sentiment qui est souvent associé au début
d'un individu dans une entreprise. Ce désir de contrôle va motiver
les individus à être proactifs (White, 1959). En effet, la
recherche de la maîtrise de son environnement, afin de diminuer
l'incertitude, sera une source de motivation pour la nouvelle recrue. Van
Maanen (1979) décrit l'entrée dans une organisation comme
étant un état de transition qui va «thrust(s) one from a
state of certainty to uncertainty; from knowing to not knowing; from the
familiar to the unfamiliar". L'individu va chercher à diminuer ce
stress et cette anxiété en ayant un rôle proactif dans son
intégration et en essayant de limiter l'incertitude par la
maîtrise et le contrôle de son nouveau rôle. Cela va le
motiver à chercher l'information et à établir des
relations, ce qui l'amènera vers une clarté de son rôle,
une maîtrise
15
de ses tâches ainsi qu'une plus grande connaissance de
son organisation et une meilleure intégration sociale. Cependant, nous
ne sommes pas tous égaux face au désir et au besoin de
contrôle. Certains individus seront plus à l'aise que d'autres
dans une situation incertaine. Leur besoin de certitude et de contrôle
sera donc moins important. Cela pourrait, à court et à moyen
terme, avoir un effet sur leur processus d'intégration.
En effet, la recherche d'information et de retours va
permettre un apprentissage plus rapide et une plus grande maîtrise et
clarté du rôle de l'individu dans son nouvel environnement. Cela
aura pour effet d'accélérer le processus d'intégration
(Morrison, 1993). Plus l'individu comprend rapidement ce qu'il doit faire et
comment les choses sont faites dans sa nouvelle organisation, plus il pourra
rapidement s'adapter et atteindre les objectifs qui lui sont demandés.
On retrouve donc une adéquation entre la recherche d'information, de
retours et la rapidité d'intégration de l'individu. Les individus
qui recherchent de manière pro-active les retours de leurs pairs et/ou
hiérarchie vont plus rapidement comprendre les demandes de leur nouveau
poste et cela aura pour effet d'accélérer leur efficacité
et leur intégration. Les aspects positifs de la proactivité du
nouvel entrant ne s'arrêtent pas là, en effet, en
accélérant la compréhension de leur nouveau rôle,
les individus vont augmenter leur satisfaction au travail ce qui aura pour
conséquence d'accroître le taux de rétention des nouvelles
recrues (Morrison, 1993).
Un autre aspect important de la proactivité et de
l'auto-management de la nouvelle recrue est la recherche active de
socialisation et de liens avec son nouvel environnement et les personnes qui le
composent. C'est en créant des liens et en se socialisant que l'individu
va apprendre les comportements recherchés de sa nouvelle organisation et
les compétences attendues de son nouveau poste (Reichers, 1987) . Cela
aura pour effet encore une fois d'accélérer le processus
d'intégration et la satisfaction au travail.
Nous retrouvons donc une corrélation entre la recherche
d'information et la recherche de socialisation. En effet, la volonté
d'obtenir de nouvelles informations, et d'améliorer la
compréhension et la maîtrise des tâches de son nouveau
poste, va amener l'individu à développer les interactions avec
les membres de son organisation. La meilleure façon d'obtenir
l'information nécessaire afin de développer la
compréhension de son nouveau poste, est de créer des liens et de
développer des relations avec les membres de son organisation (Morrison,
1993). Cela aidera à comprendre plus rapidement son rôle, mais
également les valeurs, les codes et les relations de pouvoir au sein de
l'organisation. La recherche d'information est donc intrinsèquement
liée au développement du réseau social de l'individu dans
sa nouvelle organisation.
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Cela amène à un cercle vertueux qui fait qu'en
recherchant l'information, l'individu améliore et accélère
le processus de socialisation et d'intégration tout en accroissant la
connaissance de sa nouvelle organisation et de ses responsabilités et
par la même occasion sa satisfaction au travail.
Cela met donc en avant l'importance dans le processus
d'intégration, non seulement de l'organisation, au travers de
procédures organisationnelles de socialisation, mais également de
l'individu au travers de comportements proactifs et d'auto-management. Les
individus avec un besoin de contrôle et de maîtrise important
seront plus actifs dans la recherche d'information et de socialisation au sein
de l'organisation (White, 1959). Cette proactivité amène une
intégration plus rapide et une satisfaction au travail plus importante.
La personnalité de la nouvelle recrue joue donc un rôle, si ce
n'est primordial, tout du moins important dans le succès du processus
d'intégration (Ashford & Black, 1996). On parle de
responsabilisation de l'individu dans son processus d'intégration
(Lacaze, 2005).
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