3/ Un manque de prise de risque de la part de l'industrie
musicale
Être signé en label est une étape
importante dans la carrière d'un artiste. Avoir un label est souvent
l'assurance d'un certain revenu et de moyens de productions plus larges pour
leurs projets. Le principe d'artiste indépendant a pris beaucoup de
place aujourd'hui. Si de plus en plus d'artistes se tournent vers
l'autoproduction pour garder un maximum de liberté créative, il
ne faut pas oublier qu'un artiste ne réussit jamais seul. Avoir un
entourage professionnel et une structuration est essentiel. La plupart signent
toujours en label mais des contrats moins contraignants que le mythique contrat
d'artiste. Se construire cet entourage professionnel, manager, label,
distributeur, bookeur etc... Peut s'avérer être une
véritable épreuve. Pour un artiste, il est extrêmement
important de s'informer un maximum sur le fonctionnement de l'industrie
musicale avant de se lancer pour préserver leurs intérêts,
leur liberté créative et ne pas tomber sur des personnes
malveillantes. L'accès à l'information et à
l'accompagnement étant compliqué, les artistes ne savent souvent
pas comment rencontrer des interlocuteurs qui pourront les aider à
développer leur projet.
Pour les entreprises, signer des rappeuses représente
une «prise de risque». Quand je l'ai interrogé sur la
question, Gauthier Benoit, fondateur du tremplin féminin Rappeuz, m'a
répondu qu'en France on a tendance à s'enfermer dans un style qui
marche. Il y a une vraie peur de la prise de risque. Signer un rappeur
constitue moins un risque que signer une rappeuse, car il aura
23 Voir interview complète d'Ekloz en annexe
31
plus de potentiel de vente. On sait comment les marketer par
coeur, le public est toujours ouvert à de nouveaux rappeurs. Une
rappeuse serait moins bien accueillie par le public selon eux. Ces labels
misent sur des projets qui rapportent plus. La crise du COVID n'arrange pas les
choses, les sociétés de production qui ont beaucoup souffert
s'aventurent moins avec de nouveaux profils.
Ce n'est pas un secret qu'on est plus exigeants avec les
femmes. «On signe souvent les rappeuses quand elles ont déjà
un public ou qu'elles sont vraiment excellentes» (Mekolo Biligui). On peut
pointer du doigt les Directeurs artistiques, dont le métier est de
chercher de nouveaux talents pour les signer en label. Ces
révélateurs de talents sont en première ligne pour
repérer les artistes de demain, mais ils semblent passer à
côté des centaines de rappeuses qui se lancent.
Parfois, on les pousse à faire des sons plus pop car
plus vendables, plus grands publics. On attend d'une femme qu'elle chante, pas
qu'elle kicke. Ce problème vient aussi du fait que la plupart des postes
à responsabilité dans l'industrie musicale sont occupés
par des hommes. En effet, le sociologue Karim Hammou a recensé 13% de
directrices et de gérantes dans les sociétés
d'enregistrement sonore et d'édition musicale dont le chiffre d'affaires
est supérieur à 10 millions d'euros par an. Les projets
développés par ces artistes passent donc toujours par une
validation masculine avant d'être sortis. «Ça les emmerde
parce qu'ils ne s'attendent pas toujours à ce qu'une petite meuf qui
rappe connaisse un peu son sujet et les mettent face à leurs propres
limites Tu te rends compte qu'on ne te prend pas vraiment au
sérieux» (Pumpkine, rappeuse).
Josué Bananier rappelle que c'est avant tout une
industrie. Du point de vue d'un chef d'entreprise, les entreprises doivent
avant tout assurer leurs rémunérations, elles prennent donc le
moins de risques possibles, elles ne se lanceront donc pas si le public ne suit
pas. Il ne faut pas attendre un label pour se développer et se
construire un public. «Depuis la crise du disque, les
rémunérations sont plus compliquées. Les grands labels ne
font pas du développement d'artistes comme avant. Le travail est fait
par les artistes eux-mêmes ou des labels indés. Si ça
marche, les majors arrivent et signent derrière. Je ne peux pas
blâmer l'industrie à 100%. Par contre, il faut avoir plus de
personnes en interne qui ont l'envie de faire monter la scène des
rappeuses.»24
24 Voir l'interview complète de Josué
Bananier en annexe
32
Pour certains, le public n'est pas prêt à suivre
des rappeuses. Pour d'autres, c'est une excuse des labels qui ne veulent pas
les produire. Alors le public est-il réticent à écouter
des rappeuses ?
|