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La place des rappeuses dans l'industrie musicale française


par Léa Piacentini
ISCPA - Bachelor de Production de projets artistiques 2022
  

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2/ C'est plus dur pour une femme de se lancer dans le rap

Je me suis en grande partie basée sur des témoignages pour écrire cette partie.

Les rappeuses subissent la même pression que les femmes dans la société en général, et particulièrement que dans tous les corps de métiers d'expertise, bien souvent considérés comme masculins. La plupart des chefs étoilés sont des hommes, la plupart des stylistes haute couture sont des hommes... De même dans la musique, les femmes sont peu présentes dans l'électro ou le rock par exemple. Combien de grandes DJs ou guitariste est-on capable de citer? «C'est déjà difficile pour un homme de se faire une place, alors une femme c'est pire» (Gauthier Benoit, fondateur de Rappeuz). Ce parcours du combattant inclut souvent de nombreuses réflexions qui n'ont pas de rapport avec la musique des artistes féminines. Trop grosses ou trop maigres, trop jeunes ou trop âgées, trop masculines ou trop vulgaires... Beaucoup ont témoigné avoir connu ce

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genre de discours durant leur carrière, et ont du mal à trouver des professionnels qui les comprennent et les accompagnent.

«Être une femme et a forciori une femme noire dans le milieu de la musique c'est difficile. On doit rentrer dans une case. Les mecs du milieu n'ont pas à répondre à ces limites. La façon dont on s'habille, ce qu'on dit envoie un message selon la société. Si on essaye de répondre à ces limites notre musique sera très bridée» (Maud Elka, rappeuse)16.

«Des paroles chantées par un artiste homme n'auront pas le même effet que les mêmes paroles prononcées par une artiste femme. Idem pour le timbre de voix ou encore la musicalité, dont certaines caractéristiques sont associées au masculin, d'autres au féminin» (Éloïse Bouton)17. En fait, à toute époque et dans tout style musical, on attribue certaines possibilités au masculin, et d'autres, plus réductrices, au féminin. Par exemple, dans la musique romantique du 19e siècle, les compositrices subissent le même genre de réflexions que les rappeuses aujourd'hui. «La composition c'est pour les hommes»; «c'est extraordinaire qu'une femme ait pu composer quelque chose d'aussi solide et sérieux» (le violoniste Joseph Joachim à propos d'une oeuvre de Clara Schumman). Même dans la composition, un concerto de piano pouvait être tolérable pour une femme, mais les compositions à cordes étaient considérées comme masculines, car trop expansives pour les femmes. Pourquoi les compositrices Clara Schumann, Fanny Mendelssohn ou Ethel Smyth ne sont-elles pratiquement jamais programmées en concert, et pourquoi Beethoven, Mozart (qui avait une soeur tout aussi talentueuse), Bach, Berlioz... Font partie de notre culture au point qu'on les connaît tous au moins de nom, même si l'on ne consomme pas de musique dite classique ? On peut parler du même déni d'antériorité et d'invisibilisation que pour les rappeuses, que ce soit à l'époque ou encore aujourd'hui, puisque les médias ne font pas de travail d'archivage et de mémoire. Sakira Ventura a créé une carte du monde où elle recense les compositrices de toutes époques, de la même façon que madame rap pour les rappeurs-euses femmes et LGBTQ+.

16 Maud Elka, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2019

17 BOUTON Éloïse, Rap, Nos oreilles sont-elles sexistes?, 2021

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Le métier d'artiste est un métier d'exposition. Ainsi, les rappeuses subissent des critiques plus dures, voire souvent des insultes uniquement à cause de leur genre. Les réseaux sociaux permettent à chacun d'exprimer son avis. Cela entraîne pour les rappeuses, de s'exposer souvent à beaucoup de haine, sur leur musique mais souvent sur des éléments qui n'ont pas de lien comme leur physique.

«Shay est d'assez loin celle qui obtient le moins de likes et le plus de dislikes sur YouTube, ce que l'on pourrait lier à des dispositions sexistes des publics et aux difficultés d'être une femme dans des métier d'homme à l'heure des réseaux sociaux (...) Le genre semble ainsi jouer sur le type de succès des rappeurs» (Corentin Roquebert, 2020)18.

Les femmes et personnes LGBTQ+ peuvent subir du harcèlement dans le milieu, du fait de leur genre. «Il y a parfois un regard super violent, qui les sexualise, les diminue. J'ai eu des retours de rappeuses qui allaient juste répéter en studio et qui ont été découragées par ce que l'ingé son leur faisait une réflexion, ou des groupes de mecs qui trainent autour.» (Éloïse Bouton).

«Lors d'un casting Buzzbooster, il y a une artiste féminine qui est montée sur scène. Des gamins dans la salle ont crié la fameuse vanne twitter, les femmes c'est à la cuisine. J'ai du prendre le micro pour dire que c'est intolérable dans la culture hip hop. C'était avant même qu'elle puisse commencer sa prestation» (Mekolo Biligui).

Bintily est une artiste candidate au tremplin Rappeuz que j'ai rencontré lors du casting à La Place Hip Hop. Inspirée par Kery James, Diam's, Chilla ou encore ses récents coups de coeur Sopycal et Kalika, elle m'a confié qu'on lui reprochait souvent que son projet était soit trop pop pour le rap, soit trop rap pour la pop. Elle s'est beaucoup demandé si 30 ans ce n'est pas trop tard pour se lancer en tant qu'artiste. C'est sa propre vision et ce qu'on lui a fait ressentir. Les femmes ont plus tendance à ressentir le syndrome de l'imposteur. De plus, il y a une sorte de date de péremption qui plane autour d'elle, un âge où elles ne sont plus «potables» pour la musique.

18 ROQUEBERT Corentin, Le capital social des rappeurs : les featurings entre gains de légitimités et démarche d'authentification professionnelle, 2020

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«Un jour, un homme m'a dit cette phrase: Tu devrais t'activer, dans 4 ans c'est fini pour toi ! Tu sais pour les femmes c'est pas pareil... Cette phrase m'a hantée. Sans vraiment m'en rendre compte, j'ai appréhendé les 30 ans comme si, passé cet âge, je n'aurais qu'une option: mettre mon ambition et mes rêves aux oubliettes. Heureusement, à bientôt 32 ans, tout me prouve le contraire» (Ehla, chanteuse)19.

Pour une femme en général, tout est plus scruté que les hommes, et souvent des choses qui n'ont rien à voir avec leur profession (physique, âge, antécédants...). Il n'y aucun doute qu'à cause des stéréotypes que subit le rap, et des stéréotypes qui pèsent sur les femmes en général, les rappeuses sont exposées à du harcèlement du fait de leur genre. Tout cela met beaucoup plus de pression sur les artistes féminines.

«J'ai déjà été en présence de rappeurs que je trouvais moins fort que moi, mais en général ils sont plus arrogants que les meufs. Enfin, ils ont une confiance disproportionnée quand les meufs vont avoir tendance, de manière générale, à plus se remettre en question et à douter. On va se poser plus de questions parce qu'on sait qu'on est plus scruté par la société. Mais c'est valable dans tous les domaines « (Liouba, rappeuse)20.

Certaines artistes refusent cependant de se placer en victime de leur genre, et apportent un point de vue différent, montrant qu'être en minorité de genre constitue une différence exploitable voire avantageuse. Pour elles, il ne faut pas avoir peur d'un plafond de verre et se concentrer sur son projet.

«On sort du lot, quand on est une fille dans un milieu d'hommes» (Fanny Polly, rappeuse)21.

«Y a des avantages et des inconvénients. C'est pas un sujet que je relève, je fais juste de la musique» (LeJuiice, rappeuse)22.

19 Interview pour le magazine Madmoizelle, 2020

20 Voir interview complète de Liouba en annexe

21 Fanny Polly, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2019

22 LeJuiice, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2020

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«Il y a une espèce de norme sur les rappeuses. Soit t'es le cliché du petit mec, soit t'es la meuf méga sexualisée. Moi je reste moi-même et j'assume autant ma sexualité, j'ai pas peur d'en jouer, que le fait de vraiment rapper» (Ekloz, rappeuse)23.

«Il y a souvent plus de mecs dans les événements rap mais quand y a une meuf qui passe et qui déchire tout le monde s'en rappelle. Je pense que c'est dommage de s'en sentir victime, parce que c'est toi qui décide si tu es victime et ça peut être une force aussi. Je pense que les filles qui veulent rapper doivent simplement rapper et si elles se retrouvent face à un connard soit elles font pas attention soit elles le remettent à sa place. En tout cas j'ai l'impression qu'aujourd'hui le monde est avec nous» (Liouba).

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