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La place des rappeuses dans l'industrie musicale française


par Léa Piacentini
ISCPA - Bachelor de Production de projets artistiques 2022
  

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II. La représentation des femmes dans le rap

1/ Diam's, «l'exception»

Inutile de vous présenter l'interprète de La Boulette ou Confessions Nocturnes. Dans ma Bulle est l'album de rap le plus vendu entre 2000 et 2013, avec presque 850 000 disques vendus. En 2004, elle gagne la Victoire de la musique du meilleur album rap. C'est la première femme a gagner dans cette catégorie créée en 1999. Diam's a marqué l'histoire du rap français, et c'est souvent la seule rappeuse que le grand public, toutes générations confondues, sait citer. Je me suis demandée pourquoi on la considère autant comme une exception et si cela ne participe pas à invisibiliser les rappeuses.

Diam's décide de se retirer du rap game en 2009, elle fait son premier retour médiatique ce mois-ci (juin 2022) pour présenter son biopic Salam.

J'aimerais rappeler dans un premier temps que, si aucune rappeuse n'a atteint son succès en termes de ventes et popularité, pratiquement aucun rappeur n'a atteint son succès non plus. L'image d'exception de Diam's a été associée à un talent inégalable. S'il n'est pas question de remettre en question son talent et sa carrière, on peut se demander pourquoi les rappeuses sont toujours comparées à Diam's et pourquoi c'est toujours la rappeuse française la plus médiatisée alors qu'elle a arrêté sa carrière depuis 2009.

L'immense succès de Diam's s'explique de plusieurs manières. Elle a commencé en prouvant ses talents de kickeuse, mais n'a pas hésité par la suite à se tourner vers des styles plus populaires comme la variété. Elle parlait de la société comme de ses amours, donc les thèmes abordés parlaient à tout le monde. Elle a suivi la technologie (pionnière de l'autotune en France), elle a fait le choix d'apparaître dans des émissions Grand Public (Nouvelle Star). Son label à aussi décider de féminiser son image pour son album Brut de Femme en 2003. Elle était aussi blanche

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et de de classe moyenne, ce qui la rendait plus acceptable en tant que figure médiatisée et grand public, par rapport à d'autres rappeuses de l'époque. «Diam's n'était pas qu'une kickeuse. Son succès, elle le doit aussi au fait qu'elle a fait de la variété. Elle a pu toucher un public plus sensible d'adolescentes. Diam's était un girlband à elle toute seule finalement» (Sylvain Bertot).

À l'époque, Diam's ne faisait pas tant l'unanimité, elle était même parfois vivement critiquée par les autres rappeurs et la presse spécialisée. Aujourd'hui, elle n'est plus là pour sortir un album «décevant», ou déclencher une nouvelle polémique. Les médias construisent et entretiennent depuis son départ une nostalgie autour d'elle, alors même qu'ils l'ont poussé à mettre fin à sa carrière. Elle témoigne de son expérience avec les médias dans son documentaire Salam: «vous avez oublié je crois»; «ils ont brisé l'amour qu'il y avait entre moi et le public»8. Le talent des nouvelles rappeuses ne devrait en aucun cas être comparé à celui de Diam's. Certaines de la nouvelle génération la connaissent à peine, d'autres n'ont jamais mentionné une quelconque influence de sa part ou volonté de l'égaler. On ne dit jamais d'un rappeur émergent qu'il n'est pas aussi doué que Booba. Les styles de rap même n'ont souvent rien à voir. Finalement, on les compare seulement parce que ce sont des femmes dans le rap. «En France on aime bien les exemplaires uniques. Comme s'il n'y avait de la place que pour une personne. Il y a eu une grande rappeuse et on dit aux nouvelles qu'elles n'auront jamais son succès. En plus elle allait très mal durant sa carrière. On pousse les femmes à être en compétition entre elles comme s'il y avait peu de places.» (Éloïse Bouton)9.

Diam's n'est ni la première rappeuse ni la dernière. Des femmes lui ont ouvert le rap avant elle mais n'ont jamais atteint un succès aussi populaire. Pour cette raison, les médias cultivent ce déni d'antériorité. «Ainsi c'est l'industrie qui a écrit l'histoire de Diam's. C'est finalement cette grosse machine qui a le plus profiter de son succès. Donc l'industrie se sert allègrement de cette image de Diam's qu'elle a fabriqué» (Mekolo Biligui)10. Pendant que la presse étale son ancre pour continuer à faire l'éloge de Diam's, elle invisibilise les nouvelles rappeuses qui arrivent derrière. Pourtant, ce sont les rappeur.eu.s de notre génération qui feront le futur du rap français.

8 Témoignage de Mélanie Diam's dans son documentaire Salam, produit par Brut. Vu au cinéma le 2 juillet 2022

9 Voir l'interview complète d'Éloïse Bouton en annexe

10 BILIGUI Mekolo, Le fantôme de Diam's hante les rappeuses françaises, Hiya

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2/ La représentation des rappeuses dans les oeuvres audiovisuelles récentes

Entre 2021 et 2022, plusieurs projets audiovisuels mettant en scène des rappeuses voient le jour. Ces séries, émissions ou documentaires ont la particularité de toucher un public large, pas seulement des fans de rap. Grâce à cela, ils jouent un rôle dans la perception que le grand public a des rappeuses. Si ces projets sont produits dans une tendance de montrer les femmes dans le rap, ils sonnent parfois faux, et peuvent entretenir une image faussée des rappeuses.

a -Validé

La série Validé est créée par Franck Gastambide, Charles Van Tieghem, Xavier Lacaille et Giulio Callegari et diffusée sur Canal +. Elle se déroule dans le paysage du rap français. Sa deuxième saison met en scène une rappeuse. Synopsis : Un an après la mort tragique de Clément, William et Brahim lancent le label Apash Music pour honorer la mémoire de leur ami. Ils misent tout sur Sara, une jeune rappeuse qui, en plus de son combat pour exister en tant que femme dans le rap game, voit son passé trouble ressurgir.11

Dans une interview pour Europe 1, Franck Gastambide dit «le parcours d'une femme dans le rap est forcément, lui aussi, pas ordinaire. D'abord parce qu'elles ne sont pas nombreuses. Et aussi parce qu'elles ont des embûches qui ne sont pas les mêmes.".

«Pour la saison 2 de Validé, j'espérais qu'ils parlent d'une rappeuse justement, mais je trouve que ça n'a pas été bien exploité, le rap est devenu secondaire.» (Mekolo Biligui)12.

Le sujet de la femme dans le milieu du rap est laissé tombé pour une intrigue qui se base sur la vie personnelle du personnage principal. Sara est développée comme mère, comme ex-copine et comme love interest, moins comme rappeuse. Je pense que c'était la meilleure chose à faire de montrer une rappeuse pour cette deuxième saison, mais la série n'a pas fait passer les messages qu'elle aurait pu. Mettre une rappeuse au coeur de cette deuxième saison était la meilleure chose

11 Synopsis de Validé saison 2, Allociné

12 Voir l'nterview complète de Mekolo Biligui en annexe

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à faire pour apporter un nouveau discours à la série. Il faut reconnaître que celle-ci reste singulière dans le paysage des séries françaises, et même si elle romance et fantasme sûrement un peu trop le milieu dans cette saison,

b - Diana Boss

Diana Boss est une série de France TV Slash écrite par Marion Seclin. Elle met en scène Malika, qui essaye de trouver sa place entre son job d'avocate et le rap. Cette série apporte un point de vue différent des autres projets. C'est le seul projet audiovisuel français sorti récemment, qui met en scène une rappeuse et qui a été écrit par une femme. Pour Marion Séclin, le rap est secondaire. D'ailleurs, on lui a imposé «femme» et «rap». C'est avant-tout une série féministe, qui fait évoluer son personnage entre deux monde opposés dans les consciences, et pourtant tous deux bien sexistes. Le personnage de Malika est présenté dans la courte série, à travers son ambition et les freins auxquels elle fait face en tant que femme racisée. Ça fait du bien de ne pas la présenter comme love interest d'une romance qui prendrait trop de place dans la narration. Cette série a été produite par France TV Slash dans un souci de tendance, montrer les femmes dans le rap c'est à la mode. Pourtant, c'est peut-être la plus juste dans la présentation des enjeux de son personnage féminin. Au moins, on ne nous rabâche pas à quel point c'est exceptionnel et dur d'être une rappeuse, mais que ces freins sont présents dans bien des milieux.

c - Nouvelle École

Nouvelle École est une émission produite par Netflix et sortie le 9 juin 2022. C'est la version française de Rythm & Flow aux États-Unis. Les jurés Shay, Niska et SCH cherchent la nouvelle pépite du rap français, entre Bruxelles, Paris et Marseille. Malgré des incohérences dans le show et un montage plutôt expéditif, qui implique pour l'instant peu le spectateur dans l'émission, il faut reconnaître la présence de rappeuses au casting telles que Soumeya, Leys, KT Gorique, Turtle White... On sent la volonté des showrunners de montrer des femmes. C'est une bonne chose car cette émission signée Netflix sera probablement regardée par un public large, qui n'a pas le réflexe d'aller découvrir des rappeuses. On note cependant la représentation ambivalente des rappeuses, d'un côté par Shay qui a un discours féministe, et de l'autre par Niska qui a des

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propos problématiques. Il dit à la rappeuse Leys dès le premier épisode qu'il va falloir qu'elle fasse la différence, car c'est un milieu de requins et très masculin, après avoir ajouté que le rap féminin en France c'est difficile car on ne voit pas beaucoup de femmes qui rap et que, peu de meufs ont le niveau. Je trouve que ça met une pression sur les rappeuses, qui doivent faire leurs preuves plus que leurs concurrents masculins, sous prétexte que c'est un milieu masculin. De plus, il dit que de ce qu'il écoute, peu de rappeuses ont le niveau, plaçant ainsi encore une fois le rap féminin comme catégorie inférieure face à un rap masculin.

d-Reines

Reines, pour l'amour du rap, est un documentaire diffusé sur Canal + en octobre 2021. 5 rappeuses sont réunies pour faire un morceau. Ahoo cumule aujourd'hui plus de 5 millions de vues sur YouTube et réunit les artistes Chilla, Davinhor, LeJuiice, Vicky R et Bianca Costa. Le documentaire s'ouvre sur un titre de Diam's sans que ce soit justifié, pour introduire un faux planète rap et des interventions comme «est-ce qu'il faut être sexy pour réussir ?». On ne comprend pas pourquoi Vicky R et Bianca Costa n'ont pas la parole en 1h15, seules 3 des artistes ont droit à un portrait. Même si Bianca Costa a créée sa Bossa trap, c'est quand même une artiste plus ancrée dans la pop que le rap, on à l'impression qu'elle a été appelé pour apporter une touche latino au morceau. Cependant, certains témoignages sont intéressants. Chilla nous parle des escroqueries et des rencontres malveillantes qu'elle a faites au début de sa carrière, qui est une réalité de beaucoup d'artistes, et encore plus pour les femmes dans la musique. Elle raconte aussi qu'elle a été dérangé d'être considérée comme représentante du combat féministe, et qu'elle ne voulait pas être perçu seulement à travers cette image. Vicky R et Davinhor expliquent aussi plus tard dans une interview qu'on fait croire aux femmes qu'il n'y a de place que pour une seule rappeuse, alors que les propositions sont extrêmement variées. Finalement, le documentaire est une bonne initiative, mais il aurait été judicieux d'impliquer plus de femmes dans sa production. En effet, aucune beatmakeuse n'a été appelée sur le morceau, le documentaire est produit et réalisé par un homme, même le chef opérateur est un homme, la seule intervenante féminine est la directrice artistique Juliette Fivet.

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Si on sent la volonté de ces projets de mettre en avant des rappeuses, ils ont quand même tendance à les présenter à travers leur absence. Hors, on a vu que les rappeuses sont de plus en plus nombreuses en France, on ne peut plus présenter l'exception de la femme qui rap. De plus, la plupart de ces projets sont à l'initiative et réalisés par des hommes. Diana Boss est la série qui souffre le moins du male gaze. Ainsi, les enjeux des rappeuses sont présentés de manière un peu fausse, romancée et fantasmée.

3/ La représentation des rappeuses dans les médias

a - Opposition de genres dans la critique spécialisée

Les médias ont une importance capitale dans la perception qu'à le public d'un artiste. «Les professionnels du jugement, sont responsables de la première attribution publique de sens et de valeur à une oeuvre» (Buch, 2006)13. Ils peuvent transformer l'image d'un artiste en mettant en lumières certains points et en écartant d'autres, ce que Karim Hammou théorise comme des «prises» et des «décrochages». Ils utilisent aussi parfois un lexique associé à un genre, qui contribue à opposer artistes masculins et féminins. On sépare ici les médias en deux catégories, les médias généralistes et les médias spécialisés.

Certains chercheurs ont mis en lumière ce phénomène, en montrant que la presse relaie de nombreux propos sexistes. Karim Hammou a étudié la réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000. Ces deux artistes, stars du rap depuis les années 2000, ont fait des choix de carrière similaires et pourtant la presse spécialisée leur a accordé une reconnaissance inégale.

Dans une étude qu'elle a mené, Catherine Rudent explique que les musiciens hommes sont associés à des termes de grandeur et les musiciennes à des termes de petitesse. À cause de ce lexique «genré», les critiques contribuent à transformer la simple différence de sexe en hiérarchie. Karim Hammou confirme cela dans Prises et décrochages de genre : la réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000. Il ajoute à cela que «Diam's est bien plus souvent renvoyée à son sexe et à son âge» tandis que «la seule mention de l»âge de Booba

13 BUCH Esteban, le cas Schönberg. Naissance de l'avant-garde musicale, 2006

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relevée dans l'abcdr, est l'occasion de souligner sa maturité.» Si les artistes femmes sont associées à une notion de sensibilité, de vulnérabilité et de faiblesse, l'homme est associé à la force, la violence, la puissance. Les deux rappeur-euse Diam's et Booba sont déjà sexualisés dans leurs oeuvres. Leurs paroles sont explicites, quand, par exemple, Diam's est «une jeune demoiselle qui cherche un mec mortel», Booba rappe «Si t'es une chienne je suis un loup, moi». Ces paroles sont amplifiées par des choix de direction artistique clairs, Booba est presque toujours en gros plan sur ses couvertures d'album, avec un air dominant et sa musculature mise en avant. Diam's n'est pas au premier plan sur les couverture d'albums, elle est cachée, elle a l'air perdue, cherchant de l'aide, elle regarde vers le bas. Brut de Femme est la seule couverture d'album où ne voit qu'elle. Son maquillage et ses bijoux sont mis en avant, hors, ce n'était pas son choix esthétique mais celle de son équipe, dans une optique de la féminiser dès 2003 : « La directrice artistique image de l'époque trouve que Mélanie a un grand nez, alors elle le cache sur la pochette. Et il n'y a pas de hit, alors que la meuf peut faire des hits. Je réinvestis 100 000 euros. Je mets Stéphane Djigui et toute l'équipe dessus, là ils font Incassable, DJ, et trois autres titres. Je mets Nathalie Canguilhem en direction image, qui va lui faire une belle petite coupe et va lui mettre deux anglaises. Tu te souviens de ces boucles d'oreilles ? C'est elle». (Benjamin Chulvanij, 2015)14. Ce qui est intéressant dans l'étude menée par Karim Hammou, c'est qu'on découvre que même si ces artistes choisissent d'eux même (ou bien leur équipe) de se sexualiser, les médias par la suite relèvent systématiquement les mentions sexuelles dans l'oeuvre de Diam's, mais ignorent la plupart du temps, la violence des propos de Booba. Pour l'abcdr, média spécialisé rap, «dans la bulle de Diam's, les filles ne sont visiblement que mamans ou putains». Booba, lui, donne une vision de la femme comme étant simplement une putain, mais aucun média spécialisé ne le relève. C'est plutôt dans la presse généraliste que certains journalistes s'insurgent, mais souvent ils s'en servent pour alimenter cette vision du rap violente, sexiste et homophobe. Plus généralement, la femme artiste est facilement associée au mainstream quand elle vend beaucoup, dans un sens péjoratif, qui sous entend un manque de qualité. L'homme artiste de son côté, n'est pas mainstream mais sa qualité est telle qu'elle est reconnue par le grand public. «Il est parfois difficile de faire le tri entre la sincérité franche et le calcul commercial» (Abcdr à propos de Diam's, Dans ma bulle). Karim Hammou insiste sur le fait que la presse spécialisé consacre à l'époque Booba comme figure maître du rap français, et que ce n'est pas le

14 Entretien avec Benjamin Chulvanij, Abcdrduson, 2015

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cas de Diam's : «La presse spécialisée (...) valorise Booba comme un artiste génial tout au long de la période étudiée, mais ne confère jamais ce statut à Diam's».

Ce n'est pas que dans le rap que les artistes, selon leur genre, reçoivent des critiques différenciées, mais dans tous les styles musicaux.. Si on se tourne vers la pop, Taylor Swift a de nombreuses fois exprimé son mécontentement face aux critiques qui lui donnent l'image de n'écrire que des chansons sur ses exs : «C'est un angle très sexiste. Personne ne dit ça à propos d'Ed Sheeran ou Bruno Mars. Ils écrivent des chansons à propos de leurs exs, leur vie amoureuse, et personne ne dit que c'est un red flag, ou qu»ils sont niais»15.

b - La représentation des rappeuses dans les médias généralistes

La presse non spécialisée dans le rap touche un public large et a une mission plus d'information que d'analyse. Elle ne présente pas le rap et ses artistes de la même manière que la presse spécialisée musique. Je vais ici montrer comment la presse généraliste façonne et entretient l'image du rap comme appartenant aux artistes de banlieue, racisés et véhiculant des valeurs de violence, de sexisme et d'homophobie, et comment cela impacte dans notre cas les rappeuses. Je me base, dans cette partie, sur une étude publiée en 2019 par Marion Dalibert intitulée Les masculinités ethno racialisées des rappeur.euse.s dans la presse.

Dans les médias généralistes, les artistes de rap sont présentés avec leur lieu de naissance et leurs origines : «Casey, une rappeuse d'origine martiniquaise» (Article du Parisien, 2019), «Oxmo Puccino : l'enfant du 19ème arrondissement» (Reportage BFMTV, 2012), Booba a une «mère blanche, et un père noir, d'origine sénégalaise» (Article Libération, 2012). L'enfance, quand elle est associée à la misère, est régulièrement mise en avant : «Kenny Arkana fait ses premières fugues à 9 ans» (Libération, 2007); «Un jour le père disparaît sans laisser d'adresse, et le gamin commence à mal tourner» (Télérama à propos d'Abd El Malik, 2006).

15 Taylor Swift en interview pour 2DayFMSydney, 2014 (citation originale en anglais)

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La presse généraliste n'hésite pas à parler de la masculinité virile des rappeurs et de la façon dont les femmes et les minorités sexuelles sont représentées. Elle associe bien souvent la violence aux rappeurs racisés, en présentant les rappeurs blancs comme des exceptions, les opposant à la violence des «autres» rappeurs. Ici un exemple qui parle d'Orelsan : «de la périphérie Caennaise pour conter (...) cette réalité des jeunes de sa génération, à l'opposé de la désastreuse caricature Booba et consort(...)» (Libération, 2008). Certains rappeurs racisés sont valorisés dans les médias, mais ils sont présentés alors comme des exceptions, les opposants aux autres rappeurs racisés : Abd El Malik «ne se conforme pas aux idées que l'on peut se faire du rap et des rappeurs» (Figaro, 2006). Ils sont présentés comme de bon maris et père de famille : Oxmo Puccino est «en couple depuis très longtemps avec madame» (Libération, 2012), Disiz est «catégorique sur le port du voile : ma femme est un trésor. La préserver, ce n'est pas la cacher» (Libération, 2003).

Les rappeuses ont plus la côte dans la presse généraliste que dans la presse spécialisée : Kenny Arkana est «la sensation rap» de l'année 2007 pour Libération. Elles sont quand même, et de la même façon que les rappeurs blancs et les rappeurs racisés «respectueux», présentées comme des exceptions : Princesse Aniès est «une des trop rares rappeuses de la scène française» (Libération, 2007); «Chilla, une rappeuse pas comme les autres» (France Inter, 2019). Elles sont plus valorisées car elles correspondent au public cible de ces médias, en incarnant des valeurs plus douces que les rappeurs, qui leur sont attribuées malgré elles comme vu dans la partie précédente. Cependant, elles sont fortement rattachées à la masculinité. Casey et Princesse Aniès sont des «garçons manqués» (Libération, 2005); «cette trentenaire cultive l'androgynie, le mauvais caractère et peut se montrer d'aussi mauvais goût que ses collègues masculins (...) Heureusement, elle ne cache pas longtemps sa tendresse». (Casey, rap colérique, Libération, 2007). Cette masculinité est valorisée lorsqu'elle s'oppose à l'image de la femme hypersexualisée : Kenny Arkana a «développé une esthétique allant à l'encontre de l'imagerie bimbo». (Le Monde, 2014).

On voit bien que la presse généraliste construit une image précise du rap et des valeurs qu'il transmet. Là où les médias spécialisés font des prises et des décrochages sur les informations qu'ils mettent en avant, les médias généralistes font des exceptions de tous les profils des

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rappeurs qui ne correspondent pas au profil violent, sexiste et homophobe. Cette notion d'exception empêche les rappeuses de s'imposer dans l'imagerie publique du rap et les garde au rang de minorités du hip-hop. Les médias, en étant un lien direct entre le projet d'un artiste et le public, ont une forte influence sur cette imagerie publique et par conséquent, une responsabilité de ce qu'ils relaient et mettent en avant du rap.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld