WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La place des rappeuses dans l'industrie musicale française


par Léa Piacentini
ISCPA - Bachelor de Production de projets artistiques 2022
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

4/ Les rappeuses sont absentes des bases de données

Le travail de recensement que réalise Madame Rap est purement manuel, elle les trouve sur les réseaux, plateformes de streaming, par le bouche à oreille... D'autres plateformes qui font offices de base de données à de nombreux chercheurs comme Genius ne font pas le même travail. Genius est une sorte d'encyclopédie numérique qui permet de rassembler les oeuvres musicales. Le concept de Genius est d'expliquer les paroles des chansons. Ça fonctionne sur le crowdsourcing, c'est-à-dire que, comme Wikipédia, il est alimenté par les internautes. Karim Hammou explique que «pour de multiples raisons, ces communautés d'amateurs s'investissent dans le projet en introduisant des biais sexistes»4. De nombreux travaux de sciences humaines et sociales utilisent Genius pour leurs recherches sur la musique et le rap. Les rappeuses sont largement absentes du site, leurs morceaux sont peu détaillés. «Début 2019, toutes les rappeuses françaises bénéficiaient ainsi ensemble d'une attention de la part de la communauté des amateurs moins importante que le rappeur Booba seul».

Que ce soit la nouvelle génération de rappeuses, ou celle présente avant Diam's, le public ne semble pas voir les rappeuses françaises. En effet, si il y en aurait plus de 350 actives en France aujourd'hui, elles sont très peu représentées dans les ventes et les certifications et ont peu de visibilité. Le grand public doit en connaître 3 ou 4. Elles semblent également peu se mélanger aux rappeurs français, qui ne leur donnent pas vraiment de «force».

11

4 HAMMOU Karim, Le Genius n'a pas de sexe, Hypothèses, Sur un son rap

12

CHAPITRE 2 : QUELS FREINS EMPÊCHENT LES RAPPEUSES DE S'IMPOSER DANS LE RAP FRANÇAIS ?

De plus en plus de projets féminins qualitatifs sortent sur les plateformes. Comment alors expliquer cette absence des femmes dans les artistes de rap les plus écoutés ? J'ai voulu comprendre si le public est réticent à écouter des rappeuses, si les professionnels de l'industrie sont réticents à promouvoir les rappeuses ou si le manque venait plutôt de leur part, si elles sont réticentes à se lancer dans le rap. Je vais ici démontrer que c'est avant tout un problème de société, qui impact l'industrie, le public et les rappeuses.

I. Approche scientifique

Il me semble important d'apporter une vision sociologique à cette recherche. Plusieurs chercheurs comme Karim Hammou, Emmanuelle Carinos, Marie Sonnette, ou Denis Constant Martin, en sociologie et ethnomusicologie, ont commencé des recherches sur le rapport des genres dans le rap. Dans cette partie, je me baserai essentiellement sur leurs travaux, en relevant les points qui sont les plus pertinents pour ce mémoire.

1/ Un sexisme de société

a - Tuyau percé

Dans tous les domaines de la société, les femmes sont bloquées à un certain niveau de la hiérarchie. Leur progression est freinée. Elles sont largement absentes des postes les plus élevés de la hiérarchie. Dans la musique par exemple, 13% de femmes ont été recensées par Karim Hammou à des postes de décision dans les entreprises qui font plus de 10 millions de chiffre d'affaires. Cette notion est théorisée comme «le plafond de verre». Elle est aussi présente dans le métier d'artiste. Peu de rappeuses accèdent à un niveau élevé de notoriété, pouvant être qualifié de mainstream. Bien que ce soit un niveau difficile à atteindre pour tout artiste, on voit bien que dans le rap, à part quelques noms connus du grand public comme Diam's, Chilla, Shay... La

13

plupart des artistes rap qui atteignent ce niveau sont des hommes. Seules trois rappeuses francophones ont obtenu un disque d'or, équivalant à 50 000 ventes depuis 2009.

Il existe d'autres termes pour qualifier des phénomènes équivalents. La notion de tuyau percé explicite le fait que les femmes sont éjectées à chaque niveau d'une organisation et sont donc de moins en moins présentes, plus on monte les échelons. La « falaise de verre » montre également que les femmes sont uniquement promues à des postes de pouvoir lorsque l'entreprise est en crise. Selon l'institut belge pour l'égalité des femmes et des hommes, le manque de compétence des femmes peut difficilement être invoqué et le plafond de verre engendre une perte énorme de potentiel. En effet, les entreprises caractérisées par un équilibre de genre au niveau du management obtiennent de meilleurs résultats. Karim Hammou illustre cette notion avec comme exemple, qu'on ne compte que 5% d'album rap publié par des femmes, alors qu'au début des années 2000, 40% des femmes constituaient le public rap. Avec la féminisation des pratiques culturelles, ce chiffre est aujourd'hui plus proche des 50%. Pour Karim Hammou, le rap a toujours été traité dans les médias comme le genre machiste par excellence, mais ça permettrait de reconnaître qu'il y a du sexisme dans le milieu plus facilement que dans d'autres domaines. Le sexisme vient aussi bien d'autres rappeurs, du public, des directeurs de labels, de la critique musicale...

Cet entre soi masculin participe à l'invisibilisation des rappeuses. Cela impact aussi la direction artistique imposée à certaines rappeuses. On les pousse vers la pop et le RnB. Les styles sont associés à des genres, et plus généralement, la douceur et la mélodie au féminin et la violence au masculin. «Une fille qui chante avec une voix douce et une guitare acoustique ça marche très bien, mais si elle veut être lead singer d'un groupe de metal on considère que y' a pas de place pour ça» (Renaud Durussel, interview complète en annexe).

b - Déni d'antériorité

Le déni d'antériorité est le fait de consacrer un caractère exceptionnel et nouveau à un événement, alors qu'il ne l'est pas vraiment. Il est souvent lié à la présence des femmes dans un milieu. Par exemple : "à l'échelle de l'histoire littéraire, une des procédures de disqualification

14

des femmes consiste à réitérer le caractère inédit de leur présence : les écrivaines sont toujours nouvelles en littérature»5. C'est ce qui se passe dans le cas des rappeuses. À part Diam's, très peu de gens peuvent citer des rappeuses, pourtant, les femmes sont présentes dans le rap dès ses débuts : B.love, Sté Strauz, Saliha, Melaaz, Casey, Keny Arkana, Princesse Aniès, Lady Laistee. Diam's a été le premier succès commercial, mais pas la première rappeuse. De plus, on a l'impression qu'après elle, il n'y a plus eu de rappeuses. Hors, une nouvelle génération est bien présente, puisqu'on estime le nombre de rappeuses à 350 actuellement6, et c'est probablement plus. Les médias font normalement ce travail de mémoire, c'est eux qui construisent une nostalgie autour de Diam's et oublient trop souvent de mentionner une rappeuse qui sort son album, ou les pionnières du rap en France, qui avait d'ailleurs eu un succès à leur époque. Il faut le rappeler, pour que le public ne pense pas qu'à chaque fois qu'une femme se lance dans le rap, c'est exceptionnel. «Les déclarer novices dans cet espace de la création, les prive collectivement de l'existence d'une filiation légitime. Cette assertion répétée d'une période à l'autre, entrave continûment leur participation à la littérature, leur infligeant un « déni d'antériorité».

2/ Rap de fille

Malgré les 2800 femmes et personnes LGBTQ+ qui sont artistes de rap dans le monde, selon le média Madame Rap, «les artistes masculins sont la norme, et être une femme reste une particularité» (Éloïse Bouton, fondatrice de Madame rap).

Dans notre culture, fille équivaut à moins bien. Une rappeuse est perçue comme inférieure à un rappeur. Martin Winckler, sur un tout autre sujet, a étudié le sexisme dans les études médicales. Il a trouvé que le corps de la femme a été beaucoup moins étudié que le corps de l'homme. Cela veut dire, d'une part, qu'on sait moins bien soigner une femme qu'un homme. D'autre part, que le corps de l'homme est beaucoup plus représenté dans les ouvrages de médecine. Je trouve pertinent de citer son travaille car il s'applique finalement à la vision de la femme de manière générale. Cela prouve aussi l'importance de la représentation et de la visibilité pour façonner l'image collective. «D'ériger le corps masculin en norme a comme conséquence de traiter le

5 NAUDIER Delphine, Genre et activité littéraire : les écrivaines francophones, 2010

6 Chiffres Madame Rap

15

corps féminin comme corps différent, comme corps spécifique, comme corps qui dévie de la norme. Pour cette raison, la médecine a depuis l'Antiquité décrit le corps féminin comme inférieur à celui de l'homme, instable, pathologique». Ceci se vérifie dans bien d'autres écrits. Par exemple : «La froideur et l'humidité, associées à un tempérament flegmatique, rendent les femmes naturellement plus faibles parce qu'elles sont physiquement imparfaites, empêchées par un corps constamment malade.»7. Ces idées sont véhiculées depuis la mythologie, et affectent jusqu'à ce qui devrait être un domaine purement objectif et scientifique comme la médecine. Wittig rappelle, lui, que le concept de «différence des sexes» constitue «ontologiquement les femmes en autres différents. Les hommes eux ne sont pas différents. (Les Blancs non plus d'ailleurs ni les maîtres mais les Noirs le sont et les esclaves aussi).» On imagine bien alors, qu'un domaine aussi soumis à la subjectivité que l'art, la musique, est terriblement impacté par ces idées sexistes et patriarcales, comme la femme étant une suite de l'homme, une réplique moins qualitative.

C'est pour cela que du simple fait de leur genre, les rappeuses sont soumises à une pression bien plus élevée que les hommes. La critique est intransigeante. Une rappeuse, pour être considérée comme «forte» devra être excellente. Là où, un rappeur dont le flow est correct, une punchline est sympa ou le concept du son est fun, pourra percer plus facilement. Dès les débuts du rap en France, les femmes abordent ce sujet «Combien de fois j'entends les mecs dire des meufs qu'elles n'avaient pas assez de punch, qu'elles n'assuraient pas au niveau des paroles etc... et tandis qu'elles regroupent à peu près toutes les mêmes qualité que les mecs espéraient chez une rappeuse, maintenant elles ne sont pas assez féminines» (Sista Cheefa, 1995). Saliha, bien que son nom soit rarement connu du grand public, est une pionnière du rap en France. Elle dit en 1997 «Quand tu es une fille sur scène, le public a plus d'idées préconçues, de préjugés (...) Tu as intérêt à te battre deux fois plus».

On voit donc bien que le sexisme présent dans notre société rend l'accès au rap plus difficile pour les artistes féminines que les artistes masculins. Dans la perception générale du public, et parfois dans la leur, une rappeuse serait moins douée qu'un rappeur. Dans la prochaine partie,

7 DORLIN, La matrice de la race : Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, 2006

16

j'aborderais la responsabilité des médias et le rôle des oeuvres audiovisuelles dans la perception et l'existence des rappeuses auprès du public.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein