Partie1 : éléments théoriques
connus
I.
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La professionnalisation
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1. Définir et préciser l'objet de
l'étude
Sur un axe sémantique la racine « profession
» renvoie dans un premier sens à « une occupation dont on
peut tirer ses moyens d'existence » (Dictionnaire Le Robert) ce qui
ajoute une connotation positive dans une société pour laquelle le
travail reste un pilier. Cette valeur ajoutée s'intensifie dans un
second sens: « Métier qui à un certain prestige social
ou intellectuel » (toujours selon Le Robert). Pour préciser,
d'après Dubar (1998), la profession suggère l'idée d'une
activité plus cérébrale que le métier qui resterait
principalement manuel. Elle renvoie à un groupe professionnel dont les
membres partagent une identité professionnelle, des savoirs, et
bénéficient de reconnaissance professionnelle de la part des
institutions concernées, de la communauté et de leurs
supérieurs.
Ce radical de profession est prolongé par le suffixe
(-alisation) qui traduit un sens de processus, celui par lequel l'occupation
devient profession. Le terme apparaît fin XIXème dans des groupes
sociaux et devient il y a une trentaine d'années, une réelle
préoccupation en France.
Pour le sociologue Richard Wittorski la professionnalisation
émane d'une intention des organisations visant à apporter de la
flexibilité dans les activités de travail et des
compétences aux individus, et en ce qui concerne l'école
«Les institutions éducatives se trouvent aujourd'hui et depuis
un certains temps dans « la nécessité » de
professionnaliser » (Wittorski R., 2008). L'explosion des besoins en
accompagnants d'élèves en situation de handicap dans la logique
de l'école inclusive amène l'Éducation Nationale à
cette injonction de professionnalisation ; d'une logique de résultat
nous sommes passés à une logique de rendement, l'école
n'échappe en rien à ce changement de direction.
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Au sujet de la professionnalisation, historiquement nous
pouvons différencier ces points de vue:
· une première approche anglo-saxonne, de la
sociologie des professions, fonctionnaliste, voit la constitution de la
profession comme une nécessité pour répondre à un
besoin de service, dans une direction structurante plutôt libérale
(Parsons,1937). Aux États-Unis dans les années 60, cette
idée fait son chemin en s'appuyant sur des savoirs théoriques,
sanctionnés par un diplôme garantissant une certaine
qualité du service (comme les juristes, les médecins,...). Cette
description conduit à un idéal type limitant le nombre des
professions; ainsi les enseignants, les travailleurs sociaux, les
métiers adressés à autrui se verront restreints au terme
de « semi-profession » (Etzioni, 1969), ce qui nous amène
à ne pas retenir cette position pour cette étude. Cette vision va
trouver des détracteurs de part sa définition trop
restrictive.
· de leur côté les adhérents du
courant interactionniste comme Hugues parlent de pluralité des
identités professionnelles au sein d'un même groupe.
L'intérêt est ici plus de comprendre comment le groupe essaie
d'élever son occupation au statut de profession. La professionnalisation
tient au travail de l'acteur collectif permettant la différenciation
entre ces groupes et apportant autonomie et expertise au professionnel. Ce
processus se réalise au travers de l'activité et dans les
interactions avec les pairs. La professionnalisation devient ici un fait
social, une transaction et se décrit au travers de parcours individuels
et collectifs.
Parmi les quatre idées défendues par l'approche
interactionniste nous retiendrons pour notre étude les deux suivantes :
« 1 : Les processus biographiques et les mécanismes
d'interaction sont dans une relation d'interdépendance. La dynamique
d'un groupe professionnel dépend des trajectoires biographiques de ses
membres, elles-mêmes influencées par les interactions existant
entre eux et avec l'environnement. Et 2 : Les groupes professionnels cherchent
à se faire reconnaître par leurs partenaires en développant
des rhétoriques professionnelles et en recherchant des protections
légales, tous aspirent à obtenir un statut protecteur.»
(Wittorski .R, 2008).
· les travaux français préféreront
la description multiforme de la professionnalisation à celle de
l'idéal type trop limité des anglo-saxons. En France la
société ne correspond pas
11
au modèle anglo-saxon, l'état tient une position
beaucoup plus centrale. Nous considérons la professionnalisation comme
multidimensionnelle, suivant des étapes situées dans le temps. En
effet, les travaux de Bourdoncle (2000) nous amènent à
définir cinq objets de professionnalisation (Wittorski 2008) :
« (1) la professionnalisation de l'activité.
C'est lorsque l'activité n'est plus exercée de façon
gratuite mais de façon rémunérée et à titre
principal. C'est également faire en sorte qu'elle s'enseigne à
l'université, cela suppose que les individus partageant la même
activité explicitent et formalisent des savoirs qui seront
enseignés dans des cursus universitaires. Dans ce sens, la
professionnalisation d'une activité passe par «l'universitarisation
de sa formation professionnelle » ;
(2) la professionnalisation du groupe exerçant
l'activité. Celle-ci passe notamment par la création d'une
association professionnelle, d'un code de déontologie et par une
intervention de nature politique de manière à obtenir un droit
unique à exercer l'activité (Dubar, 1991) ;
(3) la professionnalisation des savoirs. Les savoirs
professionnels ont tendance à être abstraits, organisés et
validés selon un critère d'efficacité et de
légitimité ;
(4) la professionnalisation des personnes exerçant
l'activité. Il s'agit d'un processus d'ac-quisition de savoirs et de
compétences professionnelles en situation réelle (Bourdoncle,
1991, parle à cet endroit de « développement professionnel
» entendu comme le processus d'amélioration des savoirs et
capacités) (Dubar, 1991) et de construction d'une identité. Cela
correspond à une dynamique de socialisation professionnelle ;
(5) la professionnalisation de la formation. Il s'agit de
construire la formation de manière à ce qu'elle rende les
individus capables d'exercer une activité économique
déterminée. »
Bourdoncle nous montre donc que la notion de
professionnalisation est fortement liée à celle de
développement professionnel3 et pour reprendre Wittorski
(2008) au sujet de Le Boterf (2007) : « la professionnalisation est au
carrefour du sujet (son histoire et sa socialisation), des situations
professionnelles qu'il a rencontrées et des situations et parcours de
formation qu'il a suivis. Selon lui, l'itinéraire de
professionnalisation d'un individu (relevant d'une logique de «navigation
professionnelle ») correspond à la rencontre de
3 Développement professionnel : transformations
individuelles et collectives des compétences et de composantes
identitaires mobilisées ou susceptibles d'être mobilisées
dans des situations professionnelles » (Barbier, Chaix et Demailly, 1994 ;
Beckers 2007). C'est une des définition proposée, le concept ne
semblant pas stabilisé.
12
situations variées (au delà des seules
formations « en face-à-face ») qui constituent autant
d'espaces dans lesquels le sujet déploie une activité propice
à son développement ».
Ce concept de développement dans l'activité de
travail, de développement professionnel, est de plus en plus soutenu par
la notion de compétences4 : « le
développement professionnel se réalise par une incorporation
croissante des compétences à l'action et par leur
hiérarchisation » (Wittorski , 2008). Leplat (2001)
parle de compétences incorporées, « S'agissant des
apprentissages développés dans les situations de travail, une des
conceptions dominantes de l'analyse du travail consiste à dire que l'on
apprend d'abord des « compétences incorporées » soit
par imprégnation, soit par l'action, soit de façon
contrôlée ». L'acteur va cumuler des expériences
en complément des notions qu'une formation lui apporte et ainsi
acquérir de plus en plus de compétences. La professionnalisation
des savoirs et de l'activité formalise ces compétences en
référentiels ou en socle. L'organisation doit apporter ce cadre
à l'acteur afin qu'il fixe ses savoirs faire.
La professionnalisation peut aussi se voir comme la
construction d'une rhétorique (Tardif et Lessar 2000) par le groupe.
Elle est corrélée à une construction identitaire ce qui
rejoint le point 4 ci-dessus et cette fabrication d'identité est
elle-même fortement liée à la notion non seulement de
reconnaissance par les pairs des compétences acquises et de
l'activité produite mais aussi de la reconnaissance de l'individu en
tant que professionnel par l'organisation (cette dernière est
identifiée comme élément de notre question de
départ). « peut-être est-il plus approprié de
concevoir la professionnalisation essentiellement comme une rhétorique,
un discours que produit et diffuse un groupe occupationnel dans sa lutte
constante pour l'autonomie et la reconnaissance d'une pratique qu'il cherche
à maintenir et à contrôler » (Tardif et Lessard,
2000 p.99).
Ainsi nous pouvons prendre en compte la définition de
Wittorski pour qui il existe trois approches de la professionnalisation (celle
des individus, celle des activités et enfin celle des organisations): la
professionnalisation est « une intention (du côté de
l'organisa-tion) de « mise en mouvement » des sujets dans les
systèmes de travail par la proposition
4 Compétence définie par Bourdoncle (2000) comme
: » la capacité d'accomplir une tâche
déterminée dans une situation donnée. La compétence
renvoie plus à l'action avec sa finalité et son efficacité
qu'à la connaissance, qu'elle mobilise, mais sans s'y réduire.
13
de dispositifs particuliers, traduisant une offre de
professionnalisation ; un processus de développement de process d'action
(côté individu ou groupe) dans ces dispositifs, assorti souvent
d'une demande, émanant des sujets, de reconnaissance par l'organisation
; une transaction (individu et organisation) en vue de l'attribution d'une
professionnalité à l'indi-vidu à partir des process
d'action développés. » (Wittorski, 2008)
Wittorski a mené de nombreux travaux sur la
professionnalisation qu'il aborde soit par une entrée sociologique avec
la constitution de nouvelles professions (processus de négociations par
des groupes sociaux), soit à travers la psychologie au regard de la
socialisation de l'être dans l'activité de travail et dans les
interactions avec cet environnement (processus de formation). Les deux
entrées conviennent à cette recherche d'autant plus qu'il s'agit
d'une profession en construction. Il est aussi possible de s'intéresser
à des niveaux de compréhension du processus.
2. Les niveaux de professionnalisation
L'approche par les niveaux de professionnalisation peut
compléter ce que nous venons de voir. En effet Jean Clénet (2005)
et Pascal Roquet (2012) s'attachent à trois niveaux de
compréhension : macro, méso et micro.
Au niveau macro: la construction d'une profession
s'échelonne dans le temps et devient donc un processus historique avec
ses progrès, mais aussi ses piétinements. Pour Roquet les
éléments apportés par l'historicité du processus
sont remarquables et aident à sa compréhension car la
professionnalisation est dynamique et sans cesse en évolution.
Dans la fabrication de la profession l'évolution des
systèmes de formation montre un éventail de modes sans cesse
renouvelé: les apports des outils numériques, l'alter-nance et
même les cursus universitaires se modifient. C'est dans ce niveau que se
comprend cette diversité: filières, cursus, carrières
représentent autant de segments professionnels, avec des objectifs de
modèles revisités eux aussi par l'ingénierie.
Ce niveau sera une bonne entrée dans la
compréhension de l'évolution de l'accom-
14
pagnement scolaire du handicap car la profession a connu de
nombreux bouleversements dans son historique et cela participe à sa
difficulté à émerger et se fixer comme profession à
part entière.
Au niveau méso (ce mot vient du grec et signifie
milieu): ici nous allons nous intéresser au contexte dans lequel se
construit la profession. Il s'inscrit dans un mouvement historique (macro) qui
se prolonge dans les effets de l'environnement. Il s'agira d'expliquer le
phénomène par les facteurs politiques, géographiques,
économiques et sociaux qui dessinent la profession. Le niveau
méso se situe dans les contextes formatifs, il se traduit dans les
transactions de l'individu avec ce milieu qui l'amènent à
l'autonomie dans son activité.
En ce qui concerne les AESH, ce milieu existe au travers de
certains dispositifs de formation, dans le volume de 60 heures de formation
obligatoire à l'entrée des contrats mais aussi dans l'ensemble
des contraintes et directives données par le cadre loi. C'est la
socialisation des acteurs qui se joue ici, leur amenant les codes et les
valeurs liés à la profession.
Le niveau micro se comprend dans les parcours biographiques
des individus. Ces parcours, faits de ruptures, de continuité,
d'orientation, de choix façonnent la professionnalisation de chacun de
manière très individuelle; ainsi dans les groupes professionnels
formés, comme dans ceux encore en constitution, il existe une
hétérogénéité évidente entre les
personnes qui les constituent.
Cette diversité participe également à la
constitution du groupe et intervient aussi dans la construction de
l'identité professionnelle de chacun, au travers des interactions au
sein même du groupe: les différents profils auxquels les acteurs
s'identifient (décisionnaire, médiateur, passif...) influencent
leurs choix, leurs postures et orientent aussi leur professionnalisation. Ces
processus s'identifient dans les continuités et discontinuités de
la formation tout au long de la vie.
3. Les trois catégories de professionnalisation
d'après Dema-zière (2009)
15
Pour Demazière il est impossible de décrire de
manière universelle ce qui n'est pas professionnalisé
(amateurisme, bénévolat, non qualifié...). Et pour lui
cela implique une diversité catégorielle de ce qui l'est:
- une première catégorie politique s'impose
à nous puisque décidée par l'institution au travers de la
mise en place de politiques publiques. L'encouragement à la
professionnalisation par les pouvoirs publics a pour cible la normalisation de
certaines activités pour répondre à de nouveaux besoins de
plus en plus conséquents. La finalité est le développement
de l'emploi. Elle s'inscrit dans un niveau macro, car elle dépend des
besoins qui évoluent dans la chronologie.
- une deuxième catégorie plus centrée sur
l'individu, niveau micro, peut être qualifiée de culturelle ou
identitaire : elle représente la construction du professionnel qui
cumule les expériences et s'oriente en fonction de ces dernières
mais aussi de ses propres valeurs. Dans cette catégorie la notion
d'engagement est importante car elle va caractériser l'implication de
l'individu, et elle reste aussi sujette à la reconnaissance par les
pairs et l'institution.
- enfin Demazière parle de catégorie
gestionnaire ou managériale ; elle est générée par
l'injonction institutionnelle et fournit le cadre et les contraintes à
tenir; Elle façonne donc à sa manière une
professionnalisation au nom de la modernisation, par des injonctions de
rendements par exemple.
Il semble donc réaliste de mettre en lien les niveaux
(Clénét, Roquet), les approches (Wittorski) et les
catégories (Demazière) de la professionnalisation illustrant son
aspect hétéroclite et polysémique. Pour faire un point sur
ce qui a été vu nous pouvons avancer que la professionnalisation
est un processus qui s'inscrit et évolue dans le temps, qui
dépend du contexte et de la volonté institutionnelle et qui est
multiforme au sein de même groupe car les caractéristiques
individuelles (psychologiques, physiques et biographiques) y entrent en jeu de
manière forte. Il n'y a donc pas un mais des processus de
professionnalisation très diversifiés dépendant d'un
espace (temps-contexte) et des caractères de chaque individu.
16
Pour clore cette partie sur la professionnalisation nous
retiendrons quelques points essentiels à sa réalisation:
l'intention doit émaner de l'organisation, elle découle en
général d'une nécessité de régulation
sociale. L'organisation doit fournir aux acteurs le cadre institutionnel
(législation, statuts), une formation efficace et une reconnaissance.
Cette reconnaissance implique la création d'un espace-temps permettant
le dialogue entre l'ins-titution et l'institué mais aussi et surtout
l'échange entre les institués eux-même: dans le cadre de
cette recherche l'accompagnement par l'AESH référent semble
être un vecteur, un support de cette espace-temps d'échange.
« Autrement dit, la professionnalisation
relève de l'organisation, de l'institution, du tiers qui prescrit et
évalue et ainsi « fabrique » les compétences. Ici
l'identité « prescrite » puis «reconnue/attribuée
» est en jeu » (Jorro et Wittorski, 2013).
« Les situations de formation professionnalisante
peuvent être considérées comme formelles et
organisées, dans la mesure où elles sont
institutionnalisées dans le cadre d'un dispositif. Elles sont
décrites dans des référentiels, sous la forme de savoirs
prescrits et/ou de compétences désignées, voire attendues.
» (MAUBANT, 2011)
Le groupe professionnel sera ainsi capable de construire une
identité façonnée et partagée par les acteurs. Mais
l'acteur par son engagement et par son profil biographique influence aussi le
processus de professionnalisation. La notion d'accompagnement est mue par
l'engagement puisque l'action est volontaire et altruiste. Cette notion
nécessite donc d'être étudier plus finement dans le
paragraphe qui suit.
17
II.
|
L'accompagnement : l'épine dorsale des
métiers adressés à autrui
|
1. Historique et principes
Il faut s'intéresser au mot compagnon pour retrouver
l'étymologie de ce terme: du latin com et panis, « celui avec qui
on partage le pain ». D'après le centre national des ressources
textuelles et lexicales, les origines du mot accompagnement remontent au
XIIème siècle avec le sens de contrat de pariage
(partage de seigneurie), puis en 1539 «suite, ensemble des gens qui
accompagnent un personnage » (R. Estienne, Dict. françois-lat.,
p. 6). C'est à la fin du XVIIème qu'il adopte
l'orthographe que nous lui connaissons aujourd'hui, dans le domaine musical (ce
que fait celui ou ceux qui accompagnent le chant), c'est ce sens là que
l'on retrouve comme sens premier dans les vieilles éditions des
encyclopédies. En cuisine l'accompagnement est ce qui va avec
l'élément principal de l'assiette (les légumes
accompagnent la viande...).
Historiquement ce mot a ainsi pris plusieurs sens et
l'accompagnement de la personne va prendre différentes formes de nos
jours (coaching, tutorat, counselling, mentoring...).
Pour Ardoino (2000) l'accompagnement s'étend dans
plusieurs domaines: l'éduca-tion, la formation tout au long de la vie,
le sport, le milieu médical, les instances juridiques et sociales, les
coopérations internationales... Il se comprend dans une
temporalité durée, sur un espace situé (Ardoino parle de
cheminement commun, de bout de route). Il est primordial de garder
à l'esprit cette notion de durée d'accompagnement et
d'espace-temps car quel que soit l'accompagnement il doit à un moment
prendre fin, c'est même l'objectif premier: l'accompagnant accompagne
l'accompagné jusqu'à ce qu'il soit autonome et n'en ait plus
besoin; il nécessite une relation subjective et interactive entre des
personnes qui adoptent une position éthique et un système de
valeur. Ardoino le définit comme paradigme, reconnaissant
l'étendue et la diversité des champs dans lesquels il s'exerce.
Pineau (1998) le rejoint en abordant trois filets de sens: une relation de
partage, un mouvement vers une parité de relation et une durée
alors que Roberge (2003) ou Le Bouëdec (2007) y voient un art qui prend
corps dans « une question de position relationnelle, de
18
valeurs et d'éthiques », et « le fruit de
l'expérience ».
Pour Maela Paul (2009) « l'accompagnement...concerne
deux personnes de statut inégal mais qui néanmoins, vont devoir
fonctionner au sein d'une relation conjuguant disparités des places et
parité relationnelle...Il s'agit bien d'être avec et d'aller vers
». Elle définit cinq dimensions: une posture éthique,
une posture de non savoir, une posture de dialogue, une posture d'écoute
et une posture émancipatrice ce qui correspond bien aux trois concept
clefs: l'individualisation, l'autonomisation et la socialisation qu'elle relie
aux trois modèles: thérapeutique (ne pas nuire à la
personne, ne pas s'y substituer), maïeutique (aider les hommes à
s'accoucher d'eux-mêmes) et initiatique (l'accompagné passe du
statut passif à actif dans et pour sa communauté).
Nous préférons le point de vue de Paul à
celui de Boutinet qui distingue deux dimensions: l'accompagnement-visée
et l'accompagnement-maintien. En effet nous pensons que ces deux formes sont
indissociables dans le processus d'accompagnement. De plus nombreux auteurs de
la tradition estiment la relation asymétrique et la figure de
l'ac-compagnant expert nécessaire où l'accompagné
reçoit de l'extérieur (l'accompagnant) les lois et les codes pour
améliorer sa conduite; c'est une situation d'hétéronomie.
Aujour-d'hui ce que l'on voit émergé c'est que l'accompagnant
établit une relation avec l'accom-pagné afin qu'il trouve en
lui-même ce qu'il doit faire et être: c'est une situation
d'autonomie.
Ce que confirme Roquet (2009) : « Dans le paradigme
de l'accompagnement, seul le sujet animé par un projet sait ce qui vaut
pour lui, et le construit chemin faisant. L'impli-cation de l'accompagnant est
donc tout autre : son rôle est de comprendre l'autre, les significations
qu'il donne à sa situation, les motivations qui l'animent et les
intentions qu'il vise ».
À ce sujet Le Bouëdec (2007) avance que les
qualités humaines nécessaires à construire cette
parité de relation ne se trouvent dans aucune formation universitaire.
La posture de l'accompagnateur a donc changé car la
société a compris que l'individu lors-qu'il participe activement
à sa construction identitaire et professionnelle adopte des attitudes
lui permettant de recevoir, de transmettre, d'échanger bien plus
positivement que lorsqu'il subit une aide externe surplombante.
Pour Tardif (2012) c'est un virage paradigmatique: nous sommes
passés de pratiques à l'institué (verticalité de la
hiérarchie, dialogue polarisé expert/non expert) à des
pratiques instituantes (coopération, agir ensemble, horizontalité
du travail entre pairs).
Après avoir aborder les postures nous pouvons parler
des processus de l'accompa-
19
gnement (puisqu'il se situe dans une temporalité).
Denoyel (2007) distingue trois niveaux: « identifier la
complémentarité des acteurs, assumer/accepter la
réciprocité réflexive et clarifier les mutualités
coopératives » mais Boutinet lui s'appuie sur quatre temps: le
diagnostic, l'élaboration du projet, sa mise en oeuvre (pour laquelle il
parle de cogestion de la démarche par l'accompagnant et
l'accompagné) puis son évaluation. Il y a donc bien plusieurs
temps qu'il sera nécessaire de bien identifier pour toute
démarche.
2. Accompagnement collectif et collectif accompagnant
À ce stade, nous devons nous attarder sur
l'accompagnement collectif qui correspond aussi à la mission de l'AESH
référent. Le but est de créer cet espace temps, ce lieu de
socialisation et d'émancipation qui va prendre sens dans le dialogue
entre pairs, le partage et l'échange d'expérience: le
référent, en médiateur, devient l'interface entre les AESH
et l'institution, navigant entre l'animation du groupe en incitant dialogue
participation et l'accompagnement de l'individu. Cette médiation est
capitale car l'injonction de professionnalisation par l'institution
génère de la résistance chez les accompagnés.
L'accom-pagnant doit faire preuve de réflexivité, accepter
l'autre, lui montrer qu'il peut faire confiance, que le but est le changement,
l'interactivité créatrice. L'accompagné lui doit pouvoir
faire ses choix et cela nécessite donc une part d'autonomie au tout
départ de la relation d'accompagnement. Cette interactivité
subjective et créatrice ne peut se développer que dans le cadre
d'une éthique qui permet la reconnaissance des compétences de
tous. Cette éthique va orienter les actions, ce n'est pas quelque chose
que l'on rajoute, c'est l'essence même de la relation d'accompagnement,
car sans étique les dominants prennent le pouvoir. Sur le modèle
de la théorie de l'action conjointe en didactique (TACD) de Sensevy
(2011), le collectif pourra se structurer dans une relation horizontale :
l'accom-pagnement collectif devient collectif accompagnant.
Nous venons de voir que l'accompagnement repose sur trois
piliers: la création d'un tiers lieu, un espace-temps
d'échange et de dialogue dans un cadre institutionnel,
l'in-teractivité subjective des accompagnés et
accompagnants, et une éthique qui guidera les individu vers un
changement de pratiques.
20
Dans cette diversité de principe théorique et
social nous trouverons des critères à faire correspondre au cas
particulier des AESH, il est donc nécessaire de présenter
maintenant ces derniers.
21
III.
|
Les Accompagnants d'Élèves en Situation
de Handicap :
|
L'accompagnement scolaire du handicap poursuit un chemin
laborieux car trop dépendant du nombre de politiques successives,
souvent contradictoires, dont le pilotage est sous la direction
d'entités différentes (famille, association, institutions,...),
qui n'ont pas toujours les mêmes objectifs (égalité,
justice, équité, bien être, stabilité du tissu
social...). Un historique s'impose car la biographie de cette profession (en
devenir) apportera une compréhension à la situation actuelle.
1. Des auxiliaires d`intégration scolaire aux AESH:
Pendant des siècles les enfants différents (le
mot handicap n'est sorti du lexique du jeu et du sport pour entrer dans le
langage médical que vers 1950) étaient soit
relégués au fond de la classe affublés d'étiquettes
très négatives (débile mental, attardé, fou...)
soit cloîtrés dans les familles qui ressentaient trop de honte
pour envoyer leur enfant parmi les autres. Aujourd'hui l'inclusion scolaire en
milieu ordinaire fait partie intégrante des politiques éducatives
mais cela s'est fait au prix de grands bouleversements culturels et
structurels.
La première impulsion, pas la moindre, se
matérialise dans la loi d'orientation du 30 juin 1975 : « Les
enfants et les adolescents handicapés sont soumis à l'obligation
éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une
éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation
spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers
de chacun d'eux par la CDES5 et associant des actions
pédagogiques, sociales, médicales et paramédicales.
». Les lignes bougent enfin et l'injonction d'obligation
éducative ajoutée à la pression des associations de
parents d'élèves amènent à l'apparition des
auxiliaires
5 Commission départementale de l'éducation
spéciale
22
d'intégration scolaire (AIS). Les
contrats établis restent précaires, ce sont des contrats
d'insertion type service civil volontaire, objecteur de conscience,
TUC6, CES7, CEC8.
Dans un deuxième temps la circulaire du 11 juin 2003
relative aux assistants d'édu-cation dévoile au titre II les
dispositions spécifiques aux assistants d'éducation
exerçant les fonctions d'auxiliaires de vie scolaire (AVS)
pour l'intégration individualisée des
élèves handicapés (AVS - I). Cette circulaire offre un
cadre d'emploi aux AVS-I, ce sont des contrats de droit public d'un an,
renouvelables six fois maximum et modifiables par avenant. Ce texte mentionne
aussi la nécessité d'une information (plus que d'une
réelle formation) aux nouveaux recrutés sur les différents
troubles et pathologies et leur prise en charge. Pour apporter un soutien aux
enseignants des CLIS9 et des UPI10 certains AVS sont
recrutés sous la dénomination AVS-Co (collective). Ils
interviennent au sein de ces unités et peuvent aussi accompagner les
élèves dans les classes d'intégration.
Avec la loi pour l'égalité des chances du 11
février 2005, pour palier aux demandes c'est le grand retour des
contrats aidés: contrat d'avenir, contrat d'accompagnement à
l'emploi, contrat unique d'insertion. L'explosion des besoins va contribuer
à animer les débats et les réflexions autour d'une
nécessaire professionnalisation de ces accompagnants: en 2008 la
Commission Nationale Consultative sur les Droits de l'Homme émet un avis
sur le caractère indispensable des AVS pour que la loi atteigne les
objectifs qu'elle s'est donnée ( Art. L. 112-1. - Pour satisfaire
aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L.
111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire,
professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux
adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé
invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les
moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en
milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés»).
Toujours dans cette optique la commission suggère la fusion des
différents métiers de l'aide à la personne, ce qui sera
repris en 2012 dans les recommandations du Rapport Komitès.
L'État prend la mesure des enjeux. Plusieurs ministres
dont Vincent Peillon lancent
6 Travaux d'utilité publique
7 Contrat emploi solidarité
8 Contrat emploi consolidé
9 Classe d'intégration scolaire
10 Unité Pédagogique d'intégration
23
un groupe de travail sur la professionnalisation des
accompagnants en 2012 sous le pilotage de Pénélope
Komitès. Dans son rapport rendu en avril, outre l'unification du
diplôme elle préconise la création d'un
référentiel de compétences et d'activités. D'autre
part il semble nécessaire que l'accompagnement ne soit pas limité
au temps purement scolaire et que ces accompagnants soient amenés
à travailler en dehors de l'école.
C'est dans le même temps, la création des AVS mut
(mutualisé) ; ce type de personnel représente un outil
économique «pratique» car les affectations ne sont plus
nominatives et l'AVS peut ainsi prendre en charge plusieurs
élèves notifiés. Certes il faut prendre en compte l'aspect
fluctuant de l'accompagnement, car un élève voit ses besoins
changer au fil du temps et des progrès et il faut pouvoir suivre ces
changements du point de vue de l'accompagnement.
Néanmoins l'accompagnement nécessite aussi
continuité et stabilité et les contrats mutualisés ne
semblent pas correspondre à cela dans le sens où un
élève va ainsi être suivi par plusieurs accompagnants afin
de faire correspondre les emplois du temps de tous.
Enfin avec le décret n°2014-724 du 27 juin 2014
c'est l'apparition des AESH, et la possibilité pour ces derniers
d'accéder au CDI lorsque le renouvellement de trois ans arrive à
échéance (possibilité récemment remise dans les
discussions et institutionnalisée par le décret n° 2023-597
du 13 juillet 2023 d'application de la loi n° 2022-1574 du 1§
décembre 2022).
Toutes ces évolutions témoignent d'une explosion
des accompagnements et de la nécessité d'y répondre.
Comparaison nombre d'élèves en situation de
handicap en ordinaire et nombre d'AESH entre 2017 et 2022 (Données du
rapport 2022 sur la scolarisation des élèves en situation de
handicap):
|
2017
|
2020
|
2022
|
|
|
|
élèves
|
321
|
476
|
384
|
040
|
430
|
000
|
~ 108
|
524
|
(34%)
|
AESH
|
53
|
447
|
69
|
564
|
80
|
335
|
~ 26
|
888
|
(50%)
|
L'augmentation du nombre d'AESH n'est pas
représentative de la réalité car en effet Ici il est
question de nombre de personnel en ETP (emploi à temps plein), tout type
de contrat confondu. Or selon le rapport d'avril 2022 de Inspection
générale des finances
24
et de l'Inspection générale de
l'éducation, du sport et de la recherche, sur la scolarisation des
élèves en situation de handicap pour un échantillon sur 21
département à la rentrée 2021 moins de 2,5 % des AESH sont
en contrat à temps plein.
Il est à noter que cette appellation d'Accompagnant
d'Élèves en Situation de Handicap comporte le terme «
handicap » ce qui peut avoir un effet stigmatisant supplémentaire
lorsque l'AESH est présenté dans les classes et les autres lieux
de l'école. Cela peut devenir une gène11 pour les
enfants pour lesquels la situation de handicap n'est pas encore assumée.
Une dénomination de type « Accompagnant d'élèves
à besoins spécifiques» permettrait d'englober un plus un
plus large public sans identifier spécifiquement les
élèves.
Suite à la nécessité de formaliser cette
profession au travers d'un diplôme, le décret du 9 janvier 2016
modifié par un arrêté le 11 mars statue sur un
diplôme d'état de niveau 3 (ancienne nomenclature V, CAP-BEP) sous
l'appellation Accompagnant Éducatif et Social.
Le cursus comprend un tronc commun d'enseignements
théoriques, décomposé en quatre domaines:
· DF1 « Se positionner comme professionnel dans le
champs de l'action sociale »
· DF2 « Accompagner la personne au quotidien et dans
la proximité »
· DF3 « Coopérer avec l'ensemble des
professionnels »
· DF4 « Participer à l'animation de la vie
sociale et citoyenne de la personne »
Il regroupe les anciens aides médico-psychologiques
(AMP) et les auxiliaires de vie sociale (AVS d'où la possibilité
de confusion) en intégrant les AESH. Ces trois formes se retrouvent dans
les trois spécialités:
· accompagnement à la vie à domicile
· accompagnement à la vie en structure collective
· accompagnement à l'éducation inclusive et
à la vie ordinaire
Le recrutement des AESH se fait aujourd'hui sur un niveau
bac, une justification d'expérience ou un diplôme dans
l'accompagnement alors qu'auparavant le niveau bac était exigé.
Il apparaît donc la possibilité d'une forte inadéquation de
niveau : un AESH
11 Observation des AESH lors d'entretiens et de discussions
informelles. Pourtant aucune lecture de la revue de littérature ne
mentionne ce fait.
détenteur d'un diplôme de niveau III est
susceptible d'accompagner un élève en terminale, en BTS... Dans
ce cas précis, l'accompagnement quand il nécessite reformulation
de contenus ou de consignes se complexifie. Ici dans la gestion des ressources
humaines apparaissent des difficultés supplémentaires et des
paramètres à prendre en compte.
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