Paragraphe II : Les recommandations à l'endroit
de l'état
La première recommandation porte sur la
rétrocession du site de Nguéli aux anciens occupants (A), et les
autres recommandations sont d'ordre général (B).
A- La rétrocession du site de Nguéli aux
anciens occupants
La rétrocession est un droit reconnu aux victimes
d'expropriation, de récupérer leur ancien site frappé
d'expropriation, sous certaines conditions de fond et de délai.
L'article 15 du décret n° 187 sur la limitation des droits fonciers
dispose à cet effet que : « Dans le cas où deux ans
après la prise de possession, l'administration n'aurait pas
commencé l'opération qui a motivé l'expropriation, les
expropriés peuvent demander la rétrocession qui est de droit.
Cette rétrocession se fait à un prix débattu à
l'amiable ou, à défaut, fixé comme en matière
d'expropriation ». La difficulté à mettre en oeuvre ce
droit par les expropriés tient au fait que le législateur a
fixé un délai de cinq ans, à compter de la date de prise
de possession, pour exercer cette action98. Dans le cas
d'espèce, le délai étant écoulé depuis 2018.
Toutefois,
97 Art. R. 423-2 du Code de l'expropriation pour
cause d'utilité publique, France.
98 Art. 15 du décret n° 187.
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le législateur mentionne que la mise en route de
l'opération vaut pour les expropriés forclusion s'ils n'ont pas
intenté d'action auparavant.
Si l'Etat a revendu le site de Nguéli à la
société française Bolloré et a utilisé une
partie pour abriter les réfugiés Camerounais, l'on a de
sérieuses raisons de croire que le motif invoqué pour exproprier
la population a cessé d'être d'utilité publique et par
conséquent, ledit site ne représente plus une zone à
risque. Si la puissance publique ne peut procéder à la
rétrocession des immeubles à toutes les victimes pour cause de
prescription du délai fixé, elle doit néanmoins accorder
la rétrocession aux 102 victimes de Nguéli-sud et 350 victimes de
Nguéli-nord qui, jusqu'à ce jour n'ont pas été
recasées. Cela constituerait en même temps une réparation
et un acte d'humanisme de la part de l'administration.
B- Les recommandations d'ordre général
Le droit à un logement convenable est
protégé sur le plan international par une panoplie d'instruments
internationaux des droits de l'homme tel que les deux pactes, la Convention
internationale des droits de l'homme, la Convention sur les droits de l'enfant,
la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discriminations raciales, etc. Au niveau régional, ce droit est
protégé par les articles 14, 16 et 18 de la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples, respectivement sur le droit de
propriété, droit à la santé physique et mentale et
la protection des familles et les principes et directives relatifs aux droits
économiques, sociaux et culturels, de la Commission Africaine des Droits
de l'Homme et des Peuples. Compte tenu de l'importance que représente le
droit au logement pour la protection de la dignité humaine, l'Etat
tchadien doit mettre en oeuvre un certain nombre de mesures garantissant
à chaque citoyen, y compris les expropriés, ce droit
fondamental.
Rappelant d'une part que l'Etat, en vertu de son obligation
de respect et de protection est tenu de garantir et de protéger le droit
à un logement convenable et d'éviter de procéder à
des expulsions forcées, et que la Commission des droits des Nations
Unies a reconnu que les expulsions forcées constituaient des atteintes
manifestes à toute série de droits fondamentaux et notamment au
droit à un logement convenable ; et d'autre part,
préoccupé par le fait que depuis quelques années au Tchad,
de milliers de personnes sont expulsées de force de leurs domiciles par
l'Etat et les acteurs non-étatiques sans procédure
régulière, consultations, notification suffisante, indemnisation
ni solutions de relogement adaptées, l'Etat doit :
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> Mettre un terme aux expulsions forcées en les
interdisant clairement en droit et en pratique ;
> Veiller à ce qu'il ne soit procédé
à des expulsions qu'en dernier ressort, après examen de toutes
autres solutions pouvant éviter l'expulsion et veiller à ce
qu'elle soit conforme aux normes régionales et internationales ;
> Adopter des législations et politiques qui
établissent les garanties à fournir avant toute expulsion,
fondées sur les principes de base et directives concernant les
expulsions et les déplacements liés au développement et
qui respectent les engagements régionaux et internationaux en
matière de droits humains ;
> Garantir que toutes les victimes d'expulsions
forcées disposent de recours utiles et bénéficient du
droit de demander des réparations qui peuvent prendre la forme d'une
restitution, d'une indemnisation, d'une réadaptation ou d'une
réhabilitation et de garanties de non-répétition ;
> Prendre des mesures concrètes afin de garantir la
sécurité d'occupation à toutes les personnes qui ne
bénéficient pas d'une telle protection actuellement ;
> Enfin, s'assurer que toute nouvelle habitation
proposée soit conforme aux normes régionales et internationales
sur les logements décents.
![](Le-droit-au-logement-a-lepreuve-de-lexpropriation-pour-cause-dutilite-publique-etude-du12.png)
CONCLUSION DU CHAPITRE II
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A l'issue de tout ce qui précède, l'on pourrait
affirmer sans risque de se tromper que le système juridique tchadien est
loin de garantir suffisamment le droit au logement des victimes d'expropriation
pour cause d'utilité publique. Dans la pratique, l'application effective
des règles existantes en matière d'expropriation reste un
véritable défi pour l'administration. C'est dans cette optique
que nous avons formulé dans le cadre de ce chapitre, des suggestions et
recommandations pour que soit efficacement protégé le droit au
logement des expropriés. La prise en compte de ces suggestions par le
législateur et l'administration constituerait une avancée
significative dans la protection des droits humains, notamment le droit au
logement des personnes expropriées.
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