expropriés
La prise de possession du site de Nguéli et le
recasement des victimes ont été effectués en violation des
dispositions de la loi n° 25 du 22 juillet 1967 sur la limitation des
droits fonciers et de son décret d'application, relatives aux
délais fixés en la matière d'expropriation.
En effet, l'article 13 du décret n° 187 sur la
limitation des droits foncier prévoit qu'un mois après paiement
des indemnités, fourniture d'équivalence ou consignation des
indemnités, l'administration peut prendre possession, au besoin par
expulsion des occupants, sans nouvel avis85. Il ressort des
dispositions de cet article que la fourniture d'équivalence,
c'est-à-dire le recasement des victimes, doit intervenir trente jours
plutôt avant l'expulsion de ces derniers. Ce délai de trente jours
est laissé pour permettre aux expropriés de pouvoir construire de
nouvelles habitations et de s'y installer confortablement avant la prise de
possession par l'Etat de leur ancien local, objet de l'expropriation. Cette
condition de délai est fixée par le législateur dans le
but de protéger le droit au logement des expropriés, dans la
mesure où ces derniers n'auront pas à squatter les rues en
attendant d'être recasés ou indemnisés. Dans les faits, ces
conditions de délais ont été violées de la
façon la plus flagrante. Le recasement des victimes de Nguéli-sud
eût lieu trois ans et cinq mois plus tard, après leur
expulsion86. Pour ce qui est du cas des victimes de
Nguéli-nord, ces dernières ont été recasées
sept ans et six mois plus tard87.
En plus de cette violation du délai, l'on a
remarqué un manque d'humanisme au moment de l'expulsion des occupants.
La population fût expulsée au mois de juin, en plein saison
pluvieuse, sans préavis ni relogement d'urgence. Selon le
témoignage du Président du comité de crise de
Nguéli-sud, le quartier fût envahi par la présence
militaire et de celle des Caterpillars, poclains et bulldozers la
matinée du 21 juin 2013. La démolition des habitations
était immédiate. Les victimes n'ayant pas eu le temps de quitter
les lieux et d'emporter tous
85 Art 13 du décret n° 187 supra.
86 Expulsées le 21 juin 2013 et
recasées le 30 novembre 2016.
87 Expulsées le 13 décembre 2013 et
recasées le 15 juin 2020.
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leurs biens mobiliers. Le respect de la dignité humaine
ne représentait pour l'administration plus qu'une simple théorie
mythique. Environ 37 000 âmes se retrouvèrent dans la rue et 12
000 habitations détruites88. Les victimes ayant les moyens
ont louer des maisons pour se reloger, par contre, les plus vulnérables
ont construit des hangars de fortune en matériaux locaux (de la paille)
et en tôles de récupération89.
Selon l'avocat des victimes, Me KAGONBE Alain, le site de
Nguéli, exproprié pour des raisons de sécurité
nationale serait revendu à la société française
Bolloré pour une exploitation. Les installations de ladite
société sont à ce jour visibles sur le site. Une autre
partie est utilisée pour abriter les réfugiés Camerounais
ayant fui les conflits intercommunautaires en décembre
202190. La population de Nguéli est donc
évincée de son droit d'occupation du sol au profit de la
société Bolloré, sans être indemnisée
préalablement.
Enfin, l'article 13 ci-haut mentionné souffre de deux
insuffisances qui sont entre autres, la durée trop courte du
délai fixé pour la prise de possession, car l'on estime qu'en
seulement trente jours, il est difficile que les victimes puissent retrouver
leur niveau de vie initial, c'est-à-dire s'offrir de nouveaux logements
décents et de s'installer aisément. La seconde insuffisance tient
au fait que le législateur ne prévoit aucune possibilité
de prorogation de ce délai.
![](Le-droit-au-logement-a-lepreuve-de-lexpropriation-pour-cause-dutilite-publique-etude-du10.png)
Photo 3 : Installations de la Société
Bolloré sur le site de Nguéli
88
https://tchadinfos.com,
consulté le 19 juin 2022 à 16h 22 min.
89 Témoignage des victimes.
90 Environ 772 ménages sont installés
sur le site.
![](Le-droit-au-logement-a-lepreuve-de-lexpropriation-pour-cause-dutilite-publique-etude-du11.png)
56
Photo 4 : L'occupation du site de Nguéli par les
réfugiés Camerounais.
B- La violation du délai de
fixation de l'indemnité d'expropriation
La procédure de la fixation du montant de
l'indemnité d'expropriation est régie par les articles 7 et 8 du
décret n° 187 précédemment cité. Le montant de
cette indemnité est en principe fixé par un accord amiable entre
les parties dans un délai déterminé par
l'arrêté d'expropriation. Dans le cas où la discussion se
termine par un accord, il est entériné par échange de
lettres, et l'administration paie les indemnités ou fournit
l'équivalence. Aucune tentative d'accord amiable sur le montant de
l'indemnité n'a eu lieu entre l'Etat tchadien et la population de
Nguéli. L'article 7 du décret prévoit dans ce cas que la
partie la plus diligente saisit par lettre recommandée avec avis de
réception, le Tribunal compétent. Après sa saisine, le
Président du Tribunal invite les parties à lui communiquer, dans
un délai d'un mois, le nom des experts qui seront
désignées par elles. Les experts désignés disposent
d'un délai d'un mois pour déposer leur rapport au Tribunal.
Enfin, le Tribunal statuera par ordonnance de son Président dans un
délai d'un mois après la date de dépôt du rapport
des experts91. A l'issue de cette procédure, l'ordonnance du
juge fixant le montant de l'indemnité d'expropriation devrait intervenir
au plus tard trois mois, à compter de la date de la saisine du Tribunal.
Il n'en est rien pour le cas d'expropriation de Nguéli. Le juge
étant saisi depuis 2013, n'a jusqu'à ce jour rendu son
ordonnance, soit environ neuf ans de retard. Cette attitude traduit un manque
de volonté de la part de l'administration d'indemniser les victimes. Ces
dernières
91 Art. 8 du décret n° 187 supra.
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estiment que la violation de leur droit d'être
indemnisées serait le résultat de la corruption du système
judiciaire qui se détourne de sa mission de rendre justice à la
population de Nguéli.
Les règles relatives à l'évaluation des
biens et au paiement de l'indemnité ont elles aussi été
violées par l'administration.
SECTION II : LES VIOLATIONS DES RÈGLES
RELATIVES À L'ÉVALUATION
DES BIENS ET AU PAIEMENT DE
L'INDEMNITÉ
L'expropriation de la population de Nguéli est
marquée par une série de violations des droits des
expropriés durant toutes les étapes de la procédure. En
effets, les différentes règles de procédure
établies par le législateur consistent à donner à
l'expropriation une nature légale et en même temps à
protéger les victimes. Les règles relatives à
l'indemnisation, notamment l'évaluation des biens (PARAGRAPHE I) et le
paiement de l'indemnité (PARAGRAPHE II) n'ont pas été
appliquées avec effectivité.