Un point essentiel de la procédure d'expropriation du
point de vue de l'expropriant est évidemment de pouvoir prendre
possession des biens expropriés en se libérant du paiement des
sommes qui ont été fixées par le juge.
En effet, une fois le transfert de propriété
intervenu par l'ordonnance d'expropriation, l'objectif poursuivi dans la
déclaration d'utilité publique doit pouvoir être
concrètement mis en oeuvre sur les biens concernés et ceci
implique que leurs propriétaires et leurs éventuels locataires
aient été effectivement indemnisés. Poursuivant son but de
mise en oeuvre de l'opération d'intérêt public justifiant
l'expropriation, et cherchant à éviter si ce n'est la voie de
fait mais tout au moins l'emprise irrégulière79,
l'expropriant a la possibilité de prendre possession du bien
exproprié suite au jugement de première instance fixant les
indemnités dues aux expropriés en les payant, quelles que soient
les voies de recours mises en oeuvre.
L'article 11 du décret n° 187 du 01 août
1967 prévoit que l'administration ne peut prendre possession
qu'après paiement des indemnités ou fourniture
d'équivalence acceptée à
79 Le transfert de propriété
interdit en effet de voir une telle prise de possession comme une voie de fait
et lui réserve la qualification, moins infamante, d'emprise
irrégulière.
45
l'amiable par les ayants-droit80. Le paiement des
indemnités apparait donc comme la condition sine qua none de la prise de
possession du bien par l'autorité expropriante. Il s'agit là
d'une condition fixée pour protéger les victimes d'expropriation
contre le risque de se retrouver sans abri à l'issue de leur
expropriation.
Le droit de l'expropriation prévoit également
que cette prise de possession ne peut intervenir qu'un mois après le
paiement effectif de l'indemnité (ou la consignation en cas d'obstacle
au paiement) au propriétaire81. Ce délai est
conçu pour laisser le temps au propriétaire comme aux
éventuels locataires ou occupants réguliers indemnisés de
quitter les lieux avant la prise de possession. Mais ce délai d'un mois
ne commence à courir qu'à compter du jour où
l'indemnité est effectivement parvenue dans le patrimoine des
expropriés. Cette exigence d'effectivité de la réception
des sommes peut être délicate lorsqu'un exproprié refuse le
paiement ou lorsque celui-ci doit passer par des formalités
préalables. Pour éviter tout débat dans ces cas litigieux,
il est évidemment possible d'envisager une prise de possession
anticipée avec l'accord de l'exproprié. Il n'en était rien
dans le cas de l'expropriation des occupants du site de Nguéli. La prise
de possession fut sans délai et sans indemnisation juste et
préalable des victimes.
80 Art. 11 du décret n° 187.
81 Art. 13 du décret n° 187 : «
Un mois après paiement, fourniture d'équivalence ou consignation
des indemnités, l'administration peut prendre possession, au besoin par
expulsion des occupants, sans nouvel avis ».
CONCLUSION DU CHAPITRE II
46
Au terme de tout ce qui précède, il apparait
bien que l'indemnisation des expropriés, enjeu central de la
procédure d'expropriation et principale garantie du droit au logement
des victimes, relève tout à fait d'une appréciation
subjective qui fait des parties et du juge des experts fonciers de terrain.
Elle est une mise en oeuvre de règles très précises qui
encadrent strictement l'oeuvre des parties, le tout faisant peut-être de
cette procédure l'une des plus originales existant en droit. La
finalité première de l'indemnisation des personnes
expropriées pour cause d'utilité étant d'offrir à
celles-ci les moyens de retrouver leur niveau de vie initial, cela implique la
construction des nouvelles habitations pour assurer leur droit au logement.
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
47
Lorsqu'une expropriation pour cause d'utilité publique
est envisagée, il est nécessaire qu'un certain nombre de mesures
soit mis en oeuvre pour garantir aux victimes leur droit au logement. Parmi ces
mesures, la plus importante consiste à reloger les expropriés.
Malheureusement, aucun texte législatif tchadien ne prévoit le
relogement des personnes expropriées pour cause d'utilité
publique. Les seules mesures légales de protection du droit au logement
des expropriés, prévues par la loi n° 25 du 22 juillet 1967
consistent d'une part au recasement des victimes et d'autre part, à
l'indemnisation de celles-ci. Avant de prendre possession des immeubles
frappés d'expropriation, l'autorité expropriante, lorsqu'elle
envisage une compensation en nature, fourni l'équivalence aux victimes
(attribution des terrains) et leur octroi une indemnité
pécuniaire juste et préalable pour permettre à celles-ci
de construire de nouvelles habitations.
L'application de ces mesures n'a pas été
effective dans le cas de l'expropriation intervenue à Nguéli.
D'où la nécessité de fournir dans le cadre de cette
étude, des pistes de solutions envisageables pour une protection plus
efficace du droit au logement des personnes expropriées.
48
SECONDE PARTIE : LES ENTRAVES À LA
PROTECTION
EFFICACE DU DROIT AU LOGEMENT DES EXPROPRIÉS
DE
NGUÉLI ET LES SOLUTIONS ENVISAGEABLES
49
Compte tenu du caractère fondamental et
inaliénable du droit au logement, le législateur tchadien a
prévu des dispositions qui protègent les victimes d'expropriation
pour cause d'utilité publique. Ces dispositions tiennent essentiellement
au recasement de ces victimes, qui doit se faire dans le strict respect d'un
certain nombre de conditions, et à leur indemnisation qui doit
être juste et préalable. C'est alors que dans la pratique, le
véritable problème se pose quant à l'effectivité de
ces règles de droit érigées pour garantir aux
expropriés leur droit au logement. Dans la plupart des cas
d'expropriation intervenues au Tchad, l'on s'aperçoit que l'Etat,
faisant usage de son pouvoir régalien violent les droits reconnus aux
victimes. Celle de la population de Nguéli est intervenue dans la
violation la plus totale des droits des expropriés.
Nous présenterons dans le cadre de cette
deuxième partie, les violations des règles protégeant le
droit au logement des expropriés (CHAPITRE I) et les solutions
envisageables pour une protection plus efficace de ce droit (CHAPITRE II).
CHAPITRE I : LES VIOLATIONS DES RÈGLES
DE
PROTECTION DU DROIT AU LOGEMENT DES
EXPROPRIÉS DE
NGUÉLI
50
En principe, toute expropriation pour cause d'utilité
publique ouvre droit à l'indemnisation des victimes. Cette indemnisation
juste et préalable, peut être selon les cas en nature ou en
espèce. Le législateur laisse ainsi la latitude aux parties de
choisir le mode d'indemnisation qui conviendrait mieux aux victimes. De toute
évidence, la compensation en nature, c'est-à-dire le recasement
des expropriés semble être la mesure la mieux adaptée pour
garantir à ces derniers leur droit au logement à l'issue de la
procédure d'expropriation. Toutefois, ce recasement doit se faire dans
le respect de certaines conditions fixées par le législateur.
Pour le cas des victimes dont l'expropriation a touché des maisons
d'habitation, une simple compensation en nature serait insuffisante et
contraire au principe de l'indemnisation juste. En plus des terrains
attribués, ces victimes doivent bénéficier d'une
indemnité pécuniaire représentant la valeur des
coûts d'investissement, laquelle indemnité permettra à
celles-ci de s'offrir des nouveaux logements. Telles sont les
différentes règles édictées par le
législateur tchadien en vue de garantir le droit au logement des
personnes expropriées pour cause d'utilité publique. Mais comme
les violations des droits de l'Homme constituent une monnaie courante au Tchad,
les droits des expropriés sont de plus en plus violés par
l'autorité expropriante. Le cas le plus intéressant est sans
doute celui des victimes de Nguéli dont les droits ont été
violés à toutes les étapes de la procédure.
Nous présenterons respectivement les violations des
règles procédurales et des conditions de délais (SECTION
I) et les violations des règles relatives à l'évaluation
des biens et au paiement des indemnités (SECTION II).
51
SECTION I : LES VIOLATIONS DES RÈGLES
PROCÉDURALES ET DES
CONDITIONS DE DÉLAIS
Les textes législatifs prévoient un certain
nombre de règles qui régissent la procédure et fixent des
délais pour l'accomplissement de certains actes lors d'une expropriation
pour cause d'utilité publique. Le respect de ces règles a
été problématique lors de l'expropriation de la population
de Nguéli.
Il convient de présenter successivement la violation
des règles procédurales (PARAGRAPHE I) et celle des conditions de
délais (PARAGRAPHE II).