Une particularité marquante des principes de
l'indemnisation des expropriés est l'exclusion législative de
l'indemnisation du préjudice moral. Le dommage psychologique est exclu
du champ de l'indemnisation à cause de son caractère subjectif,
difficilement évaluable. Cette exclusion, dérogatoire aux
principes des responsabilités administrative comme judiciaire, est
affirmée avec constance par les juridictions en matière
d'expropriation68, alors même que la Cour européenne
des droits de l'Homme en reconnait pour sa part la possibilité, sans
pour autant l'exiger69.
Cette absence d'indemnisation du préjudice moral
attaché à la perte forcée de la propriété ou
de l'usage d'un bien peut paraître choquante, et la question est en effet
délicate, au point que la Cour de cassation française a cru bon
de saisir le Conseil constitutionnel d'une question paritaire de
constitutionalité sur ce point70.Ce dernier a estimé
que qu'«aucune exigence constitutionnelle n'impose à la
collectivité expropriante, poursuivant un but d'utilité publique,
soit tenue à réparer la douleur morale éprouvée par
le propriétaire à raison de la perte des biens expropriés
; que, par suite, l'exclusion de la réparation du préjudice moral
ne méconnait pas la règle du caractère juste de
l'indemnisation de l'expropriation pour cause
66 HOSTIOU R. et Struillou J.-F., Expropriation et
préemption, 2011, Litec, p. 193.
67 Cass. 3e civ., 11 février 1998 : Bull.
civ. III, n° 32. Pour une présentation plus détaillée
v., Huygue M. et Perez Mas I., Traité de l'expropriation des biens,
2014, Le Moniteur, p. 374 et s.
68 V. par exemple Cass. 3e civ., 21 octobre 2010,
n° 10-40038.
69 CEDH, 11 avril 2002, n° 46044/99, § 29
et s., Lallement c/ France.
70 Cass. 3e civ., 21 octobre 2010, n° 019597
QPC.
40
d'utilité publique.71 Il apparait de cette
rédaction que c'est bien en raison de la poursuite de cet objectif
particulier qu'est l'utilité publique que le préjudice moral peut
ne pas être retenu, la personne expropriante ne commettant par ailleurs
aucune faute. Cette position adoptée par le Conseil constitutionnel
demeure toutefois critiquable, dans la mesure où certains occupants, en
plus de leur droit de propriété, attachent un
intérêt particulièrement sentimental au sol qu'ils
occupent. Leurs immeubles ne représentent pas simplement un bien
immobilier qu'ils possèdent, mais représentent également
une certaine valeur sentimentale basée sur des raisons quelconques.
Dans le cas des personnes expropriées du site de
Nguéli, les victimes laissent entendre que ce fonds immobilier constitue
un héritage ancestral qu'elles détiennent de leurs ancêtres
depuis les années 1940, avant même que le Tchad n'existe en tant
que République indépendante. Expulser de tels occupants sans
tenir compte la douleur morale qu'éprouveront ces derniers en vertu de
leur attachement au sol, serait totalement injuste. Cette absence
d'indemnisation du préjudice moral est un point qui peut
particulièrement affecter les expropriés déjà
souvent prompts estimer que l'indemnisation de leur expropriation est loin de
correspondre à la valeur véritable de leurs biens ou du droit
dont ils se trouvent autoritairement privés.
La nature du préjudice ouvrant droit à
indemnisation étant ainsi présentée, il convient ensuite
de mettre en lumière la procédure et les effets de
l'indemnisation des expropriés.