Paragraphe I : le caractère juste et
préalable de l'indemnité d'expropriation
Nous examinerons respectivement : l'allocation d'une
indemnité juste aux expropriés (A) et le caractère
préalable de cette indemnité (B).
A- L'allocation d'une indemnité juste aux
expropriés
Le caractère juste de l'indemnité implique
qu'il y ait un certain équilibre entre la valeur du bien
cédé à l'expropriant et le montant de l'indemnité.
La réparation juste du préjudice suppose que les
indemnités allouées aux victimes ne soient une source
d'enrichissement ni pour ces dernières, ni pour l'administration. Cela
exclut toute surévaluation et toute sous-évaluation. Aux termes
de l'article 8 du décret n° 187 sur la limitation des droits
fonciers, il est prévu que : « Si les experts ne sont pas
d'accord, le
61 Art. 7 du décret n° 187/PR/67
supra.
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tribunal statuera, compte tenu des éléments
du dossier et des rapports des experts, sans que l'indemnité de chaque
réclamant puisse être supérieure à ses
prétentions, ni inférieure à l'offre de l'administration
»62. Les dispositions de cet article énoncent donc
la nécessité d'une proportionnalité entre la valeur de
l'immeuble et le montant des indemnités compensatrices. Ces
indemnités doivent couvrir l'intégralité du
préjudice subi et elles représentent en réalité la
valeur vénale du bien immobilier exproprié.
L'indemnisation des victimes d'expropriation ne peut
être juste que lorsqu'elle permet à ces dernières de se
retrouver dans un état matériel semblable, c'est-à-dire
qu'elles devraient pouvoir acquérir un nouveau logement
équivalent à celui perdu à cause de l'expropriation. En
plus d'être juste, l'indemnisation des victimes doit être
préalable.
B- Le caractère préalable de l'indemnisation
des victimes
L'indemnisation préalable des victimes d'expropriation
pour cause d'utilité publique est un principe fondamental
consacré aussi bien par la Déclaration des droits de l'Homme et
du citoyen du 26 août 1789 que par la loi n° 25 du 22 juillet 1967
qui régit l'expropriation pour cause d'utilité publique au
Tchad63. En droit camerounais, l'alinéa 2 de l'article 4 de
la loi n° 85/009 du 4 juillet 1985 dispose que : « En principe,
l'indemnisation est préalable »64. La
consécration de ce principe constitue la principale garantie pour les
victimes d'avoir la possibilité de se reloger avant la démolition
de leurs habitations, frappées d'expropriation. La prise de possession
des immeubles expropriés est conditionnée par le paiement des
indemnités aux victimes.
La consécration du principe d'indemnisation
préalable contribue à garantir aux expropriés leur droit
au logement, dans la mesure où ces derniers pourront acquérir,
grâce au paiement préalable d'une indemnité juste, un local
pour établir leurs nouvelles habitations avant de quitter le site
initial. Si le paiement des indemnités devait être
postérieur à la prise de possession des immeubles par l'Etat,
l'on se poserait alors la question de savoir où, comment et par qui
seront logées les victimes ? Les plus riches parmi les expropriés
trouveront certainement un abri pour eux et leurs familles. La couche
vulnérable aurait pour refuge les
62 Art. 8 du décret n° 187, supra.
63 Art. 17 de la DDHC : « La
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul
ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité », et Art.1de la loi n° 25 : « Nul ne
peut être privé de la propriété des immeubles ou de
l'usage du sol, sans que l'intérêt public l'exige, qu'il y ait
indemnisation et que les dispositions légales soient appliquées
».
64 Art. 4 Al. 2 de la loi n° 85/009 du 4
juillet 1985 relative à l'expropriation pour cause d'utilité
publique et aux modalités d'indemnisation.
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rues en attendant d'être indemnisée ou
recasée. L'on se trouverait alors dans une situation de violation du
droit fondamental de toute personne d'avoir accès à un logement,
d'où la nécessité d'indemniser préalablement les
expropriés afin que ceux-ci retrouvent leur niveau de vie initial
à l'issue de la cession de leurs immeubles à l'autorité
expropriante. Dans le cas de la population de Nguéli, ce principe
d'indemnisation préalable n'a point reçu d'application effective.
Jusqu'à ce jour, aucune indemnité pécuniaire n'est
octroyée aux victimes.
Notons pour finir que tous les préjudices subis du
fait de l'expropriation ne donnent pas droit à indemnisation.
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