Nous aborderons tour à tour la fixation du montant de
l'indemnité de déménagement par le juge (A) et le paiement
de ces frais de déménagement par l'expropriant (B).
A- La fixation du montant de l'indemnité de
déménagement par le juge de
l'expropriation
Le préjudice résultant de l'expropriation doit
en principe faire l'objet d'une juste et préalable indemnisation.
L'indemnisation de ce préjudice se décompose en une
indemnité principale correspondant à la valeur vénale de
l'immeuble, une indemnité de remploi correspondant à l'ensemble
des frais que devra supporter l'exproprié pour reconstituer en nature
son patrimoine et des indemnités accessoires qui correspondent aux
préjudices spécifiques causés l'expropriation. Ainsi, les
frais de déménagement doivent être payés par
l'expropriant aux occupants du qui sont contraints de quitter les lieux
à cause de l'expropriation. Le juge de l'expropriation qui prononce
l'indemnisation des frais de déménagement doit fixer le montant
de cette indemnité53.
Dans son arrêt n°14-14392 du 2 juin 2015, la
3ème chambre civile de la Cour de Cassation française
précise la manière dont cette indemnité de
déménagement doit être fixée. Elle casse
l'arrêt d'appel qui avait juste retenu que l'indemnité pour frais
de déménagement était due dans son principe mais que son
montant serait remboursé ultérieurement, sur présentation
des devis.54 Cette décision met fin à la pratique qui
consistait pour le juge de l'expropriation, à ne se prononcer que sur le
principe de l'indemnité de déménagement sans en fixer le
montant. Le montant de l'indemnité de déménagement
n'était souvent fixé qu'une fois le déménagement
effectué, sur présentation de devis ou facture.
Dorénavant, le juge de l'expropriation qui accorde
à l'exproprié une indemnité de déménagement
doit directement en fixer le montant dans son jugement, afin que cette
indemnité soit bien versée avant déménagement.
Après que le montant de l'indemnité de
déménagement soit fixé par le juge, l'autorité
expropriante doit procéder au payement de celle-ci. En principe, cette
indemnité doit être
53 HELIANS-Giles CAILLET, « Le juge de
l'expropriation qui prononce l'indemnisation des frais de
déménagement doit fixer le montant de cette indemnité.
», Flux RRS, le 16 juin 2015 à 12h 49 min, p.1.
54 Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 02
juin 2015, arrêt n° 14-14392.
33
versée aux victimes avant la prise de possession des
immeubles par l'Etat. Elle permettra ainsi aux expropriés, de faire
déplacer tous leurs biens mobiliers sur le nouveau site pour s'y
installer. Toutefois, afin d'obtenir une juste indemnisation de ces frais de
déménagement, il est impératif de présenter les
justificatifs des dépenses devant le juge de
l'expropriation55. L'indemnité de déménagement
doit couvrir tous les frais de transport et de la logistique, car il s'agit des
deux frais les plus évidents liés à un changement de
domicile.
En droit tchadien, le décret n° 187/PR/67 du 01
août 1967 sur la limitation des droits fonciers parle d'une simple
possibilité de paiement des indemnités de
déménagement aux personnes expropriées56. Ce
texte laisse une grande marge d'appréciation à l'administration
qui peut souverainement décider de payer ces indemnités ou de ne
pas le faire. Or, le paiement des indemnités de
déménagement devrait être une obligation pour l'Etat.
Signalons que dans le cas de l'expropriation de la population
de Nguéli, les victimes n'ont bénéficier d'aucune
indemnisation pour couvrir les frais de leur déménagement.
55 HELIANS-Giles CAILLET, « Le juge de
l'expropriation qui prononce l'indemnisation des frais de
déménagement doit fixer le montant de cette indemnité.
», Flux RRS, le 16 juin 2015 à 12h 49 min, p.1.
56 Art. 9 du décret n° 187/PR/67, «
... Il peut être de plus accordé des indemnités de
déménagement. »
CONCLUSION DU CHAPITRE I
34
Le recasement des victimes d'expropriation est la mesure la
plus envisageable, à défaut de relogement immédiat. Parmi
les mesures prévues par le législateur pour la protection du
droit au logement des personnes expropriées, il occupe la place
centrale. Il faut toutefois signaler que dans le cas des victimes de
Nguéli, le recasement n'a pas été totalement effectif
d'une part, parce qu'environ 452 personnes n'ont pas été
recasées et d'autre part, les délais fixés à cet
effet ont été largement dépassés.
Les opérations relatives à la
réinstallation des expropriés sont elles aussi d'une importance
capitale dans la procédure d'expropriation.
CHAPITRE II : L'INDEMNISATION DES
VICTIMES
D'EXPROPRIATION DE NGUÉLI
35
La procédure d'expropriation pour cause
d'utilité présente un grand nombre de spécificités
qui tiennent à son objet mais également à l'intervention
tant d'autorités administratives que judiciaires. Dans cette
procédure, la manière dont l'indemnisation juste et
préalable des expropriés est mise en oeuvre présente des
enjeux essentiels qui tiennent au fait que cette indemnisation, qui conditionne
la prise de possession du bien exproprié, présente des
particularités propres à la procédure d'expropriation dans
laquelle elle intervient et qu'il convient de connaitre pour la meilleure
défense des intérêts des parties à cette
procédure57.
La question de l'indemnisation des victimes d'expropriation
est l'une des plus délicates qui se pose à celui qui
s'intéresse o u participe à la mise en oeuvre de cette
procédure particulière du droit positif. L'article 17 de la
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789
prévoit que : « La propriété étant un
droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste
et préalable indemnité »58.
L'utilité publique et l'indemnisation des victimes apparaissent
comme les principales conditions d'une expropriation. Les mêmes
conditions sont prévues à l'article premier de la loi n° 25
du 22 juillet 1967 sur la limitation des droits fonciers au Tchad qui article
énonce que : « Nul ne peut être privé de la
propriété des immeubles ou de l'usage du sol, sans que
l'intérêt public l'exige, qu'il y ait indemnisation et que les
dispositions légales soient appliquées
»59.
Relevant par là une originalité fondamentale,
l'expropriation implique donc deux éléments
procéduralement distincts mais liés structurellement, que sont la
phase dite administrative qui consiste à faire « constater
légalement » la nécessité publique qui justifie cette
expropriation, et la phase dite judiciaire portant sur la fixation d'une juste
et préalable indemnité pour les victimes qui voient leur
propriété leur échapper par le biais de cette
procédure60. Notre étude dans le cadre de ce chapitre
sera axée autour de deux points
57 Jean-Christophe Le Coustumer, «
L'indemnisation des biens expropriés », Actu-Juridique, le
27 Mai 2016, p.1.
58 Art. 17 de la Déclaration des droits de
l'Homme et du citoyen de 1789.
59 Art. 1 de la loi n° 25 du 22 Juillet 1967.
60 « L'indemnisation des biens expropriés », op
cit.
36
importants qui sont entre autre, la nécessité
d'une indemnisation juste et préalable des victimes d'expropriation
(SECTION I), la procédure de l'indemnisation et le paiement des
indemnités (SECTION II).
SECTION I : LA NÉCESSITÉ D'UNE
INDEMNISATION JUSTE ET PRÉALABLE
DES VICTIMES
D'EXPROPRIATION
L'indemnisation est l'une des principales mesures qui
contribue à garantir le droit au logement aux personnes
expropriées pour cause d'utilité publique. Comme nous l'avons
précédemment mentionné, en cas d'expropriation, deux
options se présentent à l'autorité expropriante. Cette
dernière peut allouer soit des indemnités pécuniaires aux
victimes, soit substituer une compensation en nature au paiement des
indemnités en espèce61. Toutefois, cette
dernière hypothèse n'exclut pas une possibilité
d'allocation d'indemnités, si les victimes ont été
simplement recasées plutôt que relogées. L'attribution des
terrains nus ne garantit pas aux expropriés leur droit au logement. Il
est donc nécessaire que ceux-ci perçoivent de l'autorité
expropriante, des indemnités leur permettant de construire de nouvelles
habitations pour s'y abriter.
Compte tenu du fait que cette indemnisation des
expropriés a pour finalité d'assurer leur droit au logement, il
est impératif que celle-ci soit juste et préalable (PARAGRAPHE
I). La nature du préjudice ouvrant droit à l'indemnisation
mérite également d'être précisée (PARAGRAPHE
II).