Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
SECTION 2 : LES DIFFICULTES POUR L'ARMEE CAMEROUNAISE A REMPORTER LA VICTOIRE DECISIVE SUR LE PLAN OPERATIONNELSur le plan opérationnel, les forces armées camerounaises ont été confrontées à plusieurs difficultés qui ne leur permettent pas d'obtenir la victoire décisive sur le plan opératif. Ces difficultés se résument dans l'irrégularité des méthodes de combat du groupe terroriste (Paragraphe 1), et dans les difficultés de projection des forces dans le théâtre d'opérations anti-Boko Haram (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : L'IRREGULARITE DES METHODES DE COMBAT DU GROUPE TERRORISTEComme la petite guerre (la guerre révolutionnaire), le terrorisme fait partie des stratégies alternatives et irrégulières, par opposition aux guerres conventionnelles et régulières, interétatiques. La menace terroriste de Boko Haram défavorisée par le rapport de forces, utilise la terreur non pas pour vaincre militairement l'Etat, mais pour le déstabiliser, le faire vaciller et dans ce sens installer une zone de non droit. Les conflits du 21e siècle sont caractérisés par leur nature irrégulière. Les combats modernes font recours aux stratégies alternatives qui contournent la puissance traditionnelle des forces armées nationales par des actions asymétriques. C'est ce qui s'est observé avec Boko Haram où les actions de celui-ci sont caractérisées par leur nature hybride (A), et par la capacité d'adaptation du groupe terroriste (B). A-LA NATURE HYBRIDE ET DIFFUSE DES METHODES DE COMBAT DE BOKO HARML'évolution du statut polémologique de Boko Haram s'est faite de façon cumulative comme le démontre l'utilisation récente des attentats suicides, impliquant des femmes et des enfants parallèlement à l'engagement au front des forces armées nationales de la région. L'hybridité de ce conflit peut notamment déconcerter l'analyse classificatoire. Mais, l'attention à la progression permet d'établir clairement que, la rhétorique violente et les attentats font de Boko Haram un groupe terroriste islamiste classique dont les modes opératoires ne permettent pas à l'armée camerounaise de remporter facilement la décision. Les ressources et l'expérience acquises, notamment au contact avec les alliés et les partenaires des réseaux djihadistes transsahariens dont AQMI et moyen-orientaux à l'instar d'Al-Qaïda et de l'EI, permettaient à Boko Haram de passer à un stade supérieur. La prise de contrôle de l'Etat de Borno au Nigéria avait inauguré le modus operandi que la communauté internationale avait mis un point d'honneur à empêcher depuis les attentats du 11 septembre de 2001 : la conquête et le contrôle territorial par une organisation terroriste. Les réussites de l'insurrection touarègue au Nord du Mali en 2012 et de l'EI au Nord-Ouest de l'Iraq et au Nord-Est de la Syrie émulent celui de Boko Haram qui bénéficie de leur considération et de leur collaboration. L'année 2015 et l'engagement accru des armées de la région ont entrainé une refondation des méthodes de combat de Boko Haram, non seulement au Nigéria mais aussi au Cameroun. Alors qu'en 2013 et 2014 Boko Haram était dans une logique des méthodes quasi conventionnelles, dans la mesure où les djihadistes n'hésitaient à lancer les attaques massives235(*) à l'aide de roquettes, de pickups, de motos et de centaines de fantassins, sur des bases ou des positions de l'armée sans craindre les pertes en hommes236(*). Ce genre d'assauts ont pratiquement disparu depuis. D'une part, les attaques contre les forces de défense sont devenues bien plus rares, tant au Nigéria qu'au Cameroun, les deux pays qui étaient les plus visés. Et d'autre part, si elles ont lieu, elles prennent la dimension d'attentats suicides. Cependant, depuis janvier 2015, les attentats suicides sont devenus le mode opératoire par excellence de Boko Haram en territoire camerounais. Sur le plan des cibles, ce sont moins des objectifs militaires qui sont visés. Mais, essentiellement des civils, souvent dans des petites localités, peu protégées, tués par de petits groupes de quelques kamikazes, généralement des femmes ou de jeunes enfants. Outre les attentats suicides, Boko Haram a fait les enlèvements de masse une arme de guerre contre les pays engagés contre lui. Les combattants du groupe terroriste n'hésitent pas à kidnapper ou à enrôler des jeunes garçons inexpérimentés qu'ils « rééduquent »237(*) et utilisent à des fins de renseignement ou comme des combattants. Des enlèvements forcés auxquels s'ajoutent celles des jeunes filles dont l'instrumentalisation servirait à des opérations kamikazes et même comme des esclaves sexuels. Face à la mutualisation des forces entre les armées des pays de la région qui commence enfin à déboucher sur des résultats certains, Boko Haram a décidé de ne plus mener les opérations militaires de grande envergure. Le mouvement terroriste a muté vers des méthodes de combats totalement asymétriques. L'usage de ces méthodes de combat non conventionnelles a eu pour conséquence, la complexification de l'action de l'armée camerounaise sur le théâtre d'opérations. En effet, en faisant usage des actions irrégulières notamment le recours aux kamikazes, les terroristes compensent leur infériorité sur le plan militaire par l'usage des tactiques de combat difficiles à combattre et à prévenir par l'armée régulière. En dehors des attentats suicides les terroristes font également usage des Engins Explosifs Improvisés (EEI) et des mines anti-personnelles Profitant de leur capacité à pouvoir se fondre dans la population civile, les terroristes de Boko Haram se mêlent à la population locale pour complexifier l'action de l'armée camerounaise. Cette hybridité des méthodes de combat de Boko Haram ne permet donc pas aux FAC de remporter facilement la victoire décisive dans cette lutte. * 235 Priscilla Sadatchy, Boko Haram, un an sous état d'urgence, op. cit. * 236 Par exemple, l'attaque contre l'armée camerounaise à Fotokol en septembre 2014. * 237 Les terroristes de la secte terroriste s'appuient sur les liens de proximité que créent la région, la tribu, le clan, la famille, la religion ou le voisinage pour faire jouer les ressorts traditionnels de l'embrigadement. C'est-à-dire le basculement des motivations, d'ordre social ou familial, vers un engagement politico-religieux à finalité collective et particulièrement sensible, pour la dresser contre « l'ennemi ». |
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