Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
B-LA TRANSNATIONALITE DE LA MENACE TERRORISTEL'armée camerounaise fait face à une menace terroriste dont le centre de gravité est situé hors du territoire national. Comme nous l'avons relevé en amont, Boko Haram est un groupuscule terroriste d'origine nigériane. Mais, qui dans une logique de conquête territoriale évolue vers les pays frontaliers du Nigéria, dont le Cameroun. En effet, le Cameroun et le Nigéria partagent une longue frontière avec la zone d'activités de Boko Haram qui s'étend du lac Tchad au Nord, au fleuve Ine, au Sud de Yola, la capitale de l'Etat de l'Adamawa230(*). Une frontière poreuse qui facilite les mouvements d'armes et des combattants de la secte terroriste de part et d'autres. Comme toutes les frontières des pays de la CBLT, celles-ci sont difficiles à contrôler d'une manière efficace, du fait, non seulement d'un déficit de moyens, mais aussi par la continuité ethnolinguistique entre les populations de l'Extrême-Nord du Cameroun et celles du Nigéria. La porosité de la frontière Cameroun-Nigéria est également alimentée par une géographie peu favorable aux manoeuvres militaires. Les actions terroristes de Boko Haram au Cameroun se situent essentiellement dans la partie septentrionale du pays, au croisement des frontières avec le Nigéria et le Tchad, où les différentiels monétaires et les activités douanières sont importants. C'est l'une des régions les plus pauvres du Cameroun231(*), où le taux d'alphabétisme est le plus bas. La sous-scolarisation justifie la contagion islamiste au Cameroun. Il s'agit d'un constat de retard de la scolarisation qui prédispose cette région à l'endoctrinement, une zone historique de trafics de tout genre : carburant frelaté (zoua-zoua), Tramol, cannabis ou chanvre indien (drogue locale), armes, médicaments, véhicules volés et pièces détachées232(*). Ainsi, dans le département du Logone et Chari l'un des trafics les plus en vus est celui des ALPC. Ce trafic est alimenté depuis le Tchad, la Centrafrique, le Soudan et la Libye233(*). L'Extrême-Nord du Cameroun présente également une grande proximité avec le Nord-Est du Nigéria, sur le plan historique, religieux, socioculturel, linguistique, ethnique et commercial. Des deux côtés de la frontière, on trouve les mêmes ethnies Kanuri234(*), Glavda, Mandara, Arabes Choa, les mêmes familles parfois les mêmes villages et villes. La culture islamique leur est aussi commune, d'autant plus que de nombreux camerounais étudient les écoles coraniques au Nigéria. Il n'existe fondamentalement pas de différence sociologique notable entre les groupes ethnoculturels vivant dans cette région. Il s'agit souvent des familles vivant dans deux pays distincts qui ne se sentent pas le plus souvent concernées par cette géopolitique. Nombreux parmi ces habitants se considèrent binationaux. Souvent, ceux qui viennent du Nigéria font plus usage de leur carte d'identité du Cameroun qui leur parait plus exigeant en matière d'immigration pour se « débarrasser » des tracasseries au moment de la traversée de la frontière. Cette porosité de la frontière fait également de l'Extrême-Nord du Cameroun, un territoire soumis à l'influence islamique du Nigéria. Ce qui contribue à l'endoctrinement et au développement d'un islamisme violent au Cameroun. Et par conséquent rend difficile toute perspective efficace de contre-terrorisme par les forces armées camerounaises. L'histoire explique davantage et même justifie le fait que, Boko Haram ait fait des sympathisants et recrute dans les zones frontalières du Nigéria notamment au Cameroun. La première et la principale raison vient de ce que cette région est en réalité issue du démembrement du Califat de Sokoto à partir de l'émirat peul de l'Adamawa, d'une part, du Bornou majoritairement Kanouri, d'autre part. La secte terroriste est fortement active dans trois Etats dans le Nord-Est du Nigéria, l'Adamawa, Bornu et Yobé. Les deux premiers Etats partagent une frontière de plus de 1000 km avec l'Extrême-Nord du Cameroun. L'essentiel des attaques contre le territoire camerounais y est concentré. Et, c'est dans cette région que le groupe terroriste avait annoncé la création de son Califat. L'un des difficultés pour l'armée camerounaise à mettre en oeuvre une stratégique de lutte contre ce mouvement terroriste est que, celui-ci dispose un double sanctuaire pour les forces armées camerounaises. En effet, le sanctuaire historique de Boko Haram se situe dans la ville de Maiduguri, plus précisément dans la forêt de Sambissa. Le territoire nigérian en lui-même constitue un sanctuaire pour le groupe terroriste vis-à-vis de l'armée camerounaise. Par conséquent, l'efficacité de la lutte contre Boko Haram au Cameroun réside non seulement dans l'engagement des forces de défense nigérianes à combattre le groupe terroriste, mais aussi, dans la mutualisation des forces avec les autres armées des pays de la région. * 230 Ouba Abdoul-Bagui, « De la contagion islamiste dans l'Extrême-Nord du Cameroun : risques et limites », Bulletin d'Analyse Stratégique et Prospective de l'EIFORCES, N0 003 et 004, décembre 2014, p. 42. * 231 « Tendances, profil et déterminants de la pauvreté au Cameroun entre 2001 et 2014 », Institut national de la statistique (INS), décembre 2015, p.43. * 232 Le Tramol ou Tramadol est un puissant antalgique sous forme de comprimés, fabriqué légalement en Inde et commercialisé illégalement au Nigéria, d'où des trafiquants l'achètent pour approvisionner les pays voisins. Courriels de Crisis Group, universitaires à Maroua, juillet 2016. Cyril Musila, « L'insécurité transfrontalière dans la zone du bassin du lac Tchad », Institut français des relations Internationales (IFRI), juillet 2016. * 233 « Cameroun : faire face à Boko Haram », Rapport Afrique de Crisis Group N0241, 16 novembre 2016, p.3. * 234 L'ethnie Kanuri est très souvent stigmatisée et pointée du doigt comme étant complices des islamistes de Boko Haram, du fait de l'appartenance d'une grande majorité des membres de Boko Haram à l'ethnie Kanuri. |
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