Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
PARAGRAPHE 2 : LES DIFFICULTES POUR L'ARMEE CAMEROUNAISE A IDENTIFIER ET A CIRCONSCRIRE LES MOTIVATIONS REELLES DE BOKO HARAMDéfinie comme la dialectique des intelligences et des volontés, entendue comme réflexion sur la conduite de la guerre, et soumise au préalable théorique et praxéologique, la stratégie trouve tout son sens à travers la reconnaissance et la compréhension de l'altérité. Il s'agit donc comme nous l'enseignent tous les tenants de la pensée stratégique depuis l'antiquité, de reconnaitre (identifier) et de comprendre l'autre. Ainsi, dans un souci d'élaborer une stratégie de lutte contre la menace terroriste de Boko Haram par l'armée camerounaise, elle se heurte à certaines difficultés, notamment sur l'ambigüité à cerner les motivations réelles du groupe terroriste (A) et sur la transnationalité de cette menace terroriste (B). A-L'AMBIGUITE SUR LES MOTIVATIONS DU GROUPE TERRORISTEDes experts de terrain comme le Professeur Saibou Issa nous rappellent la difficulté persistante à cerner les motivations de Boko Haram, donc, de satisfaire l'impératif premier de la guerre enseigné par le vieux Sun Tzu : « connais ton ennemi » ! Il devient alors impératif de compenser l'avance conceptuelle prise en la matière par l'adversaire asymétrique, c'est-à-dire de le situer également pour mieux planifier le contre-contournement. Qu'est-il donc, cet ennemi ? L'on sait de façon certaine qu'il est islamiste et extrêmement violent. Mais le système asymétrique qu'il constitue est moins dénué d'ambigüité. S'agit-il d'un système prédateur qui aurait réussi par l'entreprenariat violent, et dont les enlèvements ne seraient que la partie la plus médiatisée ? Est-ce un système subversif à structure groupusculaire plus ou moins réticulée, c'est-à-dire un groupe ou une secte terroriste comme le veut la nomenclature courante usitée par l'opinion publique que par les décideurs ? Ne serait-ce pas plutôt un système revendicatif à structure paramilitaire, c'est-à-dire une insurrection ou un irrédentisme islamiste menant comme proclamé une résistance à l'occidentalisation considérée comme corruptrice ? Serait-ce en fait un maelström asymétrique à définir ou toute autre chose226(*) ? Loin d'être purement théorique, la distinction est importante pour l'analyse de la décision aux niveaux stratégique et opérationnel. Dès lors, la détermination de cette ambigüité requiert l'analyse de motivations sociales, religieuses et politiques du mouvement terroriste. Aux yeux de certains stratèges, Boko Haram parait plus d'autant plus inquiétant qu'il se développe dans un pays qui connait déjà de fortes tensions « religieuses » et qui comptent le plus grand nombre de musulmans en Afrique. A priori, rien ne prédestinait les membres de ce groupe terroriste à se rapprocher de la mouvance Al-Qaïda qui professe une forme d'islam différente. Lorsqu'elle s'enracine à Maiduguri dans les années 2000, le mouvement est avant tout, un mouvement de protestation social contre la politique du gouvernement central, sous l'égide de son leader spirituel Mohammed Yusuf. Après avoir fomenté leurs premières attaques contre les postes de police dans l'Etat de Yobé en 2003, ses fidèles les plus radicaux disparaissent dans la nature et semblent se terrer en milieu rural et dans les pays transfrontalier. Mais le mouvement se nourrit des désillusions qu'alimente la corruption des gouverneurs des régions du Nord du Nigéria chargés d'appliquer la charia (loi islamique). Il réapparait sur le devant de la scène à la suite d'un affrontement avec la police à Kano en 2007. Depuis lors, le mouvement n'a cessé d'élargir sa base sociale et géographique, tout en mutant sa tactique de combat. De ce point de vue, l'émergence d'un terrorisme islamiste au Nigéria aux motivations ambigües reflète sans doute les difficultés à appréhender et à comprendre un mouvement qui perdure de plus de 10 ans227(*). A la confluence des mouvements salafistes et islamistes républicains, Boko Haram révèle d'une espèce assez difficile à définir. Le mouvement est sectaire quand il cherche à endoctriner les jeunes. Totalitaire quand il développe une vision holistique d'un gouvernement islamique régulant tous les aspects de la vie privée. Et intégriste quand il prohibe les événements serrés et veut interdire aux femmes de voyager seules ou de monter dans les motos taxis. Sa position religieuse n'est pas moins ambigüe, voire, synergique, et en tout cas éloigné du modèle Wahhabite d'Al-Qaïda. Ainsi, Mohammed Yusuf condamnait dans un même élan le Soufisme, le Judaïsme, le Parsisme, le Polythéisme, l'Athéisme et la Démocratie. Mohammed Yusuf avait formellement interdit ses fidèles d'entrer à la fonction publique sous prétexte qu'on les obligerait à couper la barbe228(*). Il récusait complètement la constitution nigériane, les forces de sécurité et toute forme d'autorité de l'Etat importé par le colonisateur et considéré comme une innovation. La contestation de Boko Haram de l'ordre religieux, les partisans de Mohammed Yusuf s'en sont pris aux chefs traditionnels suspectés de collaborer avec les forces de sécurité nigérianes. Figure N°8 : Image de propagande du leader de Boko Haram Abubakar Shekau Source : Agence France Presse. Appelés Talibans, Yusufiyya, Mujahideen, Kwawarji (« renégats »), « Disciples du Prophète pour la propagation de l'islam et la guerre sainte » (jama'atu Ahlis-Sunnah Lidda'awati Wal jihad) ou « Compagnons du Prophète de la communauté des musulmans » (Ahl as-Sunnah wa al-Jama'ala Minhaj as-Salaf), les partisans de la secte eux, réclament une application stricte du droit coranique et rejettent la modernité du Sud du Nigéria, dont « l'éducation » dévoyée est considérée comme un « péché » (d'où la signification Boko Haram). De ce fait, Mohammed Yusuf considère que l'école occidentale détruit la culture islamique plus précisément la communauté musulmane que les croisades. Il condamne tout à la fois la mixité des sexes, le relâchement des moeurs, la corruption des valeurs traditionnelles, l'utilisation du calendrier grégorien... et la pratique du sport qui distrait la religion. Sans doute, le programme de Boko Haram est « politique », car, il tend vers l'idéal d'une république islamiste intégriste, bien plus vers la conquête du pouvoir. Le rejet des valeurs occidentales ne porte pas cependant sur l'école moderne à proprement parler229(*). En outre, les adeptes de Boko Haram ne condamnent pas tous les livres importés, mais seulement les mauvais. Les fidèles eux, ne se reconnaissent pas dans l'appellation Boko Haram et préfèrent signer leurs communiqués du nom des « disciples du prophète pour la propagation de l'Islam et la guerre sainte »). A sa manière, Boko Haram critique le monde moderne se rattache donc à un courant de pensée anticolonial, et pas seulement islamiste et obscurantiste. De part sa genèse et sa posture doctrinale, le mouvement Boko Haram ne relève pas du moins d'une insurrection qui est d'essence religieuse avant d'être politique. Ainsi, dans un souci de mettre en oeuvre une stratégie efficace anti-Boko Haram, l'armée camerounaise se heurte à la difficulté d'identifier d'une manière précise les motivations réelles du mouvement terroriste non seulement au Nigéria, mais aussi au Cameroun. Ainsi, l'ambigüité sur les motivations réelles de Boko Haram constitue un obstacle majeur, non seulement au développement d'une épistémologie du terrorisme, mais également dans la conceptualisation d'une doctrine du contre-terrorisme par l'armée camerounaise. * 226 La typologie des systèmes asymétriques utilisée ici est empruntée à Bruno Tertais (Dir), Atlas militaire et stratégique : menaces, conflits et forces armées dans le monde, Paris, Autrement, 2008. Cité par Jean Eudes Biem, « Evaluations du statut polémologique de Boko Haram face à la stratégie globale des Nations Unies en Afrique Centrale : Esquisse de prospective intégrée », Bulletin d'Analyse Stratégique et Prospective de l'EIFORCES, N0003 et 004, décembre 2014, p. 74. * 227 Parmi les rares articles sur ce sujet, on peut citer: Abimbola Adesoji, « The Boko Haram Uprising and Islamic Revivalism in Nigeria », Africa Spectrum, vol. 45, n02, 2010, pp.54-67; « Between Maitatsine and Boko Haram: Islamic Fundamentalism and the Response of the Nigerian State», Africa Today, vol. 57, n04, 2011, pp. 99-119. * 228 Dans son livre, Mohammed Yusuf s'opposait en l'occurrence au principe d'une séparation de la religion et de l'Etat. Pour lui, la démocratie platonicienne était une « doctrine de mécréants » parce qu'elle favorisait le polythéisme et défait les citoyens en proclamant le gouvernement du peuple par le peuple. A l'en croire, la justice était forcément d'essence divine et les hommes n'étaient pas en mesure d'arbitrer eux-mêmes les querelles. De plus, la liberté d'expression, la liberté d'association encourageait le blasphème et l'immoralité. Il convenait donc de condamner la règle de la majorité parce qu'elle pouvait entériner le règne de « l'erreur, de l'impiété et de la licence ». Mohammed Yusuf, This is our Faith and our Da'wa, Maiduguri, Al Fatha, vers 2005 (livre à compte d'auteur, interdit à la vente). p. 66. * 229 Il est d'ailleurs fort possible qu'à l'occasion, certaines déclarations de guerre contre les universités aient obéi à des considérations très prosaïques. En septembre 2011, des menaces d'attaques contre les campus, relayées par des textos, auraient par exemple été lancées par les étudiants qui cherchaient à reprendre du travail en pleine période d'examen ! De fait, il est parfait utile d'invoquer les questions religieuses pour régler les comptes. Lors d'une autre affaire qui avait défrayé la chronique en mars 2007, une enseignante chrétienne de Gandu (Etat de Gombé) avait été accusé d'avoir profané le Coran et tuée parce qu'elle avait surpris et renvoyé les étudiants musulmans en train de tricher aux examens. |
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