Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
SECTION 2 : LA MONTEE EN PUISSANCE DE L'ARMEE CAMEROUNAISE DANS UNE ACTION COALISEE DE LUTTE CONTRE BOKO HARAMLa spécificité commune avec les conflits du 21e siècle est leur caractère hybride et diffus. C'est ce qui a été observé avec le conflit Cameroun-Boko Haram. En effet, les premières phases du conflit s'assimilaient à un conflit conventionnel, avec des attaques frontales de grandes envergures contre les positions de l'armée régulière par les insurgés de Boko Haram. Mais, avec la mutualisation des forces, la seconde phase de ce conflit est marquée par son caractère irrégulier, avec des méthodes de combat quasiment asymétriques. Il est donc intéressant dans cette partie, d'analyser l'action de l'armée camerounaise dans la mutualisation des forces contre Boko Haram (Paragraphe 1), et, la modification du format de force de l'armée camerounaise (Paragraphe 2) à l'épreuve des actions asymétriques du groupe terroriste. PARAGRAPHE 1 : L'ARMEE CAMEROUNAISE DANS LA MUTUALISATION DES FORCES DANS LA LUTTE CONTRE BOKO HARAMFace à la régionalisation de menace terroriste de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, sur appel du président de la république du Cameroun, le Tchad a déployé un important contingent de militaires dans l'Extrême-Nord du Cameroun. Cette intervention militaire tchadienne se situe dans le cadre de l'opération Logone 2015 (A). Et les initiatives prises sur le plan régionales ont abouti à l'opérationnalisation de la Force Multinationale Mixte (FMM) (B) pour lutter contre la secte terroriste. A-L'OPERATION LOGONE 2015La multiplication des attaques de Boko Haram contre le Cameroun, et la prise de contrôle par les islamistes de nombreuses localités au Nigéria voisin, proche de la localité de Kousseri, aux abords du lac Tchad, inquiètent le gouvernement tchadien. En effet, la capitale N'Djamena n'est séparée du fief des islamistes de Boko Haram que par cette bande de terre camerounaise de 50km de large et poreuse aux infiltrations jihadistes. Boko Haram s'étant également emparé de la route Maiduguri-Fotokol et menaçant le tronçon Mora-Kousseri, les principales voies d'approvisionnement du Tchad170(*). Alors, ce dernier pâtit déjà de la réduction du commerce avec le Nord-Est du Nigéria et l'obligation de passer par le Niger171(*). L'insécurité dans le nord du Cameroun entraine la fermeture de l'axe commercial Douala-Maroua-N'Djamena. Les camions doivent emprunter une route de contournement traversant Moundo et Bongor, avec pour conséquence le passage de 4 à 6 jours de trajet, et l'augmentation du prix de denrées sur les marchés tchadiens. Ainsi, dans un souci de préserver les intérêts stratégiques et vitaux pour le pays, les Forces Armées Tchadiennes d'Intervention au Cameroun (FATIC) sont entrées le 18 janvier 2015 en fin d'après-midi en territoire camerounais, pour combattre aux cotés de leurs frères d'armes camerounais. En effet, le 8 janvier 2015, lors de la cérémonie de présentation des voeux au corps diplomatique accrédité à Yaoundé, le président de république Paul Biya avait lancé un appel à la solidarité internationale, en direction de la communauté internationale par ses termes : « à menace globale, riposte globale »172(*). Durant cette période, l'armée camerounaise était débordée par les attaques sanglantes des islamistes de Boko Haram. Cette intervention militaire avait donné naissance à l'opération binationale baptisée, Opération Logone 2015. L'un des premiers objectifs des FATIC était, la reconquête de la ville de Baga en territoire nigérian dont l'occupation par les islamistes constituait un danger pour la sécurité nationale du Tchad du fait, de sa proximité avec le territoire tchadien. En effet, le 3 janvier 2015, Boko Haram lance une grande offensive sur la ville de Baga et sur plusieurs localités voisines. La principale cible est l'importante base militaire de Baga qui abritait le quartier général de la Force Multinationale (Multi National Joint Task Force - MNJTF en anglais)173(*). En l'absence des soldats nigériens et tchadiens, les combattants islamistes « ont submergé les troupes nigérianes et les ont forcé à abandonner la base », a témoigné sur AFP Usman Dansubbu, un habitant de Baga qui a fuit vers Gubuwa au Tchad. Ils ont alors massacré tous les habitants qui n'avaient pas réussit à fuir et ont incendié et détruit 90% de la ville de Baga et de Doron-Baga. Dans cette attaque, Boko Haram avait massacré des centaines voire, près de deux mille personnes ce qui constituerait le pire massacre de ce groupe terroriste. Le déploiement des militaires Tchadiens dont les capacités opérationnelles sont avérées depuis la guerre du Mali de 2012, apparait ici comme « un ouf de soulagement » pour les troupes camerounaises déployées au front. Depuis des mois celles-ci essuyaient des assauts meurtriers et quasi-quotidiens des terroristes. Il est à noter ici, qu'à la différence avec l'armée camerounaise, l'armée tchadienne disposait le droit de poursuite dans le territoire nigérian, ce que les forces armées camerounaises n'avaient pas. Cette situation mettait donc l'armée camerounaise dans une position désavantageuse face aux offensives des islamistes. En effet, l'armée camerounaise se contentait de défendre leurs positions face aux offensives des islamistes, sans toutefois pouvoir mener des opérations de contre offensive sur les positions tenues par Boko Haram près de la frontière en territoire nigérian. Ce désavantage va en droite ligne avec la position du théoricien de la guerre Clausewitz qui considère que, défendre est aisé que d'attaquer. Mais, l'offensive reste la seule et l'unique posture permettant d'atteindre un but positif. Stationnés à Maltam, Fotokol et Mora, les soldats tchadiens ont mené des offensives contre les positions tenues par Boko Haram au Nigéria. C'est le cas de la bataille de Baga ou celle de Gambaru. Les troupes tchadiennes ont également mené des opérations conjointes avec l'armée camerounaise en territoire camerounais, l'attaque sanglante contre la ville de Fotokol par Boko Haram en février 2015174(*) est illustrative à ce point. La petite ville nigériane de Gambaru bordant la frontière camerounaise, conquise le 24 août 2014 par Boko Haram, est conquise par les troupes tchadiennes le 3 février 2015175(*). Le lendemain, alors qu'elles sont entrain de ratisser la ville, les islamistes s'infiltrent à Fotokol, de l'autre coté de la frontière. Et y mènent ce qui est sans doute le pire massacre qu'ils n'aient jamais commis au Cameroun, tuant jusqu'à 400 personnes en quelques heures, avant de disparaitre176(*). Néanmoins, cette attaque sanglante illustre tout de même le manque de coordination des actions qui prévalait entre les forces engagées au front. Du moins, à partir de leur posture défensive, les militaires camerounais ont souvent pénétré au Nigéria et pilonné les positions tenues par Boko Haram à partir du territoire camerounais, notamment dans les localités de Banki et de Gambaru177(*). Dans le même sens, les mentalités ont évolué entre les militaires camerounais et nigérians pour une coordination de leurs efforts dans la lutte contre Boko Haram. La coopération entre les deux armées s'est nettement améliorée depuis l'élection de Buhari à la tête du Nigéria en mai 2015. Les deux armées depuis cette période, mènent des opérations coordonnées et échangent régulièrement des renseignements178(*)dans la lutte contre les terroristes de Boko Haram. De ce qui précède, l'action de l'armée tchadienne aux cotés de l'armée camerounaise a été décisive pour contenir les assauts de Boko Haram en territoire camerounais. Elle a permis de déloger les islamistes dans leurs positions proches du territoire camerounais. Ceci nous amène donc à examiner par la suite l'action de l'armée camerounaise dans une action régionale de lutte contre le groupe terroriste. * 170 Voir le rapport Afrique de Crisis Group, No 233, Tchad entre ambitions et fragilités, 30 mars 2016. * 171 Christophe Chatelot, « Pourquoi le Tchad s'engage dans la lutte contre Boko Haram », Le Monde, 6 février 2015. Le bétail, qui représente 40% des exportations du pays et dont 90% partait vers le Nigéria, est particulièrement concerné (Gaëlle Laleix « Tchad : l'économie asphyxiée par l'insécurité », RFI, 10 mars 2015. Après le pétrole, l'exportation de bétail est la deuxième source commerciale de revenues du Tchad). * 172 Cf, discours de Paul Biya devant les chefs de missions diplomatiques accrédités à Yaoundé le 8 janvier 2015. * 173 Créée en 1998 par le Nigéria, le Tchad et le Niger initialement pour lutter contre la criminalité transfrontalière entre les trois pays, la MNJTF a été élargie pour inclure le Cameroun et le Benin, et couvrir les opérations de lutte anti-terroriste contre Boko Haram dans la région. * 174 Entretien avec colonel du BIR à Maroua, op.cit. * 175 Nigéria : Gambaru libérée par l'armée tchadienne, Alwihda Info, 3 février 2015. * 176 Cameroun : Fotokol sous le choc après l'attaque sanglante de Boko Haram, RFI, 16 mars 2015. * 177 « L'armée camerounaise pilonne Boko Haram au Nigéria », L'oeil du Sahel, 26 octobre 2015. * 178 Entretien avec un lieutenant-colonel du BIR à Maroua, mai 2016. |
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