Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
CHAPITRE 2L'ARMEE CAMEROUNAISE FACE AU GROUPE TERRORISTE BOKO HARAMLe Cameroun est un pays situé au fond du Golfe de Guinée à la confluence de l'Afrique Centrale et de l'Afrique de l'Ouest. Il chevauche l'équateur jusqu'aux confins du Sahel et du désert du Sahara. Il couvre une superficie de 475 000 km2 pour une population de plus de 20 millions d'habitants139(*). Dans une perspective cartographique, « le Cameroun est un triangle isocèle portant une bassine sur la tête (le lac Tchad), un bec sur la tête (bec de canard), un bac sur son dos (les deux régions d'expression anglaise, celles de l'Ouest et du littoral) »140(*). Le Cameroun a longtemps été considéré comme un pays stable dans une Afrique Centrale en ébullition meurtrie par des guerres infra-étatiques et des crises profondes. Mais, à cette situation de non guerre, il faut relever que le Cameroun a longtemps été confronté à un conflit conventionnel transfrontalier avec le Nigéria à propos de la presqu'île de Bakassi. Conflit qui a été tranché en faveur du Cameroun en 2002 par la Cour Internationale de Justice (CIJ) de la Haye. Figure N°5 : Carte territoriale de la région de l'extrême-nord du Cameroun. Source : www.googlemaps.com De même, l'Extrême-Nord du Cameroun est depuis l'indépendance un théâtre de trafics d'armes, de pétrole, de la drogue, et de diverses formes de banditisme violent. Depuis un certain nombre d'année, l'insécurité est une donnée constante dans cette partie du territoire et dans la frontière orientale du pays du fait des activités criminelles des bandits transfrontaliers connus sous le nom de «coupeurs de routes » ou les « zarguina » venus de la République Centrafricaine (RCA) et du Tchad. La façade maritime camerounaise n'est pas épargnée de cette insécurité du fait, de la piraterie maritime dans le golfe de guinée. Toutefois, ces événements sont à relativiser face à l'insécurité montante dans l'Extrême-Nord du pays à cause de la contagion des actions criminelles et terroristes du groupe terroriste d'origine nigériane Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Face à l'insécurité montante sur la partie septentrionale du Cameroun, il a fallu attendre le mois de mai 2014 pour que les autorités de Yaoundé prennent l'initiative contre la secte terroriste. En effet, c'est à Paris le 17 mai 2014 que le chef de l'Etat du Cameroun Paul Biya avait déclaré devant la presse : « Nous sommes ici pour déclarer la guerre au Boko Haram », lors du sommet consacré à la paix au Nigéria.141(*)Déclaration de « guerre » qui s'est suivie par le déploiement d'importants moyens militaires dans le Nord du pays pour contenir cette menace aux frontières nationales. Ainsi, dans notre réflexion, il sera judicieux pour nous de faire état du maillage stratégique des forces armées nationales face à Boko Haram (Section 1). Par la suite, la montée en puissance de l'armée camerounaise dans une action coalisée de lutte contre Boko Haram (Section 2). SECTION 1 : LE MAILLAGE STRATEGIQUE DES FORCES ARMEES CAMEROUNAISES POUR PARER AU TERRORISME DE BOKO HARAMLe grand penseur anglais de l'entre deux guerres Sir Basil Liddel Hart pense que, « la stratégie » est « l'art de distribuer et de mettre en oeuvre les moyens militaires pour accomplir les fins politiques »142(*). Il en ressort, qu'il s'agit de la compétence conjointe du gouvernement et du haut commandement des armées. Elle se décline donc selon le milieu143(*), l'effet à produire144(*), et les moyens à mettre en oeuvre145(*). En 1983, lors de la sortie des jeunes officiers à l'Ecole Militaire Inter Armées (EMIA) du Cameroun, le président de la république le signifiait sur le signe de la vigilance, la défense du Cameroun est à la fois totale et permanente. Les forces de défense camerounaises doivent donc garantir de manière intangible ce qui est en construction, construction dont elles sont à la fois « ferment et objet »146(*). Le rôle fondamental de l'armée dans l'édification de la nation camerounaise est de prévenir le corps social de toutes les menaces qui pourraient porter atteintes non seulement à l'intégrité territoriale et aussi au patrimoine reçu, mais aussi, d'extirper de la nation les germes susceptibles de porter atteinte à la volonté du vivre ensemble. Toutefois, la réalisation de ces missions de défense passe par une bonne identification des pesanteurs en termes de vulnérabilités susceptibles de mettre la nation en péril147(*). L'armée camerounaise constitue donc un outil de dissuasion pour le Cameroun contre toute attaque éventuelle venant de l'un des pays frontaliers, susceptible de créer des troubles au sein du territoire national. Mais cette dissuasion a été brisée par les raids meurtriers à répétition du groupe terroriste Boko Haram dans les localités camerounaises situées à l'extrême-nord du pays depuis 2012148(*). Ceci se justifie par la nouvelle configuration polémologique qui prévale depuis la fin de la guerre froide où la puissance militaire ne dissuade plus et ne met plus un Etat à l'abri contre une éventuelle attaque terroriste. La menace terroriste de Boko Haram, appréhendée sous le prisme sécuritaire, il s'agira ici d'analyser le dispositif opérationnel mis en oeuvre par l'armée camerounaise pour contenir cette menace terroriste (Paragraphe 1). Et le réajustement de la carte territoriale de commandement de l'armée camerounaise (Paragraphe 2) qui s'est suivi. PARAGRAPHE 1 : LE DISPOSITIF OPERATIONNEL DE L'ARMEE CAMEROUNAISE MIS EN OEUVRE POUR CONTENIR LE TERRORISME DE BOKO HARAMLa doctrine générale de défense et de sécurité du Cameroun est défensive. Elle se traduit par la volonté des autorités de préserver la paix, la sécurité et l'intégrité territoriale toute entière du sanctuaire national. Il s'agit à cet effet, de défendre le territoire contre toutes menaces à la sécurité intérieure ou aux agressions extérieures. Les attaques meurtrières de Boko Haram sont donc considérées comme des « actes de guerre » contre le sanctuaire national, par conséquent, il faut imposer une riposte militaire. Il s'agira donc pour nous, d'orienter notre analyse sur le déploiement de l'armée régulière (A) et de celui des unités d'élite de l'armée (B) pour contenir les insurgés de Boko Haram. A-LE DEPLOIEMENT DE L'ARMEE REGULIERE DANS LA PARTIE SEPTENTRIONALE DU PAYSDepuis 2009, Boko Haram s'est réorganisé et implanté dans la forêt de Sambissa. Depuis cette période, Boko Haram s'est lancé dans un terrorisme sans précédent pour se hisser au rang des groupes terroristes les plus violents de la planète, avec pour but ultime la mise à l'échec du pouvoir central d'Abuja149(*). De 2009 à 2012, Boko Haram semble jouir d'un avantage confortable de terrain au Cameroun. Dans un prosélytisme terroriste, cette situation pousse le groupe terroriste à étendre ses tentacules dans les pays voisins du Nigéria, notamment à l'Extrême-Nord du Cameroun. C'est en 2012 que Boko Haram a commencé à étendre ses actions violentes en territoire camerounais principalement dans les localités de Fotokol, Makary, Amchidé, Kousseri et Dabanga150(*). Bien que ses attaques soient des actions relativement isolées et localisées, mais, elles illustrent à suffisance la prise de l'initiative et de l'implantation de Boko Haram sur le territoire camerounais. L'année 2012 marque également la pénétration et implantation des combattants de Boko Haram au Cameroun et la création des cellules opérationnelles dans l'Extrême-Nord du pays. En effet, en 2012 un groupe de militants de la secte terroriste a exigé via des tracts envoyés aux autorités et aux populations à Amchidé, Fotokol et Kousseri, la fermeture des bars et l'application de la charia, et menacé les commerçants et les transporteurs de représailles s'ils ne contribuaient pas au financièrement du Jihad151(*). Par souci de neutralité politique, ou de non ingérence à ce qui semblait être aux yeux des autorités camerounaises comme un problème interne au Nigéria. Les autorités de Yaoundé ont mis du temps à réagir contre Boko Haram. Profitant de cette situation, les terroristes ont renforcé leur emprise territoriale au Cameroun de 2013 à mis 2014, par l'enlèvement des ressortissants étrangers sur le sol camerounais. Après avoir enlevé une famille française forte de sept (07) personnes dans le parc national de Waza (dans le département du Logone et Chari), situé à l'extrême-nord du pays le 19 février 2013. Le 13 novembre 2013, un prêtre français était aussi enlevé à Nguetchewe (département du Mayo Tsanaga) ; Le 19 avril 2014, deux prêtres italiens et une soeur canadienne étaient enlevés à Tchere dans le Diamaré ; en mai 2014, dix ouvriers chinois de la compagnie chinoise Sino-hydro étaient enlevés dans la localité de Waza. Outre les enlèvements d'occidentaux, le territoire camerounais semble également être pendant cette période la plaque-tournante du trafic d'armes en direction de Boko Haram. Comme en témoigne la découverte des stocks d'armes dans l'extrême-nord du Cameroun152(*). Dans cette logique, la zone transfrontalière Cameroun-Nigéria était devenue une zone grise aux conséquences économiques, humanitaires et sécuritaires désastreuses. En effet, les incursions meurtrières de Boko Haram étaient devenues quasi-quotidiennes et les échanges commerciales entre les deux pays dans cette zone étaient devenus quasi absents. Le mois de mai 2014 marque le début d'un conflit ouvert entre les militants islamistes de Boko Haram et les forces de défense camerounaises. Les premiers affrontements directs entre les militaires camerounais et les combattants de Boko Haram datent du 2 mars 2014 à Wouri-Maro près de la localité de Fotokol153(*). Face à la posture offensive du mouvement terroriste, le gouvernement de Yaoundé a pris des mesures sécuritaires relativement adaptée à la menace. Au lendemain de la déclaration de guerre à Boko Haram, par le président de la république, les autorités de Yaoundé ont déployé d'importantes troupes de l'armée régulière dans la partie septentrionale du pays. Le dispositif opérationnel mis en oeuvre par l'armée régulière s'articulait au tour de l'opération Emergence 4, conduite par la quatrième région militaire interarmées (RMIA4, l'armée régulière)154(*). Ce dispositif est composé par les unités des armées de terre, air et mer. Dans l'armée de terre nous avons les unités aéroportées à l'instar, du Bataillon des Troupes aéroportées (BTAP) de Koutaba (région de l'Ouest). Des unités amphibies, à l'instar du Bataillon Spécial Amphibie (BSA) qui est basé à Tiko dans le Sud-ouest du pays, et des unités blindées, comme le Bataillon Blindé de Reconnaissance (BBR) et de l'arme du génie notamment, les unités du Régiment du Génie militaire (REGEN). Il est à noté que ses unités étaient accompagnées par un matériel militaire conséquent allant des pick-up montés, aux chars d'assauts, des véhicules légers aux blindés, de la mitrailleuse en passant par les mortiers aux canons. L'artillerie était au rendez-vous notamment par le Régiment d'Artillerie Sol-Air (RASA) et du Régiment d'Artillerie Sol-Sol (RASS). L'armée de l'air avait également déployé ses unités de combats allant des avions de reconnaissance aux avions de combat notamment des Alpha-jets et Foucade, des hélicoptères de type Puma, Bell et Gazelle et le bataillon des fusiliers de l'air commando. L'armée marine avait quant à elle aussi déployée ses unités opérationnelles. C'est le cas, de la Compagnie des Palmeurs de Combat (COPALCO) et le Bataillon des Fusiliers Marins commando (BAFUMAR). Ces forces de la marine ont été déployées dans le lac Tchad. Vu l'urgence et la dangerosité de la menace terroriste de Boko Haram, le déploiement des moyens militaires dans l'extrême-nord du pays, apparait comme une mesure appropriée à l'ampleur de la menace. * 139 Voire Ebogo Franck, Hydro-politique et Hydro-stratégie du Cameroun : collisions et collusions des trajectoires dans la gestion des sources et des ressources en eaux, Université de Yaoundé 2, Thèse de Doctorat P.D en science politique, DEA Master recherche en science politique, juin 2013, p 5. * 140 Ntuda Ebode Vincent Joseph, « cinquante ans de politique camerounaise des frontière. D'une conception géopolitique à la construction géoéconomique des zones de contact », In Annales de l'Université de Toulouse 1, Capitole, Vol. L2, 2010-2011, p 63. * 141Libye, Cameroun, Centrafrique...l'effet domino du terrorisme, Jeune Afrique, 4 juin 2014. * 142 Haart Liddel Basil, Strategy: the indirect approach, third edition, London, India: Natraj Publishers, 2003. * 143Stratégie maritime, stratégie aérienne, stratégie terrestre. * 144Stratégie de dissuasion, stratégie de coercition. * 145Stratégie des armements. * 146 Alain Didier Olinga, « l'armée et la construction de l'unité nationale », op. cit. * 147Ntuda Ebodé Vincent Joseph, « l'armée et l'édification de la nation camerounaise », Armée et Nation, Ensemble pour Consolider La Paix et le Développement, Yaoundé, mai, 2009. * 148 Pauline GUIBBAUD, op.cit. * 149 Priscilla Sadachy, « Boko Haram : un an sous état d'urgence », Note d'Analyse du GRIP, Bruxelles, 3 juin 2014. * 150 « Terrorisme : la menace Boko Haram aux portes du Cameroun », Jeune Afrique, 4 avril 2014. * 151 « Fotokol, Boko Haram exige la fermeture des bars et des auberges », L'oeil du Sahel, 5 novembre 2012 ; « Boko Haram chasse les évangélistes d'Amchidé », L'oeil du Sahel, 7 janvier 2013, cité par Rapport Afrique de Crisis Group : « Cameroun : faire face à Boko Haram », no 241, 16 novembre 2016 pp.9-10. * 152 « Le Cameroun, plaque-tournante d'un trafic d'armes destinées à Boko Haram », op.cit. * 153 « Fotokol : le film des affrontements entre l'armée et Boko Haram », L'oeil du Sahel, 7mars 2014. * 154 Les forces de défense camerounaises sont réparties dans quatre régions militaires interarmées (RMIA), le concept émergence date depuis la réforme des forces armées camerounaises en 2001, mais a été opérationnalisé face à la menace de Boko Haram. Entretien avec un officier au ministère de la défense en septembre 2016. |
|