Les difficultés des armées nationales à lutter contre le terrorisme. Cas de l'armée camerounaise.par Germain GaàƒÂ«tan ABOMO BENGONO Université de Yaoundé 2 - Master 2 en sciences politiques 2016 |
PARAGRAPHE 2 : L'ARMEE NIGERIANE FACE AU TERRORISME DE BOKO HARAMGrand producteur de pétrole, le Nigéria se présente comme l'Etat le plus peuplé du continent africain avec ses 181,8 millions d'habitants et le septième pays le plus peuplé du monde. Cependant, parallèlement à la résurgence des groupes terroristes au Moyen-Orient et au Maghreb, une rébellion dévastatrice et sanglante s'est imposée dans le nord-est du Nigéria anglophone, dont l'avenir est considéré comme déterminant pour la sous-région. Apparu à Maiduguri dans l'Etat de Borno en 2002 sous le nom de « Congrégation des compagnons du prophète pour la propagation de la tradition sunnite et la guerre sainte » Boko Haram a été fondé par Ustaz Mohamed Yusuf118(*). Il apparait comme une secte islamiste d'inspiration salafiste, réclamant une application stricte de la charia dans le Nord du Nigéria119(*). Boko Haram120(*) dénonce les inégalités sociales dans le pays, la corruption de l'élite nigériane et l'influence de l'occident dont il estime que sa culture est impie. L'année 2009 marque un tournant majeur dans l'évolution du statut polémologique du groupe terroriste. A la suite d'une insurrection simultanée des islamistes dans quatre (04) Etats du Nord-Est du Nigéria (Borno, Bauchi, Yobé et Kano), s'est suivie une vaste répression violente par les forces de défense et de sécurité nigérianes. Cette répression a abouti à l'exécution de ses principaux chefs dont son fondateur121(*). Moins d'un an après la répression violente contre les islamistes, le groupe reprenait pied au Nigéria sous la direction d'Abubakar Shekau, réputé par sa violence extrême. Il s'engageait dans un activisme terroriste sans précédent au Nigéria et dans tous les pays du bassin du lac Tchad. Face à cette situation, les autorités nigérianes ont pris des mesures sur le plan militaire pour juguler cette menace terroriste. Notre réflexion s'articulera sur le dispositif opérationnel de l'armée nigériane face à Boko Haram (A) et, sur le maintien de l'initiative de Boko Haram sur l'armée nigériane (B). A-LE DISPOSITIF OPERATIONNEL DE L'ARMEE NIGERIANE FACE AU TERRORISME DE BOKO HARAMAvec son passage aux actions de type terroristes en 2010, Boko Haram s'incruste dans diverses localités rurales et dans les zones non peuplées, comme la forêt de Sambissa, dans l'Etat de Borno, à proximité de la frontière camerounaise. Il refait une apparition clandestine à Maiduguri et procède, dès 2011, à plusieurs attentats dans le centre et le nord-ouest du Nigéria. En 2012 et 2013, il multiplie les assassinats et les attentats, visant notamment les chrétiens, les leaders musulmans, les hommes politiques et les chefs coutumiers s'opposant à ses vues. Il organise plusieurs enlèvements, en particulier dans des écoles, visiblement pour se procurer des jeunes combattants et des esclaves sexuels. Il n'hésite pas à s'attaquer à des prisons, pour libérer ses membres détenus ou pour élargir sa base de recrutement. Et, à affronter les forces de sécurité nigérianes, que se soit en attaquant des postes de contrôle de l'armée, des casernes ou des commissariats de police, ou en tendant des embuscades à des convois122(*) de l'armée. Face à cette situation inquiétante, les autorités d'Abuja ont entrepris des mesures fortes. Parmi celles-ci nous avons, le lancement d'une vaste offensive militaire contre les insurgés de Boko Haram, dans les régions de Maiduguri en novembre 2012. Elles ont également proclamé l'état d'urgence six mois plus tard. Si ces mesures ont permis de tuer des centaines d'insurgés du groupe terroriste et de regagner un peu de terrain, en revanche elles n'ont pas eu d'effet durable sur les insurgés. En 2014, les attaques de Boko Haram deviennent encore plus indiscriminées, visant les mosquées, les marchés ou les évènements sportifs123(*). La période entre août 2014 et janvier 2015 est marquée également par la prise de plusieurs villes de l'Etat de Borno. Au début de l'année 2015, la partie du territoire nigérian sous contrôle de Boko Haram surpassait la superficie de la Belgique124(*). Ce contrôle de vastes parties du territoire nigérian, permet au groupe terroriste d'installer une véritable économie de guerre en contrôlant les banques, les postes douaniers et en collectant des impôts dans les villes sous leur contrôle. Ce qui permet aux terroristes de lancer de vastes offensives contre l'armée nigériane et contre les pays voisins du Nigéria. La plupart des analystes ont attribué ces revers à plusieurs facteurs : une corruption très répandue à divers échelons de l'appareil militaire nigérian, l'impopularité de l'armée due à de multiples violations de droits humains dans les Etats affectés par l'insurrection. Il faut aussi ajouter, les rivalités au sein de la hiérarchie militaire, des effectifs trop peu nombreux sur le terrain. L'infiltration de l'armée par des complices, qui par esprit de lucre ou d'idéologie fournissaient renseignement ou armement à ceux qu'ils étaient censés combattre125(*). Un changement notable s'est produit au cours de l'année 2015, pendant les derniers mois du mandat du président Goodluck Jonathan et les premiers de celui de son successeur, Muhamadu Buhari. Concentrant d'abord ses efforts sur le sud de l'Etat du Borno et de l'Adamawa126(*), l'armée fédérale nigériane a, entre février et septembre, repris la plupart des villes conquises par Boko Haram en 2014. En outre, l'incompétence de certains chefs militaires de l'armée nigériane a été sanctionnée127(*). Des centaines de mercenaires, majoritairement des sud-africains, de la firme Pilgrim Africa, ont par ailleurs été engagés pour entrainer et conseiller l'armée nigériane, ainsi que pour piloter des hélicoptères et des blindés128(*). Dès sa prise de pouvoir à Abuja, le 29 mai, le président nigérian a transféré le centre de commandement militaire chargé de la lutte contre Boko Haram d'Abuja à Maiduguri épicentre de l'insurrection islamiste, soit au plus près des zones affectées par le conflit129(*). En juillet de la même année, il a limogé et remplacé les principaux chefs de l'armée. Nommés six mois plus tôt par son prédécesseur, ainsi que le conseiller à la sécurité nationale130(*). De plus, ce dernier, Sambo Dasuki, en poste depuis 2011, a été arrêté en novembre. Il a été accusé d'avoir détourné plus de 5 milliards USD destinés à l'armement devant servir à la lutte contre Boko Haram, dont 12 hélicoptères, 4 avions de chasse et des munitions131(*). Aux nouveaux chefs militaires, il donnait en août, trois mois pour en finir avec Boko Haram132(*). Enfin, on avait appris, en mai, que 579 officiers et soldats étaient jugés au cours de deux procès distincts pour indiscipline, tandis que, en octobre, le général qui commandait la base de Baga a été condamné à 6 mois pour « perte de matériel » par une cour martiale133(*). Si le rôle joué par les armées a permis une certaine accalmie notamment, la tenue des élections présidentielles au Nigéria. Elles ont aussi amoindri les capacités opérationnelles de ce mouvement terroriste l'obligeant à revoir sa stratégie. Le groupe armé terroriste n'est plus dans une logique d'expansion territoriale comme à la fin 2014 où il volait de succès en succès dans le Nord-Est du Nigéria, mais dans une logique de survie. Mais le groupe terroriste garde toujours sa capacité de nuisance. * 118 Mohamed Yusuf a étudié la théologie à l'université de Médine en Arabie saoudite. Il s'inspire des prêches intolérants de l'égyptien Shukri Mustafa. Fondé sur l'excommunication et l'exil, profère de violentes critiques à l'endroit des autorités nigérianes et s'oppose notamment aux fidèles d'un aux fidèles d'un autre prêcheur nigérian, Abubakar Gumi, idéologue du mouvement néo-hanbalite Yan Izala, décédé en 1992 (le hanbalisme est le rite le plus rigoriste des quatre écoles de pensée religieuse de droit musulman de l'islam sunnite). * 119 12 des 36 Etats de ce pays le plus peuplé du continent africain appliquent déjà cette loi islamique. * 120 Boko Haram estime que la culture occidentale et en particulier l'école occidentale, présenté comme le bras armé de l'expansionnisme occidental est un péché. * 121 Sanni Umaru, membre de Boko Haram se présentant comme le successeur du leader charismatique de Boko Haram affirme au mois d'aout 2009 que les combats de juillet 2009 ont fait 1000 morts parmi les combattants de la secte islamiste. Voir sur internet dans url http://allafrica.com/stories/200908150006.html. * 122 Curbing Violence in Nigeria (II): The Boko Haram Insurgency, Crisis Group Africa Report no 216, ICG, 3 avril 2014. * 123 Nigeria : Boko Haram kills 2,053 civilians in 6 months, human rights watch, 15 juillet 2014. * 124 David Blair, Boko Haram is now a mini-Islamic State, with its own, The Telegraph, 20 janvier 2015. * 125 Priscilla Sadatchy, Boko Haram, un an sous état d'urgence, Note d'Analyse du GRIP, 3 juin 2014. * 126 Vincent Duhem, Lutte contre Boko Haram : les couacs de la coopération entre le Tchad et le Nigéria, Jeune Afrique, 27 mars 2015. * 127Nigeria army arrests Senior Officers, African Defense, 30 janvier 2015. * 128 Nigeria drafts in foreign mercenaries to take on Boko Haram, Reuters, 12 mars 2015; Nigeria taps South African Mercenaries in fight against Boko Haram, Foreign Policy, 12 mars 2015; Boko Haram: Etat islamique, armes françaises et mercenaries sud-africains...Jeune Afrique, 12 mars 2015 ; Adam Noster, Mercenaries join Nigeria's military campaign against Boko Haram, The York Times, 12 mars 2015. * 129 Boko Haram: Nigerian military moves command centre to Maiduguri, Premium Times, 8 juin 2015; Military bows to Buhari, moves command, control centre to Maiduguri, Vanguard, 8 juin 2015. * 130 Nigeria: nouvel attentat à Maiduguri, le président limoge les chefs militaires, France 24, 13 juillet 2015 ; Nigerian president replaces military's top brass, Aljaweera, 14 juillet 2015. * 131 Nigeria's president: Ex-officer stole billions in arms deals, Associated Press, 18 novembre 2015. * 132 Boko Haram crisis: Nigerian military chiefs given deadline, BBC News 13 aoùt 2015. * 133 Nigeria army court-martial sentences Brigadier general Ransome-Kuti to six months in jail, Sahara Reporters, 15 octobre 2015. |
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