4.3. Quelle influence de la pollution par l'ozone sur
la croissance radiale ?
La difficulté est grande d'isoler le facteur pollution
par l'ozone des autres facteurs susceptibles d'intervenir sur la croissance
radiale annuelle des arbres.
La croissance radiale estimée des cernes étant
significativement inférieure à la croissance réelle durant
la période « polluée » pour 2 populations sur 5, il
semble difficile de relier catégoriquement une éventuelle
diminution des largeurs à une augmentation du niveau de pollution
atmosphérique (ozone en particulier).
Cette difficulté tient au fait que la croissance des
cernes subit les effets de multiples influences :
> L'âge, regroupant des facteurs internes propres
à chaque individu. Les mécanismes physiologiques normaux de
vieillissement des arbres s'accompagne souvent d'une dégradation de
l'état du houppier. (Dalstein, 1999) ;
> La compétition interspécifique (vis
à vis du mélèze notamment) ;
> L'environnement local (conditions stationnelles). Le
micro-environnement où pousse chaque arbre est plus ou moins favorable
à sa croissance, dès sa naissance et tout au long de sa vie.
L'état de santé des houppiers pourrait traduire ces
différences stationnelles. La pauvreté des sols type Ranker sur
un substratum cristallin (carences en éléments nutritifs, tels
que magnésium, azote et potassium), pourraient constituer un facteur
prédisposant local. Les jaunissements pour les populations
étudiées ici sont visibles alors que le substratum est de type
cristallin ou gréseux. Tout se passe donc comme si les
difficultés d'alimentation jusqu'ici chroniques étaient
brusquement mises au grand jour sous l'influence d'un facteur nouveau. Le
jaunissement des
37
aiguilles serait déclenché et aggravé par
des conditions climatiques défavorables de ces dernières
années (faibles enneigements hivernaux, enneigements tardifs au
printemps, fortes chaleurs et sécheresses estivales), et par les
concentrations croissantes d'ozone dans l'atmosphère durant
l'été. De plus, les dépôts acides pourraient induire
l'apparition de difficultés d'alimentation en magnésium et
calcium sur les sols pauvres, extériorisés par les
jaunissements.
D'autre part, l'augmentation du taux de CO2
atmosphérique depuis le début de l'ère industrielle
pourrait masquer l'effet négatif de l'ozone sur la croissance. Il a
été constaté une augmentation significative de la largeur
des cernes (pour une même classe d'âge) d'un millimètre par
an depuis le milieu du siècle dernier pour une population de pin cembro
de l'étage subalpin du Tyrol Autrichien (Nicolussi et al.,
1995). De plus, l'augmentation continuelle du CO2 dans l'atmosphère, en
entraînant une fermeture partielle des stomates, pourrait limiter
l'impact de l'ozone sur les arbres.
Les entrées azotées atmosphériques
(nitrates et ions ammonium) contenues dans la pluie ou les dépôts
secs azotés, en constante augmentation ces 20-30 dernières
années, pourraient également constituer un stimulant de la
croissance. (Nicolussi et al., 1995).
Il existe cependant de fortes présomptions pour que les
symptômes observés (atteintes des membranes cellulaires des
aiguilles) soient dus à l'ozone (Dalstein, 1997). De plus, la diminution
de la variabilité inter-annuelle des résidus à partir des
années 1970 pour la population Salèse 2 (la plus touchée)
pourrait signifier un impact de plus en plus important des taux d'ozone sans
cesse croissants. En effet, l'augmentation du taux d'ozone s'est
accélérée ces 15-20 dernières années en
passant de +1.6 % à + 2.4% par an (Le Cloirec, 1998) (figure 1). En ce
qui concerne l'analyse des largeurs des cernes, pour les populations
Salèse 2 et Prals, la croissance réelle a été
significativement inférieure à la croissance potentielle pour la
période 1984-1985 jusqu'en 1992 (Prals) et 1998 (Salèse 2).
L'hypothèse forte que l'on peut émettre est qu'il existe une
interaction entre les effets du climat et l'impact de l'ozone. Les
dépérissements, les défoliations, caractériseraient
donc en partie au moins, des « réajustements » parfois brutaux
mais normaux en réponse à des stress climatiques. Les effets de
l'ozone et des dépôts acides humides, occultes (nuages, etc) et
secs entreraient en interaction avec l'influence à moyen terme (quelques
années) et à long terme des cycles d'années sèches
(puisque l'on a vu l'influence prédominante des précipitations
sur la croissance au travers des fonctions de réponse). Les effets de la
pollution atmosphérique viendraient s'ajouter à ceux du climat et
pourraient même agir comme un déclencheur du
dépérissement. Des divergences de croissance entre arbres sains
et arbres défoliés existent dans les plus vieux peuplements de
Forêt-Noire dès la fin du siècle dernier ce qui peut
indiquer que le climat a toujours eu une influence primordiale. On notera ainsi
que les années exceptionnelles constatées par exemple dans la
figure 22 sont à mettre en relation avec des accidents
38
climatiques. La chute spectaculaire de la croissance en 1992 a
lieu suite à un mois de juin très froid (inférieur
à la moyenne-2 fois l'écart-type) et très pluvieux alors
que l'hiver a été très sec (non reconstitution des
réserves hydriques du sol). On remarquera l'effet des grandes
sécheresses de 1949 et 1976. La chute de croissance de 1954 fait suite
à un hiver (mois de janvier et février) plus froid que la normale
et à un mois de juin plus chaud.
Cependant, l'étendue et l'intensité du
dépérissement des années 1980 et 1990 dépasse celle
des phénomènes anciens et appelle la mise en jeu d'un autre
facteur perturbateur.
Enfin, une conduite sylvicole ancienne localement
négligée peut avoir des conséquences néfastes
à long terme. Elle peut induire une compétition très
accrue pour l'eau et l'engagement d'un processus d'affaiblissement
irréversible, accélérés par les sécheresses
de 1959, 1962, 1964 puis 19731976. (Becker et al., 1994).
39
|