I.2.5. Les causes et les conséquences du non
enregistrement des naissances à l'Etat civil.
I.2.5.1. Les causes du non enregistrement des
naissances à l'Etat civil.
La principale barrière à l'enregistrement des
naissances tient à ce que celui-ci n'est pas universellement
perçu comme un droit fondamental, et que de ce fait il ne lui est
accordé à chaque niveau qu'une priorité relative.
L'enregistrement peut ne pas être considéré comme important
soit par la société dans son ensemble, soit par un gouvernement
en proie à de graves difficultés économiques, soit par un
pays en guerre, soit encore par des familles surtout préoccupées
de leur survie au jour le jour. Sa valeur est souvent négligée
face à des problèmes plus immédiats et plus tangibles, en
oubliant son potentiel à long terme pour la résolution de ces
problèmes. Souvent, on n'y voit rien de plus qu'une formalité
légale, sans grand rapport avec le développement de l'enfant, y
compris l'accès aux services d'éducation et de santé. Tout
cela fait que les autorités nationales et locales ne soutiennent
guère l'enregistrement des naissances, qui n'est pas non plus
réclamé par le grand public sans conscience de sa valeur. Il se
peut que la procédure d'enregistrement elle-même soit trop
complexe et bureaucratique, ou que le cadre légal soit inadapté,
voire inexistant. L'enregistrement peut être trop coûteux pour les
parents. Dans de nombreux pays, les parents doivent payer pour l'enregistrement
et/ou pour l'acte de naissance. Il se peut aussi qu'il y ait trop d'obstacles
logistiques, dont entre autres, pour les habitants de régions
écartées, la difficulté et le coût du trajet
jusqu'au bureau d'état civil le plus proche - ce qui peut
entraîner la perte d'une journée ou deux de salaire, et obliger
à laisser d'autres enfants sans surveillance. (UNICEF, 2002)
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I.2.5.1.1. Les Causes politiques
Sur un autre plan, l'enregistrement des naissances peut se
heurter à un obstacle très important, l'absence de volonté
politique. Elle peut être passive, découlant de ce que les
autorités, les politiciens et les fonctionnaires n'ont pas saisi
l'importance de l'enregistrement des naissances en tant que droit de l'homme,
ou le rôle fondamental de l'état civil dans une
société moderne. En 1999, lors d'un atelier organisé en
Asie sur l'enregistrement à l'état civil, des
délégués ont exprimé l'opinion que les
autorités des pays en développement ne jouent pas un rôle
suffisamment central pour la promotion de l'enregistrement des naissances dans
leurs pays respectifs. Bien que de tels problèmes soient
fréquemment rapportés, peu de recherches ont été
menées pour déterminer les raisons de leur persistance. Cette
carence des autorités a pour conséquences l'absence d'une
législation ou, s'il en existe une, sa mauvaise application, ainsi qu'un
manque de coordination et de coopération entre les divers
ministères et secteurs intéressés dans cet enregistrement.
Il peut y avoir des cas de mauvaise gestion, avec par exemple une
définition trop floue des responsabilités, ou une
décentralisation qui ne s'accompagne pas des allocations de ressources
nécessaires.
Le défaut d'une volonté politique conduira
à des allocations de crédits inadéquates, à une
insuffisance numérique et qualitative du personnel, à des bureaux
mal équipés, et à la pénurie du matériel
nécessaire pour mener à bien l'enregistrement. Ce défaut
fait que les autorités responsables n'accorde pas les bureaux et/ou le
matériel voulus pour l'enregistrement des naissances, qu'elles ne
s'occupent pas de lancer des campagnes d'information et de sensibilisation,
qu'elles ne stimulent pas la demande de ce type de service par la population.
Au-delà de cela, le manque de volonté politique se traduit par
l'absence de tout système d'état civil dans le pays
Tout à l'opposé, il peut se faire que certains
dirigeants politiques n'aient que trop conscience de l'importance de
l'enregistrement des naissances comme porte d'accès à d'autres
droits de l'homme. On peut alors voir dresser délibérément
des barrières politiques à cet enregistrement, dans le but par
exemple d'exclure un groupe et de lui bloquer l'accès à ses
droits humains, pendant que l'on favorisera les intérêts d'un
groupe prédominant. Cette exclusion est un moyen efficace de manipuler
des données démographiques, en niant l'existence officielle de
membres d'une minorité ethnique ou d'une religion
déterminées, ou de les empêcher de participer à la
vie politique de la nation. (UNICEF, 2002)
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I.2.5.1.2. Les causes administratives
Les barrières politiques, passives ou intentionnelles,
ne sont pas sans conséquences pour l'administration des services
d'état civil. Le faible rang de priorité accordé à
l'enregistrement des naissances amène à ne reconnaître
à ces services qu'un statut inférieur, et à ne leur
attribuer en conséquence que des ressources insuffisantes. Le peu
d'importance accordé à l'enregistrement reflète dans
l'insuffisance du soutien apporté aux officiers de l'état civil.
Pour que les systèmes fonctionnent correctement en effet, il faut donner
aux responsables locaux une formation et une orientation concernant les lois et
procédures applicables en la matière, avec la possibilité
d'obtenir des instructions détaillées pour la solution des
problèmes qui pourraient se poser. Le manque d'un tel appui est un
obstacle majeur à l'enregistrement des naissances. Les fonctionnaires de
l'état civil ne reçoivent parfois qu'une maigre
rémunération, voire aucune. La faiblesse des
rémunérations et le peu de considération accordé
aux agents, avec en conséquence leur manque de motivation, peut parfois
ouvrir la porte à la corruption. (UNICEF, 2002)
I.2.5.1.3. Les causes législatives
La Convention relative aux droits de l'enfant, certains pays
n'ont toujours pas adopté de lois prescrivant l'enregistrement des
naissances, En Erythrée par exemple, cet enregistrement n'est fait que
sur demande spécifique, dans le seul bureau d'état civil du pays,
et tout individu ayant besoin d'un acte de naissance doit produire
jusqu'à quatre témoins. Une étude est actuellement
menée sur la possibilité d'introduire l'enregistrement des
naissances dans chacune des six zobas, ou régions, du pays
D'autres Etats n'ont toujours pas de loi spécifique sur
l'état civil, et les questions relatives à l'enregistrement
peuvent être incluses, de façon générale, dans le
code civil ou d'autres lois relatives à la famille, à
l'identification des personnes, au système statistique national, etc.
Mais de telles lois ou bien sont de nature si générale qu'elles
ne donnent que des indications insuffisantes aux fonctionnaires locaux de
l'état civil, ou bien ne concernent que certaines aspects techniques de
l'enregistrement.
Lorsqu'il existe des lois sur l'enregistrement des naissances,
ces textes sont souvent désuets, complexes ou rigides, opposant des
barrières pratiques à l'enregistrement. Les lois adoptées
il y a des décennies peuvent ne plus correspondre aux
réalités actuelles, être inadéquates partant du
droit international, trop centralisées, insensibles aux habitudes
culturelles, patriarcales, ou ne permettent pas l'obtention des statistiques
sanitaires valables fondées sur l'âge gestationnel, le poids
à la naissance, etc.
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Au Bangladesh, l'enregistrement des naissances est
réglementé par des lois datant de 1873. Des problèmes se
posent aussi du fait que les lois ne couvrent pas toujours l'ensemble du
territoire national, d'où des conflits éventuels entre divers
systèmes d'enregistrement ou qu'il n'y a pas de réglementation
claire et détaillée.
En Indonésie, le quatrième des pays les plus
peuplés du monde, et où en l'an 2000, 37 % d'enfants de moins de
cinq ans n'avaient pas été enregistrés, il existe deux
systèmes d'enregistrements parallèles, tous deux
importés.
L'application dans les faits de la législation
existante ou sa non-application est une question importante, liée au
faible rang de priorité accordé à l'enregistrement des
naissances. Dans un certain nombre de pays, les documents de l'état
civil sont rarement demandés comme preuve du nom, de la date et du lieu
de naissance, ou des liens familiaux, même si cela est en principe
exigé par la loi.
Le manque de publicité et de sensibilisation aux lois
régissant l'enregistrement des naissances fait souvent obstacle à
l'application efficace de ces lois et à l'enregistrement universel des
naissances.
Il est important que les lois en ce domaine soient
cohérentes et complémentaires. Il est des cas où la mise
en oeuvre de la loi sur l'enregistrement des naissances est minée par
une loi dans un autre secteur, comme en Chine, où la politique de
l'enfant unique incitera les parents à ne pas faire enregistrer les
enfants qu'ils pourraient avoir par la suite, de crainte d'amendes pour avoir
contrevenu aux règles de planification familiale. On estime que le
nombre d'enfants non enregistrés en Chine pourrait atteindre les six
millions (UNICEF, 2002)
I.2.5.1.4 Les causes économiques
Les barrières économiques à
l'enregistrement des naissances sont de deux sortes : nationales, et
individuelles.
- Au niveau national, les pays confrontés au
problème de demandes concurrentes pour de faibles ressources peuvent
répugner à consacrer une partie de leurs maigres crédits
à la création d'un système d'état civil efficace,
d'autant plus qu'une fois le système mis en place, il faudra continuer
à lui allouer des ressources, si modestes soient-elles, pour qu'il
puisse fonctionner. Si l'Etat n'a pas pleine conscience de la valeur de ce
système, les coûts pourront lui paraître dissuasifs.
Dans les systèmes actuellement en place, le
sous-financement est à l'origine de problèmes fondamentaux tels
que le manque d'agents à plein temps bien formés, ou la
pénurie de locaux et de fournitures de base comme les formulaires et les
registres.
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- Au niveau de l'individu, l'enregistrement de la naissance et
la première copie de l'acte de naissance devraient être gratuits.
De nombreux pays, pourtant, imposent des droits d'enregistrement, ce qui est de
toute évidence décourageant pour les familles. En
Indonésie, une enquête sur les raisons des non-enregistrements a
montré que 47 pour cent des parents estiment que les actes de naissance
« coûtent trop cher », un avis partagé par plus de 20
pour cent des mères ayant fait des études universitaires (UNICEF,
2002)
I.2.5.1.5. La non-prise en compte des
réalités culturelles et communautaires
Même un système d'état civil bien
établi, appuyé par une législation adéquate, peut
se heurter à des problèmes lorsqu'il n'a pas été
tenu compte de la culture et des réalités quotidiennes des
communautés locales. Le manque de liaison entre les autorités
centrales et les citoyens, s'ajoutant à un manque de conscience de la
valeur de l'enregistrement des naissances, contribue à faire que la
population n'utilise pas beaucoup ce service.
A Madagascar, où les pratiques régissant
l'attribution d'un nom sont considérées comme une tradition
sacrée, l'enregistrement à l'état civil n'est pas
jugé particulièrement important. Les Malgaches sont
persuadés que le nom affecte le destin d'un individu, et la maladie, le
décès ou l'accident d'une personne portant le même nom que
l'enfant peut amener à changer le nom de ce dernier. Les surnoms sont
fréquents aussi, et peuvent en pratique acquérir le statut d'un
nom de famille De telles coutumes rendront parfois difficile de sauvegarder
l'identité d'un enfant
Dans d'autres pays africains, dont la Côte d'Ivoire, le
Ghana et le Togo, on croit fermement qu'un enfant nouveau-né ne doit
être introduit que progressivement dans la société. Trouver
un nom qui convienne à un enfant demande de profondes réflexions,
et ce nom n'est pas communiqué aux autorités tant que le
processus traditionnel n'est pas achevé (UNICEF, 2002)
I.2.5.1.6. La Discrimination entre hommes et
femmes.
Dans certains pays, l'enregistrement des naissances est
entravé par une discrimination sexiste qui interdit l'intervention des
femmes dans le processus. De ce fait, si le père est absent,
l'enregistrement court grand risque d'être retardé.
La loi népalaise, selon laquelle seul l'homme le plus
âgé de la famille est habilité à déclarer une
naissance, enlève par là tout pouvoir à la mère et
empêche les femmes vivant seules de faire enregistrer leur enfant
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Au Pérou, les employés de l'état civil
ont le droit de refuser l'enregistrement si le père de l'enfant n'est
pas présent.
Au Lesotho, société patrilinéaire, les
femmes célibataires se heurtent parfois à des problèmes et
on les presse de faire enregistrer leurs enfants sous le nom de leurs
pères (UNICEF, 2002)
I.2.5.1.7. Les Barrières
géographiques.
La plus évidente tient à la distance entre le
lieu de la naissance et le plus proche bureau d'état civil. Plus cette
distance est grande, plus il sera difficile et coûteux pour les parents
d'aller faire enregistrer leur enfant, sans compter le risque d'amende pour
enregistrement tardif. Il peut arriver aussi que les parents se
déplacent en vain, car les bureaux ont souvent des heures d'ouverture
malcommodes et irrégulières, ou bien le responsable est absent,
ou bien encore on manque de registres et de formulaires.
Ce sont là des problèmes d'accessibilité,
dus à la situation, à la configuration du terrain, à
l'état de l'infrastructure (routière par exemple) et des
transports en commun - auxquels les populations des villes sont moins
exposées.
Le lieu où se fait l'enregistrement a son importance.
Dans l'idéal, un enfant devrait être enregistré aussi
près que possible de son lieu de naissance (UNICEF, 2002)
I.2.5.1.8. La guerre et les conflits
internes.
Dans des pays ravagés par la guerre ou des conflits
internes, il est rare, pour des raisons évidentes, de trouver des
systèmes d'état civil opérationnels, et la situation peut
se prolonger pendant des années.
Dans d'autres parties de l'Afrique subsaharienne, la guerre et
les conflits interethniques qui ont déchiré des pays comme
l'Angola, le Libéria, la République démocratique du Congo,
la Sierra Leone et la Somalie ont totalement ruiné les systèmes
d'enregistrement des naissances. (UNICEF, 2002)
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