2.3 LIBERTÉ DE CHOIX DES PATIENTS ET LA CONCURRENCE
DES PRESTATAIRES DE SOINS
Une opinion assez répandue veut que le secteur de la
santé n'en soit pas un comme les autres et qu'à ce titre, les
mécanismes de concurrence et de choix ne seraient pas susceptibles d'y
apporter les bienfaits qu'on leur attribue généralement dans le
reste de l'économie.
Ces deux dernières décennies, un grand nombre de
pays ont entrepris des réformes afin d'améliorer
l'efficacité et la productivité de leur système de
santé, en décentralisant la gestion, en faisant appel au secteur
privé pour la prestation des soins et en mettant en place des
mécanismes de concurrence entre les différents hôpitaux.
À l'intérieur de ces systèmes de
santé, les patients ont désormais la liberté de choisir
non seulement leur médecin mais aussi l'établissement au sein
duquel ils désirent être traités, qu'il soit du secteur
privé ou public. Contrairement à certaines croyances, ces
réformes n'ont constitué en rien une menace aux objectifs
d'universalité et d'accessibilité des soins. Elles ont en
[17]
revanche apporté d'importants bénéfices,
notamment le contexte de l'amélioration de la qualité des
services (Labrie, 2014).
2.3.1 Expériences étrangères
Selon un récent rapport de l'OCDE, la liberté de
choix du prestataire arrive au sommet des mesures ayant le mieux réussi
à réduire les temps d'attente dans les pays qui l'ont
adoptée au cours de la dernière décennie. Parmi ces pays
figurent l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark, l'Italie, le Japon, la
Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède et la Suisse, pour
n'en nommer que quelques-uns.
Pour le Japon, où le libre choix de l'hôpital
existe depuis les années 1960, la concurrence entre les hôpitaux
(privés à près de 80%) a entraîné non
seulement une amélioration générale de la qualité
des soins dans le réseau mais aussi une réduction des
écarts à ce chapitre entre les régions rurales et urbaines
(Michel Clair, 2008). Des indices portent à croire que ces
disparités interrégionales sont moins élevées au
Japon que dans les pays d'Europe.
En Suisse, où 46 % des hôpitaux sont
privés, les citoyens disposent eux aussi d'une grande liberté
dans le choix de leur prestataire de soins et ne sont pas contraints de
recevoir leur traitement dans l'hôpital public le plus près du
domicile (Labrie, 2014).
À partir de 2002, on a adopté en Angleterre une
série de réformes visant à donner aux patients la
liberté de choisir l'établissement au sein duquel ils souhaitent
recevoir leur traitement. Ces réformes avaient pour objectif premier
d'accroître la concurrence entre les hôpitaux afin de diminuer
l'attente et d'améliorer la qualité des services rendus aux
patients. Le premier ministre de l'époque, le travailliste Tony Blair,
disait « donner aux patients les plus pauvres (...) le même
éventail de choix dont les riches ont toujours
bénéficié ».
[18]
La politique de libre choix a si bien fonctionné
qu'à l'été 2012, le gouvernement Canadien a amendé
une nouvelle fois la législation afin d'accroître encore davantage
les options offertes aux patients dans le domaine des services hospitaliers. Le
système public de santé est désormais ouvert à la
concurrence internationale. En conséquence, de grands groupes
d'hôpitaux privés, tels Capio (Suède), Ramsay Health Care
(Australie), Netcare (Afrique du Sud), Apollo (Inde), Cinven/Spire (holding
européen) et UnitedHealth (États-Unis) sont venus
s'établir en Angleterre afin d'offrir une variété de
services auparavant monopolisés par le secteur public (Labrie, 2014).
Pour l'Allemagne, les hôpitaux sont soit publics
(généralement municipaux), privés sans but lucratif
(souvent administrés par une organisation religieuse) ou privés
à but lucratif. On y comptait un total de 2064 hôpitaux offrant
des soins de courte durée en 2010, répartis de façon
à peu près égale entre les trois catégories. Les
hôpitaux privés sont généralement
intégrés au système de santé public et traitent
tous les patients, pas seulement ceux qui ont souscrit une assurance
privée (Auger, 2010).
La France s'est hissée à la première
place, suivie par l'Italie à la deuxième ; l'Espagne est au
septième rang. Les trois ont des systèmes de santé
dits « mixtes », car ils s'inspirent d'un modèle sanitaire qui
voit la participation de l'État à son financement mais
prévoit également la participation privée des particuliers
et des professionnels pour sa viabilité (OMS 2000, et 2015).
Ce modèle compose avec les principes des deux
modèles opposés : le libéral et le socialiste. Le
modèle américain est fondé sur l'idéologie
libérale, qui privilégie l'assurance privée et limite de
façon extrême les prestations financées par l'État.
Le modèle socialiste ne se trouve qu'en Corée du Nord et à
Cuba et se base sur la complète gratuité (Amalia, 2016).
À la différence de la France, les modèles
de santé publique italien et espagnol sont relativement récents
et s'inspirent (comme les systèmes danois, suédois, finlandais,
irlandais ou portugais) du système national de santé
[19]
(SNS) mis en place au Royaume-Uni par la réforme
Beveridge en 19472, caractérisé par trois principes :
universalité, égalité et globalité.
Universalité : les prestations sanitaires sont garanties à tous
quelle que soit la situation personnelle, sociale et financière de
chacun. Égalité : tous ont droit aux mêmes services
à parité de besoins. Globalité : la
référence n'étant pas la maladie mais l'individu dans sa
globalité, le système doit garantir ses interventions à
tous les stades, prévention, soin et réhabilitation. Son
financement est garanti par l'impôt, contrairement au modèle
antagoniste, le système sanitaire obligatoire (SSO), qui lie les
prestations sanitaires à la contribution.
Les citoyens doivent donc souscrire une assurance maladie :
les salariés sont assurés par une cotisation déduite de
leur salaire, les travailleurs indépendants doivent payer une cotisation
sur leurs revenus, les chômeurs sont assurés par l'État, et
tous les autres doivent souscrire une assurance privée. Le modèle
de SSO, originaire de l'Allemagne bismarckienne, s'est répandu dans
toute l'Europe. Outre l'Allemagne et la France, ce modèle bismarckien
est celui qui prévaut en Autriche, Belgique, Grèce, Hongrie,
Luxembourg, Pays-Bas, Pologne et République tchèque. En Italie
comme en Espagne, le système originaire était bismarckien
(Amalia, 2016).
? Concurrence des établissements a permis de
réduire les risques de mortalité chez les patients, sans hausser
les coûts ni la durée de
séjour
Le système hospitalier danois s'est
amélioré de façon impressionnante depuis le début
des années 2000 et se démarque désormais à
l'échelle internationale au point de l'efficience et de la
qualité des soins. Le temps d'attente des patients pour les chirurgies
non urgentes a diminué considérablement au cours de la
dernière décennie et la politique du libre choix n'est pas
étrangère à ce phénomène. Dans une analyse
récente portant sur 16 pays, des chercheurs de l'OCDE ont
constaté que le Danemark arrive au second rang des pays où le
temps d'attente médian pour les chirurgies
[20]
électives est le moins long, avec des délais
inférieurs de moitié à ceux du Canada.
En bonne partie en raison de la liberté accordée
aux patients, le système de santé danois figure parmi les quatre
plus performants pays d'Europe depuis plus de cinq ans, selon l'organisation
indépendante Health Consumer Powerhouse.
|