CHAPITRE IV : LES OBLIGATIONS FISCALES DES SOCIETES
ANONYMES
Les obligations des sociétés anonymes sont
nombreuses et ont toujours un caractère contraignant. Elles sont d'ordre
juridique, d'ordre administratif ou d'ordre fiscal. En général,
les trois sont consacrées par la législation et on peut donc
affirmer sans l'ombre d'un doute qu'elles découlent toutes du droit
positif. Cependant, les obligations fiscales sont celles qui soulèvent
le plus de controverses dans le domaine. L'une des caractéristiques du
fisc c'est qu'il est réaliste, c'est-à-dire qu'il est opposable
au contribuable dès qu'il y a matière à imposer, sans
considération de la légalité et/ou de
licéité des sources de revenus imposables. C'est peut être
ce réalisme -ou ce cynisme- qui rend les obligations fiscales aussi
accablantes. Dans ce chapitre, il sera question des obligations fiscales dans
ce qu'elles ont de rigueurs et de libertés (ou faveurs !). La section I
traitera de l'inégalité devant l'administration fiscale, la
section II abordera la question de la double imposition applicable seulement
aux sociétés anonymes et la section III énoncera les
impacts du rigorisme fiscal (et de toutes les autres rigueurs).
Section I : L'égalité devant
l'impôt, un principe discuté
Les sociétés commerciales sont
généralement soumises aux différents
prélèvements fiscaux dans le pays où elles sont
fiscalement domiciliées, quelque soit leur nationalité. La loi
fiscale ne tient pas compte de la nationalité, mais de la
territorialité. En d'autres termes les sociétés
commerciales haïtiennes et étrangères sont imposées
en vertu des mêmes principes. Chaque Etat est souverain pour imposer
selon le principe de la territorialité. Aussi, a-t-il la
possibilité ou bien d'imposer des revenus réalisés sur son
territoire ou bien de n'imposer que les revenus réalisés par ses
résidents quelque soit leur provenance, ou les deux.
Les sociétés commerciales sont assujetties
à différents droits, taxes et impôts. Ils peuvent
être des impôts indirects (ex : le droit d'accise, la taxe sur le
chiffre d'affaire, les droits de douane, le droit d'enregistrement...), des
impôts locaux (ex : la patente, la contribution foncière des
propriétés bâties, la contribution au fonds de gestion et
de développement des collectivités territoriales), ou des
impôts sur les revenus. Généralement, il n'y a pas de
discrimination lorsque les sociétés commerciales paient les
impôts locaux et indirects. Mais s'agissant de l'impôt sur le
revenu, les disparités sont criantes entre les sociétés
anonymes et les autres types de sociétés
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commerciales. Voilà pourquoi l'accent sera mis
l'impôt sur le revenu individuel (IRI) ou celui sur les
sociétés (IS).Parlons d'abord de l'impôt tout court.
L'impôt constitue un prélèvement
obligatoire effectué par voie d'autorité par une administration
(État, collectivités territoriales, provinces, régions et
départements, cantons, pays, communes etc.) sur les ressources des
personnes vivant sur son territoire ou y possédant des
intérêts pour être affecté aux services
d'utilité générale. Formant aujourd'hui la plus grosse
part des recettes publiques (sauf ressources minières extraordinairement
abondantes), les impôts alimentent le budget de l'État ou d'une
subdivision nationale ou fédérale (une province, une
région, un territoire, un département, un district, etc.), et
dans une moindre mesure des organismes à compétence
spécialisée. Historiquement, l'impôt est un
élément important dans l'histoire des États et
l'évolution de leurs formes : l'État moderne se réserve le
monopole de la levée des impôts. Gaston Jèze a
défini dans la première moitié du XXe siècle
l'impôt de la manière suivante : « L'impôt est une
prestation pécuniaire requise des particuliers par voie
d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue
de la couverture des charges publiques1». C'est la
définition classique de l'impôt. Selon BELTRAME2,
l'impôt est un acte de la puissance publique, perçu dans un but
d'intérêt général et qui constitue un
prélèvement sur la propriété.
L'égalité devant l'impôt est un principe reconnu en droit,
mais un principe souvent discuté.
A) Du principe de l'égalité devant
l'impôt
Les lois fiscales ont des caractères qu'elles seules
s'attribuent3. Elles sont à la fois autonomes et
réalistes. Elles s'encadrent d'un ensemble de principes juridiques pour
les aider à bien remplir leur mission. Le droit fiscal consacre quatre
principes concernant l'impôt :
1- Le principe de la légalité de l'impôt :
qui fait de la loi la source de tout impôt. Un impôt n'est pas
valable s'il ne découle pas d'une loi, d'un décret, d'un
décret-loi,
1 - Professeur Gélin I. COLLOT : Cours de Droit
Fiscal, 3e Année ,2009-2010.
2- BELTRAME, Pierre : La fiscalité en
France, 3e édition Hachette 1994, page 12.
3- GORE, F. et JADAUD, B. : Droit fiscal des
affaires, 2eme édition, Précis Dalloz, Paris, 1997, page
8.
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d'un traité international, ou d'une règle
administrative (art. 218 de la constitution du 29 Mars 1987).
2- Le principe de l'égalité devant
l'impôt : qui fait des contribuables des sujets égaux devant
l'administration fiscale. Ce principe a fait couler jusqu'ici beaucoup d'encre,
car l'égalité devant l'impôt est comprise
différemment par chaque contribuable selon ses intérêts.
(art. 219 de la constitution). De manière générale, on
parle de l'égalité fiscale pour absorber toute la masse fiscale
dans le principe.
3- Le principe de la nécessité de l'impôt
: l'impôt est nécessaire pour la couverture des charges publiques
et la redistribution des richesses. Pour remplir des fonctions
d'intérêt général, économiques et sociales
que l'Etat s'attribue, l'impôt est indispensable.
4- Le principe de l'annualité de l'impôt :
Généralement, l'impôt est perçu chaque année.
D'ailleurs un calendrier fiscal est établi annuellement et
l'année fiscale est aussi ponctuelle que l'année ordinaire.
(Article 152 du décret du 29 Septembre 2005).
L'égalité fiscale recouvre une dimension
politique et juridique1. Le principe d'égalité fiscale
est d'abord entendu comme l'égalité des contribuables devant
l'impôt. En ce sens, il découle de l'article 13
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC). Celle ci
établit que la " contribution commune (...) doit être
également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés ". C'est l'idée d'une justice fiscale. Afin d'assurer
une répartition plus juste de la charge fiscale et de favoriser une
égalité de sacrifices financiers, le législateur est donc
autorisé à opérer des différences de traitement (ex
: payer 20 % de son revenu est un effort plus important pour les moins
aisés).
En 1987, les Constituants ont reconnu au principe
d'égalité devant l'impôt une valeur constitutionnelle. Bien
qu'un contrôle attentif ne soit pas exercé sur chaque impôt
séparément des autres, la constitution du 29 Mars 1987, en son
article 219 consacre le principe de l'égalité devant
l'impôt. Elle considère que l'égalité devant les
charges publiques s'entend comme l'égalité devant le
système fiscal, c'est-à-dire devant l'ensemble des
prélèvements obligatoires, ensemble des impôts et des
cotisations sociales perçus par l'administration publique.
1 - TROTABAS, Louis et COTTERET, Jean-Marie : Droit
Fiscal, 8e édition Dalloz, Paris, page 118.
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Le principe d'égalité devant l'impôt
consiste également en l'égalité des contribuables devant
la loi fiscale. Il découle des articles 1 et 6 de la DDHC qui proclament
respectivement l'égalité des hommes et l'égalité
devant la loi. Un même régime fiscal doit alors s'appliquer
à tous les contribuables placés dans la même
situation.
Posée en réaction face aux privilèges
fiscaux de l'Ancien Régime en France et à ceux accordés
aux nantis d'Haïti à l'époque moderne,
l'égalité fiscale est aujourd'hui surtout invoquée dans le
débat politique contre des exonérations fiscales ciblées,
assimilées à des privilèges. Elle est souvent
rapprochée des principes de proportionnalité et de
progressivité de l'impôt.
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