Chapitre 2 - Les solutions peu effectives pour la
protection
des océans
Dire qu'il n'existe pas de solutions pour
protéger l'environnement serait un non sens. Il convient de rappeler que
les conventions sont issues de la volonté des États et sont
destinées à être appliquées par ces derniers. Cette
application passe par différents cheminements selon la forme de
l'État (République, Monarchie) mais il y a consensus pour dire
que les conventions doivent être ratifiées. Une fois
ratifiée, une convention n'est pas directement applicable à
l'instar des règlements de l'Union européenne (UE) et l'usage
veut que celle-ci soit traduite par une loi. Il est important de comprendre ce
mille-feuille juridique afin de mieux observer les problèmes
inhérents à la protection des océans contre le
réchauffement climatique ou pour malgré tout limiter les
dégâts des changements en cours.
Ainsi se pose la question des problématiques
qui concernent la structure de construction des droits en présence
(Section 1), il s'agit d'en dégager quelques pistes pour évoluer
vers une interrelation des différents sujets de droits et des
différents niveaux de la pyramide de Kelsen notamment à travers
le prisme des principes du droit de l'environnement (Section 2).
Section 1 - Des conventions sectorielles apportant
des solutions éparses
L'identification des risques est probablement la
source de l'aspect sectoriel du droit de l'environnement tel qu'il existe
actuellement. Il est donc possible de constater une volonté d'anticiper
et de répondre aux risques pour l'environnement qui proviennent des
changements climatiques ou non (A). Néanmoins, ce constat plutôt
encourageant se trouve affecté par une préférence
politique notoire pour un droit de l'environnement qui répond avant tout
à des enjeux économiques (B).
A - La volonté d'anticiper et de répondre aux
risques pour l'environnement
Pour identifier les conventions il convient
d'énumérer quelques conventions utiles aux différents
combats en présence liant de fait les océans et le climat. Ici le
traitement est donc par nature moins global qu'une application directe du droit
du climat au sens large. Mais il
42
convient d'opérer une analyse pour
déterminer si cette vision sectorielle est efficace ou non pour la
menace urgente qu'est le réchauffement climatique. Les risques pour les
océans sont établis par le rapport du GIEC de 2018. Ces risques
sont d'abord l'acidification de la colonne d'eau, qui elle-même entraine
une réduction considérable de la biodiversité marine, dont
les milieux qui vont être les plus impactés dans les années
avenirs sont les récifs coralliens, du moins en apparence. Ensuite, le
second risque est la multiplication de certaines algues invasives dont le
milieu ainsi changé favorise leur développement. En bref, un
risque en entraine un autre c'est là toute la vision de la structure
d'un écosystème. Le droit est-il armé pour répondre
à ces risques en cascade ?
Il serait possible d'aborder énormément
d'aspects dans cette analyse mais il s'agira d'aborder uniquement quelques-uns
d'entre eux. Premièrement la Convention sur la diversité
biologique51 est un pilier de la protection de l'environnement car
il s'agit du premier traité conclu au niveau international qui
énonce tous les aspects de la diversité biologique, notant non
seulement la protection des espèces mais aussi celle des
écosystèmes et du patrimoine génétique. Ainsi, elle
garantit l'utilisation durable des ressources naturelles, c'est-à-dire
que l'exploitation des écosystèmes, des espèces et des
gènes doit se faire au bénéfice de l'humanité mais
à un certain rythme et de manière à ce que cela
n'entraîne pas, à long terme, une diminution de la
diversité biologique. Ses trois objectifs principaux sont donc la
conservation de la diversité biologique, l'utilisation durable de ses
éléments constitutifs et le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation de ses ressources
génétiques. Cette convention est importante car elle opère
des définitions non négligeables dans son article 2 pour l'apport
d'une protection effective à l'instar d'un écosystème qui
est « le complexe dynamique formé de communautés de plantes,
d'animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui par
leur interaction, forment une unité fonctionnelle. », mais
également d'une zone protégée qui se définit comme
suit : « toute zone géographiquement délimitée qui
est désignée, ou réglementée, et
gérée en vue d'atteindre des objectifs spécifiques de
conservation. ». Ces définitions sont essentielles car
l'une marque l'affirmation de la conscience que l'environnement est
formée d'écosystèmes liés entre eux, l'autre marque
pourtant la volonté de protéger des zones bel et bien
délimitées. Ainsi se pose la question de l'établissement
de ces zones. Ces dernières sont effectuées
discrétionnairement
51Convention sur la
diversité biologique (CDB) de 1992.
43
par les États signataires52, ce qui
signifie que l'établissement de ces dernières, même si
elles prennent en compte des études scientifiques relèvent avant
tout d'une décision politique une nouvelle fois. Néanmoins, dans
une approche systémique la protection d'une zone ne devrait-elle pas en
amener à une autre du fait des liens entre les écosystèmes
qui les relient ? La critique ici apportée est non plus l'absence d'un
lien entre les droits mais le manque de prise en compte de faits scientifiques
par le droit.
Une autre critique à apporter consisterait
à dire que les aires marines protégées (AMP), ne
protègent pas du réchauffement climatique. De plus ces
dernières sur le fondement de la CDB ne peut être
créées que dans un cadre national au sein du territoire d'un
État partie. Or comme il a déjà été vu, le
réchauffement climatique est un danger global qui va toucher
indistinctement les écosystèmes les plus sensibles sans
distinction étatique. Néanmoins, cette approche peut être
un levier supplémentaire avec l'apparition du contentieux climatique qui
est principalement interne même si des éléments
internationaux peuvent a fortiori avoir un rôle de preuve dans
les manquements des États. Cette vision pose davantage de questions non
négligeables. Parmi ces dernières, il est possible de se demander
si, en l'absence de conventions pour répondre à ces risques, il
existerait une volonté politique centrée sur l'environnement.
Plus précisément le politique est-il aussi pertinent que le
scientifique sans distinction des affaires internes ou internationales
?
Certains auteurs dépeignent la protection de
l'environnement comme effectivement globale dès la saisie de ce domaine
par le droit international et dès lors que celui-ci adopte des
Conventions-cadres mises en application par des protocoles53. Il y a
certes une part de vérité dans ces affirmations. Néanmoins
la mise en place est assurément sectorielle et si elle est globale d'un
point de vue juridique il manque une vision d'ensemble pour affronter les
changements climatiques. L'exemple même est celui des récifs
coralliens qui ne sauraient être prêts, comme les océans
à affronter ces risques « invisibles » qui pèsent sur
eux.
Deuxièmement, l'exemple des récifs
coralliens est le parfait indicateur pour dégager le manque cruel de
transversalité entre la protection des océans face au climat. En
effet, toujours
52Ici 168
ratifications
53BOISSON DE CHAZOURNES
Laurence « La protection de l'environnement global et les visages de
l'action normative internationale », dans Pour un droit commun de
l'environnement, Mélanges en l'honneur de Michel
Prieur.
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d'après le rapport du GIEC de 2018 auquel
s'ajoute le rapport de l'IPBES54 de mai 2019, les récifs
coralliens font face à diverses menaces d'origine humaine. Les
changements climatiques ainsi que les risques sous-jacents marquent la
présence de menaces globales pour les récifs
coralliens55. Juridiquement il importe donc peu de s'interroger sur
la nature des obligations qui se dégagent des conventions car ces
dernières s'attaquent aux problèmes de manière tellement
sectorielle que leur étendue même ne permet pas d'obtenir un champ
d'application suffisamment large pour permettre une action contre la menace du
réchauffement climatique. Toujours dans la même logique,
Greenpeace cherche à influencer les discussions sur le statut de la
haute-mer en faisant participer la société civile à une
pétition. La finalité de la demande et d'obtenir une
sanctuarisation de 30% de la haute-mer. Loin d'être une
réclamation inutile, la question est encore de savoir si cela est
vraiment utile face à un risque systémique ?
Dans les termes qui concernent purement le droit de la
mer, l'article 192, issu de la partie XII de la CNUDM56
énonce la chose suivante : « Les États ont l'obligation de
protéger et de préserver le milieu marin. »,
l'article suivant affirme que les droits souverains de ces États
leur permettent d'exploiter les ressources naturelles de leurs territoires
à condition de remplir l'obligation de l'article
précédent. L'obligation de protection est formulée en des
termes généraux. Ainsi il n'est pas nécessairement
question de protéger le milieu marin qui incombe directement à
leurs territoires mais seulement et uniquement « le milieu marin ».
Il est possible d'en déduire qu'un lien juridique avec le droit du
climat serait ici fort utile car il étendrait largement l'obligation de
résultat énoncé à cet article. Ce lien s'il
devenait effectif viendrait donc appuyer les obligations de due diligence et de
coopération qui viennent parfaire le système juridique actuel. Il
y aurait donc une obligation par ricochet de devoir limiter les changements
climatiques en pratiquant des politiques effectives au sein des États
parties à la CNUDM.
Néanmoins, la Convention57 a su
développer une approche écosystémique de l'article 63
à l'article 67. Mais cette approche se cantonne au domaine des
pêcheries qui se démarque en droit de la biodiversité.
Pourtant, d'un point de vue scientifique, la biodiversité inclut en
son
54Plateforme
intergouvernementale sur la biodiversité et les services
écosystémiques.
55GUYONNARD Thomas, La
protection des récifs coralliens, mémoire de recherche sous
la direction de Madame
Odile DELFOUR-SAMAMA, 2017-2018.
56Op.cit.
57Ibid.
45
sein les espèces de poissons
pêchés. C'est ici une décision au service de
l'économie agroalimentaire.
Troisièmement, il existe des protections qui ne
s'attachent pas aux océans mais dont les inspirations juridiques
devraient être certaines. Ces protections existent non seulement au
niveau régional (avec l'exemple de l'UE) mais également au niveau
national.
Au sein de l'environnement il existe des
mécanismes naturels dont la fonction est d'absorber le dioxyde carbone.
Ces mécanismes peuvent être pris en compte en droit de deux
manières. D'une part, il faut simplement protéger leur existence
voire les assister de façon à ce que ces derniers se
développent. D'autre part, il faut permettre aux acteurs
économiques de participer à la réduction du CO2 dans
l'atmosphère que ce soit par des mécanismes d'incitations ou
encore par l'encadrement juridique d'une activité58. Sur le
point de vue incitatif il est possible d'évoquer la Politique Agricole
Commune (PAC) de l'UE car les sols sont reconnus comme étant le second
plus grand puits de carbone notamment après les
océans59. La question se pose alors de savoir s'il ne
pourrait exister au niveau régional des instruments juridiques
permettant à l'instar de la PAC d'actionner des politiques de protection
du puits de carbone « océan ». Une telle politique ne serait
pas totalement absurde concernant les océans qui fournissent le domaine
alimentaire avec une importance aussi grande que l'agriculture.
Néanmoins la mise en place d'une telle politique dans l'UE obligerait
une nouvelle fois à opérer des liens entre des règlements
sectoriels et rendant le droit de l'UE transversal concernant les domaines de
l'environnement et des pêches.
Au niveau national il est important de noter qu'il
existe également des mesures qui ne sont pas sans importance. Ainsi par
exemple, la France a promulgué une loi le 15 juin 2016 autorisant la
ratification de l'Accord de Paris de 2015. Les objectifs de l'Accord sont donc
repris notamment pour la limitation de l'élévation de la
température mais également en ce qui concerne les
capacités d'adaptation aux effets néfastes des changements
climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et
un développement à faible émission de gaz
à
58Infra Partie 2, Chapitre 2
l'enfouissement du dioxyde de carbone.
59DESROUSSEAUX Maylis,
« La protection des puits de carbone par la PAC », dans Energie -
Environnement - Infrastructures, n°5, mai 2018, p. 42.
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effet de serre. L'importance de la biodiversité
océanique face au réchauffement climatique60 oblige
à considérer la loi du 8 août 2016 dite de
Biodiversité comme un pilier des mesures françaises contre le
réchauffement climatique.
Néanmoins l'Accord de Paris prévoit de
rendre les flux financiers compatibles, dans un profil d'évolution, vers
un développement à faible émission de gaz à effet
de serre et adapté aux changements climatiques, il est donc prévu
dans la loi de ratification. De même la loi Biodiversité semble
elle aussi adoptée avec des considérations
économiques61. Cela amène à s'interroger sur la
réelle volonté de protection des océans face au
réchauffement climatique ou d'ores et déjà sur
l'environnement. Ainsi l'outrecuidance des politiques adoptées
n'est-elle pas en train de rendre moins efficaces ces mesures existantes
?
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