Les océans face au réchauffement climatique.par Pierrick ROGE Université de Nantes - M2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques 2019 |
B - La portée problématique de l'Accord de Paris pour les océansIl convient d'effectuer un rapide rappel des Conférences qui ont eu un faible impact pour ne pas dire un impact quasi-nul dans le développement de l'environnement et d'autant plus pour le climat dans son rapport avec les océans. Elles sont au nombre de deux et se sont déroulées en 2002 et en 2012. 29 https://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm. 30En vigueur le 21 mars 1994, et comprend à ce jour 197 États parties. 31En vigueur le 29 décembre 1993. 32Avec actuellement 193 États parties : https://www.un.org/fr/events/biodiversityday/convention.shtml. 33GUYONNARD Thomas, La protection des récifs coralliens, mémoire de recherche sous la direction de Madame DELFOUR-SAMAMA, Odile, 2017-2018. 29 D'une part, la Conférence de Johannesburg s'était donnée pour objectif de faire un bilan des années passées depuis la Conférence de Rio de 1992 et d'adopter un plan d'application et une déclaration politique. La conséquence a été la rédaction de deux textes qui sont la Déclaration de Johannesburg sur le développement durable et le Plan de mise en oeuvre34. Ces deux textes sont non-contraignants sur le plan juridique et il s'agit davantage de réaffirmations politiques des déclarations précédentes ou encore des rappels du protocole de Kyoto35. Au sein de ces derniers l'absence des océans se fait sentir dans le flot des questions portant sur le développement durable et de son rapport à l'économie. Le développement durable est un principe qui intéresse pourtant grandement le milieu marin avec les opportunités économiques qui s'ouvrent au XXIe siècle. D'autre part le Sommet de juin 2012 à Rio, également nommé « Rio+20 », se ressent comme un élément négatif pour le droit de l'environnement. Qu'en dirait-on pour l'environnement marin ? De manière générale les ambitions « d'économie verte » sont totalement revues à la baisse dans la crainte d'un ralentissement global du développement économique. Ici encore, le climat et les océans sont mis de côté. La Déclaration finale sera également non-contraignante pour les États l'ayant signée. Pire encore, « elle n'a même pas la force d'une déclaration de principes ; elle est plus proche d'un plan d'action incitatif36. ». Trois années après il serait tout à fait approprié de reprendre la formule du président français Jacques Chirac qui en 2002 déclarait déjà « La maison brûle et nous regardons ailleurs... ». Cette formule était pourtant assez claire pour engager les États parties aux Conférences à aller plus loin. Lors de la 21e COP37, qui réunit les États engagés depuis 1992 par la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), a été adopté l'Accord de Paris le 12 décembre 2015. Réunissant 195 pays ainsi que l'Union européenne, l'objectif était d'analyser l'application pratique de la Convention et de négocier les nouveaux engagements. De prime abord, le texte semble être une déclaration très proche des deux précédentes car il n'est pas prévu qu'elle soit contraignante immédiatement après être entrée en vigueur, 34Voir Rapport du Sommet mondial pour le développement durable, Doc.ONUA/CONF199/20, Publication des Nations unies, New York, 2002. 35Protocole de Kyoto à la CCNUCC. 36 LAVIEILLE Jean-Marc, DELZANGLES Hubert, LE BRIS Catherine, Droit international de l'environnement, 4e édition, Ellipses, 2018. 37Conferance of parties. 30 ce qui arrivera à la date du 4 novembre 2016. Avant celle-ci la France, dans la loi du 15 juin 2016, a autorisé sa ratification. Le 7 novembre 2017, 195 pays et l'Union européenne signent l'Accord de Paris. Le Nicaragua et la Syrie ont annoncé qu'ils allaient le signer, à l'inverse le président Donald Trump annonce le 1er juin 2017 que les États-Unis se retirent de l'accord. Le 20 août 2018, l'Australie annonce qu'elle renonce à inscrire dans la loi l'objectif d'une réduction de 26% des émissions de gaz à effet de serre (GES), pourtant prévue dans l'Accord de Paris. Ces annonces démontrent indéniablement le caractère très politique qu'engage le réchauffement climatique. Par ailleurs certains auteurs ont pu qualifier ce texte de « réussite diplomatique »38, mais la question se pose de savoir s'il s'agit d'un succès juridique. En France une loi39 signe la fin de l'exploitation des hydrocarbures. Ce mouvement de désinvestissement des énergies fossiles est qualifié « d'ampleur remarquable » ce qui n'est pas vraiment le cas puisque les pays qui découvrent des gisements envisagent sérieusement de les exploiter. Sur le plan diplomatique et juridique les revendications sont présentes pour la mer Arctique qui apparaît suite à la fonte progressive des glaces. Ainsi se pose la question de l'intérêt porté à la fois au climat et à l'océan derrière les engagements ou plus précisément en pratique. Il faut rappeler que le rapport du GIEC annonce des conséquences catastrophiques pour les océans si rien ne se fait au niveau de cet Accord. Juridiquement il pourrait être mener à une instrumentalisation de l'obligation de diligence. Jusqu'alors les obligations conventionnelles étaient les plus efficaces. Il pourrait cependant y avoir une lecture jointe des deux types d'obligations. Notamment celle de diligence qui signifie une interdiction de causer un dommage à l'environnement des autres États. Ici ce sont des obligations de moyen et non de résultat. Au vu de l'urgence qui se présente face au réchauffement climatique, il faudrait néanmoins envisager un glissement des obligations d'États vers des obligations de résultats et non plus de moyens. Ces obligations doivent en vérité sortir du contexte de la diligence et doivent être interprétées largement. En effet, le réchauffement est global et un État qui ne répond pas de ses obligations en matière de réduction de GES endommage très probablement l'environnement des États qui lui sont voisins mais participe également à plus grande échelle à endommager voire détruire l'environnement de la planète entière y compris les océans. 38MALJEAN-DUBOIS, Sandrine, Directrice de recherche CNRS, Aix Marseille, Université de Toulon et Université de Pau & Pays Adour, L'Accord de Paris sur le climat : aboutissement et/ ou nouveau départ ?, Quel droit pour le climat ? : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01684948/document 39Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (1). 31 Ceci étant précisé, l'Accord devrait devenir contraignant à partir de 2020 et ainsi remplacer le protocole de Kyoto en vigueur depuis 2005. Cependant il existe une inquiétude juridique de taille concernant sa rédaction en comparaison de Kyoto. En effet, ce dernier n'est pas revêtu de mécanisme de sanctions. Cela signifie qu'en apparence le texte n'apparaît pas contraignant. Mais il est probable que ce dernier ait appris des échecs du Protocole de 1997. Il se trouve que le mécanisme de sanction consistait à une obligation renforcée de réduire de 30% les émissions de GES. Sous la pression, le Canada a quitté le protocole suivi par la Russie, le Japon et l'Australie. L'Accord n'étant pas encore entré en application il n'est pour le moment pas possible d'émettre une critique fondée sur les actions ou les omissions des États l'ayant signé et ratifié. L'analyse des formulations peut néanmoins donner certaines indications. Par exemple l'article 5 alinéa premier de l'Accord dispose que « Les Parties devraient prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre comme le prévoit l'alinéa d) du paragraphe 1 de l'article 4 de la Convention, notamment les forêts. », ce qui permet d'opérer une double analyse, tant sur le degré de l'obligation que sur le thème abordé même. Premièrement, comme il a été dit en amont, les Conventions dispensent des obligations de moyens ou des obligations de résultat. Ici la présence du terme « devraient » s'adressant aux États affiche une des premières faiblesses face à l'urgence climatique. Il s'agit d'une obligation de moyen et en conséquence les États ne sont pas tenus d'en faire une application stricte qui pourrait permettre d'atteindre le résultat escompté de réduction des GES. Deuxièmement, il faut noter qu'il est fait mention de « prendre des mesures pour conserver et [...] renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre », suivi d'un exemple (les forêts) qui ne semble pas exhaustif au vu de la présence du terme « notamment ». La présence de ce terme peut laisser penser que le champ reste ouvert à l'accueil de nouveau puits ou réservoir de GES, en particulier le dioxyde de carbone à l'instar des océans. Si la mention n'est pas directe l'interprétation est largement permise cette fois-ci en comparaison avec les déclarations précédentes. Cette affirmation peut se dégager de la présence des océans dans le préambule de l'Accord de Paris qui précise les faits suivants: « Notant qu'il importe de veiller à l'intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la 32 biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la Terre nourricière, et notant l'importance pour certains de la notion de «justice climatique ». Cette considération permettra probablement une application conjointe beaucoup plus large que la simple CCNUCC car elle évoque clairement l'intégrité des écosystèmes ainsi que la protection de la biodiversité. La question se pose alors de savoir si la présence de ces notions dans l'Accord permettra à elle seule de créer un lien suffisant pour générer une lecture conjointe avec les Conventions précédentes. Aujourd'hui l'Accord en tant que tel constitue du droit « mou »40 et ne saurait en ce sens prétendre à une application concrète de la part des États parties. De même, le constat est aisément remarquable, à la lecture du texte, de l'absence même de certains termes à l'instar des objectifs de la limitation du réchauffement climatique à 1.5°C. À vrai dire, il n'est même pas fait mention du réchauffement climatique mais bel et bien du « changement climatique »41. L'avis qui peut être dégagé du choix de ces termes est que si le texte devait devenir contraignant ou inspirer des textes contraignants pour les États, la notion de changement climatique est beaucoup plus souple. Cette souplesse est loin d'être péjorative et dégage au contraire une vision bien plus large que le simple réchauffement climatique. Toutefois n'y a-t-il pas une erreur en ce sens ? Les changements climatiques sont les conséquences du réchauffement climatique, ce dernier étant lui-même la conséquence des activités humaines. Ainsi est-il possible de penser que l'Accord n'a que pour objectif de panser les plaies et non de prendre le taureau par les cornes en s'attaquant aux réels problèmes. Il est permis de penser que ce sera le cas lorsque ce dernier entrera en vigueur et fera partie intégrante de la hard law. |
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