Section 2 - Un encadrement insuffisant pour la
protection du milieu marin
Les dimensions institutionnelles sont bien
présentes et potentiellement prêtes à accueillir
l'activité de stockage du CO2. Néanmoins c'est dans l'application
du droit que les problématiques peuvent apparaître notamment
à travers l'absence de l'utilisation des études d'impact (A) et
la faible prise en compte de ce stockage dans les cadres régionaux et
nationaux (B).
A - L'absence de l'utilisation des études d'impact
pour le stockage du CO2
L'étude d'impact est un outil important pour la
mise en oeuvre de principes juridiques tels que la prévention ou la
précaution permettant une protection effective du milieu marin. Ces
dernières se matérialisent par des études d'impact
détaillées qui doivent se fonder sur la description d'un
état initial des sites dont l'exploitation est envisagée sur :
« des données fiables couvrant tous les compartiments de
l'environnement marin (faune et flore, sédiments,
153 JEAN-PAUL PANCRACIO, « Droit de la mer
», Dalloz, Précis, 1er édition, 2010, p.
337.
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colonne d'eau) »154. En remarque
préliminaire il convient de préciser que la responsabilité
appartient aux exploitants des ressources minières des fonds marins
d'après les règlementations nationales pour ce qui concerne la
ZEE et internationale pour l'AIFM. Ce sont donc à ces dernières
qu'il revient de rédiger ces études d'impact. La seconde remarque
s'oriente davantage sur la terminologie « d'exploitation ». En effet,
l'exploitation n'est définie dans aucun texte en tant que telle, et tels
que son rédigés les textes à l'heure actuelle, il semble
que l'exploitation ne puisse que permettre le prélèvement de
ressources minérales ou biologiques. La question est ouverte quant
à l'exploitation d'un site en tant que zone de stockage pour le dioxyde
de carbone. Cette dernière pourrait-elle être l'immersion et le
piégeage des GES au sein de couches géologiques ou cavités
précédemment exploitées pour le prélèvement
des ressources. Il faudrait alors opérer deux définitions claires
de l'exploitation. L'une serait l'exploitation-prélèvement et
l'autre serait l'exploitation pour stockage. La scission ne serait pas absurde
et pourrait faire partie intégrante du Protocole de 1996 car il ne se
limiterait donc pas uniquement à l'immersion et à l'enfouissement
des GES. Le cadre serait alors plus clair sur la notion même de ce qu'est
une exploitation.
La problématique qui se pose principalement est
la capacité des responsables à effectuer des études
d'impact en appliquant les principes mis en place par le droit, que ces
derniers se trouvent au sein du Code minier établit par l'AIFM ou encore
le Protocole de Londres qui devrait indéniablement être pris en
compte par l'Autorité. Cela a déjà été
remarqué, l'état des connaissances sur les grands fonds marins
est très faible ce qui ne peut encore permettre aux entreprises qui
patronnent, aujourd'hui pour l'exploration, demain pour
l'exploitation155, d'effectuer des évaluations d'impact
suffisantes et détaillées. De plus, l'étude d'impact
nécessite encore une fois une approche écosystémique sur
l'ensemble de la zone qui sera choisie pour l'immersion du CO2 mais
également une approche systémique en droit. C'est-à-dire
qu'en plus de prendre en compte les principes de droits de l'environnement dans
l'étude à faire, il y a la nécessité d'y ajouter
les « process industriels, qui pour la plupart, sont
confidentiels et/ou en cours de développement »156. Pour
aller plus loin, le droit de
154 JEAN-DAMIEN BERGERON, RONAN LAUNAY ET JEAN-MARC
SORNIN, « Les études d'impact de l'exploitation minière
des grands fonds marins : une étape nécessaire mais encore
difficile », Annales des Mines - Responsabilité et
environnement, 1 N° 85, 2017, pages 49 à 54.
155 A condition d'accepter l'enfouissement comme un des
aspects de l'exploitation.
156 JEAN-DAMIEN BERGERON, RONAN LAUNAY et JEAN-MARC
SORNIN, « Les études d'impact de l'exploitation minière
des grands fonds marins : une étape nécessaire mais encore
difficile », Annales des Mines - Responsabilité et
environnement, 1 N° 85, 2017, pages 49 à 54.
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l'environnement se retrouvera confronté, au
sein d'un document au droit de la propriété intellectuelle et ce
sans évoquer les différentes échelles de la pyramide de
Kelsen. C'est probablement cette complexité qui marque le faible nombre
d'études d'impact aujourd'hui disponibles, et ce chiffre est d'autant
plus faible quand il s'agit de trouver des études d'impact accessibles
à tous. L'information ne semble plus être un principe
environnemental lorsqu'il est question de l'exploitation de
ressources157. De plus, l'AIFM impose aux signataires d'effectuer et
de respecter des mesures d'évitement, de réduction et de gestion
durant les explorations des gisements (ou passablement des sites de stockage),
mais n'a encore rien réglementé pour encadrer les études
d'impact concernant les exploitations commerciales158.
Pour mieux opérer la faible
réglementation autour de l'étude d'impact il est utile
d'étudier successivement la législation
française159 et la législation établie par
l'AIFM.
D'une part la France a opéré des
réformes en 2011 sous l'impulsion du Grenelle de l'Environnement.
L'évaluation environnementale a été enrichie au cours de
l'année 2016 par une ordonnance160. Ainsi le contenu de
l'étude d'impact a été renforcé permettant en outre
d'accueillir les situations de changement climatique. Cette réforme a
également : « modifié le champ des projets et programmes
soumis à une évaluation environnementale systématique ou
à une évaluation réalisée »161,
selon l'espèce. Il en résulte que le tableau annexé
à l'article R. 122-2 du Code précité (modifié par
le décret n°2016-1110 du 11 août 2016) affiche donc le
cadrage de l'évaluation environnementale obligatoire pour les
opérations d'extraction marine de minéraux. Encore une fois, la
loi ne permet pas d'accueillir une exploitation au sens de l'activité de
stockage du CO2. Néanmoins, les activités sont plutôt
proches et permettent d'imaginer une analogie entre un régime existant
et un régime à construire.
D'autre part, l'AIFM compte parmi ses missions celle
de réglementer l'exploitation minière des grands fonds marins
localisée en dehors de la juridiction nationale162 et de
veiller à la préservation du milieu marin contre les effets
nocifs de l'exploration et de l'exploitation future. Pour arriver au terme de
ses missions, l'AIFM a mis en place le Code minier qui
157 Convention d'Aarhus signée le 25 juin 1998 et
entrée en vigueur le 30 octobre 2001.
158 RICHARD MAHAPATRA et ANUPAM CHAKRAVARTTY ,
« Mining at deep sea », Down to Earth 1, 2014 :
http://www.downtoearth.org.in/coverage/mining-at-deep-sea-46049
159 Pour sa ZEE.
160Ordonnance
n°2016-1058 du 3 août 2016.
161JEAN-DAMIEN BERGERON,
RONAN LAUNAY et JEAN-MARC SORNIN, « Les études d'impact de
l'exploitation minière des grands fonds marins : une étape
nécessaire mais encore difficile », Annales des Mines -
Responsabilité et environnement, 1 N° 85, 2017, pages 49 à
54.
162C'est-à-dire la
Zone international des fonds marins, qualifié de patrimoine commun de
l'humanité.
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regroupe des règles détaillées
concernant les activités minières. Ce dernier impose au sein des
contrats effectués avec les entreprises d'exploration et d'exploitation,
une évaluation des impacts environnementaux issus de leurs
activités163. Ce dernier évoque : « l'exploration
des minéraux » et ne semble pas pouvoir accueillir
l'hypothèse d'un enfouissement du dioxyde de carbone. Cette absence est
confirmée notamment par une liste des activités
nécessitant une évaluation préalable de leurs impacts sur
l'environnement et la mise en oeuvre d'un programme de surveillance pendant et
après le déroulement de l'activité en question a
été décidée164. Ainsi, deux
décisions portent sur les points suivants :
« -prélèvements à
étudier à terre du point de vue de leur extraction et de leur
traitement, si l'aire d'échantillonnage de chaque opération est
supérieure à la limite fixée dans les recommandations
propres à certaines ressources minérales ;
-utilisation de systèmes destinés
à provoquer des perturbations au fond,
-essais des procédés et
matériels de ramassage,
-activités de forage au moyen d'appareils de
forage embarqués, échantillonnage de roches,
-prélèvements par traîneau,
drague ou chalut épibenthique, à moins qu'ils ne soient
autorisés pour des surfaces inférieures à la limite
fixée dans les recommandations propres à certaines ressources
minérales. »
Au final, il serait possible d'opérer une
analogie à la vue d'activités qui entre dans le champ de
l'enfouissement du dioxyde carbone à l'instar des activités de
forage ou d'échantillonnage. Mais l'activité d'enfouissement du
CO2 mériterait, au vu des risques en présence, une
réglementation clairement définie par une Convention. De son
côté, le Protocole de 1996 permet un encadrement sur ce point mais
qui apparaît encore léger.
En effet, l'article 9 du Protocole dispose de la
délivrance des permis et des notifications. Ce dernier établit
l'obligation pour les Parties de : « surveiller individuellement ou en
collaboration avec d'autres Parties contractantes et les organisations
internationales
163Voir le document ISBA/19/
LTC/8.
164Commission juridique et
technique de l'AIFM - Recommandations à l'intention des contractants en
vue de l'évaluation d'éventuels impacts sur l'environnement
liés à l'exploration des minéraux marins dans la Zone,
n°13-24714, 2013.
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compétentes l'état des mers au fins du
présent Protocole »165. Il s'agit en l'espèce
d'une obligation de contrôle a posteriori. Cela peut être
efficace mais entre en contradiction avec les modifications apportées
à la Convention par le Protocole en 1996 comme l'introduction de :
« l'approche de précaution en matière de protection de
l'environnement contre l'immersion de déchets ou autres matières
» et qui réaffirme les critères de cette dernière
dans son article 3.1166. Ainsi il serait judicieux de la part de la
part des rédacteurs, de mettre en place par cet outil juridique une
évaluation d'impact avec des principes généraux pour les
déchets de manières indifférenciés et ensuite des
règlementations plus spécifiques issues de recommandations
scientifiques167. La mise en place d'une telle mesure
achèverait de moderniser l'application des principes existants et
renforcerait l'action préventive. Ceci-dit, les instruments
régionaux et nationaux ne sont pas davantage préparés
à accueillir cette nouvelle activité de manière
sécurisée pour le milieu marin.
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