Section 2 - Les propositions de solutions
institutionnelles pour un cadre plus protecteur
Les représentants des gouvernements sont
réunis aux Nations unies, à New York, pour discuter d'un
traité mondial sur la haute-mer. Cet espace représente en effet
61% de la surface des océans et près de la moitié de la
surface du globe. Il s'agit d'après Greenpeace d'une occasion de
consacrer 30% de la haute-mer en tant que zone
protégée119. Au-delà des questions que pose une
telle superficie ainsi que sa gouvernance, cela est peut-être l'occasion
de créations et d'innovations quant à l'approche à adopter
vis-à-vis des organisations. C'est la raison pour laquelle il convient
d'établir des communications effectives entre les structures existantes
ou à créer (A), et de mettre en place un cadre juridique plus
scientifique (B).
118ODILE DELFOUR-SAMAMA,
« Les aires marines protégées, outil de conservation de
la biodiversité en haute mer », Neptunus, revue
électronique, Centre de Droit Maritime et Océanique,
Université de Nantes, Vol. 19, 2013/1
119
https://www.greenpeace.fr/proteger-30-oceans-dici-2030/
70
A - La nécessité d'établir des
communications effectives entre les zones
Dans son rapport du 4 avril 2019, Greenpeace rappelle
que les écosystèmes marins de haute-mer sont « une pompe
biologique des océans » et qu'ils « captent le dioxyde de
carbone en surface et le stockent dans les profondeurs »120. Il
s'agit ici d'un fonctionnement crucial qui permet à notre
atmosphère ne pas contenir 50 % de CO2 en plus, et la hausse des
températures rendrait le monde inhabitable. L'étude
démontre ainsi la capacité actuelle à collecter des
données et la présence de moyens à disposition permettant
de cartographier les zones océaniques à protéger et ainsi
créer un réseau de réserves marines interconnectées
et représentatives de la biodiversité marine
mondiale.
Sans doute ce type de projet est-il ambitieux, mais
cela pourrait permettre de mettre un terme aux dérives étatiques
de la surexploitation des océans. Il faut noter qu'en terme de
compétence il ne s'agit ici que de la colonne d'eau puisqu'il est
question de la haute-mer. Comme il a été vu, l'AIFM, bien que son
but premier soit l'exploitation, a le devoir d'assurer une protection du milieu
marin vis-à-vis des personnes qui pratiquent pour le moment
l'exploration et à l'avenir l'exploitation. Pourtant, le rapport de
Greenpeace évoque, tout en évoquant un traité sur la
haute-mer, la question des ressources minières qui concerne directement
les grands fonds marins et donc l'AIFM. Ce constat amène une question
cruciale en terme de protection du milieu marin : comment assurer la protection
effective d'une zone qui dépend d'un point de vue systémique
d'une autre zone ? La réponse à apporter semble couler de source.
Cela semble impossible et il est déjà difficile
d'appréhender les problèmes de pollutions telluriques
s'étendant dans le milieu océanique. Comment serait-il possible
de gérer une pollution en provenance des grands fonds marins sans que la
colonne d'eau soit impactée ?
Cela amène nécessairement à
penser qu'il faudrait d'abord créer, à l'image des commissions
existantes, d'autres commissions sous l'égide d'une Commission centrale
des aires marines protégées. Ce modèle serait fait sous la
coupe des Nations Unies à l'instar de grandes institutions existantes.
Ainsi, cette Commission centrale pourrait disposer d'un fichier commun
permettant d'opérer des liens entres les sous-commissions gérant
des zones
120Ibid.
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régionales afin d'assurer la protection de la
biodiversité. Cette Commission devra également pouvoir
communiquer avec l'AIFM afin qu'il n'y ait pas de contradictions.
Les missions qui lui seraient attribuées
seraient à l'instar des organisations déjà existantes
d'établir la surveillance et de permettre une gestion
éco-responsable des ressources biologiques pouvant apporter des
solutions clés pour l'humanité. À la fin, il ne s'agit pas
de couper totalement l'accès des activités humaines sur ces zones
mais d'en limiter grandement la présence et l'impact afin de garantir la
résilience des océans. En effet, l'échec d'un consensus
politique pour la création par la Commission CCAMLR d'une réserve
de 1,5 millions de mètres carrés en mer de Ross permet d'imaginer
à quoi peuvent ressembler les négociations sur un traité
sur la haute-mer. La Chine, la Norvège et la Russie se sont
opposées à l'institution de cette réserve qui aurait
bloqué toutes les activités économiques. Un projet d'une
telle ambition semble alors complètement utopique. De même, si des
organes tels que la CCAMLR continuent d'échouer dans leur mandat de
protection de l'océan, ils ne pourront plus faire partie de la solution,
y compris sous l'égide d'une Commission centrale.
Finalement dans une tentative de consensus politique
entre les intérêts économiques et la protection des
océans, il semble clair que les États privilégieront
constamment les aspects économiques ne comprenant pas à quel
point ce manque de protection sera faillible pour l'économie dans le
futur. Si une institution aussi grande qu'une Commission centrale de la
haute-mer ne peut exister, peut-être faut-il néanmoins permettre
aux instruments déjà existants de posséder des outils de
communication entre eux pour établir une coordination des objectifs de
protection.
Il s'agit une nouvelle fois d'une proposition moins
utopique qu'ambitieuse car après tout : « Rien ne s'est fait de
grand qui ne soit une espérance exagérée
»121.
L'inspiration pourrait également venir de ce
qui existe au travers des travaux de la Commission OSPAR qui possède un
domaine de compétence interdisciplinaire. Il va de soi que l'avenir de
la protection du milieu marin se trouve dans l'interdisciplinarité. En
effet, « protéger les espaces en mer reviendrait à
protéger de façon spécifique un immense
chapelet
121Jules Verne.
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de biotopes particuliers tout en tenant compte des
interactions que chacun d'eux peut entretenir avec l'espace voisin
»122. Il serait ainsi dommage de n'envisager qu'un domaine de
compétence pour les AMP à venir, car les risques en provenance
directe des activités humaines sont relativement nombreuses, y compris
quand ces dernières ont pour objectif à long terme de
réduire les émissions de CO2123. Ceci-dit, certains
auteurs ont déjà pu aborder la thématique de la protection
de la haute-mer au travers de ce prisme et ont pu affirmer que le sujet
était d'une « extrême complexité » car il
nécessite une conjugaison « au niveau de la société
internationale, [de] la protection d'espaces dont la définition
juridique ne se calque pas sur la réalité biologique
»124. C'est ici tout le problème invoqué par
Greenpeace et la solution recherchée à travers ce réseau
d'AMP qui concernerait 30% ou davantage de la haute-mer. Même si la
Convention de Montégo Bay fixe une délimitation juridique des
espaces en mer pour les États, elle confie également la
protection des espaces qui sont attribués à ces derniers. Cela
signifie alors que la protection des espaces est conçue au travers de la
souveraineté et qui plus est de celle de l'État côtier
principal bénéficiaire des dispositions du texte.
Cette vision des choses permet d'opérer un
constat déjà effectué : « Créer un instrument
global de protection ne peut être efficace qu'à la condition
d'être appliqué uniformément, et des initiatives locales ou
régionales ne peuvent être bénéfiques qu'à la
condition de pouvoir être généralisées ». Le
choix sera très probablement discuté lors des négociations
en cours au siège des Nations unies à New York mais il faudra
attendre 2020 avant d'observer le choix qui aura été fait. Il
faudra néanmoins que soit envisagée une meilleure prise en compte
des études scientifiques effectuées pour accompagner et
comprendre les instruments décisionnaires.
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