La violence en milieu scolaire: cas du lycée de tigazapar Estelle FOUDA MENYENG Institut Universitaire Catholique de Bertoua - Master 2 2016 |
2.2.2- La théorie de la violence symboliqueLa violence symbolique traduit « tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force » (Pierre Bourdieu, 1972 :18). Elle est détachée de toute contrainte physique et se caractérise par l'« inculcation d'un arbitraire culturel ». Elle est de ce fait arbitraire car contribue à renforcer les inégalités sociales et culturelles en privilégiant une classe au détriment des autres. En outre, elle n'est fondée sur aucun principe biologique, philosophique ou autre qui transcenderait les intérêts individuels ou de classes sociales. La violence symbolique opère dans l'ordre des représentations. C'est une violence structurelle en ce sens que « ce sont en réalité les dominants qui imposent, de façon déguisée, leurs préférences et placent ainsi les dominés en situation d'infériorité » ( Philippe Braud : 2003) et provoque une souffrance qui porte principalement atteinte « au moi identitaire ». En effet, Bourdieu développe son concept de la violence symbolique à l'ère de la massification ou démocratisation de l'école ainsi que sa prolongation jusqu'à 14 ou 16 ans qui conduit à l'accès de tous à l'école et à la flambée des effectifs dans les lycées, collèges et universités. Les parents des classes moyennes y voient le moyen pour leur progéniture d'avoir une ascension professionnelle. L'illusion réside cependant dans le fait que les bases sont faussées dès le départ : certains élèves, de par leurs origines sociales, ont plus de chances de réussir que d'autres. Les enfants des classes sociales défavorisées sont obligés de fournir plus d'efforts intellectuels et psychologiques pour s'en sortir dans une école dont la langue et la culture sont très différentes de la leur. Par contre, ceux des classes sociales aisées ont des répétiteurs, tous les manuels scolaires et même parfois la faveur des éducateurs qui, ``motivés'' par les parents, s'intéressent particulièrement à leur évolution en classe. D'autres par contre se sentent lésés, délaissés, stigmatisés à cause de leurs performances antérieures, de leur origine sociale ou pour toute autre raison dont seul l'enseignant détient le secret. L'accès aux études supérieures devient difficile pour eux. Phillipe Hambye et Jean- Louis Siroux (2014) démontrent que les deux formes de violences symboliques sont l'inégalité des chances et l'inégalité des places. En effet, la violence symbolique se traduit sur le plan éducatif à travers l'affirmation selon laquelle les résultats scolaires sont liés à l'intelligence et au mérite individuel. Et malgré le diplôme, les lacunes dans certaines disciplines vont limiter l'accès à certaines professions. L'idéologie du « don », à laquelle ils s'opposent, renforce la sélection scolaire ainsi que les inégalités qui en découlent. Elle se manifeste par exemple à l'école par le fait que certaines séries sont réservées à une catégorie d'enfants : seuls les élèves forts peuvent faire les séries scientifiques et les faibles les séries littéraires. Le danger réside dans le fait que les élèves eux-mêmes intègrent cette image d'eux qui les classent comme des faibles, des incapables de façon inconsciente et les justifient, même si au fond, ils se sentent frustrés. La réaction à cette frustration peut être de deux types : soit ils se mettent désespérément au travail afin de mériter une place parmi les forts, soit ils se laissent aller au découragement et se disent que quoiqu'ils fassent ils resteront dans leur statut de « mauvais élèves ». Cette « l'intériorisation du stigmate d'indignité », comme l'appelle Braud, peut parfois être la cause de l'animosité constante qu'ils développent vis-à-vis de l'enseignant dont les cours les ennuient ou la moindre remarque provoque chez eux insolence, mépris et même agression physique. La dépréciation est une des formes de la violence symbolique. Philippe Braud (2003) affirme que « se situer hic et nunc, c'est se situer par rapport à autrui, ce qui suppose inévitablement des échelles de classement, en terme de supériorité, d'égalité et d'infériorité. ». L'école aujourd'hui est devenu un lieu d'exhibition de la supériorité des enseignants vis-à-vis des élèves, ce qui guide les comportements et crée une distance entre le « maître suprême » et ses sujets qui lui obéissent et lui doivent respect. Ceci se traduit par les méthodes magistro-centrées d'enseignement qui ne laissent pas de parole à l'apprenant. En outre, les enseignants sont passés maîtres dans les injures, les propos humiliants qu'ils profèrent parfois sans réfléchir aux conséquences. La « mission civilisatrice » de l'école est véhiculée par l'idée selon laquelle les élèves, ces ``sauvages'' doivent être disciplinés, dressés à tous les prix. Ils sont ainsi diabolisés pour justifier les mauvais comportements des enseignants et le contexte social et médiatique qui parle de plus en plus de la violence, de l'indiscipline des élèves est de nature à créer une violence symbolique par déstabilisation (Braud) chez les parents et les élèves qui ne savent plus s'il faut faire confiance à l'école ou pas. La violence symbolique, ainsi présentée, peut provoquer de la violence physique et même verbale se retournant contre la classe jugée dominante. Celle-ci est une volonté du sujet de dire "non" à l'humiliation, à l'oppression, afin de retrouver la dignité perdue. Ce sont ces deux théories qui nous permettront de saisir le phénomène si préoccupant de la violence scolaire. DEUXIEME PARTIE : CADRE OPERATOIRE |
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