CHAPITRE II :
REVUE DE LA LITTERATURE ET
INSERTION THEORIQUE
Les
travaux sur la violence scolaire sont très nombreux et nous ne saurons
prétendre lire tout ce qui a été fait. Nous nous sommes
cependant efforcé à lire ceux qui nous ont semblé les plus
pertinents et les plus proches de notre perspective et dont nous allons faire
état dans la première partie de ce chapitre. Ensuite il sera
question de préciser les théories qui nous permettrons de mieux
expliquer la violence en milieu scolaire.
2.1- REVUE DE LA LITTERATURE
2.1.1- Conception de l'enfance de
l'antiquité à la postmodernité
Eric Débardieux, l'un des plus grands
spécialistes de la violence scolaire en France, présente en 1998
dans un article intitulé « Le professeur et le sauvageon,
violence à l'école, incivilité et
postmodernité » les évolutions de la conception de
l'enfance en rapport avec la violence à l'école. Il
démontre que dans les sociétés antiques marquées
par le mythe de l'âge d'or, l'enfant devait ressembler à
ses parents pour s'assurer de la continuité de l'humain en lui et pour
éviter le chaos, « la chute vers la
bestialité ». La pédagogie du
redressement prônée par Saint-Augustin consistait alors
à éradiquer cette violence, cette folie inscrite en chaque enfant
dès sa naissance et que même la Bible, dans le livre des Proverbes
au Chapitre 28 verset 15, recommande: « la folie est
attachée au coeur de l'enfant et c'est la verge de la discipline qui
l'en chassera ». La socialisation par les pairs à travers
des rites initiatiques et toute sorte de brutalité était aussi
d'une grande importance.
Avec la promulgation de la Convention internationale des
droits de l'enfant au 20ème siècle, l'on marque la
découverte de la valeur fondamentale de l'enfant dans les classes
sociales aisées et moyennes. L'enfant « sauvage »,
craint de tous, devient innocent, bon, « enfant-roi ». Il
existe encore cependant une idéologie d'exclusion sociale qui veut que
la vertu, l'innocence et la bonté ne soient innées et normales
que chez « les gens libérés et bien
nés ». Assertion soutenue par Rousseau et Voltaire qui
considèrent que l'Education ne sert pas aux pauvres. L'image de
l'enfant-roi conduit à la promotion, dans les familles, de l'enfant
unique, « fils de roi » que les parents doivent humblement
servir (Ellen Key, 1900 cité par Débardieux). L'enfant-roi,
« meilleur espoir de l'idéologie du
progrès » est « choyé,
protégé, au sein d'une famille restreinte où la
socialisation mutuelle par le groupe des pairs est considérée
comme nocive » (Débardieux :10). C'est pour cette raison
que l'usage de la force, du fouet et de toute autre correction physique est
interdit. La violence scolaire devient synonyme de retour à
« l'enfant-sauvage » et alimente le « discours de
la décadence » répandu à l'aide des
médias qui trouvent tous les attributs négatifs aux enfants
issues des banlieues et acteurs de violence.
Ce discours de la décadence que présente
Débardieux s'alimente aussi du thème de « la
démission parentale » caractérisé par la
monoparentalité, le laxisme éducatif, la violence des parents,
etc. La violence scolaire est « ethnicisée »,
« racialisée » et on parle de « handicap
socio-violent » ou d' « ethnoviolence ». Un
débat entre académiciens et hommes politiques que présente
Débardieux montre le « fantasme
d'insécurité » qui en découle, limitant la
violence scolaire aux crimes et délits qui, de l'avis de
Débardieux, sont rares. Il pense plutôt que le sentiment
d'insécurité naît de la petite délinquance et des
incivilités, incivilités qui traduisent la perte de sens du
système éducatif et des pratiques éducatives. L'une des
causes serait la massification et la prolongation des études dans un
contexte où l'insertion socioprofessionnelle est difficile.
L'incivilité est donc une réaction « face à
l'amour déçu pour une école incapable de tenir ses
promesses d'insertion et qui ne peut protéger de ce qu'on nomme
exclusion ». (p.13) L'idéologie du progrès et de
la liberté meurt donc tant chez les enseignants que chez les
enseignés avec cette exclusion. Et la société
(« inclus et exclus ») ne vise qu'une chose :
« la légitimité des plaisirs immédiats dans la
sphère privée des satisfactions matérielles et
intimes » (p.14). L'idéologie postmoderne ou
post-moraliste prône la nécessité d'un lien
affectif avec l'enfant pour une meilleure transmission des valeurs devant
l'aider à se construire, l'absence de ce lien conduit à la
violence scolaire, à la souffrance de l'enfant et de l'enseignant. Ce
dernier abandonne la punition à l'administration pour rechercher
« l'amour » des élèves dans une logique
d'absence de contrainte qui, elle-même est remise en cause pour un retour
à « l'ordre moral ».
En effet, Débardieux revient sur la notion
d'incivilité qui est constituée de « toutes ces
petites choses qui pourrissent la vie d'un établissement, qui peuvent
pourrir la vie d'un quartier, » (Débardieux, 1999 :
80) cette petite délinquance dont
« l'aggravation » ,
« l'accumulation » non traitée, permet de
comprendre, du point de vue des victimes, le sentiment
d'insécurité afin de prévenir l'escalade de la violence en
milieu scolaire sans pour autant sombrer dans une répression excessive
de certaines ethnies ou races considérées comme
« barbares ». Avec l'échec du
« totalitarisme doux », de la démocratie, l'on
serait tenté par un retour à la brutalité puisque l'enfant
aimé constitue un danger pour lui-même et pour les autres.
Débardieux, grâce à ses recherches sur le terrain propose
d'être pragmatique en intégrant sans préjugés les
parents et l'ensemble de la communauté éducative de
l'établissement scolaire dans l'élaboration et la mise en
exécution d'un projet éducatif avec le risque que cela comporte
de voir les forces de maintien de l'ordre envahir l'école. Mais plus
encore, Débardieux propose aussi une réflexion sur le rôle
de la punition dans la « postmodernité
éducative ».
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