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Les représentations sociales des enseignants à  l’égard de l’orientation de leurs élèves. Cas des enseignants exerà§ant au collège dans la région de Marrakech au Maroc.


par Said MAGOURI
Université de Rouen - Master 2 de recherche à  distance Francophone 2013
  

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Chapitre II. Problématique de la recherche :

Depuis plus de trois décennies, les chercheurs n'ont cessé d'interroger le fonctionnement inégalitaire des systèmes éducatifs. Pour ce faire, « ouvrir la boîte noire » (Haech, 1990) constitue la solution sine qua non permettant de saisir, d'appréhender le système éducatif par rapport à ses différents enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques. La boîte noire n'est autre que l'école ou la classe. Cette boîte noire constitue un champ de recherche intéressant bon nombre de chercheurs soucieux de la problématique d'inégalités de chance face à l'école. Une problématique qui reste inscrite à l'ordre du jour dans les politiques éducatives. Les chercheurs ont souvent une tendance d'aborder cette problématique « in vivo au coeur même de l'enceinte scolaire » (Ibid., p. 151). Bien que les systèmes scolaires soient démocratisés en grande partie, dans les pays industrialisés et dans une moindre mesure dans les pays en voie de développement (notamment le Maroc), ce qui a atténué considérablement les inégalités sociales en matière d'accès à l'éducation (inégalité d'ordre quantitatif), nous assistons toujours à une certaine inégalité de nature différente ; inégalité des parcours (inégalité d'ordre qualitatif) car « Il ne suffit donc pas de fréquenter l'école pour éliminer les inégalités scolaires : il faut aussi s'assurer que les chances de réussite ne sont pas biaisées par l'origine sociale ». (Orivel en préfaçant le document produit par Duru-Bellat, 2003, p.12). Pour Duru-Bellat (2002), deux mécanismes expliquent ces inégalités sociales de parcours scolaires. Le premier concerne l'inégalité de réussite qui débute dès le primaire et continue, en s'accumulant, tout au long de la scolarité. Quant au deuxième qui vient accentuer les effets du premier, il correspond aux inégalités de choix scolaires qui surgissent à chaque palier d'orientation (à possibilités équivalentes des élèves peuvent s'orienter différemment).

Dans un article publié dans l'« Observatoire des inégalités » 2 en novembre 2008, Duru-Bellat réaffirme que dans les inégalités sociales de carrières scolaires3, les inégalités de choix et d'orientation pèsent autant que les inégalités de réussite. Elle observe que des élèves, à réussite scolaire identique, connaissent des destinées scolaires très divergentes. Plus récemment encore, Caille (2005) a mis en évidence qu'avec une moyenne comprise entre 10 et 12 sur 20 en contrôle continu du brevet, presque tous les enfants des cadres demandent une orientation vers la seconde générale et technologique. Par contre, ce choix d'orientation ne

2 http://www.inegalites.fr/spip.php?article955&id_mot=31 consulté le 30/07/2012

3 A ce sujet Duru-Bellat, Jarrousse et Mingat (1993) ont observé « un continuum entre les enfants d'ouvriers (qui accèdent à un second cycle long à hauteur de 31,9%) et de cadres supérieurs (pour lesquels le chiffre correspondant est de 86,8%) » (p. 48)

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concerne que les trois quarts des enfants des employés et les deux tiers des enfants d'ouvriers. Il s'agit là d'une orientation nettement différenciées socialement. Pour Duru-Bellat (2008), si la méritocratie est respectée, seule la valeur scolaire (réussite académique) décidera de l'avenir scolaire des élèves. En d'autres termes, si deux élèves ont le même niveau scolaire ils devront avoir la même destinée scolaire. Mais la réalité semble différente. On voit bien ici l'enjeu de l'orientation dans les inégalités sociales face à l'école.

Sur cette thématique, les travaux de Duru-Bellat se rapportent principalement au contexte européen. Dans le document produit pour l'UNESCO en 2003, elle affirme que les conclusions auxquelles elle a abouti ne peuvent pas être transférables dans d'autres contextes très différents du point de vue culturel et économique. Pour soutenir ses affirmations, elle s'appuie, entre autres, sur les travaux de Heyneman et Loxley (1983). Ces deux chercheurs ont montré que certaines variables, telle que l'origine sociale, expliquant l'inégalité sociale face à l'école dans les pays industrialisés, n'ont pas le même pouvoir explicatif dans les pays en voie de développement. D'autres variables doivent être mises en avant pour expliquer ces inégalités, notamment les ressources matérielles destinées à l'enseignement. Néanmoins, Duru-bellat, souligne que les constats et les analyses réalisés dans le contexte européen ne sont pas sans valeur au-delà de leur contexte, notamment en ce qui concerne les choix de filière. A cet endroit, Duru-Bellat observe que dans de nombreux pays « chaque fois que des choix de filières ou d'orientation se présentent, qu'à niveau scolaire comparable, les enfants de milieu populaire visent moins haut (notamment quand ils sont de niveau scolaire médiocre), ou se rallient plus volontiers aux conseils, par ailleurs plus prudents, de leurs enseignants. » (Idem, p. 27). Dans le même document, elle estime qu'il est impératif pour saisir les inégalités sociales face à l'école de commencer par la détermination des différents milieux sociaux qui l'entourent puis d'aller fouiller en profondeur le fonctionnement de la famille, de l'école et de ses classes. Pour Heyneman et Loxley (1983) cités par Duru-Bellat (2003), les inégalités de la réussite scolaire, dans les pays en voie de développement, s'expliquent beaucoup plus par les facteurs scolaires que les facteurs familiaux.

C'est dans ce sens, et étant donné que le Maroc est un pays en voie de développement, que nous envisageons, dans le cadre de ce mémoire, d'aborder les inégalités face à l'école et plus particulièrement les inégalités face à l'orientation ayant un lien avec les facteurs scolaires. Notre propos est que ces inégalités, au-delà de leur genèse en contexte familial et social, se présente avec acuité dans le fonctionnement même du système éducatif et de ses différentes composantes. L'orientation en est une de ces composantes qui semble incarner une part

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importante des inégalités face à l'école. Des inégalités irréparables puisqu'elles touchent d'une manière irréversible l'avenir scolaire et professionnel des élèves.

A ce sujet, Duru-Bellat (1986) constate que l'orientation telle qu'elle fonctionne est sujette à beaucoup d'interrogations « sur le bien fondé de décisions, aussi lourdes de conséquences pour les élèves, porteuses d'inégalités sociales spécifiques, assises sur des critères aussi incertains » (p. 24). Pour en être convaincu, il suffit de remarquer, comme on l'avait constaté au départ, que l'orientation se base principalement sur des évaluations le moins que l'on puisse dire est qu'elles sont faites à des fins autres que celles d'orientation.

Par ailleurs, plusieurs travaux, notamment (Dumora et Lannegrand, 1996, Channouf, Mangard, Baudry et Perney, 2005, Mangard et Channouf, 2007), ont souligné l'existence des biais sociaux (généralement des stéréotypes) affectant le jugement professoral lors de décisions d'orientation des élèves. D'autres expériences4, telles que celles de Bodenhausen et Lichtenstein datant de 1987, appuient ce constat en démontrant que lorsque le juge (le professeur) est amené à effectuer une tâche complexe (par exemple la prédiction de la réussite scolaire de l'élève) des stéréotypes affectent son jugement même en présence d'informations individuelles (dossier scolaire de l'élève), ce qui n'est pas le cas quand il s'agit d'évaluer les acquis disciplinaires de ses élèves (tâche simple). Les stéréotypes, ici, permettent au professeur de simplifier la tâche relative à l'inférence du devenir scolaire et professionnel de l'élève. Ils jouent ainsi le rôle de principes centraux d'organisation conduisant le professeur à retenir les informations conformes aux stéréotypes en jeu et négliger les informations non conformes. Ceci constitue un biais affectant ses jugements. Merle (1998) cité par Annette Jarlégan et Youssef Tazouti (2007) confirme lui aussi l'effet produit par les stéréotypes sur le jugement des professeurs. Il avance que lorsque les professeurs sont amenés à juger leurs élèves, ils retiennent inconsciemment des informations caractérisant leurs élèves telles que le sexe, l'origine sociale ou le retard scolaire. En effet, plusieurs recherches ont vérifié que la classe sociale influence le jugement des professeurs ; plus elle est favorisée plus les jugements sont favorables, à performance scolaire comparable des élèves. Le genre aussi influence le jugement des professeurs ; Duru-Bellat et Jarlégan, (2001) cités dans Jarlégan et Tazouti (2007) affirment que les professeurs ont des différenciations sexuées concernant les performances des filles et des garçons dans certaines disciplines : les mathématiques pour les garçons (et c'est dû à leur talent et quand des filles excellent dans cette matière c'est plutôt dû à leur travail) et le français pour les filles.

4 http://www.psychologie-sociale.com/index.php?option=com_content&task=view&id=127&Itemid=83 consulté le 01/08/2012

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Globalement, les stéréotypes relatifs aux classes sociales, au genre, au retard scolaire, à l'espace géographique... affectent d'une manière ou d'une autre le jugement professoral émis à l'égard des élèves et surtout lors des décisions d'orientation. C'est ce qui ressort d'un ensemble de recherches, y compris celles citées ci-dessus, menées dans les pays industrialisés et qui n'étudient les biais sociaux liés aux décisions d'orientation qu'à travers les effets présumés des stéréotypes. Or ces mêmes stéréotypes sont des éléments parmi d'autres constituant les représentations sociales (pour Moscovici (1976), le contenu d'une représentation sociale est constitué de trois types d'éléments ; les opinions, les attitudes et les stéréotypes) qui, « en tant que systèmes d'interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales» (Jodelet, 1989, p.53). Suite à cela, il nous paraît judicieux d'appréhender la pratique enseignante en matière d'orientation sous l'angle des représentations sociales.

Nous nous demandons donc, dans un contexte différent que celui de l'Europe en l'occurrence le contexte marocain, quelles seraient les caractéristiques des représentations sociales, que se font les enseignants à l'égard de l'orientation de leurs élèves ?

Pour répondre à cette question centrale de notre recherche, d'autres questions secondaires doivent aussi faire l'objet d'une investigation particulière :

> Comment les enseignants se représentent-ils la notion de l'orientation scolaire ?

> Pensent-ils qu'ils ont un rôle à jouer dans l'orientation scolaire de leurs élèves ? Et comment ce rôle se décline au niveau de leur pratique professionnelle?

> Comment se représentent-ils les différentes filières scolaires après la troisième collégiale ?

> Quelles sont les critères/indices que les enseignants ont tendance à utiliser pour se prononcer sur l'orientation de tel ou tel élève ?

Notre objectif opérationnel est donc de déterminer les éléments constitutifs de ces représentations et leurs structures. En d'autres termes, ce qui y fait consensus, ce qui y est stable, collectif, individuel, ce qui y est le noyau central, et ce qui y est périphérique.

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Intérêts de la recherche :

Etudier les notions de représentations sociales et d'orientation nous place de facto dans le cadre des études interdisciplinaires. Des études qui se rapportent à la psychologie, à la sociologie et à la psychologie sociale. Ceci constituera, pour nous, une occasion d'élargir notre champ de connaissances en sciences sociales.

Par ailleurs, notre recherche s'insère dans le cadre de l'exploration des pistes permettant de réduire les inégalités sociales face à l'orientation et ce, à travers la mise en exergue et en suite la réduction des biais sociaux lors des décisions d'orientation en conseil de classe. De ce fait, nous estimons que notre recherche apportera sa petite pierre à l'édifice concernant les problématiques théoriques autour de ce sujet.

Plus pratiquement encore, notre étude permettra d'éclairer les processus mis en oeuvre par les enseignants dans leurs pratiques d'orientation. Ce qui constituera une première étape pour l'amélioration et l'optimisation des décisions d'orientation et par la suite veiller à une meilleurs justice scolaire et sociale.

Nous aurons aussi l'occasion, en tant que professionnel de l'orientation, de saisir les résultats de cette recherche et de les partager avec les enseignants pour les sensibiliser sur leur rôle prépondérant dans l'orientation de leurs élèves. Leur faire prendre conscience des facteurs qui agissent à leur insu lors des décisions d'orientation.

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