La problématique de l'orientation se situe, en
général, à l'intersection de trois dynamiques : la
dynamique du monde socio-économique, la dynamique du
développement personnel de l'individu et la dynamique des parcours de
formation (Pelletier et Dumora, 1984). Il est donc impératif, pour qu'un
individu, en situation d'orientation/transition, fasse un choix pertinent,
d'avoir la capacité de se positionner par rapport à ces trois
dynamiques. Cette capacité nécessite, d'une part, que l'individu
développe des stratégies de collecte d'informations, de prise de
décision et d'élaboration d'un plan d'action, et d'autre part,
qu'il lui soit possible d'accéder à des services/prestations de
conseil, d'aide à l'orientation et d'accompagnement tout au long de sa
vie. La complexité dans cette démarche réside dans
l'articulation entre ses aspirations/aptitudes et les possibilités
existantes de l'insertion sociale et professionnelle (Guichard, 2008).
L'orientation relève donc d'enjeux divers, d'autant plus que les
attentes vis-à-vis de l'orientation sont nombreuses et variées en
fonction des centres d'intérêt des acteurs en question
(politiques, économiques, enseignants, élèves, parents
d'élèves...). Le marché du travail, avec son
évolution qui fait la règle et sa stabilité qui fait
l'exception, constitue aussi
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un énorme défi devant l'orientation des
élèves. Aujourd'hui, il n'est pas aussi simple pour un jeune de
se projeter dans l'avenir pour en démêler la carrière
professionnelle qui lui soit destinée.
Au niveau plus proche de l'élève à
savoir celui du contexte scolaire, les choix d'orientation relèvent de
quatre acteurs principaux : l'institution scolaire, les professeurs, les
parents et l'élève. Ces acteurs interagissent entre eux dans une
sorte de négociation qui se termine par une décision
d'orientation. Celle-ci peut satisfaire ou non la demande de
l'élève. Ces interactions font surgir des représentations
sociales que chaque acteur élabore sur soi, sur l'autre et sur la
situation (Abric, 1987 cité par Anadon et Minier, 1996). Ainsi les
parents ont des représentations du devenir scolaire de leur enfant qui
peuvent différer de celles de l'enfant lui-même et de celles de
ses enseignants. Ces derniers ont tendance à élaborer des
représentations sociales qui légitiment leurs pratiques
professionnelles (Gilly, 1988), voire anticipent leurs conduites (Abric, 1987,
Ibidem). La part des représentations sociales est donc grande
dans les choix d'orientation.
Etant donné que « l'orientation est
déclarée partie intégrante du processus d'éducation
et de formation... » (Levier 6, article 99, Charte nationale de
l'éducation et de formation, 1999), y a-t-il donc des recherches qui se
sont intéressées aux représentations sociales dans les
systèmes éducatifs ? Car comme l'ont souligné Roussiau et
Bonardi (2001) c'est en « regardant la forêt que l'on pourra se
faire une meilleure idée de l'arbre, en conservant visibles toutes les
alternatives, que l'on pourra former le projet d'en apprendre davantage sur la
pensée sociale telle qu'elle se formalise à travers les
représentations sociales. » (P. 226). En réponse à
cette question, Gilly (1989) nous rapporte qu'avant les années quatre
vingt-dix peu de travaux comme ceux de Mollo (1970, 1986) ou Siano (1985) qui
se sont intéressés à l'étude des
représentations sociales au sein de l'école. Pour lui, les
auteurs abordaient les représentations sociales
généralement sous certaines manifestations (attitudes,
stéréotypes...) ou bien elles sont évoquées en tant
que facteurs expliquant des résultats portant sur des faits qui n'ont
pas en eux-mêmes, statut de représentation sociale. Mais depuis,
il est devenu courant de s'intéresser aux représentations
sociales dans l'éducation (Baillauques, 1996). L'école, en tant
qu'espace d'interactions sociales entre différents acteurs
(élèves, enseignants, parents, agents éducatifs...),
« est un objet de prédilection pour les représentations
sociales» (Garnier et Rouquette, 2000, p.VII cités par Fontaine,
2007). Des auteurs ont étudié par exemple les
représentations sociales dans le champ de la didactique des disciplines
(Triby, 1992; Beitone et Legardez, 1997; Legardez, 2001, 2002 ; Simonneaux,
2004 cités dans
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Legardez, 2004), des décisions de planification de
cours (Charleir, 1989; Roy, 1991 cités dans Bousquet, 2003), de la
formation (Baillauques, 1996), de l'échec scolaire (Emprin et Jourdain,
2010; Gosling, 1990 cités par Bousquet, 2003)... D'autres se sont
intéressés à l'étude d'une classe
particulière des représentations sociales en l'occurrence les
représentations professionnelles des enseignants (Blin, 1997).
Par ailleurs, Gilly (1989) insiste sur l'intérêt
de la notion des représentations sociales pour comprendre les faits de
l'éducation et ce, parce qu'elle « oriente l'attention sur le
rôle d'ensembles organisés de significations sociales dans le
processus éducatif. » (p. 382). De leur part Deschamps et al.,
(1982) cités par Gilly (1989), soulignent que les
représentations sociales permettent, d'une part, l'explication de
mécanismes par lesquels des facteurs proprement sociaux agissent sur le
processus éducatif et en influencent les résultats, et d'autre
part, elles favorisent les articulations entre psychosociologie et sociologie
de l'éducation. Le contexte scolaire est investi par différents
acteurs de différents niveaux (les politiciens, les gestionnaires, les
agents, les usagers) que chacun apporte un discours, une vision sur le
quotidien de l'école. De ce fait, il est un champ d'interaction sociale
par excellence favorisant la construction des représentations sociales.
Il est aussi « un champ privilégié pour voir comment se
construisent ; évoluent et se transforment des représentations
sociales au sein des groupes sociaux, et nous éclairera sur le
rôle de ces constructions dans les rapports de ces groupes à
l'objet de leur représentation ». (Ibid. p.348). Dans un
entretien mené par Bataille (2000), Moscovici caractérise la
question des représentations sociales dans l'éducation de «
tautologique ». Pour lui, l'éducation est diffusion de
connaissances qui sont en général des représentations
sociales ou du moins des connaissances saisies à travers des
représentations sociales.
Etant donné que l'orientation est une composante du
système éducatif, elle est donc sujette à des
représentations sociales. D'autant plus que son caractère
problématique (décrit ci-dessus) où se mêle ce qui
est psychologique, sociologique, culturel, économique et politique, lui
confère le statut d'un objet social complexe. Un objet qui se
prête bien au cadre des représentations sociales car celles-ci
constituent des formes «de connaissance, socialement
élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune
à un ensemble social » (Jodelet, 1989, p. 36). Selon Jodelet (1984)
cité par Nehme (2009), la théorie des représentations
sociales «devrait permettre d'unifier l'approche de toute une série
de problèmes situés à la croisée de la psychologie
et des autres sciences sociales » (p. 378). Cette théorie, que nous
allons présenter dans le cadre théorique de ce mémoire,
nous
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permettra donc de mieux appréhender les enjeux de
l'orientation, de mieux cerner les différents discours, les
différents points de vue entourant cette notion et les pratiques
professionnelles qu'elle suscite. De plus, les pratiques professionnelles sont
liées aux représentations sociales de par la capacité de
celles-ci d'engendrer (Rocher, 2000), de guider (Rouquette, 2000) et de
prédire des conduites individuelles et collectives. Bref, les
représentations sociales «offrent des repères pour l'action
» (Rouquette, 2000, p. 18). En revanche, cette relation doit être
nuancée, car il peut y exister des différences entre les
représentations et les pratiques sociales (Moliner, Rateau, Cohen-Scali,
2002). Généralement, les résultats des recherches
menées sur cette thématique sont inférés à
partir des pratiques rapportées et non pas des pratiques effectives
(Abric, 1994).
Nous avons passé en revue un certain nombre de
recherches réalisées en contexte éducatif y compris notre
recherche exploratoire de Master 1 en sciences de l'éducation et ce,
dans l'entreprise de poser un ensemble de bases nous permettant
d'apprécier la pertinence de notre objet de recherche. Un objet qui se
prête, nous semble-t-il, parfaitement à la théorie des
représentations sociales. Cela étant, notre problématique
de recherche, que nous allons exposer par la suite, s'inscrit dans un cadre
plus global à savoir celui des inégalités sociales face
aux systèmes scolaires.