D'après les conseils d'orientation auxquels nous avons
assisté, nous avons constaté que les décisions
d'orientation se basent principalement sur l'évaluation scolaire des
élèves, en l'occurrence la note scolaire. Ceci nous a
interpelé pour mener une recherche en Master 1 sur l'influence de
l'évaluation, telle quelle est pratiquée à l'école,
sur l'orientation des élèves. Les résultats de cette
recherche nous ont permis de relever un constat premier : cette
évaluation ne permet pas à tous les élèves de faire
des choix d'orientation pertinents. En tenant compte de cet état de
fait, nous avons envisagé de poursuivre notre recherche en Master 2 sur
la même thématique mais en explorant davantage les
différentes possibilités permettant l'amélioration de
l'évaluation scolaire pour qu'elle soit beaucoup plus au service de
l'orientation des élèves. Cependant, et après une longue
réflexion, il est apparu qu'il serait judicieux de travailler sur les
représentations sociales et leur influence sur les décisions
d'orientation. En effet, les propositions d'orientation données par les
enseignants se basent effectivement sur la note scolaire, mais elles la
dépassent à un niveau beaucoup plus subjectif, notamment celui
des représentations que ces enseignants ont sur le devenir de
l'élève. Bien que l'intérêt porté aux
représentations sociales dans le champ éducatif a commencé
depuis les années soixante-dix, nous avons estimé que traiter la
problématique de l'orientation sous l'angle des représentations
sociales des enseignants constitue un objet de recherche à portée
heuristique. Ajoutons aussi que la question de l'orientation se joue, en
partie, au niveau de la relation maître-élève. Plusieurs
recherches ont confirmé que les élèves, surtout au
collège, considèrent le professeur comme étant l'acteur
privilégié en matière d'orientation (Conseil
supérieur de l'éducation, 1995). En effet, l'enseignant a un
rôle central dans le développement de certaines compétences
psychosociales chez les élèves, notamment les compétences
à s'orienter. Dans bien des cas, il est le modèle à
suivre. L'enseignant, conscient ou pas de ce rôle, pratique de
l'orientation et influence, de ce fait, le choix de l'élève. Du
point de vue institutionnel, l'enseignant est membre du conseil d'orientation
(seule instance responsable des décisions d'orientation) où il
est amené à se prononcer sur les choix d'orientation de ses
élèves. En amont, l'enseignant est appelé à
évaluer les performances de l'élève, et nous savons
à quel point cette évaluation est décisive dans le choix
de l'orientation. En effet, selon les résultats
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de notre recherche en Master 1), la majorité des
enseignants enquêtés1 croit que les résultats
scolaires permettent de juger les capacités et les aptitudes des
élèves. 63,4% parmi eux estiment que l'orientation vers le tronc
commun scientifique doit se baser uniquement sur les résultats
scolaires. Ils déclarent même qu'ils sont incapables de se
prononcer sur les capacités de l'élève hors ses
résultats scolaires. Ils signalent aussi, qu'ils se sentent
influencés à des degrés différents par la
perception globale qu'ils ont de l'élève lors des conseils
d'orientation. Nous constatons donc, le poids des résultats scolaires
sur les décisions d'orientation.
Pour ces raisons nous avons envisagé d'explorer
davantage la pratique enseignante en matière d'orientation nous
intéressant à l'influence des représentations sur ces
pratiques. Faudrait-il signaler aussi que très peu d'études ont
pu explorer certaines facettes des représentations que les enseignants
se construisent autour de la problématique de l'orientation. En effet,
des chercheurs, tels Duru-Bellat (1986, 2002) Channouf (2004), Mangard et
Channouf (2007), Dumora et Lannegrand (1996), Bourdieu et Passeron (1964),
Baudelot et Establet (1971), Boudon (1973) ...), se sont penchés
principalement sur le rôle des déterminants socioculturels, les
résultats scolaires, l'appartenance socioprofessionnelle, le sexe, les
stéréotypes... dans les choix d'orientation. Par ailleurs, et
sans vouloir remettre en cause le rôle des enseignants dans l'orientation
des élèves, il nous semble légitime de nous demander si
les enseignants eux-mêmes sont en mesure d'identifier le profil de
l'élève susceptible de suivre avec succès sa scolarisation
dans une filière donnée. D'autant plus que les enseignants au
collège, au Maroc, n'ont jamais enseigné en secondaire qualifiant
et n'ont pas suivi au préalable des formations dans le domaine de
l'orientation. Comment peuvent-ils se prononcer sur l'orientation d'un
élève en ignorant, ou du moins avec des informations
éparses, les exigences de la poursuite des études dans une
filière ou dans une autre ? Il nous semble, que dans de telle situation,
l'enseignant mobilise des connaissances, des idées autour d'une
filière donnée et qu'il s'est construit au travers de son
histoire personnelle, des personnes rencontrées et de son contexte
d'exercice. Ce processus de construction fait appel aux représentations
sociales, à des théories subjectives élaborées par
les enseignants pour appréhender l'objet complexe qui est dans notre cas
l'orientation (Dann, Schlee et Wahl, 1982,1984 cités dans Anadon et
Minier, 1996). On pourrait se demander aussi si les professeurs qui ont suivi
une formation continue de deux jours dans le domaine de l'orientation ou ceux
qui se sont engagés dans l'expérimentation du guide des
activités de l'aide à l'orientation ont pu développer
certaine position à l'égard de l'orientation. Leurs
1 47 enseignants des matières dites de
qualification pour le tronc commun scientifique (matières scientifiques
et le français)
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représentations dans ce domaine, sont-elles
restées inchangées ? Ou bien ont-elles connu une évolution
? Sur ce point, Vergès (1997) affirme que les représentations ne
se modifient que lentement, et lorsque des adultes suivent une formation de
quelques jours, voire de quelques semaines, ces représentations se
complexifient et peuvent ne pas changer.
Certes, les enseignants peuvent avoir des attentes
différenciées envers leurs élèves selon leur sexe,
leur environnement socioculturel, l'appartenance socioprofessionnelle de leurs
parents, leurs résultats scolaires... Ceci peut engendrer une pratique
professionnelle différenciée touchant, au sein des
établissements scolaires, les différents aspects de l'action
éducative y compris les décisions d'orientation :
[...les enseignants ayant tendance à soutenir
davantage les demandes plus ambitieuses des jeunes de milieu favorisé,
même avec un niveau de réussite moyen, alors que la prudence
domine face aux choix des jeunes de milieu plus populaire [...] les attentes
sont fondées sur les représentations, nécessairement
stéréotypées comme toute représentation, de
l'élève idéal, des élèves censés
réussir ou échouer et donc, sur toute une théorie
explicative implicite de l'échec scolaire, probablement
étayée par la vulgarisation des travaux sociologiques
eux-mêmes.] (Duru-Bellat, 2003, p. 57).