On ne fait jamais une recherche sans qu'il y ait
écho en soi de l'objet, avec une survalorisation affective de certains
éléments en relation avec son histoire personnelle.
Jean-Michel Berthelot
En tant que professionnel de l'orientation, il nous arrive
souvent de rencontrer des personnes qui semblent avoir vécu, à un
moment donné de leur scolarité, une orientation perturbée.
Plusieurs sources peuvent en être la cause (le manque d'informations,
l'indécision, vouloir plaire au parent, le manque de maturité,
influence d'autrui, pairs, parents, professeurs...). Mais ce qui retient plus
notre attention c'est le rôle que jouent les enseignants dans
l'orientation de leurs élèves. En effet, suivant les entretiens
d'orientation que nous menons dans les établissements scolaires, il
s'avère que certains enseignants étaient en grande partie
responsables des choix d'orientation de leurs élèves ; soit en
les encourageant, soit en les démotivant. En tant qu'éducateurs
très proches des élèves, possédant un pouvoir de
jugement, et en fonction de la réussite ou de l'échec de
l'élève dans la matière qu'ils enseignent, les enseignants
peuvent renvoyer à l'élève (de manière souvent
inconsciente) un reflet de lui-même plus ou moins valorisant. Ceci peut
influencer l''image que l'élève se fait de lui-même et par
conséquent contribuer à la construction de son identité.
Ainsi certains parcours d'orientation peuvent se voir bouleversés par un
professeur non avisé des conséquences de sa pratique sur le
devenir scolaire et professionnel de ses élèves.
Comme le rappelle le rapport du Haut Conseil de l'Education
en France sur l'orientation scolaire de 2008, l'orientation est
étroitement liée à la pédagogie et à la
démarche d'évaluation. De ce fait, les enseignants ont donc
« un rôle naturel et essentiel » dans le processus
d'orientation des élèves. D'autant plus que leurs attentes
construites en fonction de certaines informations, représentations et
stéréotypes relatifs aux résultats scolaires, au sexe de
l'élève, à la catégorie sociale associée
à la réussite ou à l'échec... sont aussi
déterminantes (Mangard et Channouf, 2007, Pelletier, 2004).
Par ailleurs, et en tant que conseiller en orientation,
exerçant dans un district scolaire se composant de deux collèges
et un lycée, nous avons souvent l'occasion de rencontrer des
professeurs, de discuter avec eux des problématiques de l'orientation,
des choix des élèves. Mais c'est surtout lors des conseils de
classe réservés à l'orientation qu'on peut voir
émerger des positions, des opinions, des croyances et des
représentations à l'égard de l'orientation des
élèves. Ce que nous avons pu constater lors de ces conseils,
c'est que généralement les
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enseignants se prononcent sur l'orientation des
élèves en se basant principalement sur les notes scolaires de
leurs élèves. Quand celles-ci sont en adéquation avec le
choix d'orientation de l'élève (selon nos constats,
l'adéquation pour les professeurs revient, à ce que les meilleurs
élèves doivent suivre une filière scientifique et les
faibles une filière littéraire), on lui accorde automatiquement
son choix sans tenir compte d'autres informations susceptibles
d'infléchir les décisions d'orientation. Quand c'est l'inverse ou
quand il s'agit des élèves moyens faibles, une brève
discussion peut alors avoir lieu. Quelques professeurs se trouvent
obligés d'aller voir la photo de l'élève, et on peut se
demander ici : comment peut-on délibérer sur le choix
d'orientation d'un élève qu'on ne connaît pas ? D'autres,
font ressortir des critères, des positions, des attitudes pour
décider de l'orientation de l'élève, tels que : la
conduite disciplinaire (on a tendance à juger défavorablement les
choix de certains élèves vu leurs cas disciplinaires),
l'état de santé... Mais surtout quand il s'agit d'un
élève dont on connaît les parents (professeur au
collège, ami d'un des professeurs présents dans le conseil), on
s'attarde, souvent, sur le choix exprimé par cet élève
pour veiller à ce que la décision d'orientation n'aille pas
à l'encontre des attentes des parents. Nous nous retrouvons donc devant
des situations où, à dossier scolaire identique des
élèves peuvent être orientés différemment.
N'est-il pas là un traitement inégalitaire des voeux
d'orientation des élèves ? N'interviennent-ils pas là
d'autres facteurs personnels, subjectifs outre que la valeur scolaire de
l'élève dans les décisions d'orientation ?
Dans le même ordre d'idées, nous avons eu
l'occasion, dans le cadre d'un projet ministériel visant l'instauration
d'un système efficient d'information et d'orientation au Maroc
(Programme d'Urgence 2009-2012), d'assurer une formation continue sur
l'orientation scolaire au profit d'une soixantaine de professeurs de
collège et lycée. Lors de ces sessions de formation, nous nous
sommes confronté à une résistance, un refus de la part
d'un certain nombre d'enseignants. Ceux-ci, lorsqu'on leur avait demandé
d'exprimer leurs attentes à l'égard de la formation, nous ont
répondu qu'ils assistaient à la formation par obligation
administrative et que ce domaine n'est pas le leur ; « c'est l'affaire des
conseillers en orientation ! ». Nous avons été surpris
d'entendre de telle déclaration. Suite aux ateliers de formation, il
nous est apparu que ces enseignants ont une représentation très
réductrice de la notion d'orientation et de leur rôle dans
l'orientation des élèves. Nous avons eu l'occasion aussi de
travailler avec une équipe ministérielle à la conception,
l'élaboration et l'expérimentation d'un guide des
activités d'information et de l'aide à l'orientation. Lors de
l'expérimentation du dit guide dans les établissements scolaires,
nous avons aussi constaté qu'un nombre important des enseignants ignore
leur rôle dans le processus d'orientation des
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élèves. Pourtant ils y sont partie prenante
puisqu'ils doivent décider du devenir scolaire de l'élève
lors des conseils d'orientation.
Suite à tous ces constats, il nous a paru
intéressant de mener une recherche auprès de ces enseignants pour
identifier et analyser la façon dont ils se représentent, en
général, le domaine de l'orientation et en particulier
l'orientation de leurs élèves. Il serait question d'investiguer
les représentations qui influencent les positions des enseignants quand
ils apportent une aide à l'orientation ou quand ils sont amenés
à se prononcer sur les choix d'orientation des élèves. Tel
est l'objet de cette recherche qui se veut une recherche exploratoire sur la
pratique enseignante en matière d'orientation scolaire sous l'angle des
représentations sociales.
Notre recherche se structure da la façon suivante :
d'abord nous allons aborder le cadre problématique en explicitant, en
premier lieu, l'émergence de l'objet de recherche et, en deuxième
lieu, nous allons définir la problématique de la recherche.
Ensuite, et pour situer le contexte de notre recherche, un aperçu sur le
système d'éducation et d'orientation au Maroc sera
présenté. Une troisième partie constituera notre apport
théorique dont il sera question d'avancer les notions utilisées
pour orienter notre démarche de recherche. Nous développerons,
particulièrement, un ensemble d'aspects relatifs aux deux notions
fondamentales de cette recherche en l'occurrence l'orientation scolaire et les
représentations sociales. Et enfin, en dernière partie, nous
exposerons l'approche méthodologique et les résultats de
l'enquête du terrain.