Nous avons voulu explorer les représentations sociales
que se font les enseignants à l'égard de l'orientation de leurs
élèves. Pour se faire, nous nous sommes posé quatre
questions de recherche qui nous ont guidées dans notre démarche
d'enquête par entretien semi-directif:
> Comment les enseignants se représentent-ils la
notion de l'orientation scolaire ?
> Pensent-ils qu'ils ont un rôle à jouer dans
l'orientation scolaire de leurs élèves ? Et comment ce rôle
se décline au niveau de leur pratique professionnelle?
> Comment se représentent-ils les
différentes filières scolaires après la troisième
collégiale ?
> Quelles sont les critères/indices que les
enseignants ont-ils tendance à utiliser pour se prononcer sur
l'orientation de tel ou tel élève ?
« Lorsqu'on étudie des représentations,
les catégories peuvent être des composantes voire des
sous-composantes de ces représentations. Ainsi elle exprime des
attitudes à l'égard d'un objet, des descriptions de l'objet des
relations avec d'autres objets ». (Moliner et al., 2002, p. 91).
Les réponses donc aux questions de recherches seront
synthétisées suivant les thèmes et les catégories
de notre grille d'analyse thématique ainsi que les résultats de
l'activité proposée aux enquêtés. Rappelons que les
pratiques enseignantes en matière d'orientation décrites dans
cette recherche sont exclusivement rapportées par les
enquêtés.
Thème n°1 : la notion de
l'orientation
Globalement, la majorité des enseignants
enquêtés s'accordent, en premier lieu, à définir
l'orientation en se rapportant à l'action propre à
l'élève ; c'est un choix à faire et/ou une direction
à suivre dans le cheminement de sa scolarité. En second lieu,
c'est au niveau de l'action partagée pour orienter l'élève
que se situent les acceptions de l'orientation pour les enseignants
enquêtés. Signalons, ici, qu'à l'exception de l'enseignant
de l'histoire-géo, les enquêtés n'ont parlé,
à aucun moment des entretiens, de l'aide à l'orientation des
élèves. Pour eux l'orientation consiste soit à faire un
choix, soit à orienter l'élève (et non pas l'aider
à s'orienter), soit les deux. Ceci peut être expliqué par
le fait que l'enseignant en question, en plus de la formation qu'il a suivi
dans le domaine de l'orientation, est le seul parmi tous les
enquêtés qui a déclaré avoir participé
à des activités d'aide à l'orientation des
élèves. Ceci nous fait penser à la relation dialectique
entre les représentations sociales et les pratiques sociales (Abric,
2011).
119
Thème n°2 : les facteurs influençant
l'orientation
Par rapport aux facteurs influençant le choix
d'orientation de l'élève, nous avons constaté que la
catégorie contenant les facteurs relatifs au contexte scolaire et
professionnel est la plus représentative des catégories
(influence des camardes de classes, possibilités d'insertion
professionnelle, l' « effet de mode » de s'orienter en scientifique,
effet maître, manque d'encadrement en orientation). Vient ensuite la
catégorie relative au contexte familial les (parents,
l'expérience de la fratrie) et en dernière position la
catégorie regroupant des facteurs liés aux
caractéristiques personnelles de l'élève (peur des
mathématiques, le modèle, délaissement de certaines
disciplines). Partant de notre cadrage théorique des facteurs
influençant le choix d'orientation des élèves, il
paraît qu'un certain nombre de ces facteurs ne sont pas pris en
considération par les enquêtés. En effet, l'influence de
l'origine sociale, l'âge, le redoublement et le genre sur le choix
d'orientation n'ont été cités par aucun
enquêté. Ceci peut être expliqué par le contexte
différent de la production des recherches scientifiques sur
l'orientation des élèves. D'ailleurs, Heyneman et Loxley (1983
cité dans Duru-Bellat, 2003) ont montré que certaines variables,
telle que l'origine sociale, expliquant l'inégalité sociale face
à l'école dans les pays industrialisés, n'ont pas le
même pouvoir explicatif dans les pays en voie de développement.
Ils avancent que d'autres variables doivent être mises en avant pour
expliquer ces inégalités, notamment les ressources
matérielles destinées à l'enseignement. Celles-ci
n'apparaissent pas, non plus, dans le discours des enseignants sur les facteurs
influençant le choix d'orientation des élèves. Il semble
que les enseignants enquêtés n'ont pas assez de recul pour pouvoir
développer une vision plus globale de tous ces facteurs.
Thème n°3 : les représentations des
différentes filières scolaires après la
troisième
Concernant les connaissances qui ont les
enquêtés du système d'orientation, nous avons
constaté que la majorité n'a pas le recul nécessaire pour
répondre à la question portant sur les filières
après la troisième. Leur connaissance des filières
scolaires après la troisième paraît rudimentaire et non
actualisée. Ses filières scolaires sont
généralement réduites aux deux filières
dichotomiques ; les lettres et les sciences. Globalement, ce sont les
enseignants des disciplines dites de découvertes et ceux qui n'ont pas
la classe de troisième qui ont affiché clairement leur
méconnaissance du domaine d'orientation. Ceci peut être
expliqué par leur implication plus au moins forte dans les
décisions d'orientation de fin d'année. Cette implication est
elle-même conditionnée par la position qu'occupent leurs
disciplines
120
consécutives dans la hiérarchie des disciplines
qualifiantes à l'une ou l'autre filière scolaire. Cela
étant, nous pouvons avancer, sans trop de risque, que les enseignants
enquêtés, ne seront pas en mesure d'apporter une aide efficace aux
élèves en matière d'orientation, encore moins prendre des
décisions d'orientation bien fondées. Il est probable donc que
ces décisions soient entachées d'une certaine subjectivité
résultat, pour partie, des représentations sociales que ces
enseignants mettent en oeuvre pour appréhender un objet peu connu (les
filières et branches scolaires après la troisième). Par
rapport à ces représentations sociales, nous avons
identifié principalement celles en rapport avec les prérequis
retenus et le profil dressé pour les deux types d'orientation
dichotomiques ; l'orientation scientifique et l'orientation
littéraire.
Représentations de l'orientation scientifique :
Prérequis pour une orientation scientifique:
Les prérequis mis en avant par les enseignants pour
qu'un élève accède à une filière
scientifique sont au nombre de six. Ceux relatifs aux bonnes notes en
matières scientifiques (mathématiques, physique et sciences
naturelles) constituent un élément central sur lequel s'accorde
la majorité des enquêtés. Viennent ensuite les
prérequis relatifs aux intérêts et penchants scientifiques
et la compréhension des textes et lois scientifiques. Nous avons
relevé trois autres prérequis, quoiqu'avec une seule voix pour
chacun, qui peuvent appartenir aux éléments
périphériques composant les représentations sociales des
enseignants quant aux prérequis pour une orientation scientifique. Il
s'agit de la capacité à résoudre des problèmes, la
maîtrise du français et la maîtrise de la langue d'une
manière générale.
Profil d'un élève scientifique
:
L'ensemble des caractéristiques d'un
élève à profil scientifique citées par les
enseignants relèvent de deux catégories. La première
concerne les qualifications personnelles et la deuxième concerne les
qualifications disciplinaires. Nous avons relevé que les deux tiers des
caractéristiques du profil scientifique sont regroupées dans la
catégorie des qualifications personnelles. Le tiers restant est
regroupé dans la catégorie des qualifications disciplinaires.
Dans la première catégorie, le raisonnement
logico-déductif est la qualification la plus mise en avant pour
caractériser un profil scientifique (cité par la moitié
des enquêtés). Vient en deuxième position la qualification
de la rapidité. En troisième position, nous avons les
qualifications suivantes : l'esprit et le réflexe scientifique, le sens
d l'analyse, de l'observation et de détection avec deux voix pour
chacune. Et en dernière position, se situent les qualifications
relatives au sens critique, à la persévérance et à
l'intelligence.
121
Concernant la deuxième catégorie, le fait de
s'intéresser souvent à l'objectif et l'essentiel des choses
caractérise, pour presque la moitié des enquêtés,
l'élève à profil scientifique. Trois autres qualifications
disciplinaires viennent compléter ce profil: le fait d'avoir de bonnes
notes, d'être capable de réaliser un graphe et de se
désintéressé des matières littéraires.
Cependant, nous avons relevé chez deux enseignants (technologie et
histoire-géo) des positions nettement distinctes de celles des autres
enseignants. Pour l'enseignant de la technologie, il est difficile d'identifier
le profil d'un élève en l'absence d'un test élaboré
spécialement à cette fin. Quant à l'engeignant de
l'histoire-géo, les élèves fréquentant son
établissement scolaire ne sont ni littéraires ni scientifiques et
ce, parce que, selon lui, ils sont socialement défavorisés.
Représentations de l'orientation
littéraire :
Prérequis pour une orientation littéraire
:
Pour les prérequis d'une orientation
littéraire, nous avons relevé que les enseignants s'accordent, en
général, à considérer que l'élève
souhaitant s'orienter en lettres, doit avoir de bonnes notes dans les
disciplines littéraires et maîtrise les langues. Le tiers des
enquêtés ont évoqué aussi le rôle des
intérêts littéraires (poésie,
théâtre...) dans la poursuite des études de
l'élève en branche littéraire. D'autres prérequis
ont été cités par les enquêtés : être
habitué à lire des livres, avoir une capacité de
rédaction et d'analyse en histoire-géo et enfin avoir une culture
générale.
Globalement, tout comme les prérequis d'une
orientation scientifique, ceux d'une orientation littéraire sont souvent
ramenés aux bonnes notes dans les disciplines de qualification. Il
semble donc que les enseignants, en l'absence d'une alternative susceptible de
juger objectivement les aptitudes des élèves, se voient
contraints de regarder du côté des notes disciplinaires, seules
informations qui leur paraissent plus ou moins objectives et socialement
désirées. Nous avons pu constater aussi que les enseignants ont
tendance à opérer une sorte de hiérarchisation des
filières scolaires après la troisième. Ils mettent, de ce
fait, la filière scientifique en première place et la
filière littéraire en seconde.
122
Profil d'un élève littéraire
:
A l'opposé de la description faite par les enseignants
du profil scientifique, celle faite pour le profil littéraire est moins
abondante en matière d'informations, indices ou critères. De
plus, cette description s'organise beaucoup plus autour des qualifications
disciplinaires. Il semble donc que les enseignants enquêtés
éprouvent une certaine difficulté à dresser un profil
littéraire en dehors des qualifications disciplinaires (le fait
d'utiliser beaucoup de détails et d'informations dans l'explication des
choses, la capacité d'analyse littéraire, la capacité
d'apprendre par coeur).
Concernant les qualifications personnelles de
l'élève littéraire, nous avons constaté qu'elles
sont plus au moins hétérogènes à tel point que deux
enquêtés au plus s'accordent sur une même qualification. En
effet, nous avons relevé les qualifications relatives à la
capacité discursive et la communication avec deux voix chacune. Vient
après, avec une seul voix chacune, les qualifications suivantes :
l'amour de la lecture qui est indispensable pour un littéraire, le sens
critique, le fait de s'exprimer souvent par ses émotions et d'avoir ses
propres productions littéraires.
Thème n°4 : la pratique enseignante en
matière d'orientation scolaire
Les catégories relevant de ce thème sont
conçues à partir des questions du guide d'entretien. Il s'agit du
rôle des enseignants dans l'orientation scolaire, leur influence sur les
choix des élèves, leurs démarches d'aide à
l'orientation, les critères qu'ils retiennent pour se prononcer sur
l'orientation des élèves, leur évaluation de la
procédure d'orientation et leurs propositions quant à
l'amélioration des pratiques enseignantes en matière
d'orientation.
Rôle dans l'orientation des élèves
:
Les positions des enseignants vis-à-vis de leur
rôle dans l'orientation des élèves sont très
différentes. Elles varient d'un rejet catégorique de ce
rôle à une reconnaissance délibérée voire
même une responsabilité affirmée de l'enseignant dans
l'orientation de ses élèves. Cette variation semble être
conditionnée à la fois par la place qu'occupe chaque discipline
dans la hiérarchie des disciplines qualifiantes (à l'une ou
l'autre orientation) et par le fait d'enseigner ou non en classe de
troisième (premier palier d'orientation). Certains enseignants (ceux des
disciplines de découverte) affirment donc qu'ils n'ont aucun rôle
à jouer dans l'orientation ou du moins leur rôle serait
limité ou secondaire. Ils justifient cette position en évoquant
soit le manque d'informations et/ou de formations dans ce domaine soit
l'existence d'une personne
123
responsable de l'orientation scolaire (le conseiller en
orientation). D'autres enseignants (ceux des disciplines scientifiques et
littéraires), qui se sentent impliqués dans l'orientation de
leurs élèves, considèrent l'enseignant comme étant
le premier responsable de l'échec scolaire dans le cas d'une orientation
inadaptée de l'élève. D'autres poussent plus loin leur
réflexion en considérant que l'aide à l'orientation des
élèves est tout simplement un « devoir
professionnel» (enseignant de l'éducation islamique).
Quoique certains enseignants confirment leur rôle
important dans l'orientation des élèves, il reste qu'une bonne
partie considère ce rôle plutôt secondaire. En d'autres
termes, ils n'interviennent dans l'orientation de l'élève que
sous la demande de celui-ci et généralement à titre
consultatif.
Influence sur le choix d'orientation :
En réponse à la question concernant l'influence
des enseignants sur le choix d'orientation des élèves, nous avons
pu identifier deux types d'influence ; directe et indirecte. L'influence est
indirecte quand les enseignants affirment par exemple que la notation ne
reflète pas le niveau de l'élève ou quand ils
mènent une pédagogie d'enseignement/apprentissage susceptible de
rendre leurs disciplines appréciables. Concernant l'influence directe,
cinq enseignants parmi douze reconnaissent leur statut de personnes ressources
vers lesquelles les élèves se tournent pour demander de l'aide
à l'orientation. D'autant plus que « les enfants de milieu
populaire visent moins haut (notamment quand ils sont de niveau scolaire
médiocre), ou se rallient plus volontiers aux conseils, par ailleurs
plus prudents, de leurs enseignants. » (Duru-Bellat, 2003, p. 27).
Généralement, les enseignants enquêtés s'accordent
à considérer leur influence sur l'orientation des
élèves beaucoup plus indirecte.
Démarches d'aide à l'orientation
:
Selon les enseignants, les actions entreprises lorsqu'un
élève a besoin d'une aide à l'orientation sont de quatre
types : donner des conseils aux élèves (constitue 48.46% de leur
démarche d'aide à l'orientation), la vérification des
capacités des élèves (23.8%), s'informer sur
l'élève (16.5%) et informer l'élève (12.31%). Les
conseils que donnent les enseignants aux élèves se rapportent,
pour la grande partie, à la façon d'envisager leur choix
d'orientation. Ces conseils peuvent être donnés à partir de
l'expérience de l'enseignant et celle de son entourage. D'autres
conseils sont cités par un ou deux enseignants tels que l'encouragement
à solliciter
124
l'aide de tous ses professeurs dans son choix d'orientation,
l'incitation à travailler dans toutes les disciplines et à faire
plus d'exercices.
Par rapport à la vérification des
capacités des élèves à suivre telle ou telle
filière scolaire, nous avons relevé que les enquêtés
s'accordent en premier lieu sur la démarche d'observation du
comportement de l'élève en classe. En second lieu, cette
vérification s'accomplit à travers la passation d'un test
d'évaluation. Retenons, ici, que la démarche d'aide à
l'orientation entreprise par les enseignants enquêtés consiste
essentiellement à conseiller l'élève. Ceci confirme, en
grande partie, les déclarations de ces enseignants concernant leur
rôle dans l'orientation des élèves. Ceci est d'autant plus
vrai qu'une partie des enquêtes a déclaré ne pas avoir
assez de recul pour appréhender les différentes
possibilités et exigences des études après la
troisième. De plus, certains enquêtés, ont
éprouvé un énorme besoin en matière d'information
et de formation en orientation scolaire.
Critères retenus pour se prononcer sur
l'orientation d'un élève :
Pour éclairer davantage ces éléments et
ces aspects déjà identifiés dans les thèmes
précédents nous avons exploré, en profondeur, les
éléments qui nous semblent centraux dans la pratique enseignante
en matière d'orientation. Il s'agit, précisément, des
critères que retiennent ces enseignants pour se prononcer sur
l'orientation des élèves. Pour se faire, nous leur avons, d'une
part, posé une question directe lors des entretiens « Quelles
sont les critères/indices sur lesquelles vous vous basez pour se
prononcer sur l'orientation de tel ou tel élève ? » et,
d'autre part, proposé une activité dont ils étaient
amenés à choisir les critères qui leur paraissent plus
pertinents pour prendre des décisions d'orientation.
Suite à l'analyse de contenu des discours produits par
les enquêtés en réponse à la question ci-haut, nous
avons identifié deux catégories de critères : la
catégorie des critères disciplinaires (huit critères) et
celle des critères relatifs au choix d'orientation de
l'élève (4 critères). Outre les critères relatifs
aux notes scolaires (largement retenus par les enquêtés), nous
avons relevé les critères suivants (retenus par au moins six
enquêtés) : le niveau dans les disciplines de qualification,
l'aisance dans l'apprentissage de la discipline, les autres critères
sont généralement hétérogènes. Nous avons
remarqué aussi que les enseignants ont cité deux fois plus des
critères relevant de la première catégorie que ceux
relevant de la deuxième. Les critères disciplinaires semblent
donc beaucoup plus retenus par les enseignants pour décider de
l'orientation de leurs élèves.
125
Bien que la majorité des enquêtés
reconnaissent l'influence de la note scolaire sur le choix d'orientation (selon
eux cette note ne reflète pas le niveau réel de
l'élève), ils n'hésitent pas, en revanche, à la
prendre pour le critère le plus retenu dans les décisions
d'orientation. Il nous semble, dans ce cas, qu'au regard de la note scolaire,
les enseignants ont deux attitudes opposées. D'une part ils nient sa
validité prédictive et, d'autre part, ils considèrent
qu'elle constitue le seul critère plus au moins objectif sur lequel ils
peuvent se baser pour prendre des décisions d'orientation. Ce
résultat a été confirmé une fois de plus suite
à l'analyse des données recueillies de l'activité. En
effet, en présence d'environ 40% des critères de nature
différente de la note chiffrée, nous avons relevé que
presque trois-quarts des critères retenus par les enquêtés,
pour établir les scénarios d'orientation, sont sous forme d'une
note chiffrée. Le quart restant est partagé entre les
critères relatifs aux statuts socio-économiques avec 15.36%, aux
voeux d'orientation avec 7.81% et au genre avec 1.04%. Cette répartition
est observée, avec une légère différence, aussi
bien pour les scénarios scientifiques que pour les scénarios
littéraires. La position qu'occupe la note chiffrée par rapport
aux autres types de critères peut être expliquée, nous
l'avons vu, par l'absence d'une alternative permettant aux enseignants de juger
objectivement les aptitudes des élèves. Ils se voient donc
contraints de regarder du côté des notes disciplinaires, seules
informations qui leur paraissent plus ou moins objectives et socialement
désirées.
Généralement, en matière de disciplines
qualifiantes à l'une ou l'autre orientation, les enseignants choisissent
pour les scientifiques d'abord les mathématiques puis la physique et
ensuite les sciences naturelles et pour les littéraires l'arabe ou le
français puis l'histoire-géo. Par rapport à la discipline
du français, il apparaît que les enseignants des disciplines
scientifiques ne l'ont pas introduite comme discipline importante pour
l'orientation scientifique (ne figure pas dans leurs premiers scénarios
établis) contrairement aux enseignants des disciplines
littéraires. Exception faite pour l'enseignant du français qui,
en plus des mathématiques et de la physique, a
préféré mettre un critère relatif aux jeux
vidéo et un autre relatif à la moyenne générale.
Au-delà des trois premiers critères sur
lesquels les enseignants s'accordent généralement dans les
scénarios scientifiques, les différences commencent à
s'observer d'un enseignant à l'autre au niveau du quatrième
critère retenu. Certains enseignants ont mis la note en français.
D'autres ont mis la moyenne générale. L'enseignant des
mathématiques a mis le soutien scolaire et les deux enseignants de
physique ont mis le choix d'orientation et la note en
126
français. Les enseignants des sciences naturelles, du
français et de l'éducation musicale ont mis respectivement le
choix d'orientation, la moyenne générale et l'inscription aux
conservatoires.
Pour les scénarios littéraires, les deux
critères relatifs à la note en arabe et à la note en
français sont souvent alternés entre la première et la
deuxième position dans le classement des critères retenus par les
enseignants. La note en histoire-géo occupe généralement
la troisième position. Comme dans les scénarios scientifiques, le
quatrième critère semble varier d'un enseignant à un
autre. De manière générale, c'est lorsque l'on a
épuisé les critères relatifs aux notes moyennes et
moyennement faibles pour établir les premiers scénarios que les
enseignants ont commencé à intégrer en nombre croissant
d'autres critères de nature différente dans le reste des
scénarios.
Par rapport aux critères relatifs aux voeux
d'orientation, nous avons relevé qu'ils représentent 15.36% du
total des critères retenus par les enseignants pour établir les
scénarios demandés. Ces critères sont retenus aussi bien
dans les scénarios littéraires que scientifiques avec une
légère augmentation au niveau de ces derniers. Encore mieux,
trois enseignants (de disciplines scientifiques) les avaient retenus pour les
premiers scénarios scientifiques et littéraires. Il paraît
donc que le voeu d'orientation constitue chez certains enseignants un
critère essentiel pour prédire la réussite scolaire des
élèves alors que pour d'autres, il est moins important voire sans
intérêt (enseignant de la technologie). Cela rejoint les propos de
certains enseignants désirant travailler selon l'ancienne
procédure d'orientation qui confie à l'enseignant la prise des
décisions d'orientation de l'élève et que le voeu de
celui-ci n'y est que facultatif.
A part les critères « participe à l'aide
aux devoirs du collège », « passionné de
littérature », « fait du théâtre », «
inscrit au conservatoire » et « il a une bourse » qui ont
été retenus différemment par au moins quatre
enquêtés, les autres critères socio-économiques
(aime la natation, fait du théâtre, fait de la boxe, regarde des
séries télévisées, fait du shopping, se balade en
ville avec ses amis, aime les jeux vidéo) n'ont été
retenus que par un ou deux enquêtés. Le critère « joue
au foot », quant à lui, n'a été retenu par aucun
enseignant. Ceci peut voir plusieurs explications. Nous en proposant deux.
D'abord, il nous semble qu'aux yeux des enseignants enquêtés, les
critères socio-économiques qui ont trait aux
intérêts et capacités disciplinaires (largement
évoqués par les enseignants lors des entretiens) sont plus
informatifs sur le profil scolaire de l'élève que les autres
critères. Ensuite, il est possible que
127
cette différence observée soit imputée,
pour partie, au contexte social de l'établissement scolaire. En effet,
celui-ci est fréquenté généralement par un public
défavorisé et ce genre d'informations (les autres critères
socio-économiques) ne semble pas éclairer les enseignants sur ce
qui peut aider l'élève à poursuivre ses études
aussi bien en lettres qu'en sciences. Par contre le fait d'avoir une bourse ou
faire des cours de soutien ou être passionné de la
littérature peut représenter dans le contexte marocain une aide
considérable pour qu'un élève de ce milieu scolaire
poursuive ses études dans de meilleures conditions. De même, les
critères relatifs au genre paraissent eux aussi moins informatifs et ne
suscitent chez les enquêtés qu'un intérêt très
minime. Pour eux, être fille ou garçon ne semble pas conditionner
la nature des études à entreprendre après la
troisième collégiale.
Tous ces résultats nous permettent d'avancer que dans
le contexte marocain, les représentations
stéréotypées relatives au genre et aux statuts
socio-économiques (Channouf et al., 2005) ne se manifestent pas
, nous semble-t-il, de la même manière que dans le contexte
européen. Résultats qui doivent être analysés en
profondeur dans d'autres études à portée plus
généralisatrice.
Globalement, les trois premiers critères retenus aussi
bien dans les scénarios scientifiques que littéraires marquent
une certaine stabilité. Nous ne pouvons avancer que ces trois
critères (notes dans les disciplines qualifiantes à l'une ou
l'autre orientation) constituent les éléments centraux autour
desquels se forgent les représentations sociales des enseignants quant
aux critères retenus pour prendre des décisions d'orientation.
L'hétérogénéité observée dès
le quatrième critère à mettre (alors qu'il reste douze
autres critères à sélectionner) témoigne de la
diversité des approches personnelles que peuvent faire les enseignants
en l'absence des critères objectifs ou des critères reconnus et
désirés socialement. Ces critères peuvent constituer les
éléments périphériques de ces
représentations sociales.
Évaluation de la procédure administrative
d'orientation :
Les appréciations des enseignants quant à la
procédure d'orientation sont, généralement,
défavorables (elle est jugée inappropriée, insuffisante,
injuste, sans utilité...).
Quand les enseignants émettent ces jugements
défavorables à l'encontre de la procédure d'orientation,
ils pensent, particulièrement, au fonctionnement du conseil
d'orientation. En effet, certains enquêtés ont mentionné
plusieurs inconvénients qui entravent son bon fonctionnement (le voeu de
l'élève qui prévaut, un conseil juste pour la forme, les
notes
128
comptent plus, faible prise en compte de l'avis de
l'enseignant et les risques d'erreurs qui peuvent « jalonner le
parcours scolaire de l'élève »). Ceci semble accentuer
les inégalités sociales face à l'orientation des
élèves. Par rapport à ce dernier point, des
enquêtés ont attiré l'attention sur le contexte
inégalitaire dans lequel se déroule la procédure
d'orientation. Ils observent, par exemple, qu'une partie importante des
élèves de leur établissement (contexte socialement
défavorisé) remplissent les fiches de voeux sans avoir recours
à leurs parents ou à une personne susceptible de les aider. Ils
les remplissent généralement en classe avec leur camarade
(problème d'influence des camarades sur les demandes d'orientation qui
peut conduire soit à une auto-sélection soit à ou une
demande plus ambitieuse). Cette auto-sélection fait partie d'un ensemble
de biais sociaux entourant les demandes d'orientation (Duru-Bellat, 2002). De
plus les conseils d'orientation ont tendance à entériner ces
demandes au lieu de chercher à tirer vers le haut les ambitions
scolaires et professionnelles des élèves.
Amélioration des pratiques enseignantes en
orientation :
Les propositions d'amélioration de la pratique
enseignante en matière d'orientation se déploient sur trois
niveaux : le premier niveau contient des propositions relatives à
l'amélioration de la procédure d'orientation. Cette
amélioration passe, pour certains enseignants enquêtés par
le recours à l'ancienne procédure d'orientation. Une
procédure qui, selon eux, confère à l'enseignant un
rôle déterminant dans la prise des décisions d'orientation.
Le deuxième niveau regroupe les propositions qui ont trait à
l'encadrement des élèves dans leur processus d'orientation
(accompagnement, aide, présence permanente d'un orienteur dans
l'établissement scolaire). Le troisième et dernier niveau
concerne la satisfaction des besoins des enquêtés en
matière de formation/information en orientation.
Globalement, les propositions d'amélioration de la
pratique enseignante en matière d'orientation sont relativement
différentes d'un enseignant à un autre. Ceci témoigne du
caractère complexe du domaine de l'orientation nécessitant une
multitude d'entrées éducatives susceptibles de mettre en place
une pratique pertinente de l'aide à l'orientation des
élèves.