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Conclusion et perspectives
Arrivé au terme de ce travail, nous allons, tout
d'abord, rappelé les principaux éléments de notre
démarche de recherche. Ensuite, nous reprenons, succinctement, les
résultats les plus significatifs par rapport à notre
problématique de recherche. Enfin, tout en rappelant les limites de
notre démarche d'enquête, nous indiquerons quelques perspectives
de recherche.
Rappelons-nous que la question problématique de cette
recherche est la suivante : « dans un contexte différent que celui
de l'Europe en l'occurrence le contexte marocain, quelles seraient les
caractéristiques des représentations sociales, que se font les
enseignants à l'égard de l'orientation de leurs
élèves ? ». Ainsi, notre objectif de recherche consiste
à explorer les caractéristiques des représentations
sociales que se font les enseignants à l'égard de l'orientation
de leurs élèves. Nous avons donc mené une enquête
auprès d'un échantillon constitué de douze enseignants, de
disciplines différentes, exerçant dans un collège à
la ville de Marrakech. Notre démarche d'enquête a
été menée en deux phases. La première phase
consiste à réaliser un entretien semi-directif avec les
enseignants enquêtés. Quant à la deuxième phase,
elle porte sur une activité (méthode de cas) à
réaliser par les enquêtés.
Tout au long de notre recherche nous avons cherché donc
à repérer les éléments composants l'environnement
représentationnel des enseignants quant à l'orientation de leurs
élèves. Après repérage de ces
éléments, nous avons analysé leurs caractéristiques
en matière de centralité et de périphérie dans la
représentation sociale des enseignants. En effet, il s'agissait de
mettre en exergue les éléments partagés par les
enseignants et qui ont trait à certains aspects de leur pratique
enseignante en matière d'orientation. Nous nous somme donc
intéressé particulièrement aux aspects suivants :
· La notion de l'orientation scolaire vue par les
enseignants (y compris leur connaissance du système d'orientation) ;
· Les facteurs qui influencent le choix d'orientation
des élèves ;
· Les représentations des différentes
filières après la troisième collégiale
(prérequis et profil des deux types d'orientation dichotomique,
scientifique et littéraire) ;
· Les pratiques enseignantes en matière
d'orientation (rôle en orientation des élèves,
influences sur leur orientation, critères retenus pour
prendre des décisions d'orientation, démarches d'aide à
l'orientation, évaluation de la procédure de l'orientation et
l'amélioration des pratiques enseignantes en orientation).
Après avoir analysé les données
recueillies, nous avons relevé que les enquêtés
appréhendent l'orientation généralement suivant deux
systèmes de représentation distincts mais
130
complémentaires : soit elle est définie en se
rapportant à l'action propre à l'élève (c'est un
choix à faire et/ou une direction à suivre dans le cheminement de
sa scolarité), soit c'est au niveau de l'action partagée pour
orienter l'élève que se situent les acceptions de l'orientation.
Signalons que la démarche d'aide à l'orientation des
élèves n'est soulevée que par un seul
enquêté. Pour eux, l'orientation consiste soit à faire un
choix, soit à orienter l'élève (et non pas l'aider
à s'orienter), soit les deux.
Par rapport aux facteurs influençant le choix
d'orientation de l'élève, nous avons constaté qu'ils sont
généralement relatifs au contexte scolaire et professionnel
(influence des camardes de classes, possibilités d'insertion
professionnelle, « l'effet de mode » de s'orienter en scientifique,
effet maître, manque d'encadrement en orientation).
Concernant les connaissances qu'ont les enquêtés
sur le système d'orientation, nous avons relevé qu'elles sont
rudimentaires et non actualisées. En effet, les filières
scolaires citées sont généralement réduites aux
deux filières dichotomiques ; les lettres et les sciences. Globalement,
les enseignants des disciplines dites de découvertes et ceux qui
n'enseignent pas en classe de troisième ont affiché clairement
leur méconnaissance du domaine d'orientation.
Tout comme les prérequis d'une orientation
scientifique, ceux d'une orientation littéraire sont souvent
ramenés aux bonnes notes dans les disciplines de qualification et, dans
une moindre mesure, aux intérêts de l'élève. Il
semble donc que les enseignants, en l'absence d'une alternative susceptible de
juger objectivement les aptitudes des élèves, se voient
contraints de regarder du côté des notes disciplinaires. Celles-ci
leur paraissent plus ou moins objectives et socialement
désirées.
Pour le profil scientifique, l'essentiel de ses
caractéristiques sont des qualifications personnelles : le raisonnement
logico-déductif est la qualification la plus mise en avant puis la
rapidité et d'autres qualifications (l'esprit et réflexe
scientifique, le sens d'analyse, d'observation et de détection, le sens
critique, la persévérance et l'intelligence). Les autres
qualifications sont disciplinaires (s'intéresser souvent à
l'objectif et l'essentiel des choses, avoir de bonnes notes, être capable
de réaliser un graphe, se désintéresser des
matières littéraires). Concernant le profil littéraire,
les enseignants s'accordent généralement à lui attribuer
plus de qualifications disciplinaires (le fait d'utiliser beaucoup de
détails et d'informations dans l'explication des choses, la
capacité d'analyse littéraire, la capacité d'apprendre par
coeur) que de qualifications personnelles.
131
Nous avons appréhendé la pratique enseignante en
matière d'orientation à partir des aspects suivants : d'abord, au
niveau du rôle que ces enquêtés s'attribuent dans
l'orientation des élèves. Il s'est avéré qu'ils en
ont des positions très variées. Ces positions varient d'un rejet
catégorique de ce rôle à une reconnaissance
délibérée voire même une responsabilité
affirmée de l'enseignant dans l'orientation de ses élèves.
Cette variation est conditionnée à la fois par la place qu'occupe
chaque discipline dans la hiérarchie des disciplines qualifiantes
(à l'une ou l'autre orientation) et par le fait d'enseigner ou non en
classe de troisième (premier palier d'orientation). Ensuite, au niveau
de leur influence sur le choix d'orientation de l'élève, les
enseignants se sont départagés. En effet, nous avons
relevé deux types d'influence ; directe et indirecte. Elle est directe
quand l'enseignant reconnaît son statut de personne ressource à
qui les élèves se tournent pour demander de l'aide à
l'orientation et indirecte quand il affirme par exemple que la notation ne
reflète pas le niveau de l'élève ou quand il mène
une pédagogie d'enseignement/apprentissage susceptible de rendre leurs
disciplines appréciables. Généralement, les enseignants
enquêtés s'accordent à considérer que leur influence
sur l'orientation des élèves est beaucoup plus indirecte.
Par rapport à la démarche d'aide à
l'orientation entreprise par les enseignants enquêtés, nous avons
relevé qu'elle consiste essentiellement à conseiller
l'élève (généralement sur la façon
d'envisager son choix d'orientation). Elle peut consister aussi à
vérifier les capacités des élèves à suivre
telle ou telle filière (à travers l'observation du comportement
de l'élève en classe et la passation d'un test
d'évaluation), à s'informer sur l'élève et à
l'informer.
En matière de critères retenus par les
enseignants pour se prononcer sur l'orientation de leurs élèves,
il nous est apparu qu'ils sont de deux types : les critères
disciplinaires qui semblent donc beaucoup plus retenus par les enseignants (les
notes scolaires, le niveau scolaire dans les disciplines de qualification,
l'aisance dans l'apprentissage de la discipline, les autres critères
sont généralement hétérogènes) et les
critères relatifs au choix d'orientation (voeux exprimés
d'orientation, projet scolaire et professionnel, les intérêts
dominants...). Bien que la majorité des enquêtés
reconnaît l'influence de la note scolaire sur le choix d'orientation
(selon eux, cette note ne reflète pas le niveau scolaire réel de
l'élève), elle n'hésite pas, à la prendre pour le
critère le plus retenu dans les décisions d'orientation. Il nous
semble, dans ce cas, qu'au regard de la note scolaire, les enseignants ont deux
attitudes opposées. D'une part ils nient sa validité
prédictive et, d'autre part, ils considèrent qu'elle constitue le
seul critère plus au moins objectif sur lequel ils peuvent se baser pour
prendre des décisions d'orientation. Ce résultat a
été confirmé une fois de plus suite à l'analyse des
données recueillies de l'activité.
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En effet, les trois premiers critères retenus aussi
bien dans les scénarios scientifiques que littéraires marquent
une certaine stabilité. Nous pouvons avancer que ces trois
critères (notes dans les disciplines qualifiantes à l'une ou
l'autre orientation) constituent les éléments centraux autour
desquels se forgent les représentations sociales des enseignants quant
aux critères retenus pour prendre des décisions d'orientation.
L'hétérogénéité observée dès
le quatrième critère à retenir (alors qu'il reste douze
autres critères à sélectionner) témoigne de la
diversité des approches personnelles que peuvent faire les enseignants
en l'absence des critères objectifs ou des critères reconnus et
désirés socialement. Ces critères peuvent constituer les
éléments périphériques de ces
représentations sociales.
De manière générale, c'est lorsqu'on a
épuisé les critères relatifs aux notes moyennes et
moyennement faibles, pour établir les premiers scénarios, que les
enseignants ont commencé à intégrer et en nombre croissant
d'autres critères de nature différente dans le reste des
scénarios. Tous ces résultats nous permettent d'avancer que dans
le contexte marocain, les représentations
stéréotypées relatives au genre et aux statuts
socioéconomiques (Channouf et al., 2005) ne se manifestent pas
, nous semble-t-il, de la même manière que dans le contexte
européen. Résultats qui doivent être analysés en
profondeur dans d'autres études à portée plus
généralisatrices et avec des outils plus précis.
Les appréciations des enseignants quant à la
procédure d'orientation sont, généralement,
défavorables (elle est jugée inappropriée, insuffisante,
injuste, sans utilité...) et leurs critiques s'adressent,
particulièrement, au fonctionnement du conseil d'orientation. En effet,
certains enquêtés ont mentionné plusieurs
inconvénients qui entravent son bon fonctionnement (le voeu de
l'élève prévaut plus, « un conseil juste pour la
forme », « les notes comptent plus », prise en
compte marginale de l'avis de l'enseignant et les risques d'erreurs qui peuvent
« jalonner le parcours scolaire de l'élève »).
Ceci semble accentuer les inégalités sociales face à
l'orientation des élèves. Par rapport à ce dernier point,
des enquêtés ont attiré l'attention sur le contexte
inégalitaire dans lequel se déroule la procédure
d'orientation. Ils observent, par exemple, qu'une partie importante des
élèves de leur établissement (contexte socialement
défavorisé) remplissent les fiches de voeux sans avoir recours
à leurs parents ou à une personne susceptible de les aider. Ils
les remplissent généralement en classe avec leurs camarades
(problème d'influence des camarades sur les demandes d'orientation qui
peut conduire soit à une autosélection soit à une demande
plus ambitieuse). Cette autosélection fait partie d'un ensemble de biais
sociaux entourant les demandes d'orientation (Duru-Bellat,
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2002). De plus, les conseils d'orientation ont tendance
à entériner ces demandes au lieu de chercher à tirer vers
le haut les ambitions scolaires et professionnelles des
élèves.
Globalement, les propositions d'amélioration de la
pratique enseignante en matière d'orientation sont relativement
différentes d'un enseignant à un autre (travailler suivant
l'ancienne procédure qui donne à l'enseignant le pouvoir de
décider de l'orientation de l'élève, accompagner les
élèves dans leur orientation, présence permanente d'un
orienteur dans l'établissement scolaire, formation et
information sur le domaine et les filières d'orientation). Ceci
témoigne du caractère complexe du domaine de l'orientation
nécessitant une multitude d'entrées éducatives
susceptibles de mettre en place une pratique pertinente d'aide à
l'orientation des élèves.
Bien que notre recherche ait permis de repérer le
contenu du système représentationnel des enseignants quant
à l'orientation de leurs élèves, elle doit être
prolongée par des investigations plus systématiques concernant
son contenu et sa structure interne. Ce prolongement nous permettra d'affiner
le repérage du noyau central et des éléments
périphériques et d'appréhender la nature des
éléments du noyau (normatifs et fonctionnels). En effet, cette
recherche ne constitue qu'une exploration de certains aspects du système
représentationnel de l'orientation des enseignants. L'exploitation et
l'analyse des données recueillies par entretien semi-directif et par
l'activité (la méthode de cas) ont montré la
nécessité de s'appuyer sur d'autres outils de recueil de
données permettant notamment l'appréciation de la
centralité de certains éléments composant la
représentation. Concernant nos données recueillies, nous estimons
qu'il serait judicieux de les exploiter davantage afin de mieux connaître
les éléments périphériques, qui par leur fonction
d'adaptation à la réalité permettent de concrétiser
les représentations et les dires (Abric, 2011) des enseignants. Ce
prolongement doit aussi recadrer le champ d'investigation et le centrer sur un
thème tel que : la notion d'orientation scolaire, les facteurs
influençant le choix d'orientation, le rôle de l'enseignant dans
l'orientation, sa démarche d'aide à l'orientation, les
critères qu'il retient pour prendre des décisions d'orientation,
etc. Enfin, il serait judicieux de déterminer la façon avec
laquelle ces représentations agissent sur les pratiques sociales et
professionnelles.
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