Pour étudier les représentations sociales, il
faut tout d'abord déterminer le niveau d'observation. S'agit-il du
niveau d'une société globale ou du niveau d'un groupe particulier
ou du niveau individuel. Chaque niveau d'observation sous-tend un
intérêt particulier dans l'étude des représentations
sociales. Dans le cadre de notre recherche, nous nous focaliserons sur
l'exploration des représentations au niveau d'un groupe particulier en
l'occurrence un groupe des enseignants exerçant dans un collège.
L'intérêt porté pour l'étude des
représentations de ce groupe sera précisément de
comprendre la structuration de la représentation (Moliner et al.,
2002).
Le groupe que nous allons étudier est pris pour un
groupe social car il s'agit « d'un ensemble d'individus interagissant les
uns avec les autres et placés dans une position commune vis-à-vis
d'un objet social. » (Idem., p. 21). Celui-ci se rapporte, dans
le cadre de notre recherche, à l'orientation des élèves.
De plus, les enseignants au collège, au travers leurs interactions
régulières, semblent occuper une position commune à
l'égard de l'orientation de par leurs pratiques comparables ainsi que
leurs niveaux d'intérêt et d'implications semblables
(Idem.). Dans le groupe social, les représentations sociales se
présentent, nous l'avons vu, sous forme « de connaissance,
socialement élaborée et partagée» (jodelet,
1989, p. 36). Ces connaissances ou savoirs, dans un groupe social
homogène, apparaissent beaucoup moins diversifiés (Moliner et
al., 2002) mais pas tout à fait semblables. Sur ce point, Moliner
(1993a
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cité par Moliner et al., 2002) affirme que les
objets sociaux sont « par nature polymorphes, composites ou complexes
» (p. 22). Ceci rend leur appréhension différenciée
et génère de ce fait une multitude d'expérience. Il
paraît donc qu'en matière de représentation sociale, un
objet social est appréhendé par les membres d'un groupe social
suivant quelques éléments (informatifs, cognitifs,
idéologiques, normatifs, valeurs, attitudes, images, opinions,
croyances... (Jodelet, 1989)) saillants qui sont unanimes pour eux et d'autres
mais moins importants relevant de l'expérience de chacun. En d'autres
termes, il est question d'une part, d'un ensemble réduit
d'éléments (qui font consensus dans le groupe et qui forme «
sa vision commune » (Moliner et al., 2002) encore appelé
noyau central chez Abric (1976, 1987 cité par Abric, 2011),
noyau figuratif chez Moscovici (1976) et, d'autre part, un ensemble
plus large d'éléments sur lesquels les membres du groupe se
départagent (Moliner et al., 2002), et qui correspond aux
éléments périphériques de la
représentation chez Abric (1976, 1987 cité par Abric, 2011). Mais
on se demande avec Moliner et al., (2002), comment les membres du
groupe social gardent cette vision commune rien qu'avec un petit nombre
d'éléments alors que le grand nombre d'éléments,
produit des expériences individuelles variées, est censé
départager les membres du groupe. Il nous semble que le petit nombre
d'éléments est doté d'un certain pouvoir unificateur, sans
pour autant contrarier le grand nombre, et des qualités
particulières permettant la définition de l'objet de la
représentation (Moliner et al., 2002). En d'autres termes, le
petit nombre d'éléments agit sur le grand nombre de telle sorte
à rendre la représentation sociale du groupe beaucoup plus
stable. Pour Abric (2011), dans sa théorie du noyau central, le petit
nombre d'éléments appelé noyau central est le
composant fondamental de la représentation, car « c'est lui qui
détermine à la fois la signification et l'organisation de la
représentation » (Idem., p. 28). Il a deux fonctions :
- Une fonction génératrice ou
signifiante (Moliner et al., 2002) : il crée ou
transforme la signification des autres éléments pour donner un
sens global de l'objet et le partager par les membres du groupe.
- Une fonction organisatrice : en déterminant
la nature de la relation logique entre chacun des éléments de la
représentation, il est l'élément unificateur et
stabilisateur de la représentation.
La variabilité des objets et des situations
d'interaction sociale fait que le noyau central se présente
selon deux dimensions :
- Une dimension fonctionnelle : là ou les
situations ont une finalité opératoire et dont le noyau
central de la représentation est constitué des
éléments (par exemple des images opératives) sans lesquels
on ne peut réaliser la tâche.
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- Une dimension normative : prenne forme dans les
situations où intervient directement le socio-affectif,
l'idéologique ou le sociale.
Quant au grand nombre d'éléments, il constitue
les éléments périphériques
(l'essentiel de la représentation) qui gravitent autour du
noyau central. Celui-ci détermine leurs valeurs, leurs
pondérations et leurs présences. Ces éléments se
positionnent à l'interface entre le noyau central et le monde
extérieur dont lequel fonctionne ou s'élabore la
représentation. De ce fait, ils sont les plus accessibles, les plus
concrets et les plus vivants. C'est à leur niveau que les informations
sont « retenues, sélectionnées et
interprétées, des jugements formulés à propos de
l'objet, et de son environnement, des stéréotypes et des
croyances. » (Abric, 2011, p. 33). Ces éléments
périphériques répondent à trois fonctions
essentielles :
- La fonction concrétisation : ils
matérialisent l'ancrage de la représentation à
travers l'intégration des éléments de la situation dans
laquelle se forme cette représentation. « ils disent le
présents et le vécu des sujets » (p. 33)
- La fonction régulation : les
éléments périphériques, de par leur
caractère souple, arrivent à adapter la représentation aux
évolutions de l'environnement. Ainsi, ils peuvent intégrer de
nouvelles informations même celles qui risquent de déstabiliser le
fondement de la représentation et ce, en minimisant leurs statuts ou en
rapprochant leurs sens à la signification centrale ou en leur traitant
en tant qu'exceptionnelles.
- La fonction défense : comme un «
pare-chocs » (Flament, 1987 cité par Abric, 2011), ils arrivent
à sauvegarder l'intégrité de la représentation.
Etant donné que le noyau central est généralement
stable, c'est à leur niveau que s'opèrent les éventuels
changements de la représentation.
Au-delà de ces fonctions, Flament (1987, 1988, 2011
cité par Abric, 2011) indique que ces éléments
périphériques, en tant que schèmes
organisés par le noyau central, ont un rôle
important dans le fonctionnement de la représentation. Pour lui, ces
schèmes constituent « une grille de décryptage
d'une situation » (Flament, 1989 cité par Abric, 2011, p. 34-35) et
leur importance résulte de trois fonctions :
- Ils sont prescripteurs des comportements (des
prises de position pour Abric (2011) du sujet. ils lui permettent de
réagir instantanément aux stimuli, sans avoir recours aux
significations centrales, suivant deux formes de comportement dichotomiques
(normal ou pas normal).
- Modulation personnalisée des
représentations et des conduites qui leur sont associées. C'est
dire qu'une représentation, bien qu'elle possède un noyau
central
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unique, peut se manifester différemment à
travers l'appropriation du système périphérique qui
diffère d'un individu à un autre. Toutefois, ces
différences deviennent possibles à condition qu'elles «
soient compatibles avec un même noyau central » (p. 35)
- Ils protègent, si besoin est, le noyau
central. C'est la fonction de défense relative aux
éléments périphériques. Cependant, Flament
(1987 cité par Abric, 2011) rajoute une particularité à
cette fonction. Pour lui, lorsqu'une représentation est
sévèrement atteinte et donc la stabilité de son noyau dur
est menacée, les schèmes prescrivant le normal de ce qui
ne l'est pas se transforment en schèmes étranges.
Ceux-ci sont définis par quatre composantes : « le rappel du
normal, la désignation de l'élément étranger,
l'affirmation d'une contradiction entre ces deux termes, l'appropriation d'une
certaine rationalisation permettant de supporter (pour un temps) la
contradiction » (Flament, 1987 cité par Abric, 2011, p. 35).
Au terme de cet exposé sur la théorie des
représentations sociales, nous pouvons retenir d'abord, que c'est une
théorie qui a vocation de comprendre et d'expliquer, d'une part, la
façon avec laquelle un groupe de personnes arrive à se construire
une vision commune de son environnement social et, d'autre part, comment cette
vision même constitue, pour partie, l'arrière plan du
système d'interprétation que chaque individu de ce groupe s'y
réfère pour saisir la réalité dont il évolue
et interagir avec son monde social.
A la lumière de ce cadrage théorique, nous
allons, dans la partie suivante, présenter l'approche
méthodologique adoptée afin d'apporter des éléments
de réponse à nos questions de recherche:
> Comment les enseignants se représentent-ils la
notion de l'orientation scolaire ?
> Pensent-ils qu'ils ont un rôle à jouer dans
l'orientation scolaire de leurs élèves ? Et comment ce rôle
se décline au niveau de leur pratique professionnelle?
> Comment se représentent-ils les différentes
filières scolaires après la troisième collégiale
?
> Quelles sont les critères/indices que les
enseignants ont tendance à utiliser pour se prononcer sur l'orientation
de tel ou tel élève ?