Avant de développer ce processus, signalons que
Jodelet (1989) avait soulevé que l'appréhension des
représentations sociales peut se faire suivant l'une des deux
orientations suivantes :
> la première orientation consiste à
considérer ces représentations comme étant un champ
structuré et il sera question, en premier lieu, de relever ses
éléments constitutifs (informations, images, opinions,
valeurs...). Ensuite, déterminer le principe de
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cohérence structurant les champs de la
représentation « organisateurs socioculturels, attitudes,
modèles normatifs ou encore schémas cognitifs » (p. 72).
> La seconde orientation traite ces représentations
en tant que noyau structurant (champ sémantique) dont on doit «
dégager les structures élémentaires autour desquelles se
cristallisent les systèmes de représentation » (p. 72).
C'est selon cette seconde orientation que nous allons appréhender les
représentations sociales des enseignants à l'égard de
l'orientation de leurs élèves.
Ces deux orientations concernent des représentations
déjà constituées, mais en amont il existe des processus
qui président à leur formation. Abric (2011) citant le travail de
Moscovici (1961) sur la représentation de la psychanalyse avait
repéré deux processus :
· Le premier processus est celui de l'objectivation
qui conduit l'individu « à retenir de manière
sélective une partie de l'information circulant dans la
société à propos de la psychanalyse, pour aboutir à
un agencement particulier des connaissances concernant cet objet. » (p.
27). Ce processus permet à l'individu, devant un objet complexe comme
celui de la théorie de la psychanalyse, d'opérer une
schématisation de cette théorie de telle sorte à
ce qu'elle lui soit facilement assimilable. Cette schématisation
passe par la sélection de quelques éléments concrets
afin de créer, sans avoir besoin de tenir compte des règles
logico-déductives de type scientifique, un savoir naïf
caractérisé « par sa non-distanciation vis-à-vis
de l'objet auquel il se rapporte » (Moliner et al., 2002, p. 25).
Ceci contribue, au final, à la formation de ce que Moscovici (1976)
appelle un modèle figuratif ou noyau figuratif. Les
éléments de ce noyau subissent une
décontextualisation et acquièrent une
certaine autonomie qui les rend réutilisables dans d'autres contextes
qui ne ressemblent pas forcement au contexte initial.
Généralement, le processus d'objectivation consiste
à « résorber un excès de significations en les
matérialisant » (Ibid., p. 52). Ainsi, tout
phénomène ou savoirs complexes sera approprié et
intégré facilement par les individus qui, au moment de
communiquer à propos de ce phénomène ou savoirs, auront le
sentiment de le décrire « tel qu'il est réellement et tel
qu'il est perçu par les autres » (Moliner et al., 2002, p.
26). Baggio (2006) avait rapporté que ce processus comporte trois phases
: * la première phase : trier les informations perçues ou
reçues, à travers un filtre culturel et surtout normatif, pour ne
retenir que les éléments importants. C'est unephase de « la
construction sélective » (Jodelet, 1989, p. 73)
* la deuxième phase : les éléments
retenus seront organisés en un noyau figuratif
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« concret, simple, et cohérent avec les normes et
la culture dans lesquelles il s'insère. C'est lui qui détermine
la signification de la représentation » (p. 102). Plus encore, il
« prend pour le sujet un statut d'évidence, il est pour lui la
réalité même, il constitue le fondement stable autour
duquel va se construire l'ensemble de la représentation. » (Abric,
2011, p. 27). Bref, c'est la phase de la formation d'un modèle ou
noyau figuratif encore appelée « schématisation
structurante » (Jodelet,
1989, p. 73). Nous y reviendrons plus bas.
* la troisième phase : après avoir
attribué aux éléments qui composent la
représentation (notamment le noyau figuratif) des
propriétés ou des caractéristiques, il peut y avoir des
éléments qui restent insaisissables. C'est pourquoi en
dernière phase d'objectivation, l'individu est amené à
apprivoiser ces éléments restants. Cette action est
appelée naturalisation. Pour saisir celle-ci, prenons pour
exemple, dans le travail de Moscovici sur la psychanalyse, quelques termes
comme inconscient, refoulement, complexe... « revêtent une
réalité tangible qui les rend accessibles » (p. 102).
L'objectivation apparaît donc comme un processus mental
qui concrétise ce qui est abstrait et rend pratique ce qui est
théorique.
Remarquons enfin avec Jodelet (1989) que c'est au niveau des
deux premières phases que se manifeste « l'effet de la
communication et des contraintes liées à l'appartenance sociale
des sujets sur le choix et l'agencement des éléments constitutifs
de la représentation. » (p.73).
~ Le second processus est L'ancrage : il «
permet d'enraciner la représentation dans le social. » (p. 103). On
l'a vu, les représentations dépendent largement d'un ensemble de
filtres renvoyant aux croyances, appartenances socioculturelles et
expériences des personnes qui les élaborent. Cet ancrage
est qualifié de psychologique par Doise (1992 cité par
Moliner et al., 2002) car il intervient dès la présence
des éléments peu familiers et tente par la suite de les
appréhender. Ainsi, tout en ayant une portée utilitaire, il
opère les inférences nécessaires pour appréhender
l'objet de la représentation (Moliner et al., 2002 citant
Moscovici, 1961). Pour Jodelet (1989), ce processus infléchit et le
contenu et la structure de la représentation en amont et en aval de sa
formation. En amont, le rôle de l'ancrage est capital ; il
permet d'enraciner la représentation et son objet dans un système
de significations et de valeurs préexistant tout en veillant à
l'harmonisation de l'ensemble des éléments. En d'autres termes,
l'ancrage invite la mémoire structurée
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suivant un système de pensée socialement
établi d'accueillir et d'intégrer, en toute harmonie, de nouveaux
éléments reçus ou perçus par l'individu. En aval,
l'ancrage s'inscrit sur la même lignée de
l'objectivation et contribue, à son tour, à
l'instrumentalisation du savoir en le dotant des
caractéristiques facilitant l'appréhension de l'environnement de
l'individu. Autrement dit, « la structure imageante de la
représentation devient guide de la lecture, et, par
généralisation fonctionnelle, théorie de
référence pour comprendre la réalité » (p.
73). Cela étant, cette relation dialectique entre l'objectivation
et l'ancrage fait que ce dernier articule les fonctions de
représentation citées ci-dessus. Signalons enfin, que le
processus d'ancrage est plus présent dans la phase
d'élaboration de la représentation vu qu'à ce stade le
discours des individus à propos de l'objet n'est pas encore autonome
(Moliner et al., 2002 citant Flament, 1989).
Le processus de formation étant décrit,
présentons à présent l'organisation et la structure des
représentations sociales.