1.3. Inégalités sociales face à
l'orientation :
Nous l'avons vu plus haut, notre recherche s'inscrit dans un
cadre global, celui de l'inégalité sociale face à
l'école. En effet, par un jeu de compensation ou non des origines
sociales, l'école, véritable « fabrique intensive de
jugements sociaux et instance d'évaluation et d'orientation permanentes
» (Duru-Bellat, 2002, p. 215), intervient directement dans la boucle des
trajectoires sociales plus particulièrement dans les carrières
scolaires des élèves. « Elle les affecte à tel ou tel
milieu scolaire (filière, établissement, classe), à tel ou
tel dispositif, dans le cadre d'une offre donnée, relativement inerte et
dont nous avons vu le caractère contraignant. » (Ibidem).
L'école se présente donc comme un lieu de sélection par
excellence et dont « l'orientation fonctionne comme un processus essentiel
de différenciation des individus » (Lannegrand-Willems, 2004, p.
3)
En termes de comparaison internationale, il paraît que
les inégalités sociales face à l'orientation se
manifestent beaucoup plus dans les systèmes scolaires là
où les choix de familles sont pris en considération, avec un
poids important, lors des conseils de classe (Duru-Bellat, 2002). On pourrait
donc se demander si le système éducatif britannique, par exemple,
est moins inégalitaire de fait que les décisions d'orientation y
sont prises sur la base des notes scolaires (Duru-Bellat, 2002). D'autant plus
que « même si ces notes scolaires restent marquées par des
inégalités sociales, les performances des élèves
prennent ainsi un poids relatif plus fort par rapport aux choix des familles,
ce qui atténue l'autosélection sensible qui caractérise
les milieux populaires » (Gamoran, 1996, cité par Duru-Bellat,
2002, p. 167). Selon les dispositifs d'orientation dans le système
scolaire marocain, bien que les textes officiels régissant la
procédure d'orientation encouragent les conseils de classe à
respecter autant que faire se peut le choix de l'élève et de sa
famille, il semble que ces conseils s'attachent beaucoup plus aux notes
scolaires pour décider de l'orientation des élèves. On
pourrait se demander, ici, si le système d'orientation au Maroc est
moins inégalitaire comparé à la Grande-Bretagne.
Pour Duru-Bellat (2002), les différences en
matière des inégalités d'orientation entre pays,
résultent en fait de la façon dont on anticipe l'avenir. C'est
à ce niveau là que se situe la différence : anticiper
l'avenir relève d'un certain nombre de facteurs (en particulier les
ressources de la famille, la structure institutionnelle du système
éducatif, les incitations à la poursuite des études...)
eux-mêmes variables d'un contexte à un autre. Ces
inégalités s'accentueraient davantage dans les pays où
d'autres inégalités d'ordre socio-économique se
présentent avec acuité. On s'attend donc « à ce que
les inégalités sociales de carrière se réduisent
quand les inégalités économiques s'atténuent, ce
qui a été effectivement observé en
35
Suède et en Pays-Bas » (Sahvit et Blossfeld, 1993,
cités dans Duru-Bellat, 2002, p. 167). Or le Maroc est doublement
concerné par ces inégalités. D'une part, il est un pays en
voie de développement et dont les inégalités
économiques sont fortement présentes (le rapport du Programme des
Nations Unies pour le Développement publié en novembre 2010), et
d'autre part, le système éducatif présente des voies
scolaires (filière de sciences mathématiques, filière de
sciences technologiques...) auxquelles peu d'élèves
accèdent (problème de sélectivité) et des voies
accueillant la grande partie des élèves au sortir du
collège (empruntons le terme utilisé par Duru-Bellat ; les
voies de garage comme les filières littéraires ou
professionnelles). Nous pouvons donc avancer, sans trop de risque, que les
inégalités de carrière scolaire sont bel et bien
présentes dans le système éducatif marocain.
1.3.1. La sélectivité en orientation scolaire
:
Maintenant, regardons de plus près le problème
de sélectivité. Pour Duru-Bellat (2002), dans les systèmes
éducatifs où les filières scolaires sont
hiérarchisées (comme au Maroc par exemple), il est souvent
question de méritocratie pour accéder à telle ou telle
filière. Cette hiérarchie des filières correspond «
d'une part, au mérite tel que l'école le définit (la
réussite dans les disciplines abstraites) et, d'autre part, à
l'horizon des positions sociales qu'elles prédisposent à occuper
» (Guichard et Huteau, 2001, p. 16). D'un autre côté, le
mérite est basé sur les aptitudes et la motivation,
elles-mêmes conditionnées par la socialisation familiale. Or cette
socialisation, selon le niveau économique et culturel de la famille,
varie d'un élève à un autre et la
sélectivité aura donc comme conséquence
d'entériner, pour partie, les inégalités sociales face
à l'orientation des élèves (Duru-Bellat (2002).Un autre
comportement est observé quand on examine les demandes d'orientation des
familles. Il s'agit de l'autosélection (Bressoux, 2006 ; Meunier, 2008)
qui est d'abord scolaire (la demande d'orientation de l'élève
très bon ou l'élève très faible est respectivement
soit ambitieuse soit modeste) ; mais au niveau des élèves
moyennement faibles l'autosélection (en présence des demandes
d'orientation fortement diversifiées) est structurée selon
l'âge et le milieu social d'origine (Duru-Bellat, 2002). De plus, les
conseils de classe, dans la majorité des cas, entérinent et
même parfois proposent directement ces demandes socialement typées
ou orientées (Bressoux, 2006 ; Roux et Davaillon, 2001
cités dans Meunier, 2008 ; Landrier et Nakhili, 2010 ), « et figent
de ce fait les inégalités sociales incorporées dans ces
demandes » (Duru-Bellat, 2002, p. 79).
De même, Langouet (1990) dans son analyse de l'ouvrage
publié par Duru-Bellat en 1988, conclut que « l'orientation ne
s'effectue pas de manière mécaniste, ni sur des
critères
36
exclusivement scolaires ni sur des critères
exclusivement sociaux, qu'elle contribue à la genèse de la
diversité des carrières scolaires et, par conséquent, des
inégalités sociales » (p. 121). D'autres auteurs (Bourdieu
et Passeron, 1970 ; Beaudelot et Establet, 1971 ; Berthelot, 1989 ; Charlot,
1994 ; Dubet et Duru-Bellat, 2000 ; Van-Zanten, 2000 ; Dubet, 2004 cités
par Meunier, 2008) poussent leurs analyses plus loin en affirmant qu'en amont
des inégalités des parcours scolaires et professionnels existent
des inégalités socioculturelles. Celles-ci font qu'à
l'opposé des élèves de milieu défavorisé,
ceux de milieu favorisé disposent d'un capital social et culturel leur
permettant de mieux saisir les opportunités du système
éducatif en effectuant les parcours scolaires les plus prometteurs
(Lannegrand-Willems, 2004 ; Bressoux, 2006 ; Bourdieu et Passeron, 1970
Duru-Bellat, 1988, Duru-Bellat et Mingat, 1988 cités par Meunier, 2008),
et donc l'égalité méritocratique face à
l'orientation des élèves n'est en fait qu'un mythe (Dubet, 2004,
cité par Meunier, 2008).
Suite à ces développements théoriques
autour des inégalités sociales face à l'orientation nous
allons, dans la partie suivante, exposer un ensemble de facteurs qui viennent
accentuer ces inégalités.
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