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La colonie saxonne du boulonnais


par Claude MASSET
Université Lyon 2 - Diplôme d'Etudes Sup&ecute;rieures 1946
  

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4. Les invasions saxonnes.

Après la chute de l'Empire, on voit partout s'installer des peuples germaniques , lesquels ne cessent pas pour autant d'exécuter des raids, des "razzias", là où ils le peuvent. Les Saxons ne font pas exception. Aux Vème et Vlème siècle, des textes nous les montrent installés dans l'est de l'Angleterre, dans le Calvados et dans la région de Nantes, ce qui ne les empêche pas de continuer à piller les côtes et les estuaires, comme feront plus tard les Normands. Il en date des portraits effrayés, haineux, admiratifs aussi, telle cette célèbre page de Sidoine Apollinaire écrivant à un Goth chargé de la lutte contre les Saxons : "De tous les ennemis, c'est le plus terrible. Lorsqu'on ne l'attend pas, il attaque ; si l'on est sur ses gardes, il se dérobe ; il dédaigne qui le défie, et abat l'imprudent. S'il poursuit, il atteint ; s'il fuit, il échappe. Les naufrages les instruisent et ne les effraient pas. Non seulement ils connaissent les périls de l'océan, mais même ils les aiment. Aussi lorsqu'une tempête se lève, tandis qu'elle rassure les futures victimes, elle cache les assaillants qui dans l'espoir d'une surprise se lancent au milieu des flots et des âpres récifs". Voilà certes de hardis marins et une jolie page, plus propre à faire briller les style de l'auteur qu'à rassurer le destinataire. Il existe d'autres descriptions de pirates saxons de cette époque. Le nom de "Saxon" devient presque un substantif désignant un bandit cruel et invulnérable.

Sans abandonner le métier de pirate, ils deviennent envahisseurs. Chacun sait qu'ils ont occupé l'Angleterre ; il est intéressant de savoir à quelle époque. Autour de 400 leurs pillages redoublent, les légions romaines, avec l'usurpateur Maxime ayant quitté la Bretagne en 38736. Le premier royaume saxon, celui du Sussex, est fondé en 477 par Aelle37. Les arrivées massives de Saxons se sont produites entre ces deux dates. Il existe un texte curieux, appelé "Chronica Gallica", qui date cette invasion saxonne : en 409 ils dévastent la Grande-Bretagne ; en 444, celle-ci tombe entre leurs

34 Sid. Apoll. Epist. VIII, 6, sub finem (Monumenta Germaniae Auctores Antiquissimi VIII, p. 132) : "Hostes est omni hoste truculentior. Inprovisus aggreditur, praevisus elabitur; spernit objectos sternit incautos; si sequatur, intercipit, si ft giat, evadit. Ad hoc exercent illos naufragia, non terrent. Est eis quaedam cum discri-minibus pelagi non noticia solum, sed fatniliaritas. Nam quoniam ipsa si qua ternpestas est huc securos efficit oc-cupandos, ltuc prospici vetat occupaturos, in medio fluctuum scopulorttm que confragosorum spe superventus laeti periclitantur".

35 Ammien Marcelin XXVIII, 2, 12 et XXX, 5, 8 ; Sidoine Apollinaire Panegyricus dictas Avito Au-gusto V, 369-371 ; Claudius Claudianus In Eutropium I, 5, v 391-393.

36 Wroxeter brûlée en 400, Silchester abandonnée avant 420 (aucune monnaie n'y est postérieure) : Cambridge Medieval History I, p. 381, 382.

37 Ibid.

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mains38 - Remarquons par ailleurs que c'est en 441-442 que les Bretons commencent l'invasion de l'Armorique. Les Saxons mirent d'ailleurs très longtemps à conquérir la Grande-Bretagne : au milieu du Vlème siècle ils n'avaient pas encore dépassé une ligne allant de l'embouchure de la Tweed à Salisbury.

Alors même qu'ils conquièrent l'Angleterre, les Saxons apparaissent sur les bords de la Loire, probablement dans les îles de son embouchure. Grégoire de Tours les cite plusieurs fois entre 463 et 471. Cn les voit attaquer Angers, mais se faire tailler en pièces par les Francs qui prirent même leurs îles et les anéantirent39. Cependant, un siècle plus tard, on en trouvait encore dans cette région : le poète latin Fortunat félicite en effet l'évêque de Nantes Félix d'avoir converti les Saxons. Ceci entre 556 et 57340.

On les voit également s'attaquer à He de Jersey, au Vlème siècle, du moins s'il faut en croire une vie assez tardive de Saint Marcou, laquelle n'est pas antérieure à la seconde moitié du IXème siècle. Mais la contrée qu'ils semblent avoir habité le plus longtemps est la région de Bayeux. Cette colonie ne nous est connue que par Grégoire de Tours qui la cite deux fois, sous le nom de "Saxones Baiocassini" : en 578, alliés de Chilpéric, ils sont battus par le duc de Bretagne Waroch ; en 590, alliés de Waroch, ils sont battus par l'armée franque de Gontran42. Aucun autre texte n'en parle ; mais au IXème siècle on rencontre dans cette même région une division territoriale, un "pagellus" du nom de Otlinga saxonia. Malheureusement, cette appellation est inconnue avant 802 et après 860 ; aussi a-t-on soutenu43 que ce pagellus n'avait pas de rapport avec les Saxones Baiocassini, et qu'il ne représentait que des Saxons de Basse Allemagne qui auraient été déportés par Charlemagne. II n'est pas possible d'arriver à une certitude, malgré le caractère paradoxal de cette dernière thèse.

Outre ces localités, on voit un chef saxon du nom de Childéric apparaître à Poitiers, vers 584-58944; on voit aussi une bande de Saxons entrée en Italie avec les Lombards, en 571, revenir en Saxe en passant par la Provence et l'Auvergne45 ; mais peut-

38 Chronica Gallica (Monumenta Germaniae Auctores Antiquissimi IX, p. 654, n. 62) : "Britanniae Saxo-num incursione devastatae". C'est daté de l'olympiade 297, mais viennent ensuite des faits correspondants à 409, 410, 411 ; et Chr. Gall. p. 660, n.126 "Britanniae usque ad hoc tempus varus cladibus eventi-busque latae in dicionem Saxonum rediguntur" (olymp. 306) ; suit la pris de Carthage par les Vandales.

39 Grégoire de Tours, Historia Francorum II, 19 (Mon. Germ. Scriptores rerum merovingicarum I, p. 83) : "Saxones, terga venantes, multos de suis, Romanis insequentibus, gladio reliquerunt ; insulae eorum cuum multo populo interempto a Francis captae atque subversae sunt". G. des Maretz (Le Problème de la Civilisation Franque et du Régime Agraire en Belgique) a soutenu que ces "insulae" n'étaient autre que les ancienne îles de la Flandre Maritime. Le texte suivant me paraît faire justice de cette hypothèse.

40 Fortunat, Opera poetica III, pièce IX, à Félix évêque de Nantes, pour la fête de Pâques et la gloire du Christ Roi, vers 103 et 104 (Patrologie LXXXVIII, p. 133) : "Aspera gens Saxo, vivens quasi more ferino, Te medicante, sacer, bellua reddit ovem".

41 Vita Sancti Marculfi, AA. SS. ord. S. Benedicti, saeculum I, p. 132, c. 15 et 16.

42 Grégoire de Tours V, 26 et X, 9 (Mon. Germ. script. rerum merovingicarum. I, p. 221 et 416.

43 H. Prentout 1911: Littus saxonicum, Saxones Baiocassini, Otlinga saxonia. Revue Historique CVII, p. 285-309

44 Greg. de Tours VII, 3 et X, 22.

45 Ibid. IV, 42.

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être s'agit-il de Saxons continentaux bas-allemands : le nom de "Saxon", comme celui de "Franc", est une étiquette qui a servi à désigner des peuples de langues différentes.

Remarquons qu'il peut y avoir eu bien d'autres colonies saxonnes. Supposons, par exemple, que les Saxons de Bayeux n'aient pas eu maille à partir avec Waroch, et qu'ils ne se soient pas réconciliés avec lui quelques années plus tard : jamais nous n'aurions connu leur existence. Quant à l'énorme colonie de Grande-Bretagne, on compterait sur ses doigts les textes de cette époque qui l'évoquent. Qui dira le nombre des colonies saxonnes dont aucun écrivain mérovingien n'a parlé et qui ont sombré dans l'oubli ?

Or il se trouve qu'une de ces colonies dont personne n'a parlé fut suffisamment importante, pour laisser une empreinte durable dans la région où elle s'était installée : la colonie saxonne du Boulonnais.

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II. Les Saxons dans le Boulonnais.

Bien qu'aucun auteur, qu'il soit ancien ou médiéval, n'évoque cette colonie, son existence est aussi assurée que si nous possédions sur elle une abondante littérature : paradoxe de l'Histoire du Haut Moyen-Age ! Il s'agit essentiellement de noms de lieux, mais il y a également d'autres traces : nous les examinerons plus loin.

1. Traces saxonnes dans la toponymie

La plupart du temps, il est difficile d'utiliser cette science pour différencier des peuples germaniques, leurs langues - surtout aux époques anciennes - étant trop proches voisines. Par chance, les Francs de l'ouest et les Saxons maritimes parlaient des langues appartenant à deux groupes linguistiques assez sensiblement différents, bien qu'appartenant tous deux à la branche dite "germanique occidental"46. Les premiers parlaient un dialecte bas-allemand, ancêtre du néerlandais, et les seconds une variété d'anglo-frison", à l'origine de l'anglais. D'autres Francs parlaient haut-allemand, et d'autres Saxons bas-allemand. Il y a lieu de noter, en passant, que ces expressions, "Francs" et "Saxons" ont recouvert des réalités ethniques un peu différentes ; on peut le regretter, mais il faut en prendre acte.

Notre chance est précisément d'avoir affaire à des langues plus distinctes qu'on aurait pu le craindre. Il y a entre elles des différences, notamment d'ordre phonétique ou sémantique. On appelle "inguéonismes" (du nom de l'antique confédération des "Ingueones") les particularités phonétiques propres aux langues anglo-frisonnes (frison, saxon maritime, angle, jute). Les principales sont les suivantes.

- La palatisationrimaire, ou fermeture des voyelles "non protégées". Elle atteint son maximum sur le a qui devient ae ou e : au bas-allemand dag correspond le vieil-anglais daeg (de nos jours : day).

- La fracture des voyelles (en allemand "i-umlaut"), qui diphtongue en certaines positions les voyelles a, e, i (a > ea, e > eo, i > io) ; elle est plus fréquente en anglo-saxon qu'en frison.

- La "métaphonie en i", qui palatalise les voyelles précédent une syllabe contenant un

i ou un "yod" ("yod" veut dire i consonne) : a > ae, ae > e, ea > le, o > oe et > e, u > il et i.

- Propre à l'anglo-saxon est la palatalisation dite secondaire, qui affecte les consonnes dites gutturales : g, k, h, sk. Elle ne nous concernera pas.

46 Classement des langues germaniques :

1) Germanique oriental : gothique, burgonde, vandale, etc.

2) Germanique septentrional : suédois ; dano-norvégien ; islandais

3) Germanique occidental :

Anglo-frison : anglais ; frison

Proto-allemand (urdeutsch, ou germano-néerlandais) : Bas-allemand ("plattdeutsch") ; Néerlandais

Haut-allemand

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Nous saisirons sur le vif, parmi les noms de lieux boulonnais, quelques unes de ces transformations phonétiques. Mais la principale preuve de l'immigration saxonne est d'ordre sémantique : c'est le suffixe toponymique "-thun".

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984