2. Carausius.
Cette aventure, que nous connaissons par un passage d'Eutrope,
et par des panégyriques de Constance et de Constantin, débute
comme une de ces usurpations si fréquentes aux époques
troublées de l'Empire Romain. Marcus Aurelius Valerius Carausius, soldat
sorti du rang, s'était vu confier la tâche de purger la mer des
pirates francs et saxons qui l'infestaient ; il avait le commandement d'une
flotte dont Boulogne était le port d'attache. Mais, accusé de
malversations - de laisser passer les pirates à l'aller et de les
arrêter au retour afin de saisir leurs dépouilles et s'en enrichir
personnellement - il fut condamné à mort par Maximin en 287. A
cette nouvelle il s'empressa de se déclarer empereur - de "prendre la
pourpre", comme on disait - et de s'emparer de la Grande-Bretagne (la
"Bretagne" des Romains)1o. Pendant six ans son usurpation fut
tolérée, faute de troupes pour la réduire. Mais en 293
Constance Chlore passa à l'attaque, assiégea Boulogne par terre
et par mer, bloquant le port par une digue construite au large (à la
façon de Richelieu devant La Rochelle) afin d'éviter que la ville
ne fût ravitaillée par la flotte de Bretagne (la "classis
britannica"). Après avoir contraint la garnison à capituler,
il se retourna vers "l'île des Bataves" (?) et tailla en pièces
les alliés barbares de Carausiusn. Ceux-ci furent déportés
en Gaule avec femmes et enfants12. Ces Barbares sont appelés par le
panégyrique de Constantin "Chamaves" et "Frisons"13. Les Chamaves, qui
habitaient dans les provinces néerlandaises actuelles de Gueldre et
d'Overijssel ainsi qu'au Hanovre, faisaient partie de la
confédération des Francs. Ces alliés barbares de Carausius
paraissent être
9 E Lot : Les invasions germaniques p.31.
10 Eutrope, Breviarum Historiae Romanae IX, 21 "Per haec
tempore, Carausius, qui vilissime natus, in strenuae militiae ordine famam
egregiam consequutus, quum apud Bononiam per traction Belgicae et Armoricue
pacandum mare accepisset, quod Franci et Saxons infestabant, multis barbatis
saepe captis, nec praeda integra aut provincialibus reddita, ant imperatoribus
missa, quum suspicio esse coepisset consulta ab eo admitti barba-ras, ut
transeuntes cum praeda exciperet, atque hac se occasione ditaret; a Maximiano
jussus occidi, purpuram sumpsit et Britannias occupavit."
11 Panégyriques: (Incerti) Panegyricus Constantion
Caesari dictus 7 (p. 135 et 136 de la Teubneria-na) et (Incerti) Panegyricus
Constantino Augusto dictus 5 (p. 163).
12 "In romanas nationes" (paneg. Constantin 5)
"cum conjungibus ac liberis... ad loca olim deserta, quae fortasse ipsi
quondam deprecando vastaverant" (Paneg. Constantin 8).
13 Paneg. Constantin 9 "arat ergo nunc mihi Chamavus et
Frisius et ille vagus"
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précisément les pirates qu'il était
chargé de combaltie !
Quoiqu'il en soit, Constance n'osa pas traverser le
détroit et fit la paix avec Carau-sius resté en Bretagne14.
Celui-ci, la même année, fut assassiné par son
préfet du prétoire, Allectus, qui régna encore trois ans.
En 292, Constance revint à la charge, prépara sa flotte à
Boulogne, tandis que son préfet du prétoire Asdépiodote,
parti de l'embouchure de la Seine, débarquait à l'ouest de
l'île de Wight, taillait en pièces l'armée britannique et
tuait Allectus. Constance, cependant, remontant la Tamise avait pris Londinium
(Londres)15.
Je me suis étendu assez longuement sur cette anecdote,
car elle est intéressante du point de vue du Boulonnais comme de celui
des Saxons : il a existé brièvement au IlIème
siècle un empire britto-morin, s'étendant d'un côté
sur ce qui sera plus tard l'Angleterre, de l'autre sur le Boulonnais et
peut-être un peu au delà16. La capitale de cet empire paraît
avoir été Boulogne ; sa force, la flotte romaine de la Mer du
Nord ; ses alliés, les pirates francs et saxons. Il y aura des
érudits pour dire que c'est de cette époque que date
l'installation saxonne dans le Boulonnais.
Après cette crise, qui n'est en somme qu'une querelle
intérieure romaine, et durant tout le IVème siècle, les
Saxons font encore parler d'eux. On les voit en Bretagne, sous Théodose,
pillant et ravageant'. Ce dernier réussit à les refouler ; mais
quelques années plus tard, on les voit débarquer dans le nord de
la Gaule78, dans une région inconnue qui semble, étant
donnés le délais de communication entre les chefs romains,
être voisine des bouches de l'Escaut, mais qui pourrait être notre
Boulonnais. Une fois encore la force romaine réussit à les
éloigner, par traîtrise d'ailleurs19. Mais le temps approchait
où la force romaine ne serait plus qu'un souvenir.
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