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La colonie oaxonne du Boulonnais
Mémoire pour l'obtention du Diplôme d'Etudes
supérieures Claude Masset, Vaudringhem 1946
Revu et augmenté en janvier-juin 2007
Introduction
Dans le bouleversement qui suivit la disparition de la
puissance romaine, tandis que les peuples barbares s'établissaient
partout sur le sol de l'Empire, le Nord de la France fut le siège d'un
phénomène particulier, que l'on pourrait dasser à part
dans l'histoire des grandes invasions : il fut la seule région du
continent qui ait été colonisée de façon durable
par les pirates saxons, en face de la grande île dont ils firent d'autre
part leur fief.
Il n'y a que peu de temps que l'on connaît cet
établissement saxon sur notre sol. Il a été
découvert à la fin du XIXème siède par le
toponymiste français Longnont, et, depuis cette époque, notre
connaissance à son sujet n'a guère progressé, bien que
quelques historiens aient voulu l'interpréter pour éclairer le
haut Moyen-âge anglais. C'est pourquoi je me propose d'étudier
cette question aussi complètement que possible, et si je ne puis - loin
de là - résoudre tous les problèmes qu'elle
soulève, j'essaierai au moins d'en réunir des
éléments de solution.
Le maximum de densité des toponymes d'origine saxonne
se trouvant dans la région boulonnaise, c'est elle surtout que
j'étudierai ; je serai obligé toutefois de donner à cette
expression un sens fort large, car les localités d'origine saxonne sont
nombreuses, de Boulogne à Saint-Orner, comme de Calais à
Fauquembergues ; quelques unes se trouvent même en dehors de ces
limites.
Je me propose donc d'étudier successivement qui
étaient ces Saxons, et quels rapports antérieurs relatés
par les historiens anciens ils ont eus avec notre pays ; ensuite, quelles
traces ils ont laissées dans la région que j'ai définie,
et quelles preuves nous avons de leur passage ; d'où est venue leur
invasion, et à quelle date ; enfin, quel y fut leur comportement - et en
particulier leurs rapports avec les envahisseurs francs - jusqu'à
l'époque où l'on a cessé de parler anglo-saxon dans le
Boulonnais.
1 Les noms de lieux de la France, p.188 sq.
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I. Les Saxons.
Quels sont donc ces Saxons dont nous allons essayer de retrouver
la trace ?
1. Les premiers textes.
Il est impossible de savoir à quel moment les peuples
riverains de la Mer du Nord ont commencé à s'adonner à la
piraterie. La chose paraît très ancienne, puisque les invasions
gaëliques de l'an mille avant Jésus-Christ, de même que
l'invasion belge du Illème siècle av. JC semblent être
parties de l'Allemagne du Nord ou de la Hollande par la voie maritime, pour
gagner la Grande-Bretagne. Mais c'est en 41 après J.C. que l'histoire
nous offre pour la première fois le récit d'une de ces
opérations de piraterie. Elle est le fait d'un peuple du nord de
l'Allemagne, que les Romains appellent "Chauques (Chauci)". On voit
à cette date une flotte chauque venir piller la région de
l'embouchure du Rhin ; elle est alors détruite par le consul de
Basse-Germanie, surnommé depuis Cauchiusz. Six ans plus tard ils
viennent ravager les côtes de la Gaule, exactement comme, plus tard, les
Saxons et les Normands ; il ne fallut pas moins que Cn. Domitius Corbulon pour
les réduirez. Ils tiennent leur place dans l'Histoire pendant les reste
du premier siècle et le début du second, jusqu'à
l'année 170 où ils ont encore assez de vigueur pour aller
attaquer les côtes de la Belgique4. On n'en entendra jamais plus
parler.
A ce moment même apparaissent les Saxons. Leur nom est
pour la première fois évoqué par Ptolémée',
qui les place à cheval sur la Chersonèse Cimbrique, à peu
près à la place du Holstein actuel. Pendant tout le Thème
siècle, et jusqu'à leur installation définitive en
Angleterre, ils feront le même métier d'écumeurs de
côtes que les Chauques, ou que plus tard les Normands. Il est impossible
de savoir pourquoi les Chauques ont disparu si brusquement, au moment où
se lève l'étoile des Saxons. Qu'ils aient été
exterminés par une petite nation paraît peu probable, d'autant
plus que Tacite les dit le peuple le plus noble des Ge.unains6. Il semble
plutôt - c'est l'opinion de F. Loti, d'O. Bremerz, qu'il s'agit toujours
du même peuple, parlant la même langue, qui aurait
été soumis par un parti d'habitants du Holstein, lesquels
pouvaient être une branche de leur nation. Cette hypothèse est
d'autant plus vraisemblable que les Chauques faisaient partie de la
confédération des Ingueones, à
côté,
2 Suétone : Claud. 24
3 Tacite : Annales XI, 18-20.
4 Spartien : Didus Julianus, I
5 Ptolémée : II, II, « ...Er TOV o{u)(Evoc
Trlcr Kllif3OLXIN XEPQovncrou Xa
oveç»
6 Tacite : Germanie 35 "populus inter Germanos
nobilissimus"
7 Les migrations saxonnes en Gaule et en
Grande-Bretagne
8 Ethnologie der germanischen Stamme
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d'une part, des Cimbres et des Teutons, d'autre part des
Angles et des Frisons9. Et l'on sait les rapports étroits, allant
jusqu'à la communauté de langage, qui existaient entre ces
deux derniers peuples et les Saxons.
Quoiqu'il en soit, des bandes de pirates, appartenant
peut-être à ces trois peuples, sinon à d'autres, mais tous
confondus sous le nom générique de Saxons, vont continuer les
vieilles traditions de course et de piraterie, le long des côtes de la
Mer du Nord et de la Manche. Et précisément à la fin du
IIIème siècle on les trouve mêlés à une
histoire très curieuse, et d'autant plus intéressante pour nous
qu'elle eut la ville de Boulogne pour centre, l'aventure de Carausius.
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