Section 2 : L'appréciation ambiguë des
critères de l'intervention militaire
La responsabilité de protéger comporte dans sa
phase réactionnelle la possibilité d'une intervention militaire.
La CIISE dans son rapport énumère les critères
particuliers (Paragraphe 1) auxquels doit répondre
toute intervention militaire. Cependant, face à la récurrence de
l'usage de la force dans l'application de la responsabilité de
protéger, le respect de ces critères est aujourd'hui
aléatoire (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les conditions particulières du
recours à la force
Lancer une intervention militaire étant une mesure
extrême, elle doit être prise dans des conditions et circonstances
bien définies. La CIISE énumère six critères qui
recoupent l'ensemble des conditions requises pour justifier une action
coercitive armée. Il s'agit de la juste cause, la bonne intention, le
dernier recours, la proportionnalité des moyens, les perspectives
raisonnables et l'autorité appropriée. Nous décrirons dans
un premier temps les deux critères qui nous semblent les plus difficiles
à appréhender, à savoir la juste cause et
l'autorité appropriée (A). Ensuite nous examinerons les quatre
autres critères, connus sous l'appellation de « principes de
précaution » (B).
A- La juste cause et l'autorité
appropriée
L'intervention militaire à des fins de protection
humaine étant considérée comme une mesure exceptionnelle
et extraordinaire nécessite pour qu'elle soit justifiée, un
préjudice grave et irréparable touchant des êtres humains
qui se commet ou risque de se commettre76. Walzer, l'un des
théoriciens à qui l'on doit la résurgence de la doctrine
de la guerre juste, estimait que seuls, la destruction imminente ou effective
d'une communauté politique et les actes qui « choquent la
conscience morale de l'humanité » peuvent donner lieu à
l'intervention étrangère et, ipso facto, constituer
74S/RES/2149 (2014).
75 Le transfert d'autorité entre les deux
entités devant avoir lieu le 15 septembre 2014 selon la
résolution S/RES/2149.
76 Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, p. 37, par. 4 § 18.
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une exception au paradigme légaliste77. La
Commission prône comme critère décisif pour cela la «
juste cause ». Celle-ci est en effet atteinte lorsque l'une des deux
conditions suivantes est remplie:
a) des pertes considérables en vies humaines,
effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention
génocidaire, qui résultent soit de l'action
délibérée de l'État, soit de sa négligence
ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance
dont il est responsable; ou
b) un « nettoyage ethnique » à grande
échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit
perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur
ou le viol78.
Les situations nécessitant une intervention militaire
peuvent être perceptibles par tout le monde. Mais il demeure vital de
déterminer au delà de tout doute raisonnable si les
évènements satisfont aux critères à remplir, car on
est souvent confronté malgré la sacralité des faits
à des versions multiples et contradictoires, présentées
parfois dans le but de désorienter ou de tromper l'opinion. Dans ces
cas, obtenir une information objective et précise est une tâche
difficile mais essentielle. Le problème serait résolu s'il
existait un organisme universel, impartial et respecté chargé de
signaler la gravité de la situation et de démontrer
l'incapacité ou le refus de l'Etat concerné d'agir79.
Le CICR a été proposé mais pour des raisons
évidentes, il a refusé d'assumer un rôle de ce
type80.
En ce qui concerne la condition relative à
løautorité appropriée, la Commission érige le
Conseil de sécurité en autorité compétente et
appropriée pour décider de la mise en oeuvre d'une intervention
militaire dans le cadre de la responsabilité de protéger. Elle
énonce en ces termes : « il n'y a pas de meilleur organe, ni de
mieux placé que le conseil de sécurité de l'organisation
des nations unies pour autoriser une
77 WALZER M., Just and Unjust Wars: A Moral
Argument with Historical Illustrations (New York: Basic Books, 1977),
chapitre VI.
78Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4
§ 19.
79 Vu la carence institutionnelle, selon la
Commission, il est essentiel de tenir compte des rapports de certains
organismes crédibles tel que le Haut Commissariat des nations unies aux
Droits de l'Homme, le Haut Commissariat des nations unies aux
Réfugiés ainsi que d'autres ONG crédibles en la
matière. Par ailleurs, la Commission note avec beaucoup d'insistance le
rôle moteur que peut jouer le Secrétaire général sur
la base de l'article 99 de la Charte des nations unies qui lui permet d'attirer
l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui,
à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Il s'agit là d'un pouvoir qui
pourrait avoir une influence extrêmement importante, mais qui est
jusqu'ici « sous utilisé ». Rapport CIISE, La
responsabilité de protéger, p. 40.
80 Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4
§ 19.
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intervention militaire à des fins de protection
humaine »81. On ne pouvait raisonnablement pas s'attendre
à ce que la commission envisage un recours à des institutions
autres que celles qui existent déjà, et qui ont
déjà eu à gérer, avec des échecs comme avec
quelques succès, des crises d'une gravité
extrême82. Mais la Commission introduit une
extensibilité lorsqu'elle juge nécessaire - après avoir
cependant insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'envisager des
solutions de rechange au critère de l'autorité appropriée,
puisque les Etats envisageant d'intervenir devront solliciter l'autorisation du
Conseil - de ne pas non plus « écarter complètement
toute possibilité de recours à d'autres moyens d'assurer la
responsabilité de protéger », dans le cas où le
Conseil « rejette[rait] expressément une proposition
d'intervention alors que des questions humanitaires et de droits de l'homme se
posent très clairement, ou qu'il ne donne[rait] pas suite
à cette proposition dans un délai
raisonnable83».L'indétermination apparaît
dès lors de façon très claire. L'autorité
appropriée pour déclencher l'intervention peut être le
Conseil de sécurité, et en cas d'inaction de celui-ci, un Etat ou
une association ponctuelle d'Etats peuvent mettre en oeuvre la
responsabilité de protéger par une coercition militaire lorsque
d'importantes pertes en vies humaines se produisent ou risquent de se
produire84. Comme si la Commission s'était rendue compte de
l'ambigüité créée à ce sujet, pour se
justifier elle termine l'examen de la question de l'autorité
appropriée en s'interrogeant pour déterminer au fond, quel serait
le moindre mal entre celui que « l'ordre international subit parce que
le Conseil de sécurité a été court-circuité
ou celui qu'il subit parce que des êtres humains sont massacrés
sans que le conseil de sécurité ne lève son petit
doigt85 ». Il est vrai que l'hypothèse d'un silence
de la part du Conseil de sécurité face à des massacres,
des viols et des tortures est inadmissible, mais la stabilité et l'ordre
juridique international voudraient que le Conseil de sécurité
soit le seul organe à lancer une telle intervention, encore qu'il faille
résoudre ses problèmes intrinsèques notamment ceux de la
représentativité et du droit de veto.
81Rapport CIISE, p. XII.
82 MBONDA Ernest-Marie, «
Responsabilité de protéger et éthique de
løintervention humanitaire armée : réflexions
éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde,
Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 15.
83 Rapport CIISE, op. cit., par. 6 §
23.
84 THIBAULT Jean-François, «
L'intervention humanitaire armée, du Kosovo à la
responsabilité de protéger : le défi des critères
», in Annuaire français des relations internationales,
Volume X, 2009, p. 6.
85 Rapport CIISE, par 6 § 37.
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La commission essaie de résoudre ces problèmes
en recommandant aux cinq membres permanents du Conseil de
sécurité, un usage moins égocentrique de ce droit de veto,
en précisant qu'ils « devraient s'entendre pour renoncer
à exercer leur droit de veto, dans les décisions ou leurs
intérêts vitaux ne seraient pas en jeu, afin de ne pas faire
obstacle à l'adoption des résolutions autorisant des
interventions militaires qui, destinées à assurer la protection
humaine, recueillent par ailleurs la majorité des
voix86». Mais pareille recommandation, estime le
professeur Ernest-Marie Mbonda, ne modifie en rien l'ordre des choses. Si les
intérêts vitaux des membres du Conseil de sécurité
constituent le critère à partir duquel ils peuvent être
amenés à renoncer à l'exercice de leur droit de veto, on
est très loin de la priorité accordée aux besoins des
personnes qui se trouvent dans la détresse et qui ont besoin d'un
secours urgent, indépendamment, précisément, des
intérêts vitaux de quiconque87. En outre, poursuit le
professeur Mbonda88, un membre permanent peut bien
considérer, comme contraire à ses intérêts vitaux,
une intervention dans un territoire soumis à son contrôle pour des
raisons économiques, idéologiques ou stratégiques (le cas
du Darfour, avec la Chine, constitue à cet égard un exemple plus
qu'illustratif)89.
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