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La mise en œuvre de la responsabilité de protéger en Afrique. étude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye).


par Bansopa Linda DARATE
Université d'Abomey-Calavi, Bénin - Master II Droit International et Organisations Internationales  2017
  

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Section 2 : L'appréciation ambiguë des critères de l'intervention militaire

La responsabilité de protéger comporte dans sa phase réactionnelle la possibilité d'une intervention militaire. La CIISE dans son rapport énumère les critères particuliers (Paragraphe 1) auxquels doit répondre toute intervention militaire. Cependant, face à la récurrence de l'usage de la force dans l'application de la responsabilité de protéger, le respect de ces critères est aujourd'hui aléatoire (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions particulières du recours à la force

Lancer une intervention militaire étant une mesure extrême, elle doit être prise dans des conditions et circonstances bien définies. La CIISE énumère six critères qui recoupent l'ensemble des conditions requises pour justifier une action coercitive armée. Il s'agit de la juste cause, la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens, les perspectives raisonnables et l'autorité appropriée. Nous décrirons dans un premier temps les deux critères qui nous semblent les plus difficiles à appréhender, à savoir la juste cause et l'autorité appropriée (A). Ensuite nous examinerons les quatre autres critères, connus sous l'appellation de « principes de précaution » (B).

A- La juste cause et l'autorité appropriée

L'intervention militaire à des fins de protection humaine étant considérée comme une mesure exceptionnelle et extraordinaire nécessite pour qu'elle soit justifiée, un préjudice grave et irréparable touchant des êtres humains qui se commet ou risque de se commettre76. Walzer, l'un des théoriciens à qui l'on doit la résurgence de la doctrine de la guerre juste, estimait que seuls, la destruction imminente ou effective d'une communauté politique et les actes qui « choquent la conscience morale de l'humanité » peuvent donner lieu à l'intervention étrangère et, ipso facto, constituer

74S/RES/2149 (2014).

75 Le transfert d'autorité entre les deux entités devant avoir lieu le 15 septembre 2014 selon la résolution S/RES/2149.

76 Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 37, par. 4 § 18.

Réalisé et présenté par Bansopa Linda DARATE Page 24

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une exception au paradigme légaliste77. La Commission prône comme critère décisif pour cela la « juste cause ». Celle-ci est en effet atteinte lorsque l'une des deux conditions suivantes est remplie:

a) des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable; ou

b) un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol78.

Les situations nécessitant une intervention militaire peuvent être perceptibles par tout le monde. Mais il demeure vital de déterminer au delà de tout doute raisonnable si les évènements satisfont aux critères à remplir, car on est souvent confronté malgré la sacralité des faits à des versions multiples et contradictoires, présentées parfois dans le but de désorienter ou de tromper l'opinion. Dans ces cas, obtenir une information objective et précise est une tâche difficile mais essentielle. Le problème serait résolu s'il existait un organisme universel, impartial et respecté chargé de signaler la gravité de la situation et de démontrer l'incapacité ou le refus de l'Etat concerné d'agir79. Le CICR a été proposé mais pour des raisons évidentes, il a refusé d'assumer un rôle de ce type80.

En ce qui concerne la condition relative à løautorité appropriée, la Commission érige le Conseil de sécurité en autorité compétente et appropriée pour décider de la mise en oeuvre d'une intervention militaire dans le cadre de la responsabilité de protéger. Elle énonce en ces termes : « il n'y a pas de meilleur organe, ni de mieux placé que le conseil de sécurité de l'organisation des nations unies pour autoriser une

77 WALZER M., Just and Unjust Wars: A Moral Argument with Historical Illustrations (New York: Basic Books, 1977), chapitre VI.

78Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4 § 19.

79 Vu la carence institutionnelle, selon la Commission, il est essentiel de tenir compte des rapports de certains organismes crédibles tel que le Haut Commissariat des nations unies aux Droits de l'Homme, le Haut Commissariat des nations unies aux Réfugiés ainsi que d'autres ONG crédibles en la matière. Par ailleurs, la Commission note avec beaucoup d'insistance le rôle moteur que peut jouer le Secrétaire général sur la base de l'article 99 de la Charte des nations unies qui lui permet d'attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il s'agit là d'un pouvoir qui pourrait avoir une influence extrêmement importante, mais qui est jusqu'ici « sous utilisé ». Rapport CIISE, La responsabilité de protéger, p. 40.

80 Rapport CIISE, op. cit., p. 37, par. 4 § 19.

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intervention militaire à des fins de protection humaine »81. On ne pouvait raisonnablement pas s'attendre à ce que la commission envisage un recours à des institutions autres que celles qui existent déjà, et qui ont déjà eu à gérer, avec des échecs comme avec quelques succès, des crises d'une gravité extrême82. Mais la Commission introduit une extensibilité lorsqu'elle juge nécessaire - après avoir cependant insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'envisager des solutions de rechange au critère de l'autorité appropriée, puisque les Etats envisageant d'intervenir devront solliciter l'autorisation du Conseil - de ne pas non plus « écarter complètement toute possibilité de recours à d'autres moyens d'assurer la responsabilité de protéger », dans le cas où le Conseil « rejette[rait] expressément une proposition d'intervention alors que des questions humanitaires et de droits de l'homme se posent très clairement, ou qu'il ne donne[rait] pas suite à cette proposition dans un délai raisonnable83».L'indétermination apparaît dès lors de façon très claire. L'autorité appropriée pour déclencher l'intervention peut être le Conseil de sécurité, et en cas d'inaction de celui-ci, un Etat ou une association ponctuelle d'Etats peuvent mettre en oeuvre la responsabilité de protéger par une coercition militaire lorsque d'importantes pertes en vies humaines se produisent ou risquent de se produire84. Comme si la Commission s'était rendue compte de l'ambigüité créée à ce sujet, pour se justifier elle termine l'examen de la question de l'autorité appropriée en s'interrogeant pour déterminer au fond, quel serait le moindre mal entre celui que « l'ordre international subit parce que le Conseil de sécurité a été court-circuité ou celui qu'il subit parce que des êtres humains sont massacrés sans que le conseil de sécurité ne lève son petit doigt85 ». Il est vrai que l'hypothèse d'un silence de la part du Conseil de sécurité face à des massacres, des viols et des tortures est inadmissible, mais la stabilité et l'ordre juridique international voudraient que le Conseil de sécurité soit le seul organe à lancer une telle intervention, encore qu'il faille résoudre ses problèmes intrinsèques notamment ceux de la représentativité et du droit de veto.

81Rapport CIISE, p. XII.

82 MBONDA Ernest-Marie, « Responsabilité de protéger et éthique de løintervention humanitaire armée : réflexions éthiques a partir du cas libyen », Institut Afrique Monde, Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, p. 15.

83 Rapport CIISE, op. cit., par. 6 § 23.

84 THIBAULT Jean-François, « L'intervention humanitaire armée, du Kosovo à la responsabilité de protéger : le défi des critères », in Annuaire français des relations internationales, Volume X, 2009, p. 6.

85 Rapport CIISE, par 6 § 37.

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La mise en oeuvre de la responsabilité de protéger en Afrique : Etude de quelques cas récents (Mali, Centrafrique, Libye)

La commission essaie de résoudre ces problèmes en recommandant aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, un usage moins égocentrique de ce droit de veto, en précisant qu'ils « devraient s'entendre pour renoncer à exercer leur droit de veto, dans les décisions ou leurs intérêts vitaux ne seraient pas en jeu, afin de ne pas faire obstacle à l'adoption des résolutions autorisant des interventions militaires qui, destinées à assurer la protection humaine, recueillent par ailleurs la majorité des voix86». Mais pareille recommandation, estime le professeur Ernest-Marie Mbonda, ne modifie en rien l'ordre des choses. Si les intérêts vitaux des membres du Conseil de sécurité constituent le critère à partir duquel ils peuvent être amenés à renoncer à l'exercice de leur droit de veto, on est très loin de la priorité accordée aux besoins des personnes qui se trouvent dans la détresse et qui ont besoin d'un secours urgent, indépendamment, précisément, des intérêts vitaux de quiconque87. En outre, poursuit le professeur Mbonda88, un membre permanent peut bien considérer, comme contraire à ses intérêts vitaux, une intervention dans un territoire soumis à son contrôle pour des raisons économiques, idéologiques ou stratégiques (le cas du Darfour, avec la Chine, constitue à cet égard un exemple plus qu'illustratif)89.

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