Section 2 : Des processus de reconstruction
inachevés
La responsabilité de réagir doit ipso facto
s'accompagner de la responsabilité de reconstruire, telle est le
voeu de la Commission et le troisième palier de la responsabilité
de protéger. Il faut donc établir une stratégie
post-intervention, afin de mieux consolider et garantir la paix «
peace bulding217 » après les conflits et d'assurer
une véritable réconciliation et de relancer le
développement du pays. L'objectif ici est d'empêcher que ne
réapparaissent les facteurs qui ont suscité l'intervention
militaire. Pour réussir le pari de la reconstruction la Commission
propose de travailler sur trois domaines majeurs sur lesquels les efforts
doivent se concentrer, il s'agit de la sécurité,
215 Résolution 2150, adopté à
l'unanimité le 16 avril 2014, CSNU, 7155e séance.
216 Le Conseil de sécurité ne mentionne plus
explicitement la R2P. Dans de nombreuses résolutions relatives aux
crises, par exemple dans le cas du Mali ou de la République
centrafricaine, il maintient néanmoins une référence
atténuée à la protection des populations civiles, tout en
soulignant qu'elle relève en premier lieu de leur Etat.
217 DUPUY P-M., Droit International Public,
9ème édition, Paris, Dalloz, 2008, p. 645.
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de la justice, et du développement218. C'est
là un processus dynamique, à l'instar d'une courroie de
transmission, au sein duquel les efforts et les investissements engagés
dans la reconstruction d'un pays, dans ses dimensions politiques,
sécuritaire, économique et sociale sont autant de maillons qu'il
s'agit de connecter les uns aux autres afin d'assurer le bon déroulement
et le succès de l'ensemble : un maillon manquant ou faible risquant de
bloquer le fonctionnement de l'ensemble de manière à mener
à l'impasse ou à la rechute. La phase post-intervention
(Paragraphe 1) est donc une étape fragile qui
s'accompagne de la poursuite pénale (Paragraphe 2) des
auteurs des crimes.
Paragraphe 1 : La phase post-intervention
La responsabilité de protéger implique non
seulement la responsabilité de prévenir et de réagir mais
aussi celle de reconstruire. En conséquence, si une intervention
militaire est décidée, il faut qu'il y ait un véritable
engagement à contribuer à ramener une paix durable et à
promouvoir la bonne gouvernance et un développement durable. La
nécessité de se doter d'une stratégie post-intervention
est d'une extrême importance lorsqu'une intervention militaire doit
être envisagée. L'objectif d'une stratégie
post-intervention doit donc être d'aider à empêcher les
facteurs qui ont suscité l'intervention militaire de renaître ou
simplement de refaire surface. Plusieurs obligations sont inhérentes (A)
à la réalisation de la responsabilité de reconstruire.
Celle-ci passe également par une bonne politique de désarmement
(B).
A- Les obligations inhérentes
Rien ne saurait remplacer une stratégie claire et
efficace post-intervention.L'organisation d'un système judiciaire
efficace est une condition sine qua non pour compléter le but
de l'intervention. En effet, si une force d'intervention a pour mission de
protéger les populations contre de nouvelles violations des droits de
l'homme mais qu'il n'existe aucun système en état de
fonctionnement pour traduire les coupables en justice, non seulement la mission
de la force est de ce point de vue irréalisable, mais l'ensemble de
l'opération risque de perdre en crédibilité tant sur place
qu'au plan international219. Les décideurs internationaux
doivent donc veiller à ce que la reforme de la justice, et la dotation
à celle-ci de tous moyens humains et matériels
218 Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, par. 5, p. 43 et suivants.
219 Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, p. 46.
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nécessaires à son bon fonctionnement en vue de
poursuivre les coupables des crimes soient effectives. Sinon la
réconciliation nationale reste un vain slogan.
Une question connexe liée à la justice et
à la réconciliation concerne le retour des
réfugiés, des déplacés, et les droits légaux
des rapatriés originaires des minorités ethniques ou autres. Ces
derniers ne sont pas toujours traités sur le même piédestal
que les autres en ce qui concerne la prestation des services de base, l'aide au
rapatriement, les pratiques d'embauche et les droits de
propriété. De sérieux problèmes se posent
lorsqu'ils doivent expulser des occupants temporaires de leurs
propriétés, encore que ceux-ci peuvent aussi être
réfugiés, ou encore lorsqu'ils veulent recouvrer leurs biens. A
cela, il faut ajouter les obstacles bureaucratiques ou administratifs, qui
compliquent davantage la situation220. Il faut pour remédier
à cela, selon la Commission, supprimer les complications bureaucratiques
et administratives sur le retour des uns et des autres, mettre un terme
à l'impunité des criminels de guerre connus ou
présumés, et adopter des lois non discriminatoires en
matière de propriété. Au lieu d'expulser encore, il vaut
mieux agrandir notablement le parc immobilier selon des projets bien
conçus qui doivent être pris en compte par les donateurs et
décideurs internationaux.
Le développement constitue l'épine dorsale de
l'indépendance et de la stabilité d'un Etat. C'est pourquoi toute
intervention devrait se donner pour finalité, en matière de
consolidation de la paix, de promouvoir autant que faire se peut la croissance
économique, la renaissance des marchés et le développement
durable.Les autorités (internationales) intervenantes sont tenues
d'oeuvrer pour le transfert des projets de développement aux acteurs et
dirigeants locaux, et de veiller au financement de ces projets. Cette
démarche est très importante car si les combattants prennent vite
conscience des choix et des possibilités qui s'offrent à eux, et
si la communauté a rapidement des preuves concrètes que la vie
civile peut effectivement retrouver son cours normal dans des conditions de
sécurité, leur réaction sera d'autant plus positive sur la
question du désarmement et les questions connexes221. En
clair, les intervenants doivent tout mettre en oeuvre pour relancer
l'économie de l'Etat concerné. Ils doivent pour cela travailler
avec les autorités locales et une coordination des efforts des ONG
220Ibid.
221 Rapport CIISE, La responsabilité de
protéger, p. 47.
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qui peuvent apporter une contribution non négligeable
en la matière. Il faut pour cela une planification préalable et
un financement certain.
Notons que les dispositions du chapitre XII de la charte de
l'ONU confortent les propos de la Commission à ce sujet. La disposition
pertinente à cet égard est l'article 76, où il est
noté que le but du système est de favoriser le progrès
politique, économique et social des populations du territoire
considéré ; d'encourager le respect des droits de l'homme ;
d'assurer l'égalité de traitement dans le domaine social,
économique et commercial à tous les peuples ; et d'assurer
également l'égalité de traitement dans l'administration de
la justice.
Au sujet de l'autodétermination, la Commission
précise que fondamentalement, la responsabilité de
protéger est un principe conçu pour réagir à des
menaces à la vie humaine, et non un instrument servant à
réaliser des objectifs politiques tels que l'autonomie politique accrue,
l'autodétermination ou l'indépendance de groupes particuliers
dans le pays concerné. L'intervention elle-même ne doit pas servir
de base à de nouvelles revendications séparatistes222.
Néanmoins, la mise en oeuvre de la protection signifie
généralement le soutien ou le rétablissement d'une forme
ou une autre d'auto-administration et d'autonomie territoriale, ce qui signifie
aussi généralement que des élections soient
facilitées et éventuellement supervisées, ou tout au moins
surveillées, par les autorités intervenantes.
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